Il me semblait, depuis quelques temps... Non, c'est pas ça... J'avais l'impression étrange... Non, non plus... Comment dire... Allons-y directement , crachons le morceau : je pense être en train de devenir un paranoïaque grave, installé dans un délire de persécution aigu. J'ai l'impression qu'on m'observe. Tout le temps. Quoi que je fasse. J'ai beau me dire que ce n'est pas possible, que je ne vis pas dans ce genre de monde là, où, comme dans les romans d'Orwell ou d'Huxley, on espionne, on note, on acte, on archive, dans des buts cachés au servum pecus. Non non non! Je ne vis certes pas dans un monde comme ça.
Mais quand même...
Bien sûr, je savais déjà depuis quelques années que chacun de mes achats était répertorié dans un relevé bancaire, que ma banque gardait précieusement, donc, et aussi chez mes fournisseurs, et sûrement encore chez les fournisseurs de mes fournisseurs. Là, peu me chaut : c'était déjà comme ça il y a un siècle, papier-crayon, peut-être, mais comme ça. Je savais aussi que le lieu du paiement, la date et l'heure permettait d'attester ma présence à un lieu donné, etc. et qu'on pouvait donc, en cas d'enquête par exemple, se servir de ces données.
Par ailleurs, je savais évidemment aussi que chacun de mes clics était dûment repérable et repérés par mon fournisseur d'accès et les différents serveurs où je me connecte et que ce fichier pouvait être d'un intérêt certain. D'évidence aussi, mes fournisseurs de Cloud savent avec qui je communique par mail, et en gardent trace, avec qui je fais la fête par un petit tour sur Vine, Snapchat et FaceBook, et même, par recoupements, qui m'a flanqué des morpions en recouchant avec son mari sans m'en avertir au préalable, non mais je vous demande un peu, y'a décidément plus de grâce dans ce bas monde. Évidemment, que ces données soient monnayées auprès des autres éleveurs de champagne, ou d'autres éleveurs de dames, m'a fortement indisposé. Mais après tout, dans ce monde, qu'on le veuille ou pas, tout est commerce, et on finit, à l'usure, par supporter de bien indicibles choses...
La carte, je m'étais donc habitué. Le portable, moins. J'avais bien noté qu'on pouvait se faire suivre en fonction des relais sur lesquels le téléphone se connectait. Mais savoir qu'Apple ou Google pouvaient, des années après, déterminer à quel moment, et où, je retrouvais la dame dont il était question un peu plus haut, combien de champagne avait été nécessaire, pour la décider, et dans quels établissements, et en faire usage public m'a fortement indisposé. Mais après tout, dans ce monde, qu'on le veuille ou pas, tout est commerce, et on finit, à l'usure, par supporter de bien indicibles choses...
Bref entre le système bancaire, le système de télécommunications et les réseaux sociaux, j'avais bien acquis un peu de mal-être à ma privacy, comme on dit, mais cela me semblait acceptable, puisque j'avais l'impression que le problème se limitait au petit commerce et à des choses bien sûr personnelles mais relativement bénignes, comme ce dont je vous parlais, excusez moi, il faut que passe un coup de fil, pendant qu'on y pense...
Je savais encore qu'il existait, sur le réseau des réseaux, des gens pas réellement fréquentables, ou alors avec des looooongues pincettes, les hackers et autres pirates. Parce qu'on m'avait bien prévenu : c'est des gens, ils vous volent vos numéros de carte bleue, et ils vont vous croquer vos économies! Et s'ils retrouvent les coordonnées de la dame en question dont vous n'arrêtez pas de nous rebattre les oreilles, ils vont passer avant vous, et elle n'aura plus d'appétit quand vous la rappellerez! Jugez du drame!
Et puis on m'avait dit que des hackers, tous les pays en avaient. Pour la guerre cybernétique. Les hackers du Bien contre les hackers du Mal. Et qu'il le fallait bien, pour la préservation du monde libre. Sans doute... En tout cas, cela ne semblait me concerner que de loin, voire pas.
Bien sûr, pas dupe, j'en remercie, moi, des hackers. Ceux nous ont averti de failles de sécurité, d'incompétences notoires, et d'abus de pouvoir. Ceux du bon côté de la Force, quoi. Encore que... Et les abus de pouvoir, finalement, je les trouvais bien bénins.
Et arrivent Snowden et l'immense scandale des écoutes des services spéciaux américains, le NSA.
J'apprends brutalement que la guerre cybernétique en question a des effets collatéraux. Comme la vraie. Les civils trinquent. On écoute votre Box ou votre wifi. On rétablit les cabinets noirs, où le courrier, quel qu'il soit, est ouvert, analysé, indexé, et bien rangé dans les bases de données. Mes poèmes et mes lettres d'amour, tout passe sous les yeux de robots, tout est disséqué.
D'un seul coup, que j'aie le malheur d'écrire une chanson sur Hassan qui part faire la bombe avec Farid pour mourir d'amour dans une explosion d'extase au milieu des Houris, vais-je avoir la visite de la Police pour terrorisme? Si je continue à fréquenter la dame en question, et à lui écrire, malgré son infidélité conjugale, ah! je la retiens, celle-là!, vais-je tomber pour obscénité sur réseau public, et me voir offrir mon étoile mauve d'associal ou de mauvais chrétien? Va-t-on me menacer de tout raconter à mon prêtre usuel, au maire et à mon charcutier si besoin est?
On apprend aussi que pour faciliter la chose, on envoie des équipes faire carrément des dérivations physiques sur les câbles téléphoniques sous-marins. Puis qu'un certain nombre de taupes a été engagé par les constructeurs de matériels, sur ordre ou conseil, pour négocier un certain nombre de backdoor, d'entrées, directement à la conception du matériel. Et que si cela n'a pas été possible, on déroute la livraison de votre matériel pour y implanter des mouchards insoupçonnables.
Là, au vu de la liberté individuelle et des intérêts économiques réunis, je transpire. Vous êtes vivants? Vous êtes suspect! La présomption d'innocence? Rayée de la carte! Et du point de vue de la vie courante? Avec les Google Glasses et la réalité augmentée, nous allons enfin pouvoir vous la transformer aux petits oignons, cette vie! Vous aurez une vie unique, et ce sont les mieux informés qui en profiteront le plus, pour vous vendre ce dont ils sont sûrs que ça vous manque, vous l'avez dit dans le mail du 3 janvier à la dame qui...
Pire... Avec mes objets connectés, dont on sait qu'ils sont aisément hackables, ça va se corser. Avec ma maison en mode domotique aigu!?... Qui va pouvoir se faire la main sur le piratage de ma chaudière? Qui va tâter de la sécurité de mon portail?
En mode surveillance, mon frigo va-t-il commencer à me regarder d'un sale oeil si j'ouvre une bouteille de plus que le quota médical?
Ma Kinect va-t-elle me dénoncer à Weight Watchers et à la Corée du Nord si j'ai pris un peu d'aisance dans le plumage et que je déconne pendant les infos?
Sur simple lecture de courrier privé, mes toilettes vont elles sciemment me décaper les génitoires à l'eau bouillante, sur ordre supérieur, pour m'apprendre la Doxa et le bon aloi?
Vais-je être, finalement, obligé de scotcher hermétiquement les micros et webcams de mes ordinateurs, que paraît-il on peut mettre en marche à distance sans que rien ne trahisse la chose?
Bon... Calmons-nous... Respirons à fond, et posons calmement la question salvatrice.
Sachant que je n'ai inventé aucun des ces faits, que ce n'est manifestement pas un rêve, pensez-vous que je doive faire plutôt une thérapie légère pour la paranoïa, ou une profonde cure de Cognac, pour l'oubli définitif de ce monde cruel? Ou faut il que je reconsidère, d'une façon raisonnée, le genre de vie que je veux mener?
Afin d'aider à votre réflexion, je vous propose cette petite conférence qui ne manquera pas de vous interpeler.
, le 06.01.2014 à 01:59
Au-delà de la boutade, la réalité c’est que les gouvernements ont plus d’employés qu’il n’en faut pour effectuer des actions légales au travers de ministres et de ministères tout ce qui a de plus formel et transparent avec un cadre législatif on ne peut plus clair. A l’inverse, tous les services secrets ou entités protégées par le secret font des choses à la limite de la légalité voire tout simplement totalement illégales. C’est pour cela qu’ils ont été créés et qu’ils existent. Chaque pays en a et ceux qui font le plus de trucs illégaux sont ceux qui ont le plus de moyens… Aucune surprise de ce côté la.
Maintenant, sur l’ensemble des informations recueilles, il y a certainement un juste milieu entre recueillir TOUTES les données de TOUT le monde et être en mesure de le faire rapidement ou de pouvoir interconnecter entre eux des éléments suspects. D’une manière générale, il n’y a aucun sens à tout enregistrer car un moment donné, il faut bien traiter ces informations et 99% des discussions humaines n’ont rien de dangereux.
Enfin, bien sur, dans un monde idéal, j’aimerais qu’il ne soit pas possible qu’un employé gouvernemental (ou un sous-traitant) puisse agir sans l’ordre d’un juge mais dans un monde global, totalement digital, ce souhait est clairement naïf pour ne pas dire dangereux.
T
, le 06.01.2014 à 08:24
J’ai comme l’impression que l’on vit une époque formidable.
Plus ça va, plus on en apprends, des saloperies de ce genre, et de toute façon, tous les gouvernements sont complices, sans parler des acteurs économiques. Puissent–ils s’étouffer d’une giga–indigestion de bits divers et avariés (malheureusement, ce sont nos impôts qui servent à phynancer l’achat des disques durs).
En 2002 déjà on entendait parler du terrible palladium, une rumeur qui sur certains points semble avoir été dépassée par la réalité.
Comment peut–on lutter contre ça ? En truffant tous nos mails, conversations téléphoniques et autres communications électroniques de « bombe, Obama, plutonium, Poutine, coke, Bush, kill kill, AK 47 » ? En n’utilisant pas de machins connectés ? En ayant une confiance aveugle dans nos dirigeants élus au suffrage universel ?
beuark !
z (quand on entend ce qu’on entend, qu’on voit ce qu’on voit, on se dit qu’on a raison de penser ce qu’on pense, je répêêêêêêêêêêêêêête : tuez les tous ! dieu reconnaîtra les siens…)
, le 06.01.2014 à 09:42
Tiens, les cables sous-marins?
N’en avait-il pas eu toute une série qui avaient été coupés, puis réparés, il y a 4 ou 5 ans? Par qui?
http://en.wikipedia.org/wiki/2008_submarine_cable_disruption
Ah… je vois la dernière ligne qui rejoint mes suppositions.
, le 06.01.2014 à 11:27
Aïe !
Ce matin, je me suis pesé sur ma balance Withings. Elle m’a vertement tancé, en WiFi dans le texte, au vu de la variation de poids enregistrée depuis le 23 décembre et régulièrement accentuée avec la St Sylvestre, l’Épiphanie et le passage des voisins entre-temps.
Visiblement une alerte a été donnée : depuis dix minutes un porte-engins à essieux multiples stationne sur l’avenue en face de chez nous…
, le 06.01.2014 à 12:14
Nous sommes gouvernés selon les résultats du suffrage universel qui donne aux politiques la possibilité de choisir pour nous, moyennant bien sûr – nous dira t on – la régulation parlementaire.
Les politiques ont donc choisi de nous « permettre » moyennant finances bien sûr, afin que impôts et taxes y afférant puissent combler – à tous les sens du terme – les caisses de l’état.
Alors, pour sûr, il y a 15-20 ans quand on découvrait les capacités d’Internet, l’émerveillement occultait toute réflexion. Seul à ma connaissance, le site de la CNIL mettait en garde contre les cookies et le fait que l’adresse IP était pistée systématiquement. Nous le savions, tout ça … et pourtant … voir le billet du jour de l’ami Modane.
Un dernier mot: Dans Le meilleur des Mondes d’Aldous Huxley, où la reproduction humaine est robotisée, les alpha dominent le monde; et l’héroïne, amoureuse, pensant à se « reproduire alors qu’on ne fait plus du tout comme ça » finit par en rougir.
Allez, quel que soit notre devenir et surtout celui de nos descendants, tout n’est pas perdu: il ne reste encore … à perdre
, le 06.01.2014 à 12:15
Moi je dis, tout ça c’est un coup des pharma pour remonter les ventes des neuroleptiques incisifs.
Ils avaient déjà fait un beau coup avec la A-H1N1 (ou était-ce la H5N1 ?), ils re-tentent leur chance avec la NSA.
Y a des brevets à rentabiliser !
, le 06.01.2014 à 13:00
Le pire, c’est que je m’en fiche un peu…
Vraiment, c’est ce qui m’inquiète le plus. J’ai peur d’être déjà tout flapi, prêt à tout accepter…
, le 06.01.2014 à 13:20
À dire vrai, François, je suis un peu comme toi. Enfin… J’étais… Parce qu’à force de suivre les news, comme ça, d’un oeil distrait, j’ai fini par être choqué. D’où cette humeur, qui devait à l’origine être une grosse rigolade mais qui s’est avéré être dur à écrire de façon plaisante, et finalement sinistre!
, le 06.01.2014 à 15:39
MacG fait état à l’instant d’une brosse à dents connectée.
Je vous laisse imaginer toutes les autres connexions possibles – entre autres le préservatif
, le 06.01.2014 à 16:45
J’imagine facilement un groupe de hackers faire des paris en jouant avec le On/Off…
, le 06.01.2014 à 16:45
Pas besoin d’attendre le fameux « Internet of Everything » pour ça… les gens sont déjà bien assez bêtes pour se mettre dans les problèmes tout seul!
Pour étayer le propos, il faut regarder ce que tu peux faire grâce à l’outil de recherche Graph de Facebook: ce qu’on peut apprendre sur tout le monde grâce à Facebook
En gros, tu arrives à faire ressortir en quelques cliques quels sont tes voisins ou collègues qui, par exemple:
Quelles femmes ont des maris qui aiment les prostituées…
Les employés d’une boîte qui aiment le racisme…
Les épouses qui aiment les sites de rencontre spécialisés dans les rencontres adultères…
Les cathos (pratiquants) qui aiment les capotes Durex…
Etc…
Bref, à un certain stade, le problème c’est pas les autorités et ce qu’elles peuvent apprendre sur vous mais bien tout le bordel que les gens laissent trainer derrière eux…
T
, le 06.01.2014 à 18:30
lls ont même rallié Picasso !
, le 06.01.2014 à 19:19
Tiens François qui se réveille ! C’est touchant !
, le 06.01.2014 à 20:30
A la fin des années 1980, il y avait eu le scandale des fiches qui avait provoqué un énorme scandale à l’époque. Ou alors, à la même époque, les pratiques de la tristement célèbre Stasi.
Mais ce qui m’inquiète vraiment, c’est cette indifférence face à la dissémination des informations sur l’internet.
, le 06.01.2014 à 20:34
Modane je t’adore !
(certes je ne te connais pas personnellement, mais je partage ton point de vue).
Pourquoi s’opposer à tant de curiosité de la part de nos dirigeants puisque c’est pour notre sécurité, pour éradiquer les pédophiles de tous pays, pour empêcher de nuire les terroristes avant qu’ils ne deviennent des résistants.
Soyons fière des entreprises françaises, comme Amesys/Bull et sa Solution DPI EAGLE (deep packet Inspection).
Enfin, je ne résiste pas au plaisir de vous citer un passage de la plaquette de la société Qosmos :
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Les composants Qosmos sont déclinés en deux types de produits :
Le kit de développement ixEngine®
La sonde logicielle DeepFlow®
Ces briques technologiques analysent en temps réel le trafic qui transite sur les réseaux informatiques. Qosmos reconnaît des milliers de protocoles de communication et d’attributs protocolaires (métadonnées), et le résultat de l’analyse constitue une couche d’information qui alimente les applications de nos clients, dont les solutions garantissent la performance, la qualité de service et la sécurité des transactions en ligne.
La technologie Qosmos analyse le trafic à des débits de plusieurs dizaines de Gbps et la reconnaissance protocolaire est constamment mise à jour, utilisant un processus similaire aux anti-virus.
La technologie de Qosmos peut être utilisée dans tous types d’environnements informatiques, physiques ou virtuels. De plus, la couche d’information créée par Qosmos s’insère naturellement dans les architectures réseau de nouvelle génération basées sur le SDN (Software Defined Networks) et le NFV (Network Functions Virtualization).
Qosmos fournit une technologie puissante qui doit être utilisée à bon escient ; nous sommes donc en faveur de toute réglementation protégeant la vie privée et les données personnelles.
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J’ai souligné en gras le dernier paragraphe afin que tous comprennent bien que ces sociétés sont régis par un code déontologique à toute épreuve.
@ysengrain :
« Une même brosse pourra servir à cinq utilisateurs différents, de quoi contrôler toute une famille. » en espérant qu’ils ont intégré des anti-virus.
, le 06.01.2014 à 23:13
Merci à tous d’avoir réagi. Vos réflexions tendent à me faire penser que nous devons nous interroger sur la gestion de nos données, que nous ne devenions pas trop aisément influençables ou exploitables. Ceci dit, il semble y avoir ici consensus dans ce sens! ;)
, le 08.01.2014 à 09:09
Merci Modane pour cet excellent développement sur un sujet sensible, qui devrait interpeller tous les internautes conscients.
Je m’étonne seulement qu’un tel sujet n’ait pas généré plus de commentaires. C’est pourtant nos libertés individuelles qui sont en cause. Le fatalisme ne me semble pas le meilleur moyen de les protéger. Mais quoi faire ?
—
Marc, l’Africain
, le 08.01.2014 à 15:40
Je ne peux qu’être indulgent. Avant de me documenter sur le sujet, je n’avais pas une perception très précise des effets.
Quelque part, ce n’est pas le problèmes des libertés individuelles qui m’effraie. C’est que le monde électronique, dans un but marchand, va pouvoir fabriquer un environnement « personnalisé » à chacun d’entre nous, comme ça, dans la rue, à la télé, sur notre écran d’ordi, dans lequel nous seront absolument libre de nos décisions, ou tout au moins d’en avoir l’impression. Invisibles, inconscients mais quand même colliers et laisses.
Les neuropsychiatres sont arrivés à un point où la fonction du « se reconnaître soi-même » passe par uniquement par la somme de nos perceptions et des messages cellulaires et nos réactions à ces données filtrées par Eros et Thanatos. Qui allons-nous donc fabriquer avec ces environnements électroniques modifiés?
Tu noteras que finalement, c’est un banal problème d’écologie! ;)