(Jusqu’ici je signais TroncheDeSnake. J’ai décidé d’arrêter de faire la tronche
et de publier désormais sous mon vrai nom. Je vous en dirai un peu plus en avril.)
Je ne suis pas un familier des festivals. Non que je n’aime pas ça, sur le fond; passer du temps dans un lieu sympa où il y a plein de musique, ça me brancherait plutôt. Mais plus je prends de l’âge, plus je vis mal les situations de foule. Donc, pour cette raison, je ne me risque pas à me rendre dans ce genre de manifestation. À la fête de la musique, à Genève, il m’est arrivé de fuir et me réfugier... osé-je le dire? devant ma télé.
Mais là, cette année, je vais faire un saut — ou plutôt trois — au Cully Jazz Festival. Pour une raison très simple: je ne peux pas faire autrement. Je vous explique:
J’ai, très récemment, attrapé le virus d’un jazz aux consonances orientales, aux rythmes parfois alambiqués, mais qui me font toujours un bien fou, mais fou. Quant aux mélodies et harmonies, j’vous dis pas. Alors forcément, l’envie me prend de partager ça avec vous.
Dans un deuxième article, je vous parlerai de trois musiciens qui jouent à Cully en avril prochain; même que j’ai les billets, les réservations d’hôtel pour dormir sur place après, et les jours de congés qui vont avec, tout bien.
Mais aujourd’hui, il va être question des agents contaminateurs (qui jouent aussi à Cully, mais off ), à qui je dois d’avoir attrapé ce virus. Et pour être franc, je nourris l’espoir, en publiant ces lignes, d’être contagieux à mon tour et de transmettre au moins à l’un ou l’autre d’entre vous cette savoureuse et jouissive maladie.
Voici donc une photo des coupables:
Le trio LESS THAN FOUR
De g. à dr.: Francis Stoessel (batterie) Tim Verdesca (basse) David Tixier (piano).
Là, comme ça, ils n’ont l’air de rien; mais ils sont redoutables.
Je me suis intéressé à eux parce que je connaissais le bassiste, Tim Verdesca, qui avait fait partie d’un groupe de rock avec mon batteur de fils. Et si celui-ci écoutait plutôt du métal, Tim, lui, venait du jazz. Lorsque le groupe de rock en question s’est séparé, et que mon fils s’est clairement «métallisé», j’ai eu envie de suivre Tim, dont j’appréciais le jeu (j’ai fait un peu de basse) histoire de me «jazzéfier» un peu.
La première fois que j’ai assisté à un concert de Less Than Four (LT4 pour les intimes), j’en suis ressorti avec deux certitudes. La première: ça n’était pas ma musique; la deuxième: purée quelle pêche! Comment que ça fait du bien tout partout! Leur batteur, Francis Stoessel, maîtrise son art de façon vertigineuse; souvent virtuose, mais toujours musicale. Et comme j’ai fait un peu batterie, je goûte, grave! Par ailleurs, j’adore le son du Rhodes, et David Tixier le touche magnifiquement. Et comme j’ai fait un peu de piano...
Suite à ce concert, j’ai essayé de m’intéresser aux musiciens dont le trio dit s’inspirer. Même conclusion: ce sont d’excellents musiciens, mais cette musique n’est pas ma tasse de thé.
Fin du premier acte; rideau; les toilettes sont au fond à droite.
Quelque temps plus tard, je suis retourné voir — et écouter — Less Than Four. À nouveau, j’ai été emporté par l’énergie, le groove, la pêche; même si, sur le fond, ça n’était toujours pas ma musiq... quoique! Certains thèmes, que je n’avais pourtant entendus qu’une fois quelques mois auparavant, me semblaient déjà familiers; j’avais du plaisir à les retrouver. Du coup, j’ai eu envie de creuser un peu la question.
Fin du deuxième acte; mais restez assis, c’coup-ci y a pas d’entracte!
En effet, trois jours plus tard, le trio était «en résidence» à l’AMR, du lundi au jeudi. J’y suis allé le mercredi. De toute évidence, il se passait quelque chose en moi. À la fin du premier set, je me suis dit que... peut-être... en insistant... en tirant un peu sur mes œillères, ou plutôt mes «oreillères», pour les écarter (même si mes goûts musicaux étaient déjà passablement éclectiques), il se pourrait que je m’intéresse d’un peu plus près à cette musique qui me bousculait, mais qui — force m’était de le constater — me faisait tellement de bien.
À la fin du deuxième set, c’était clair: mes «oreillères» avaient éclaté en vol. J’étais converti. Le lendemain, je retournais à l’AMR pour leur dernier concert genevois de l’année.
Il faut dire que, généralement, je me couche entre 21h et 22h. J’ai une excuse: je me lève à 5h et j’ai besoin de sommeil. Le concert ayant commencé à 21h, la nuit avait été courte. En retournant les écouter le jeudi, je me mettais donc clairement en situation de manque de sommeil. Aussi, après quelques titres, je me suis dit comme ça qu’il serait raisonnable de rentrer me coucher à la fin du premier set si je voulais pouvoir travailler le vendredi. Et je voulais. Lorsque Tim a annoncé le dernier morceau dudit set, j’ai décidé de le savourer goulûment (le morceau), d’en profiter un max, puis de rentrer me coucher. À la fin du morceau je me suis levé, et, habité par une sorte d’évidence qui aurait coupé court à la moindre tentative de négociation, sans même avoir à en prendre la décision, je suis allé... me rechercher une bière et suis revenu m’asseoir pour le deuxième set, en trinquant à ma conscience professionnelle défaillante, arguant que zut, le travail c’est tous les jours alors que ce concert c’était le dernier, non mais!
Fin du set, dernier morceau: «The Other Side of the Sea». Après son solo de basse, Tim, qui s’était avancé, recule et passe la parole au clavier. David développe alors progressivement son solo, d’abord en douceur. L’intensité monte et se déploie (Francis et Tim y participent très activement), puis les choses se calment. David semble être prêt à conclure. Tim s’avance alors vers ses pédales pour redonner à sa basse le son qu’elle doit avoir pour la réexposition du thème. Mais David, d’une moue éloquente, lui fait signe que non, il n’a pas fini, en fait il a encore des trucs à dire. Tim recule. David entre alors comme en transe et repart dans un solo stratosphérique qui laisse l’auditoire pantois. Lorsqu’il se calme finalement et que le thème refait surface, le public manifeste bruyamment sa totale et reconnaissante approbation. Dernière exposition du thème avec un Francis qui, avec ses baguettes, nous la joue façon Kali (vous savez, cette divinité hindoue avec des bras partout!); puis final en douceur par David, son Rhodes et ses boîtes à effets. Explosion du public, acclamations, émotion, on pourra dire qu’on y était, plus rien ne sera comme avant, à vous les studios.
Comment ça, je m’emballe? Vous y étiez, vous? Non? Moi oui, alors je peux en parler... Et puis il n’est pas question ici de fournir une critique savante et objective, mais de partager une émotion. Alors si j’ai envie de m’emballer je m’emballe, et-pis-c’est-tout!
En novembre 2013 à la Cave du Sud des Alpes (AMR, Genève)
Tim Verdesca et Francis Stoessel, après avoir collaboré sur différents projets, ont eu envie de se retrouver pour travailler, basse et batterie, histoire profiter de leur complicité rythmique pour progresser ensemble. Rejoints par David Tixier, ils travaillaient les compositions des musiciens qu’ils appréciaient, puis ont commencé à composer leur propre musique en s’inspirant notamment des grands noms du jazz actuel et plus particulièrement de ceux issus du Moyen-Orient. Un premier concert pour voir, la sauce prenait et LESS THAN FOUR était né.
Le principal compositeur est le pianiste, David. Voyageant souvent, il a donné à plusieurs de ses compositions les noms des aéroports dans lesquels elles ont vu le jour, durant l’attente de l’embarquement. Les deux autres compères se mettent également à composer. Tim a intitulé une composition «Gentils voisins», en hommage à ses voisins qui ont été très tolérants alors qu’il composait au piano vers minuit!
Si leurs «maîtres» sont moyen-orientaux, ils ne cherchent pour autant pas à imiter cette culture qui n’est pas la leur. Ils développent leur propre langage et je ne serais pas étonné de les retrouver au Cully Jazz d’ici quelques années, au festival in cette fois!
Mais il est temps de vous donner de quoi vous faire votre propre idée. Il n’y a pas (encore!) beaucoup de liens disponibles, le trio n’étant formé que depuis un an et demi. Ceci dit, ils ont tout de même joué 30 fois en 2013!
- Sur leur site, on trouve quelques «démos» et une vidéo. Ces médias ne rendent que partiellement justice à l’énergie que le trio dégage sur scène. Il faut vraiment les voir en live pour goûter pleinement leur musique. Ceci dit, je suis conscient qu’en écrivant cela j’enfonce une porte ouverte!
- Sur le site de la RTS, ont peut encore les écouter jouer et répondre à quelques questions dans l’émission JazzZ du 13 novembre 2013 (ici, à partir de 41:00)
- Et pour ceux qui souhaitent les aider, ils ont lancé un projet wemakeit en vue de leur premier album. Celui-ci sera enregistré en avril et devrait sortir en septembre.
Sachez encore que Less Than Four a gagné trois prix au huitième Tremplin Des Rives & Des Notes 2013 à Oloron : le premier prix du tremplin, le prix du public et le prix du meilleur soliste pour leur batteur, Francis Stoessel.
Comme quoi je ne suis — et de loin! — pas le seul à en penser du bien!
~ ~ ~
Si comme moi vous aimez le jazz d’aujourd’hui qui déménage, si vous aimez voir des musiciens qui s’appliquent à déserter leur zone de confort et qui aiment prendre des risques sans pour autant se la péter, si vous voulez pouvoir dire plus tard «j’y étais!», alors rendez-vous à Cully, jeudi 10 avril au Caveau Sweet Basile. Ou avant, à Versoix ou Nyon (voir ici)
Cependant, si comme moi il y a un an, vous n’aimez forcément pas ce jazz, mais que vous aimez goûter, essayer, découvrir, alors faites comme moi il y a un an. Venez les écouter. Et peut-être que, comme moi, vous serez contaminés.
C’est tout le mal que je vous souhaite.
, le 03.03.2014 à 01:23
Samedi un petit concert jazz avec le bassiste Dominique Di Piazza, il nous a régalé.
, le 03.03.2014 à 12:35
Eh ben!
Ça donne envie, merci!
, le 03.03.2014 à 14:01
François, si ça te donne suffisamment envie pour te pointer à Cully le 10 avril, j’aurai plaisir à taquiner le houblon en ta compagnie!
, le 03.03.2014 à 16:49
Si tous les commentaires musicaux étaient autant axés sur les émotions, cela rendrait les critiques plus intéressantes. On a trop tendance à vouloir faire « objectif » de nos jours, et est-ce que les musiciens me recherchent-ils pas plus ce type de réactions?
Tiens ça me fait penser au vieux débat concernant les buts et objectifs entre l’art (et la musique en est un non?) et le divertissement!
A part cela des que j’ai le temps, je vais suivre les liens juste pour « voir »!
, le 03.03.2014 à 17:07
Merci Gr@g, très touché!
J’espère que tu aimeras!
, le 03.03.2014 à 21:14
Merci pour ce super article! Ca donne vraiment envie d’aller les écouter à Cully, même si le jazz c’est n’est pas forcément mon truc. Mais sait-on jamais, on verra dans un an!
, le 03.03.2014 à 22:25
Le jazz, c’est comme la potion magique, un jour on tombe dedans et c’est pour la vie! Ce groupe a l’air super, bien qu’un peu trop « Fusion » à mon goût… C’est drôle, ce style très en vogue dans les années 70-80 semble revenir en force maintenant. Peut-être à cause d’Hiromi, la pianiste japonaise ultra-virtuose qui casse la baraque actuellement?
, le 04.03.2014 à 00:06
Je suis allé écouter dès hier (car j’ai l’avantage de lire Cuk avant beaucoup d’entre vous car ici les articles paraissent à 18h (Montréal)). Je ne peux pas dire que j’adhère complètement. Je ne peux pas dire que cela ne me plait pas. Je vais réessayer car chez moi la musique est très lié aux moments, à l’ambiance dans laquelle je me trouve.
, le 04.03.2014 à 10:11
Merci pour cette présentation, après écoute: malgré que ce soit techniquement très fort et les compos très bien foutues, leur musique ne me correspond pas trop. Bon il faut dire que je ne me suis pas très Jazz, et pourtant j’ai essayé :D Donc pas encore tombé dedans. Après analyse je pense être intrinsèquement binaire, c’est peut-être ça.
, le 04.03.2014 à 18:12
@Simon
Ben tu vois, mois non plus à la base, je n’étais pas très jazz. Et pis oilà…
@Tristan
Voui! Sauf que je découvre à quel point, en jazz comme ailleurs, le singulier rends les choses bien floues. Et on peut « tomber dans » un jazz en restant imperméable à d’autres. Mais en ce qui me concerne, j’ai comme une envie de goûter à différentes marmites!
Hiromi, je ne connais pas. J’ai jeté une oreille vite fait, ça me semble manquer un peu de nuances à mon goût. Mais je vais approfondir.
@Blues
Yes, tu avais dit quelque chose du genre sur mon premier article. En lisant ici l’expression « intrinsèquement binaire », je me rappelle que, il y a trèèès loooongtemps, en découvrant Take Five, j’étais presque scandalisé qu’on puisse aimer une musique basée sur une mesure dans laquelle il manquait un temps! Et je suis le premier surpris à aimer autant ces rythmes irréguliers, assymétriques…
, le 05.03.2014 à 16:06
Moi aussi « envie de goûter à différentes marmites! »
J’éclectise donc au maximum de la trance à la soul en passant par l’ambiant, le blues, le rock, la pop, le métal, le reggae, le latin et le R&B. Bon pour le jazz je ne suis pas ignare non-plus : j’ai quand même une chouette collection avec pour ne citer que quelques groupes: Incognito, Eric Truffaz, Madeleine Peyroud, Miles Davis, Weather Report (pour Pastorius surtout) et bien d’autres. Mais ce n’est vraiment pas la musique que j’écoute journalièrement.
, le 06.03.2014 à 15:35
Après écoute, je pense qu’effectivement c’est le style de jazz qui se délecte avant tout en live… comme ça, j’ai pas forcément accroché, mais je pense que si je les écoutais dans l’ambiance d’une salle, je serai emporté. Dans le même style (je trouve), je te conseille ce groupe (un peu plus ancien, mais formidable!) qui ont eu la chance de faire un bout de route avec l’immense Popol Lavanchy (contrebassiste génial de la région lausannoise et au-delà hélas décédé). Ce quatuor jurassien d’origine manie de plus l’humour avec délectation dans leurs concerts:
il s’agit donc d’Inside Out, dans une vidéo avec Popol. Il se trouve qu’ils sont en train de remonter sur les routes!
Inside Out: Stigmatango
Leur site
, le 07.03.2014 à 08:58
J’adore le jeu du batteur !
z (j’en connais un qui appellerais ça de la musique d’ascenseur de supermarché, je répêêêêêêêêêêête : il ne fréquente pas beaucoup les supermarchés !)
, le 07.03.2014 à 10:07
@Gr@g
J’ai jeté une oreille (et même deux!) sur Inside Out. J’aime bien. Et comme en plus j’aime le Jura et l’humour, j’irai les voir s’ils passent par Genève.
Popol,je ne connaissais pas, mais effectivement c’était une pointure!
@zit
Effectivement le batteur assure! C’est d’ailleurs lui qui m’a accroché en premier.
Par contre, la référence à la musique d’ascenseur, j’vois pas… Ou alors il me faut d’urgence l’adresse du supermarché en question!