Une chose n'a pas changé en Italie, les trains et les complications qui peuvent survenir à vouloir les emprunter. Rien de grave, le guichetier m'a vendu un billet non valable pour ce rapide-là et le contrôleur me demande gentiment, mais fermement, un supplément exorbitant assorti de la menace de devoir descendre au prochain arrêt, avec le risque de rater ma correspondance à Milan. Cela aussi fait le voyage.
Au départ de Florence, je repasse le fil des images qui se sont succédées une semaine durant. J’ai vu les époques se confondre, l'Antiquité croiser le fer avec la Renaissance et le Moyen-Âge se superposer avec notre fière modernité. Civilisations étrusque, romaine et occidentale se mêlent, les ruines des unes s’amoncelant sous les nouvelles cathédrales des autres. Sur la grande place, les traces des temps passés prêtes à s’estomper sous les néons d’une pizzeria happent le regard avec un arc s’élançant entre deux murs hauts de trois étages, les soutenant comme pour démontrer que tout est relié, l’ancien et le moderne. Mon guide m'avait prévenu, le voyage dans le temps commence dès l’arrivée à Perugia, en empruntant le passage souterrain qui relie ville nouvelle et ancienne. L’effet est saisissant ! Deux longues rampes d’escalier roulant, la première dans un décor tout de béton et d’acier, la seconde surplombée de hautes voûtes de pierres. On débarque alors dans ce qui semble une ville dont on nous aurait caché le ciel, en fait un dédale de ce qui reste de la ville médiévale. Le pape Paolo III la détruisit pour édifier en 1540 La Rocca Paolina, une forteresse destinée à mettre un terme à la corruption et aux luttes de pouvoir que se livraient les familles nobles de l’époque.
Apparaissent, tant en sous-sol qu'en surface, des traces d'autres époques. Des pierres taillées, des arcs, des fresques en lambeaux et des inscriptions étranges ne cessent de me surprendre. J'apprends qu'une civilisation disparue vivait là, peu de manuels d'histoire en font mention, sans elle, la ville de Rome n'aurait pas été ce qu'elle a été dans l'antiquité. À commencer par son système d'évacuation des eaux usées et quelques autres inventions géniales qu'on a attribuées aux Romains. Ce qui a frappé mon regard, c'est la sobriété de leur architecture, ou plus précisément ce qu'il en reste. En témoignent l'arc étrusque à la sortie des ruelles souterraines du quartier médiéval Baglioni,autour duquel a été construit au Moyen-Age la Porta Marzia, et l'Arco di Augusto, au bas de l'actuelle via Ulysse Rocchi.
Les Étrusques se sont d'abord installés sur les côtes de l'actuelle Toscane, puis en Ombrie, où ils ont prospéré sans guerroyer pendant près de mille ans. On ne sait pas très bien d'où ils venaient, ni pourquoi ni comment ils ont disparu. Ils pratiquaient la divination, la femme était l'égale de l'homme et ils préféraient les plaisirs de la chair aux affres de la guerre. Les rares objets que l'on a retrouvés proviennent des nécropoles découvertes dès le milieu du XIXe siècle et témoignent de façon admirable de leur art de vivre.
Autre époque à Assisi, située à une vingtaine de kilomètres de Perugia. On y trouve autant de basiliques que d'auberges, ou presque, toutes ont miraculeusement résisté au tremblement de terre de 1997. Je n'y allais pas pour faire le pèlerinage de celui qu'on a surnommé "le petit pauvre", le ciel bas et les frimas inhabituels pour la saison auraient suffi à m'en dissuader. Je voulais voir les fresques de Giotto, peintes entre 1296 et 1300 et relatant la vie de St-François, proclamé "patron des écologistes" pour avoir rédigé le "Cantique du frère Soleil", aboutissement de ses enseignements sur le respect et l'amour que tout humain porte envers la création. Aucune autre ferveur que celle de l'art ne m'animait ici, je venais retrouver l'émerveillement qui m'avait saisi trois auparavant dans la Cappella degli Scrovegni, à Padova.
A leur époque, les Etrusques gravaient des mots dans la pierre, aujourd'hui on tapote sur un clavier. Quelles traces restera-t-il de notre culture dans 2500 ans ?
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* Toutes les prises de vue ont été réalisées avec un iPhone 5, elles ont entièrement été éditées à l'aide des applications Snapseed et Photos. Le texte a été rédigé en partie durant mon voyage de retour à l'aide de iA Writter, puis sur Notes pendant mes trajets de pendulaire.
, le 20.04.2013 à 05:04
Merci infiniment, Desimages, pour cette belle page sur cette terre de douce lumière qu’est l’Ombrie ! J’ai eu la chance d’y séjourner plusieurs fois, ma sœur enseignant le français à Foligno en 2007, et j’en garde un très bon souvenir, j’ai beaucoup aimé cette région d’Italie qui cache des trésors de cœur.
Vous avez ô combien raison en disant joliment de Perugia qu’il s’agit d’une « ville dont on nous aurait caché le ciel », je me suis fait la même réflexion lors de ma première visite, les maisons ont des murs d’une hauteur impressionnante ! Et cette sobriété que vous évoquez est très touchante, j’aime cette simplicité de l’Ombrie, rien n’est vraiment opulent dans son paysage, mais tout parle à l’âme.
Que l’on soit croyant ou non, marcher dans Assise remplit de paix intérieure, cette cité perchée est très émouvante et les fresques de Giotto sont un émerveillement. Une autre petite merveille : en bas de la ville d’Assise, dans la basilique Sainte-Marie-des-Anges, se trouve la Portioncule, une chapelle que Saint-François rénova et qui fut protégée par la basilique bâtie autour d’elle, une église dans une église, c’est original et attendrissant. Et pour les épicuriens, il existe un restaurant assez réputé au cœur même d’Assise qui non seulement réjouit le palais, mais cache également d’intéressantes traces du passé romain de la cité ; comme les propriétaires des lieux sont charmants, ils font volontiers visiter leurs « petites ruines ».
Je parlais de Foligno au début de ces lignes, car cette ville un peu oubliée par certains guides touristiques vaut la peine qu’on s’y attarde ; les amoureux de l’humanisme et de ces enseignements d’autrefois que l’on nommait les arts libéraux se régaleront au Palazzo Trinci, celui-ci abritant en effet dans ses murs les allégories de la grammaire, la rhétorique, la dialectique, la géométrie, l’astronomie, l’arithmétique et la musique, tout ceci mêlé aux étoiles, c’est vraiment très agréable d’y passer quelques heures.
Je ne sais pas ce qui restera de notre culture dans 2500 ans, mais j’ose espérer que l’on se souviendra que la passion de l’humanité ne s’est jamais éteinte et qu’on a toujours pris plaisir, comme vous l’avez fait, Desimages, à marcher dans les traces d’une histoire finalement très vivante.
Merci mille fois, merci d’avoir parlé des Étrusques et des trains italiens, merci pour votre enthousiasme, merci pour vos jolies photos qui m’ont fait voyager et dans le temps et dans ma mémoire !
, le 20.04.2013 à 08:48
Magnifique! Ajoutez à cela une Vespa, cela permet d’être en contact direct avec cette superbe région.
Cele me donne bien envie de m’y échapper en septembre, une fois que la saison touristique est passée…
, le 20.04.2013 à 09:24
Les Étrusques écrivaient des mots dans la pierre.
Certes, cette manière de faire assure une très grande longévité à leurs écrits.
MAIS…
Auraient-ils pu faire ce reportage en faisant un voyage en char?
Pas sûr.
Merci pour ce dépaysement!
, le 20.04.2013 à 13:11
Merci pour ce voyage. Ça donne envie d’y aller!
C’est effectivement le paradoxe du progrès: On peut lire ce que les anciens écrivaient dans la pierre mais on ne peut plus lire une disquette de cinq pouces…
Autrement dit plus on a les moyens de stocker de l’information, plus l’espérance de vie du support de stockage est réduite.
, le 20.04.2013 à 14:52
Caplan! racconte nous l’histoire de l’ivention des courriels, quand un génial inventeur à eu l’idée d’envoyer des messages gravés dans la pierre avec des catapultes ;o)
, le 20.04.2013 à 17:04
Et pas besoin de back up ! Mais que d’ennui quand on fait une faute de “frappe” !
Merci pour ce voyage sans quitter ma cuisine !
, le 20.04.2013 à 18:03
Reportage enthousiasmant!
Moi aussi, je photographie de plus en plus souvent avec l’iPhone…
Un minuscule frustration: j’aurais voulu quelques légendes pour situer certaines images (déformation de journaliste, dirait l’autre).
Merci, en tout cas.
, le 20.04.2013 à 22:49
Merci à chacune et chacun de vos commentaires et encouragements.
A la demande d’Anne Cuneo, voici les légendes des photos: 1. la Porta Marzia, Perugia 2. Statue d’un couple au-dessus d’une urne étrusque, Musée archéologique national d’Ombrie, situé dans le couvent San Domenico, à Perugia 3. St-François recevant les stigmates attribué à l’Ecole de Giotto, Basilique inférieur San Franceso, Assisi 4. Inscription au-dessus de l’entrée d’une tombe, nécropole étrusque, Orvieto
Je reviendrai tout bientôt compléter en commentaire cet article d’une jolie histoire qui m’a été contée dans la basilique Sainte-Marie-des-Anges, tout spécialement pour Anne L.
, le 21.04.2013 à 10:31
Je vous remercie de cette délicate attention, Desimages, je suis très touchée et il me tarde de vous lire.
Vos photos sont superbes, je ne me lasse pas de les regarder. Encore merci pour ce beau voyage que vous nous offrez !
, le 22.04.2013 à 20:15
J’aime bien la N° 25 ;o)
z (dans 2500 ans, il restera de nous beaucoup de choses… je répêêêêêêêêêêêête : énormément de déchets, répandus partout sur la planète)
, le 29.04.2013 à 17:06
En poussant timidement la porte de la basilique de Santa Maria degli Angeli, on ne saurait imaginer pareille petite merveille, comme la nomme si justement Anne L. La Portioncule est en fait une chapelle du VIe siècle, remise en état par St-François au début du XIIIe. Plus merveilleux encore pour ma compagne et moi, alors que nous avions une heure à patienter avant le départ de notre train, est la rencontre avec la sœur franciscaine qui nous a conté l’histoire de ces lieux.
En pénétrant dans l’imposant édifice, j’ai été envahi de scepticisme lorsqu’une petite voie m’a ramené sur terre, nous demandant, à ma Belle et moi, si nous avions un peu de temps pour écouter l’histoire de la Portioncule. C’est une toute petite dame qui s’adressait gentiment à nous, du sourire plein les yeux et la générosité peinte sur son visage. Elle se présente, mentionnant brièvement ses séjours en Afrique et la fatigue de l’âge qui l’a ramenée en Europe pour y servir plus paisiblement son Seigneur en accueillant et en guidant les touristes. Elle raconte et c’est l’enchantement. Je comprends que ce qui m’avait semblé être une maquette est en fait une vraie chapelle du VIe siècle. Elle semble minuscule en effet avec ses quatre mètres sur sept, comme perdue sous les immenses voûtes de la basilique édifiée « par-dessus elle » au XVIe pour la protéger. C’est que là St-François comprend qu’il doit vivre selon les évangiles, de là encore que partiront ses premiers frères franciscains annoncer la paix au monde. De là aussi que St-François se voit accorder l’indulgence pour “tous ceux qui, contrits et confessés, viendront dans cette église”, mais à quatre conditions, nous confie dans un murmure la sœur conteuse. Et que si les tremblements de terre de 1832 et de 1997 ont passablement endommagé la basilique, la Portioncule, elle, est restée intacte.
Nous avons voulu connaitre bien évidemment les quatre conditions à remplir pour obtenir le Pardon d’Assise, la sœur nous les a décrites. Elle semblait un peu triste cependant devant notre déception d’apprendre que nous n’accéderions pas si simplement au paradis. Nous l’avons pourtant chaleureusement remerciée de son récit et nous nous sommes dirigés vers la petite chapelle. Oui, une merveille cachée sous le faste vertigineux des murs d’une hauteur exagérée, tout cela impuissant à égaler la beauté du mystère qui venait de nous être conté.
Le secret de l’immortalité qu’on ne saurait espérer pour nos écrits, nos images ou nos messages adressés à la postérité réside sans doute ici. Dans le souffle de la parole du conteur.
ps: les sœurs franciscaines vous accueillent Via Protomartiri francescani 19, 06081 Santa Maria degli Angeli, Assisi – PG Tel 075.8041106 ; email: fmmrose@libero.it
, le 12.05.2013 à 05:53
Merci infiniment, Desimages, pour ces jolies lignes à propos de la Portioncule, elles sont d’une grande justesse et sincèrement émouvantes. Loin de la tradition, aussi respectable soit-elle, je crois que celui qui ressent le message intemporel de ces lieux, pas forcément les principes émanant d’un dieu, mais tout simplement les mots qui font de nous des frères, je crois que cet homme-là a déjà trouvé sa lumière, et l’humanité de votre texte montre que vous la connaissez déjà. Un très grand merci !