per­pé­tuer de l’an­cien fait-il de nous un « vieux »?

Bon, nous y voici, mon 2e ar­ticle...

Cette fois, point de test, mais plu­tôt une ré­flexion issue de ma pra­tique pro­fes­sion­nelle, avec l'en­vie de vous lire à ce pro­pos.

Mais tout d'abord, per­met­tez-moi de me pré­sen­ter un peu plus en pro­fon­deur. Mon mé­tier, j'ai dû le dire dans des com­men­taires à l'époque, est ani­ma­teur so­cio­cul­tu­rel, l'un des 3 mé­tiers du ni­veau HES de la branche du tra­vail so­cial, et cer­tai­ne­ment le moins connu.

Il pa­raît que c'est un mé­tier jeune, car né dans les an­nées 50-60 seule­ment. Je crois sa­voir que plein d'autres mé­tiers sont nés plus ré­cem­ment… alors, la jeu­nesse, elle com­mence à être re­la­tive selon moi...

Du côté de mon âge, je suis plus proche de la qua­ran­taine que de la tren­taine, je crois donc que je com­mence à faire par­tie de cette ca­té­go­rie de tra­vailleurs qui ne sont ni vieux, ni jeunes, selon les per­cep­tions des uns ou des autres.

Il se trouve que j'ar­rive tran­quille­ment à 15 ans d'ex­pé­rience, avec deux lieux prin­ci­paux très dif­fé­rents au sein des­quels j'ai tra­vaillé, l'un tourné vers un tra­vail de quar­tier, au sein d'un poste axé prio­ri­tai­re­ment au­près des jeunes (10-25 ans), et de­puis 4 ans dans un lieu plu­tôt tourné vers le tra­vail au­près des adultes.

C'est d'ailleurs la chance de ce mé­tier que de pou­voir chan­ger ra­di­ca­le­ment de contenu du tra­vail!

Ce dont je vou­lais vous par­ler au­jour­d'hui, c'est de ce que cer­tains peuvent per­ce­voir comme un conflit des gé­né­ra­tions par­fois, comme une fi­lia­tion d'autre fois. En fait, il s'agit de la «re­prise-pour­suite-suc­ces­sion» (bif­fer ce qu'il convient) d'ac­ti­vi­tés créées par des pion­niers du mé­tier, ou sim­ple­ment par des an­ciens. Et je crois que je me suis spé­cia­lisé dans cette pra­tique, car je me re­trouve à être le co­or­di­na­teur d'un fes­ti­val de rock né en 1981 pour des jeunes groupes lo­caux, le Ré­gio­nal Rock, et le res­pon­sable du (tout) petit théâtre du Vide-Poche, né of­fi­ciel­le­ment en 1974, mais en ac­ti­vité sous un nom dif­fé­rent de­puis 1968.

Pour moi, il s'agit d'une chance ex­tra­or­di­naire que d'avoir hé­rité ces deux ac­ti­vi­tés qui cor­res­pondent à mes va­leurs pro­fondes et à mes mo­ti­va­tions pre­mières lorsque j'ai voulu me for­mer dans l'ani­ma­tion so­cio­cul­tu­relle. Pour cer­tains, cela peut pa­raître ré­tro­grade que de faire per­du­rer ces ac­ti­vi­tés alors que le pay­sage cultu­rel et so­cial n'est plus du tout pa­reil aux an­nées de créa­tion, mais je suis fier de main­te­nir ces pro­jets année après année dans un an­crage plus co­hé­rent avec le XXIe siècle. Le chal­lenge est de main­te­nir les va­leurs d'ori­gines et de s'ins­crire dans une cer­taine mo­der­nité. C'est d'ailleurs un des chal­lenges de mon mé­tier que d'uti­li­ser les mo­ments pré­sents pour s'ins­crire dans la durée. Peut-être que je vous par­le­rai de cette tem­po­ra­lité par­ti­cu­lière re­ven­di­quée par l'ani­ma­tion so­cio­cul­tu­relle.

Je sup­pose que dans tous les mé­tiers, et de­puis long­temps, le conflit de gé­né­ra­tions peut se pro­duire, avec des jeunes qui veulent tout bou­le­ver­ser et des an­ciens qui pensent avoir tou­jours rai­son. Par contre, je suis sur­pris par la vi­tesse avec la­quelle ce conflit semble m'ar­ri­ver sur la tête, car, je ne pen­sais pas que j'al­lais me sen­tir aussi vite «vieux» à cer­taines oc­ca­sion, non pas parce que je le sens au fond de moi, mais plu­tôt par des re­marques que des plus jeunes peuvent faire. Est-ce dû au fait que je suis en charge d'ac­ti­vi­tés que je n'ai pas créée? Est-ce parce que j'ai été formé sur le ter­rain par les vrais an­ciens, celles et ceux qui sont déjà re­trai­tés de­puis 2 ou 3 ans? Est-ce parce que je par­tage avec ces pion­niers une même vi­sion du mé­tier, de ses va­leurs et que les jeunes moins ou dif­fé­rem­ment? Ou est-ce sim­ple­ment parce qu'à presque 40 ans, on de­vient so­cia­le­ment «vieux», car plus vrai­ment jeune?

Dans tous les cas, j'aime ce rôle d'hé­ri­tier qui per­met de faire évo­luer une ac­ti­vité an­cienne ayant de l'his­toire et du «suc­cès» ré­cur­rent (terme pas for­cé­ment admis dans mon mi­lieu, mais je ne vois pas mieux com­ment dé­crire une ac­ti­vité qui at­teint en­core et en­core ses ob­jec­tifs mal­gré les chan­ge­ments et dif­fi­cul­tés) plu­tôt que de s'éver­tuer à in­ven­ter des nou­velles ac­ti­vi­tés qui ne sont peut-être ni si in­no­vantes, ni si adap­tées aux mis­sions que l'on at­tend de nous. At­ten­tion, je ne dis pas qu'il ne faut pas ten­ter de pro­po­ser des nou­veau­tés, mais il ne faut pas dé­ni­grer ce qui existe déjà sous pré­texte que c'est vieux, donc pas adapté à la réa­lité ac­tuelle.

Je pense que lors d'un pro­chain billet, je vous par­le­rai un peu en pro­fon­deur de ces ac­ti­vi­tés, dont l'une (le Vide-Poche) parle au pa­tron d'ici, et cer­tai­ne­ment à une bonne par­tie de sa fa­mille, d'après ce que je crois sa­voir.

Donc, le but de cette hu­meur est d'échan­ger au­tour de ces 2 ques­tions:

— si vous l'êtes, se­riez-vous fier éga­le­ment d'avoir à pour­suivre un hé­ri­tage des an­ciens, lors­qu'il en vaut la peine et peut conti­nuer d'évo­luer?

— dans le cas votre ré­ponse est non, qu'elle en est la rai­son, et pen­sez-vous que ceux qui le pense sont des ré­tro­grades ou des «tra­di­tio­na­listes»?

Voila pour ce 2ème billet qui j'es­père vous aura in­té­ressé, et sur­tout, va éveiller votre cu­rio­sité sur cer­taines de mes ac­ti­vi­tés, car avec l'aval du boss-pa­tron-d'ici, je risque de vous en par­ler!

 

Gr@g

 

8 com­men­taires
1)
Ma­dame Pop­pins
, le 27.05.2014 à 00:42

L’adage ne dit-il pas « si jeu­nesse sa­vait et si vieillesse pou­vait » ?

Quand j’ai fait mes études de droit, je n’ai pas com­pris pour­quoi on nous bas­si­nait pen­dant des plombes avec ce que j’ap­pe­lais « l’his­to­rique des as­su­rances so­ciales » : j’étais sur les bancs de la fac pour ap­prendre sur le « main­te­nant et ici », pas pour faire de l’his­toire (« merde » mais ça, c’était en mon for in­té­rieur).

Il a fallu que je prenne presque 20 ans de plus (j’ai 44 ans) pour me ral­lier à cette façon d’abor­der les as­su­rances so­ciales car qui n’a pas com­pris le passé est condamné à le re­vivre (di­sait, pré­ten­du­ment ou réel­le­ment, Goethe).

Pour moi, in­no­ver réel­le­ment, c’est sa­voir où se trouvent les ra­cines (d’une loi, d’un pro­jet so­cio-cultu­rel, peu im­porte) et voir en quoi une évo­lu­tion est sou­hai­table-né­ces­saire-ju­di­cieuse. Pas juste « gueu­ler » et vou­loir ou se croire ca­pable de faire mieux alors que bien sou­vent, on finit par re­trou­ver un truc qui a un em­bal­lage dif­fé­rent mais dont les va­leurs ne sont fi­na­le­ment pas si dif­fé­rentes (au grand damne du « jeune » de­venu un peu moins jeune dans l’in­ter­valle).

Ce qui est amu­sant, c’est que ce sont jus­te­ment ces « ré­vo­lu­tion­naires » qui vont mettre un soin tout par­ti­cu­lier à re­cons­ti­tuer le Noël de leur en­fance pour leur propre pro­gé­ni­ture, à vou­loir leur don­ner le goût (à choix) du sport, de l’ef­fort ou de l’art, comme leurs pa­rents avant eux. Mais pro­fes­sion­nel­le­ment, diantre, qu’est-ce qu’ils brassent comme air au lieu de se dire que « tra­di­tion » et « in­no­va­tion » peuvent co­ha­bi­ter se­rei­ne­ment. Ainsi, mu­sique clas­sique et ro­ck’n roll ne s’ex­cluent pas, ils co­ha­bitent, sou­vent dans le même lec­teur mp3… Bien des opé­ras pré­sentent non seule­ment des pièces ar­chi-clas­siques mais aussi des pro­duc­tions plus ré­centes, dif­fé­rentes, pour­quoi ne pas faire de même en ani­ma­tion ?

Bref, je ne ré­ponds pas vrai­ment à la ques­tion mais je fais par­tie des te­nants du « connais­sons d’abord bien ce qui est et a été, pour dé­ter­mi­ner en­suite s’il y a lieu de mo­di­fier un bout, une énorme par­tie ou juste ap­por­ter des touches ad­di­tion­nelles ».

Je me ré­jouis de lire les com­men­taires à venir et vais ten­ter de trou­ver non pas LA ré­ponse à tes ques­tions mais le som­meil.

2)
Diego
, le 27.05.2014 à 09:35

Je pro­pose une ré­ponse mé­tho­do­lo­giste (lire de vieux) à ta pre­mière ques­tion. Et comme la ré­ponse et oui, je ne ré­pon­drai pas à la se­conde …

Os­care Wilde di­sait (pré­ten­du­ment ou réel­le­ment) L’ex­pé­rience, c’est le nom que cha­cun donne à ses er­reurs.

Pro­ba­ble­ment évo­qué en bou­tade par l’au­teur, cette ci­ta­tion ren­ferme en fait une grande sa­gesse : on ap­prend de ses er­reurs, pas de ses suc­cès. Ce fait a été lar­ge­ment étu­dié, dé­crit et va­lidé par une mul­ti­tude de scien­ti­fiques et est le fon­de­ment du QM (qua­lity ma­nag­ment) sans le­quel au­jour­d’hui au­cune en­tre­prise (au sens en­tre­prendre au­tant qu’in­dus­triel) ne pour­rait fonc­tion­ner.

Le mal­heur à mon sens, c’est que pour prendre la pleine me­sure de ce pos­tu­lat, il faut avoir fait des er­reurs, les avoir ana­ly­sées, en avoir tiré des en­sei­gne­ments et les avoir fait fruc­ti­fier.

Pour en ar­ri­ver là, il faut être, dans l’échelle de temps qui est la nôtre, vieux.

Ceci fait, on est en me­sure d’ap­pré­cier l’hé­ri­tage des an­ciens dans ce qu’il est : la somme des er­reurs pas­sées. Va­leur in­es­ti­mable.

Et pour conclure, oui, ajou­ter mes er­reurs à la somme de celles de mes pré­dé­ces­seurs pour don­ner la pos­si­bi­lité à mes des­cen­dants, s’ils le sou­haitent, d’en tirer en­sei­gne­ments, j’en suis fier.

3)
Fran­çois Cuneo
, le 27.05.2014 à 12:52

Hello!

Je ne vais pas ré­pondre à tes ques­tions. Juste dire que le Théâtre du Vide-Poche a été pour moi un stam, mon père y ayant chanté tel­le­ment sou­vent il y a 40 ans.

Sinon, tu fais un bien beau mé­tier!

4)
Smop
, le 27.05.2014 à 20:36

[…] qui n’a pas com­pris le passé est condamné à le re­vivre (di­sait, pré­ten­du­ment ou réel­le­ment, Goethe).

La ci­ta­tion « celui qui ne connaît pas l’his­toire est condamné à la re­vivre » est de Karl Marx, pas de Goethe.

5)
Ma­dame Pop­pins
, le 27.05.2014 à 22:31

Smop, merci d’avoir cor­rigé : Marx et Goethe, c’est pas « tout à fait » pa­reil !

6)
Ma­dame Pop­pins
, le 27.05.2014 à 22:37

Gr@​g, et si tu fai­sais un billet pour mieux pré­sen­ter ta pro­fes­sion ? En ma­tière de tra­vail so­cial, l’ASC est cer­tai­ne­ment le moins connu : l’ES et l’AS, on sait gé­né­ra­le­ment ce qu’ils font (à tout le moins en gros), je pense qu’il n’en va pas for­cé­ment de même pour ta pro­fes­sion.

7)
Gr@g
, le 27.05.2014 à 23:12

Oui, je vais en par­ler une pro­chaine fois. Ce sera dur de faire syn­thé­tique! Mais comme le dit Fran­çois, je fais un mé­tier pas­sion­nant qui me mo­tive, ce que je peux es­pé­rer à tout le monde (non pas de faire mon mé­tier, mais d’en avoir un avec ces ca­rac­té­ris­tiques!).

Dans tous les cas j’aime beau­coups vos re­marques qui en­ri­chissent ma ré­flexion!

8)
Dom' Py­thon
, le 28.05.2014 à 06:03

Ma ré­ponse est oui, ab­so­lu­ment oui. Le chal­lenge étant à mon sens d’in­car­ner les va­leurs de cet hé­ri­tage de façon à ce qu’il soit res­senti non comme un hé­ri­tage mais comme une force.
L’image me vient: si l’hé­ri­tage en ques­tion n’a de ra­cines que dans l’époque qui l’a vu naître, alors c’est du conser­va­tisme. Mais si la chose est resté vi­vante, en conti­nuant de plan­ter ses ra­cines dans les époques qu’elle a tra­ver­sées, alors il y a du sens et elle ne sera pas d’abord res­sen­tie comme « hé­ri­tage » par ceux qui la dé­couvrent.