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La Tem­pête des heures

 

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Cha­pitre I 

DING ding…

Le tram s’ar­rête dans une se­cousse brusque. De son per­choir, le contrô­leur clame :

« Pfauen ! », et me re­garde en haus­sant le sour­cil. Je pose une main sur ma poi­trine.

« C’est à moi que vous par­lez ? »

« Mais oui, ma pe­tite, à toi, ne m’as-tu pas dit que tu cher­chais le théâtre ? »

« Heim­platz, c’est ici ? »

« Heim­platz, Pfauen, c’est pa­reil. Le Schau­spiel­haus », ajoute-t-il en po­sant sur moi un œil scep­tique, « est juste là. » Et il l’in­dique d’un pouce im­pé­rieux.

Il doit pen­ser que, en tant que co­mé­dienne, je ne fais pas le poids. Comme tout le monde, il voit en moi une pe­tite fille. Et une pe­tite fille dans ce lieu de per­di­tion qu’est en­core pour tant de gens un théâtre…

Je des­cends avec un der­nier sou­rire et un hâtif :

« Merci. »

Mon sac de toile est lourd mais, de­puis des mois que je le porte, je ne le sens plus. Je me di­rige vers l’en­trée. Je grimpe jus­qu’à la caisse. Quelques per­sonnes font la queue pour ache­ter des billets. Je me poste der­rière la der­nière, une femme bien ha­billée qui jette sur moi un coup d’œil in­tri­gué ; et une fois de plus je tremble. Cela fait huit jours que je suis en Suisse ; je de­vrais ces­ser d’avoir peur, mais les rai­sons de craindre se pressent tou­jours dans ma tête. Et si Lem­ber­ger n’était pas là ? Et si on m’em­me­nait à la po­lice ? Et si on me ra­me­nait à la fron­tière ?

Quand c’est enfin mon tour, je me dresse de toute ma hau­teur et je dis, dans mon al­le­mand que j’es­saie, de­puis huit jours, de rap­pro­cher du dia­lecte qu’on parle ici :

« Pou­vez-vous m’in­di­quer où je peux trou­ver M. Lem­ber­ger ? »

« M. Lem­ber­ger ? »

« Oui, il est… co­mé­dien, met­teur en scène… »

« Ah ! M. Lindt­berg, vous vou­lez dire ? Leo­pold Lindt­berg ? »

« Oui, M. Lindt­berg. »

« M. Lindt­berg n’a pas de temps à perdre avec des en­fants. »

La plu­part du temps, le fait d’être res­tée pe­tite et de pa­raître douze ou treize ans, alors qu’en réa­lité j’en ai dix-neuf, bien­tôt vingt, me ras­sure. C’est à cette ap­pa­rente ju­vé­ni­lité que je dois d’avoir eu la vie sauve, plus d’une fois, même. Mais à des mo­ments comme ce­lui-ci, cela m’agace.

« Je ne suis pas une en­fant. Mes pa­rents sont des amis, et… »

Elle sou­pire, lève les yeux au ciel, dé­signe d’un geste la queue qui s’est al­lon­gée der­rière moi.

« Je n’ai pas le temps, les gens at­tendent. Sor­tez, tour­nez à gauche, vous ar­ri­ve­rez à la rue Zelt­weg, l’en­trée des ar­tistes est là, es­sayez. »

« Merci, Ma­dame. »

Et je m’éclipse, vite, avant qu’elle ne pose la main sur le té­lé­phone, car elle a un té­lé­phone, elle.

Je trouve l’en­trée des ar­tistes. Je me poste sur le trot­toir d’en face pour re­con­naître le ter­rain. Des gens entrent et sortent, il suf­fit de pous­ser la porte pour qu’elle s’ouvre, et il ne semble pas y avoir de gar­dien à l’in­té­rieur.

Je me risque. Pas de gar­dien.

Je tends l’oreille. Des voix pro­viennent d’en haut, des voix pro­viennent d’en bas. Il faut choi­sir. Je monte.

J’ar­rive sur un pa­lier, je pousse la porte.

Je suis dans un es­pace assez grand et vide. Un coup d’œil me suf­fit : c’est une sorte de foyer entre les cou­lisses et le théâtre. Par une porte ou­verte, j’en­tre­vois une ran­gée de fau­teuils, j’en­tends des voix so­nores qui viennent de la salle. Je risque un pas, deux, j’entre.

Je m’as­sieds dans le fau­teuil le plus proche.

Je com­mence par n’écou­ter que dis­trai­te­ment. Et tout d’un coup, une phrase venue de la scène pé­nètre le brouillard de fa­tigue et de peur dans le­quel je suis plon­gée :

« Une fille de quinze ans ne doit pas cou­rir les fo­rêts, à pa­reille heure. Je vais lui par­ler sé­rieu­se­ment. »

Une fille de quinze ans ne doit pas cou­rir les fo­rêts

Toute la ten­sion qui m’a fait aller de l’avant, « cou­rir les fo­rêts » l’œil sec pen­dant des mois, tombe d’un coup. Je rê­vais de cet ins­tant, mais je déses­pé­rais de ja­mais le vivre. Main­te­nant que m’y voilà, les larmes coulent, si­len­cieuses, et je ne suis sou­dain plus ca­pable de les ar­rê­ter. Je pleure sur mes pa­rents, sur mes frères et mes sœurs, sur notre théâtre. Per­dus, tous.

« Quelque chose ne va pas ? »

Une jeune femme se penche au-des­sus de moi, sa voix est à peine au­dible, et je n’ai même plus la force d’avoir peur.

« Je… Je… Je vou­lais par­ler à M. Lem… Lindt­berg », c’est tout ce que je trouve à chu­cho­ter.

Elle pointe du doigt vers un spec­ta­teur so­li­taire, assis deux ou trois rangs der­rière un petit groupe ins­tallé au mi­lieu de la salle au­tour d’une table et d’une pe­tite lampe.

« Je ne sais pas s’il aura le temps… C’est lui, vous voyez, il re­garde la gé­né­rale d’On­dine. Ce soir, c’est la pre­mière… »

« J’ai vingt ans. »

Cela im­pres­sionne da­van­tage que dix-neuf et demi et cela coupe court au ton ma­ter­nel dont elle use pour me par­ler.

Elle lève un sour­cil in­cré­dule, mais ne com­mente pas. Elle se contente d’un :

« Je suis Ve­ro­nica. On m’ap­pelle Nicki. »

« Moi Ella. »

Nous nous ser­rons la main, nous re­gar­dons un ins­tant en si­lence ; notre mu­tuelle contem­pla­tion est in­ter­rom­pue par un éner­gique :

« En­tracte. Cinq mi­nutes, j’ai bien dit cinq, de pause café ! », venu de la pe­tite table du met­teur en scène ins­tal­lée entre les fau­teuils, au­tour de la­quelle se meuvent des sil­houettes in­dis­tinctes.

Nicki sou­rit.

« Votre chance, vous allez pou­voir par­ler à Lindt­berg. »

Je me tourne. Il est en train d’ap­pro­cher entre les fau­teuils.

« Salut, Nicki », lance-t-il.

« Bon­jour, Lindi. Cette jeune femme te cherche. » Les yeux de Leo­pold Lem­ber­ger, de­venu Lindt­berg et même Lindi, se posent sur moi.

« Bon­jour », il me tend la main. « Je suis Lindt­berg. »

« Je suis Au­ré­lia, la fille ca­dette de Me­na­chem Froh­berg, tout le monde m’ap­pelle Ella, et mon nom de scène est Ella Berg », dis-je d’une traite en lui ten­dant la main à mon tour. Il la prend, fronce le sour­cil.

« Froh­berg ? Com­ment… ? »

« C’est une longue his­toire. J’ai tra­versé la Po­logne et l’Au­triche à pied pour ar­ri­ver jus­qu’ici. »

« Et Me­na­chem ? »

« Ma fa­mille a été ar­rê­tée. Tous, sauf moi. Et peut-être ma mère, mais, si elle est en­core libre, je l’ai per­due. »

« Ils sont… Ils sont… ? »

Je com­prends ce qu’il n’ose de­man­der.

« Je ne sais pas s’ils sont morts. Mes trois frères, mes deux sœurs… Les nazis les ont em­me­nés. Nous étions en tour­née, ma mère était allée à Var­so­vie pour la jour­née. Elle n’est pas re­ve­nue, car j’ai at­tendu long­temps. Mon père a réussi à me ca­cher à la der­nière se­conde, tous les autres avaient déjà été em­me­nés… »

Les larmes montent, je les re­tiens, mais on les per­çoit dans ma voix. Lindt­berg me met une main sur l’épaule.

« Et tu es venue jus­qu’ici », son ton a com­plè­te­ment changé, et il me tu­toie.

« Il en faut peu pour que j’aie l’air d’une pe­tite fille et, jus­qu’à la se­maine der­nière, je me suis fait des tresses et j’ai joué les fillettes. C’est grâce à cela que… » Je dé­glu­tis, mais les larmes risquent de gi­cler, je pré­fère en res­ter là.

« Tu es pro­ba­ble­ment bonne co­mé­dienne, vu la fa­mille dont tu sors. » Il se tourne vers Nicki. « J’ai connu son père à Vienne, il a épousé une co­mé­dienne, leur troupe est l’une des meilleures du théâtre yid­dish. »

« Lindi, ton café ! », ap­pelle un jeune homme qui doit être un as­sis­tant ; il ap­proche, une tasse à la main.

Nicki me fait un signe ami­cal et s’en va à pas pres­sés. Lindt­berg prend la tasse.

« Na­than, je te pré­sente Ella Berg, la fille d’un ami. Fais-moi le plai­sir de l’em­me­ner au Pfauen et de lui faire ser­vir à man­ger. » Il ex­tirpe un billet de cinq francs de sa poche re­vol­ver, le tend au jeune homme et il se tourne vers moi. « Lorsque vous aurez ter­miné, Na­than te ra­mè­nera ici et, après la fin de la gé­né­rale, on verra ce qu’on peut faire. Au­jour­d’hui, avec cette pre­mière, on ne pourra pas com­bi­ner grand-chose, je le crains. »

« En­chanté, Ma­de­moi­selle », fait Na­than avec une cour­bette, comme si nous étions dans un salon. « Je suis Jo­na­than Bur­khard, dit Na­than, à votre ser­vice. »

La pre­mière chose que je re­marque chez Na­than, c’est qu’il boite. Il me dé­passe d’une bonne tête, il a les che­veux abon­dants, noirs et raides, dont les mèches lui re­tombent sur le front, et de grands yeux d’un bleu in­tense. C’est un beau gar­çon. Mais ce dont je me sou­viens sur­tout au cours de cette pre­mière ren­contre c’est sa gen­tillesse. Il me traite comme une dame, me prend le bras comme on fait avec un ma­lade, nous al­lons poser mon sac au ves­tiaire, puis nous nous di­ri­geons vers le Res­tau­rant du Paon, ou Pfauen, qui se trouve dans le même bâ­ti­ment, une simple porte per­met d’y ac­cé­der.

« Tu… Vous… êtes as­sis­tant ? »

« Tu. Pour quelques mois. En prin­cipe, je de­vrais être sol­dat. J’ai eu un ac­ci­dent, et j’ai pensé que je pour­rais rendre ser­vice ici pen­dant ma conva­les­cence. »

« Quel genre d’ac­ci­dent ? »

« Ma Jeep a ex­plosé. »

« Ta Jeep a ex­plosé, comme ça ? »

« Oui, je pense, et mes su­pé­rieurs pensent que c’est “ comme ça ” et pas parce qu’elle au­rait été sa­bo­tée. J’ai été éjecté, j’ai eu une jambe et quatre côtes cas­sées. »

« Tu es co­mé­dien ? »

« Non, j’ap­prends la mé­de­cine. Mais j’ai plu­sieurs amis qui ont à faire au théâtre. Un loin­tain pe­tit-cou­sin est mu­si­cien ici, Paul Bur­khard, c’est lui qui m’a sug­géré de me rendre utile. La plu­part des hommes va­lides sont au ser­vice mi­li­taire, le théâtre manque sé­rieu­se­ment de bras. »

« Et tous ceux que j’ai vus sur la scène ? »

« Al­le­mands, Au­tri­chiens, Tchèques, juifs pour la plu­part. Ils ont fui Hit­ler. S’ils n’avaient pas ce tra­vail, on les ex­pul­se­rait. La Suisse ne veut pas les en­tre­te­nir à ne rien faire. »

Je ru­mine cela jus­qu’à ce que nous soyons ins­tal­lés à une pe­tite table. Je me laisse tom­ber sur un siège, et sou­dain la tête me tourne. L’odeur de la nour­ri­ture…

« Qu’est-ce qu’il y a ? Tu es toute pâle ! » 

Je fais un ef­fort, tant pis pour ma fierté.

« Je n’ai rien mangé de­puis hier. »

Il ouvre la bouche, re­nonce à par­ler. Il prend le menu.

« Qu’est-ce qui te fe­rait plai­sir ? »

« Une soupe ? »

« Ex­cellent ! Une soupe. Et quoi d’autre ? »

« Ce n’est pas trop cher ? »

Il se­coue la tête avec un petit sou­rire.

« Ne t’oc­cupe pas de ça, tu veux une roesti ? C’est une spé­cia­lité de chez nous. Des pommes de terre avec de l’oi­gnon. Ce sera sans viande, je n’ai pas de cou­pons, et toi non plus. »

Je fais oui de la tête.

Il com­mande, me sert un verre d’eau.

« Com­ment cela se fait-il que tu n’aies pas mangé de­puis hier ? »

« Je n’avais plus d’ar­gent, et plus rien à vendre. Après être en­trée en Suisse, j’ai été logée par une pay­sanne dont la sœur al­lait ac­cou­cher et avait be­soin d’aide. Je suis res­tée chez elle jus­qu’à hier matin. Elle m’a donné quelques sous, mais elle était pauvre aussi, et… »

La soupe ar­rive, elle est épaisse, dieu merci. Et on me donne une tranche de pain pour l’ac­com­pa­gner. Je m’ef­force de man­ger len­te­ment. Na­than me fixe sans rien dire, tout en man­geant, lui aussi, une soupe.

Lorsque cela va mieux, que le sang re­vient dans ma tête, je finis par poser la ques­tion qui me brûle les lèvres.

« Tu crois qu’ils vont m’ex­pul­ser ? »

« Pas né­ces­sai­re­ment, si… Quel âge as-tu ? »

« Bien­tôt vingt ans. » 

Il ouvre de grands yeux.

« Je sais, je sais… Beau­coup de gens sont en­clins à aider les en­fants, alors que les adultes… qu’ils crèvent, ils s’en fichent. J’ai ac­cen­tué. »

« Tu as une pro­fes­sion ? »

« J’étais co­mé­dienne. Enfin, j’ap­pre­nais. »

« Et tu viens de loin ? »

« De Po­logne. »

« De Po­logne ? ! Mais com­ment as-tu fait ? »

« À pied, la plu­part du temps. »

Des images ter­ri­fiantes tournent dans ma tête, les mots ne viennent pas. Na­than fronce le sour­cil et ne pose plus de ques­tion. Il couvre d’une main longue et soi­gnée ma main aux ongles cas­sés d’une pro­preté dou­teuse, et je n’ai même pas la force d’être gênée. Un être hu­main que je n’ai pas be­soin de craindre me touche presque af­fec­tueu­se­ment ; de­puis six mois, j’ai par­fois ren­con­tré, en plus de beau­coup de bru­ta­lité, de la gé­né­ro­sité, de la bien­veillance, mais pas de ten­dresse. Une fois de plus je dois re­te­nir les larmes qui me­nacent.

Nous fi­nis­sons de man­ger en si­lence. Na­than me re­prend le bras et me rac­com­pagne dans la salle. Il re­tourne à ses af­faires, et je reste là, dans le fau­teuil, trop étour­die pour suivre ce qu’ils disent sur scène, je me dé­tends dans ce cocon…

« Ella ! »

Je sur­saute. Na­than est pen­ché sur moi.

« Ella, la gé­né­rale est ter­mi­née, M. Lindt­berg veut te voir. »

« Je… »

Je dois avoir l’air perdu, parce que Na­than me sou­lève presque de mon fau­teuil, me sou­tient d’une main sous le coude et coince der­rière mes oreilles les mèches qui sortent de mon chi­gnon, qui doit être mo­ri­bond. Il y a beau­coup de dou­ceur dans son re­gard.

« On va voir ce qu’il dit, mais je ne pars pas. Je t’at­tends », mur­mure-t-il sur un ton en­cou­ra­geant.

Il me conduit jus­qu’à un bu­reau.

« Où ha­bites-tu, Ella ? », me de­mande Lindt­berg après m’avoir fait as­seoir.

« Nulle part. Je suis ar­ri­vée ce matin. »

« Mais… Où as-tu dormi la nuit der­nière ? »

« Dans une ca­hute vide. Les pay­sans qui m’ont aidée m’ont donné quelques sous en pre­nant congé. »

« Tu n’as plus d’ar­gent ? »

« Non. Avec ma der­nière pièce, j’ai pris le tram, pour qu’en ville on ne me re­marque pas trop. »

« Et com­ment pen­sais-tu vivre à Zu­rich ? » 

L’ir­ri­ta­tion dans sa voix m’ef­fraie. Il va me ren­voyer. Je ras­semble mes forces.

« Mon­sieur Lem­ber­ger, lorsque les nazis sont venus, qu’ils ont sac­cagé notre théâtre et em­mené ma fa­mille, mon père m’a ca­chée dans l’ar­moire des cos­tumes, et la der­nière chose qu’il m’a dite avant qu’on ne l’em­mène à son tour, c’est : “ Va à Zu­rich, au Schau­spiel­haus, chez Lem­ber­ger. ” C’était… C’était comme un tes­ta­ment, et de­puis six mois, à chaque hu­mi­lia­tion, à chaque ter­reur, à chaque pri­va­tion, je me suis ré­pété : “ Je vais chez Lem­ber­ger. ” S’il vous plaît, ne me ren­voyez pas chez les nazis. »

Pen­dant que je lui parle, et je ne suis à vrai dire pas sûre de sa­voir ce que je lui dis pré­ci­sé­ment, je le fixe, et je vois une pa­no­plie de sen­ti­ments pas­ser sur son vi­sage. Lorsque je me tais, il est hor­ri­fié.

« Te ren­voyer chez les nazis ! Pour qui me prends-tu ? La po­lice des étran­gers, en re­vanche… Il va fal­loir qu’on te trouve quelque chose. » Il se tait long­temps.

« Je sais ! Ou plu­tôt, j’ai une idée. »

Il sort. Na­than at­tend dans le cou­loir, je le vois se dé­ta­cher de la paroi.

« Ah, Na­than, tu es en­core là, c’est par­fait. Trouve-moi Nicki. »

La porte se ferme, et j’en­tends leurs voix sans dis­tin­guer les mots. Quelques mi­nutes passent, et Lindt­berg re­vient. Nicki, man­teau bou­tonné, cha­peau­tée, son sac à la main, l’ac­com­pagne.

« Ella, Nicki va t’em­me­ner chez elle. »

« Mais… je ne vou­drais pas… » 

Nicki m’ar­rête d’un geste.

« Mon mari est sol­dat quelque part dans les Gri­sons, chez moi il y a de la place. En at­ten­dant de trou­ver une so­lu­tion dé­fi­ni­tive, je vous em­mène. »

Lindt­berg lui met une main sur l’épaule.

« Merci, Nicki. »

« Ce n’est rien. Vite, Ella, il faut que je sois re­ve­nue dans moins de deux heures pour me ma­quiller. » 

 .......

 

© Anne Cuneo et Ber­nard Cam­piche

Ex­trait de «La Tem­pête des heures». Ber­nard Cam­piche édi­teur, 1350 Orbe (Suisse)

Pa­ru­tion: Suisse 20 jan­vier 2013; France prin­temps 2013.

13 com­men­taires
1)
Fran­çois Cuneo
, le 15.01.2013 à 04:38

Je ne sa­vais même pas que tu étais sur un nou­veau roman…

J’aime beau­coup ce début, et me ré­jouis déjà de lire la suite.

J’ai lu (avec un peu de dif­fi­culté) éga­le­ment ton JPEG et le sujet du livre en qua­trième de cou­ver­ture.

Entre mon grand-père qui ne voyait de beau que la Suisse en 40, et le re­tour de bâton qui nous a mon­trés beau­coup moins jolis que cela, je lirai avec in­té­rêt où se si­tuent Lindt­berg, Nicki et Na­than, et cer­tai­ne­ment beau­coup d’autres.

Vi­ve­ment le 20! Faut que je me grouille de finir mon Fer­rari!

2)
Franck Pas­tor
, le 15.01.2013 à 11:10

J’aime beau­coup, comme d’ha­bi­tude. Il est dis­tri­bué en Bel­gique ? Ou faut-il pas­ser par le web ?

3)
jibu
, le 15.01.2013 à 13:11

Ex­cellent, merci Anne ! pis la suite, on la trouve ou? (en nu­mé­rique, bien en­tendu)

4)
Guillôme
, le 15.01.2013 à 13:57

Le pre­mier cha­pitre, Mar­cus, est es­sen­tiel. Si les lec­teurs ne l’aiment pas, ils ne li­ront pas le reste de votre livre.

Merci Anne pour cet ex­trait et merci de nous faire par­ta­ger vos écrits!

5)
coa­coa
, le 15.01.2013 à 14:22

Merci Anne pour cette eau à la bouche.

6)
Ma­dame Pop­pins
, le 15.01.2013 à 14:29

Ou de l’avan­tage d’avoir son an­ni­ver­saire au mois de mars :-)

Merci Anne pour cet ex­trait, je me ré­jouis de la suite ! Et quand Marie re­vien­dra-t-elle ?

7)
Anne Cuneo
, le 15.01.2013 à 16:13

Merci pour les com­pli­ments et la cu­rio­sité. Pour l’ins­tant, hors de Suisse, il faut com­man­der à http://​www.​champiche.​ch. Vers avril-mai, il y aura une édi­tion fran­çaise.

8)
Sa­luki
, le 15.01.2013 à 20:08

Pas d’in­ter­net ce matin. Heu­reu­se­ment, sinon j’au­rais raté mon ren­dez-vous.

Ma­dame le Che­va­lier des Arts & Lettres, je n’ai ja­mais douté que vous fus­siez digne de re­ce­voir ce titre : cette “mise en bouche” me conforte dans mes convic­tions.

Bon, je vous ferai dé­di­ca­cer ce roman dès que je l’au­rai certes, mais à l’oc­ca­sion de la pro­chaine cuk­Day que cer­tains ont an­noncé.

9)
fxc
, le 15.01.2013 à 22:31

Bon, je vous ferai dé­di­ca­cer ce roman dès que je l’au­rai certes, mais à l’oc­ca­sion de la pro­chaine cuk­Day que cer­tains ont an­noncé.

quices quadi çà.

Merci Anne pour cet avant goût de lec­ture fu­ture.

10)
zit
, le 16.01.2013 à 09:52

Chic, une édi­tion fran­çaise !

Merci Anne pour cette mise en bouche…

z (Vi­ve­ment le prin­temps, je ré­pêêêêêêêêêêêêêête : quoique je n’aie rien de per­son­nel contre l’hi­ver)

11)
Oli­vier M.
, le 16.01.2013 à 14:12

Merci pour cet ces pre­mières pages in­ci­tant à un achat au plus tôt :-) Je pen­sais aller me pro­cu­rer l’ou­vrage à la li­brai­rie Ro­ma­nica, mais c’était avant d’ap­prendre qu’après Payot Zu­rich il y a quelques an­nées, elle aussi al­lait mal­heu­reu­se­ment fer­mer ses portes ces pro­chaines se­maines (auxart­setc. et NZZ).

On n’aura donc bien­tôt plus que les quelques rayons de best­sel­lers chez Orell Füssli (où les livres fran­co­phones sont pas­sés d’un tiers d’étage à une sur­face 10x moindre l’au­tomne der­nier).

Il va fi­na­le­ment quand même fal­loir que je me pro­cure un Kindle ou autre e-rea­der un de ces jours si ça conti­nue… :->

Dans tous les cas, beau­coup de suc­cès avec ce nou­vel ou­vrage ! :-)

12)
Anne Cuneo
, le 16.01.2013 à 20:24

Entre mon grand-père qui ne voyait de beau que la Suisse en 40, et le re­tour de bâton qui nous a mon­trés beau­coup moins jolis que cela, je lirai avec in­té­rêt où se si­tuent Lindt­berg, Nicki et Na­than, et cer­tai­ne­ment beau­coup d’autres.

Par­don pour la ré­ponse tar­dive, j’étais en France, sans in­ter­net.

En écri­vant ce livre, et en fai­sant mes re­cherches, je me suis rendu compte que cette pé­riode du prin­temps 1940 a été très par­ti­cu­lière pour tous les Suisses. C’est d’ailleurs ce qui m’a in­ci­tée à écrire cette his­toire: tous ceux avec qui j’ai parlé ou dont j’ai lu ou vu les in­ter­views dé­peignent un mo­ment unique, pour toute la Suisse, mais en­core plus par­ti­cu­liè­re­ment pour les Suisses al­le­mands. De­puis sept ans, Hit­ler di­sait qu’il construi­rait le grand Reich avec tous les Eu­ro­péens de langue al­le­mande, il ten­tait de ga­gner les es­prits pour qu’on lui ouvre les portes (comme cela a été le cas en Au­triche). Les Suisses alé­ma­niques ont, à plus de 90 % tou­jours été hos­tiles à cela.

Lors­qu’en mars 1940 les Al­le­mands ont en­vahi le Da­ne­mark, ils ont dé­claré qu’avant la fin de l’an­née il n’y au­rait plus un pays neutre en Eu­rope. Les Suisses ont pris ça aussi pour eux, comme de juste.

Puis début mai est venue l’in­va­sion de la Bel­gique et de la Hol­lande, la des­truc­tion de Rot­ter­dam, et la prise d’une par­tie du ter­ri­toire par des pa­ra­chu­tistes, une nou­veauté ab­so­lue dans l’es­prit des gens. Donc un dé­bar­que­ment éclair au bord de la Lim­mat était pos­sible.

Pen­dant tout ce prin­temps, les Suisses se pré­pa­raient, non seule­ment à ré­sis­ter, mais aussi à ca­cher des gens qui se­raient plus en dan­ger que d’autres, et il a régné pen­dant quelques se­maines ou mois une unité, une fra­ter­nité tout à fait ex­cep­tion­nelle dans la po­pu­la­tion or­di­naire dont ceux qui l’ont vécue ont gardé la nos­tal­gie jus­qu’à leur der­nier jour: des contem­po­rains de ton grand-père aussi dif­fé­rents de lui qu’Anne-Ma­rie Blanc, co­mé­dienne zu­ri­choise, ou Et­tore Cella, réa­li­sa­teur TV italo-zu­ri­chois, ou Max Bol­lag, zu­ri­chois «ré­fu­gié» à Lau­sanne, en par­laient en­core cin­quante ans plus tard, parce que je crois que ç’a été un mo­ment ab­so­lu­ment unique.

C’est ce qui m’a donné envie d’ex­plo­rer et de dé­crire une par­celle de ce mo­ment.

Tout cela ne doit pas être confondu avec les ac­tions de cer­tains po­li­ti­ciens et des mar­chands, de soupe ou de ca­nons qu’ils fussent.

13)
LC475
, le 19.01.2013 à 13:21

Merci Anne, je sens que je vais en­core une fois pas­ser un agréable mo­ment : vi­ve­ment le prin­temps ;)