Comme annoncé dans un article précédent, je vais vous parler aujourd'hui d'un lieu particulier, situé en plein coeur de Lausanne.
En quelques mots, le théâtre du Vide-Poche est un (tout) petit théâtre situé à la Place de la Palud 10 depuis le début des années 70. Il dispose de 54 places et se distingue des autres théâtres de la région par son âge, mais également par son fonctionnement, étant relié à un centre socioculturel. Et pas n'importe lequel, celui de l'Union Syndicale Vaudoise (à l'époque Lausannoise, organisme dissous depuis 2013). Je ne dis pas cela parce que j'y travaille, mais plutôt parce que cela explique plusieurs choses quant à son histoire et ses valeurs.
J'ai l'incroyable chance d'avoir aujourd'hui la charge de ce lieu, et d'avoir succédé à son créateur, Roland Borremans, depuis son départ à la retraite à mi-2010.
Je vous présente en avant-première, et dans une version non définitive une partie du contenu d'un petit ouvrage que nous allons éditer à fin 2014 pour présenter le théâtre dans ses spécificités:
Le logo
Un brin d’histoire
Né entre 1972 et 1974 selon les sources, le théâtre a déjà servi entre 1967 et 1973 de lieu unique du centre de l’Union Syndicale Lausannoise (USL). C’est au moment où le centre obtient d’autres locaux que l’espace de la Place de la Palud 10 devient uniquement un théâtre. La «compagnie des comédiens ouvriers» devient la Compagnie du Vide-Poche en même temps que le théâtre se nomme pareillement. Le centre de l’USL revendique encore davantage le droit à la culture pour tous, selon les idéaux du mouvement «Peuple et culture» association dont Jean Fontannaz, le créateur des activités théâtrales du centre dans les 60, était issu. Ce courant né en France après la 2e guerre mondiale milite pour «rendre la culture au peuple et le peuple à la culture»
«Il existe encore d’autres lieux, utilisés de manière ponctuelle. Il ne faut pas non plus oublier qu’avec un peu d’imagination, le théâtre peut se pratiquer dans des espaces très divers, parfois le temps d’une production. Minuscule (soixante places), situé au centre ville, mal pratique à souhait, le Vide-Poche a eu son importance dans les années quatre-vingt, servant de tremplin à quelques metteurs en scène et acteurs qui allaient, par la suite, embrasser une carrière professionnelle. De ce point de vue, la période la plus dense fut celle dirigée par Roland Borremans, sous l’égide de l’Union Syndicale de Lausanne. Le Vide-Poche reste, par ailleurs, un des espaces, avec le Cazard, la Voirie à Pully et le Lapin vert, ouverts aux groupes d’amateurs.»
René Zahnd (1998), Entre l’oubli et l’euphorie – le théâtre à Lausanne, Editions Payot Lausanne
Les valeurs du Vide-Poche
Ce qui fait la particularité principale du théâtre du Vide-Poche, c’est qu’il n’est ni un théâtre purement amateur, ni un théâtre professionnel. En effet, en tant qu’espace lié à un centre socioculturel, donc géré par un animateur socioculturel, il est l’expression visible des valeurs portées par ce domaine du travail social tel que l’éducation populaire, la démocratisation culturelle et de la participation citoyenne.
En effet, l’animateur est en charge de toute la partie pratique et technique liée au lieu, afin que les acteurs (très majoritairement amateurs) puissent se concentrer sur la création, le jeu d’acteurs, les représentations et l’apprentissage du vivre ensemble au travers de projets artistiques et de leur implication au sein de la vie du théâtre.
Le partage, la responsabilisation, l’expérimentation, la construction de soi sont des axes que porte la pratique du théâtre.
La rencontre, l’accessibilité, la mixité culturelle et sociale, et la découverte sont les axes amenés par l’animation socioculturelle.
Un théâtre géré par un centre socioculturel permet ainsi une rencontre privilégiée entre des acteurs, un public et un objet artistique, abolissant toutes les barrières sociales, culturelles et générationnelles.
Théâtre, animation socioculturelle et médiation culturelle, un cocktail depuis 1968
Les activités théâtrales ont été proposées dès 1968 dans l'objectif de favoriser la pratique artistique auprès des ouvriers.
Avec le temps, si les missions ont peu changé, les termes utilisés ont par contre passablement évolué. À l'époque déjà, malgré le jeune âge du métier, il paraissait évident qu'un centre socioculturel était en main d'animateurs socioculturels. C'est la transformation des locaux polyvalents en un théâtre qui a donné la spécificité du Vide-Poche, avec ce statut particulier de n’être plus qu’un théâtre, avec la symbolique très forte que cela implique.
Dans plusieurs autres centres ou maisons de quartier, des activités de théâtre, ainsi que des spectacles s'y déroulent, mais l'imaginaire collectif ne projette pas les mêmes références que sur un théâtre. Pourtant le travail mené y est identique, ou très semblable. La différence notoire se situe dans la possibilité d'accueil plus grande du Vide-Poche à des spectacles «externes» aux activités «maison» en raison de l'usage unique du lieu comme lieu de spectacle, alors que la plupart des centres se transforment au gré des utilisations qui peuvent varier en une demi-journée (accueil enfant, repas, spectacle, cours…).
L’animateur responsable est en contact étroit avec les troupes, et facilite la prise de responsabilité, l’intégration et la participation de chacun dans les choix stratégiques liés au théâtre par exemple.
Aussi, le théâtre est majoritairement utilisé par des troupes amateurs locales (et pas uniquement les troupes résidentes), il s’y tient également des créations de troupes professionnelles, des spectacles pour enfants, voire des spectacles d’enfants. Il sert également de laboratoire pour des personnes n’ayant pas la possibilité de se produire dans un autre théâtre, par exemple une troupe d’enfants handicapés, ou des personnes se lançant pour la première fois dans l’univers de la création artistique. Le dépassement de soi demandé par la pratique de la scène est un champ d’exploration de soi-même et un moment d’apprentissage riche en enseignement pour la personne qui ose se lancer.
Le Vide-Poche est un lieu d’art vivant au sein duquel se côtoient également plusieurs formes d’arts, dans la mesure de ses possibilités d’accueil.
Cette variété d'artistes, de spectacles et d'offres, car il ne faut pas oublier que le Vide-Poche est également le lieu de formations théâtrales à l'attention des comédiens amateurs, participe donc à la place particulière du théâtre dans les courants précédemment présentés.
En 1975, la confédération prend connaissance du «Rapport Clottu», au sujet des réflexions politiques sur l'encouragement à la culture. Ce rapport, outre le fait d'être très en avance sur son temps, et ayant donné quelques-unes des grandes directions qui ont été mises en œuvre depuis, insiste à plusieurs moments sur le rôle de l'animation socioculturelle comme participante importante à la vie culturelle et à cet encouragement à la culture. Aujourd'hui, il est souvent attendu de l'animateur socioculturel un rôle socio-éducatif, au détriment de celui porté par des valeurs de participation, d'émancipation, et de développement communautaire.
La culture, ayant été délaissée par le champ de l'animation depuis plusieurs années maintenant — rarement volontairement d'ailleurs, mais plutôt par volonté des subventionneurs — est en train de revenir, le travail sur le terrain des animateurs étant souvent mené au travers d'activités de type artistiques. Mais on voit éclore des métiers et des formations qui tendent à prendre le rôle décrit dans le rapport, comme les médiateurs culturels, qui eux font partie intégrante des équipes travaillant dans les lieux strictement culturels, par exemple et pas seulement...
C'est pourquoi, nous pensons à Pôle Sud qu'en tant que centre socioculturel actif depuis près de 45 ans dans l'animation socioculturelle, et que quelque soit le terme à la mode, nous fonctionnons actuellement comme lieu de médiation culturelle.
Ce rôle nous paraît essentiel, et c'est pour cela que le théâtre du Vide-Poche a cette place particulière, au carrefour du social et de la culture, dans un rôle actuellement défini comme médiation culturelle, et géré par un animateur socioculturel.
Donc si vous êtes intéressés par ce qui s'y passe, je vous invite volontiers à écrire à l'adresse videpoche(at)polesud.ch en disant «je veux recevoir les infos!»
Voilà, j'espère vous avoir intéressé à ce lieu historique, et si vous connaissez des artistes locaux cherchant des lieux de représentations et/ou si vous souhaitez venir découvrir des spectacles originaux, n'hésitez pas! Un théâtre est un lieu pour moi où peuvent se côtoyer de la musique, du théâtre, de l'humour, des contes, du mime… et je crois pouvoir affirmer que vous pouvez trouver tout cela au Vide-Poche.
Merci de lire, et merci d'avance pour vos réactions, contributions, opinions (même opposées).
Gr@g
, le 02.07.2014 à 12:58
L’adresse est notée! Merci!
, le 02.07.2014 à 13:15
Dans le cendrier qui, dans ma cuisine, sert à garder les clés (et comme chez moi personne ne fume, les cendriers ne servent qu’à ça), il y en a une dont l’éiquette bordée de jaune dit: Vide-Poche. Elle est là depuis plus de trente ans.
J’en ai fait des choses au Vide Poche, tant et si bien qu’à une époque j’avais besoin d’une clé en permanence. J’ai d’abord voulu, en lisant cette contribution , en faire une liste, mais je m’aperçois que c’est impossible.
J’ai découvert des comédiens alors inconnus, et j’ai eu quelques révélations tant en matière de gens qu’en matière de sectacles.
J’ai répété puis joué des spectacles avec mes élèves, j’ai répété et joué des spectacle par et pour les enfants de la crèche de ma fille, j’ai mise en scène quelques pièces à un ou deux comédiens écrites et montée à une époque où tant eux que moi nous demandions si c’était possible d’en faire un métier. Tout ça au Vide-Poche.
Il a fallu que j’arrête de «faire du théâtre» le jour où la réponse a été pour moi: non, je ne peux pas vivre de mes pièces, ni même des mises en scène de celles des autres. Et une fois que j’ai travaillé à la TV, je ne me suis plus occupée du Vide-Poche.
J’ai souvent eu la tentation d’aller essayer si la clé tourne encore dans la serrure (sans doute pas…), mais finalement j’ai renoncé. Cependant, cette clé est là comme un rappel d’une possibilité, et de moments formidables vécu dans ce lieu chaleureux.
Merci, Gr@g, de me les avoir rappelés.
, le 02.07.2014 à 14:16
Et ton frère Anne, mon père, y a tellement chanté et créé de spectacles.
C’était un endroit où j’ai beaucoup vécu d’après-midi de répétitions, et de soirées à écouter Roger.
Parfois, souvent dans la régie, derrière…
Que de souvenirs dans ce théâtre. Il a fait partie de ces belles années 70 pour moi.
, le 02.07.2014 à 19:34
Ah ! Le Vide-Poche que je connais comme ma poche si on peut dire. Un endroit vraiment génial.
Pour moi, c’est le souvenir d’une série de revues créées dans le cadre du Carnaval de Lausanne, puis en 2004, avec une troupe amateur, 6 représentations du « Souper de cons », adaptation du « Dîner de cons » à la sauce « locale ».
Il me tarde d’y retourner !
Gr@g, je saurai où frapper si besoin. Merci pour cette humeur.
, le 02.07.2014 à 22:18
merci pour vos commentaires.
C’est bien de voir que des gens ont des attaches avec ce lieu. Par contre, il ne faut pas oublier que ce n’est un lieu de souvenir uniquement des années 70. C’est une « fabrique à souvenir » pour toutes celles et ceux qui y viennent encore, et ils sont plus de 2000 à passer par année! ;o)
Anne, c’est avec plaisir que je t’accueillerai un jour pour tester cette clé !
, le 03.07.2014 à 12:07
Si ce n’est qu’une fabrique à souvenirs (qui va jusqu’à 1990 environ), pour moi en tout cas, ce n’est pas de ma faute. Un beau jour j’en ai eu marre de produire des spectacles sans argent, de me voir refuser toute subvention et de me faire renvoyer à ma plume.
Je serai toujours reconnaissante au Vide-Poche d’avoir mis à ma disposition un lieu pas cher où j’ai tout de même pu monter quelques spectacles, mais le moment est venu où il a fallu gagner de l’argent pour survivre. Crois que ce n’est qu’à contre-coeur que le Vide-Poche fait partie de mon passé et non de mon présent.
Je n’ai d’ailleurs jamais renoncé à espérer en des lendemains théâtraux qui chantent, puisque j’ai gardé la clé du Vide-Poche, en me disant, plus ou moins consciemment: qui sait? Un jour, peut-être…
, le 04.07.2014 à 08:12
Mon message n’était pas une crtitique de ton commentaire mais plus un appel a celles et ceux qui n’ont pas commenté! :o)