Décembre me laisse toujours comme une harmonie amère à l’âme. Pas parce que l’automne commence à mettre son manteau, pas parce que Noël arrive. Pas parce que le froid et la brume me tourmentent maintenant régulièrement les poumons. Non. C’est que le premier décembre est l’anniversaire d’un ami qui m’a accompagné longtemps à distance, en me donnant chaque fois qu’il était nécessaire, la chose qui manquait à mon équilibre ou à mon développement. Le premier décembre, c’est l’anniversaire de Jaco, et sans que je le fête spécialement, il marque les quelques jours de ce décembre d’une ombre mélancolique.
J’ai toujours joué d’un instrument. Enfant, chez ma grand-mère, où je m’ennuyais à mourir, je retrouvais d’un doigt, sur un clavier bien au dessus de ma tête, les mélodies que j’entendais à la radio. J’ai joué des guitares à la saison des guitares, et comme j’étais un gros garçon joufflu, c’est à moi qu’il arriva un jour le rôle de tenir la basse, dont personne ne voulait.
La basse m’a immédiatement apporté jouissance et équilibre. J’y retrouvais spontanément les lignes d’Etta James ou de Ray Charles que j’entendais filtrer de la chambre de mon oncle quand ses copines venaient le voir.
Et puis, le temps passant, sont arrivés les groupes de rock progressif, avec des lignes de basse de plus en plus évoluées, puis le jazz rock, place des francs virtuoses et des monstres de techniques.
Comment m’est-il arrivé, ce Jaco ? Par une critique de disque ? Un cadeau d’anniversaire ? Toujours est-il que la pochette grise de son premier album solo n’a pas quitté mon champ de vision pendant des années.
Je dois avouer que je n’ai, d’abord, pas compris grand-chose à ce qui s’y jouait, dans cet album. Mais je crois que la première chose qui m’a profondément marqué : le son de cette basse. Veloutée, chaude, sinueuse et sensuelle, avec ce medium chantant dans les appogiatures. Loin du souffle sourd des basses que je connaissais.
Il y avait aussi cette pulsation terriblement dansante, à l’aise, si précisément soul, derrière la voix de Sam and Dave, cette rythmique si particulière qui sera ensuite un des licks de Jaco.
Cette aisance, ce groove, il me les fallait. Je les ai cherchés, travaillés pendant des années, et fini par les trouver de façon assez convaincante. Ils m’ont fait trouver mes basses ; quoi que j’essaye, je retourne toujours sur mes Jazz Bass. Ils m’ont fait choisir mes groupes, mes boulots. Ils m’ont fait marcher des heures dans la rue, la tête en musique, les oreilles à l'intérieur, à chercher des sensations, un balancement. C’est à Jaco que je dois ma vie de bassiste, la plus intime et la plus riche.
Mais bien sûr, si cette façon d’appréhender le groove est la première chose qui m’a touché, je retrouve à chaque écoute l’inventivité de son jeu et de son écriture, qui a ravi les amateurs de jazz au point d’en faire une des icônes de cette musique. Ce type a révolutionné son instrument à l’égal d’un Charlie Parker, pas seulement par la rapidité de son jeu, mais par son étude harmonique et son phrasé… définitif… où je continue, encore aujourd’hui, à chercher des marques.
Chaque décembre, je me souviens de lui avec émotion, en le remerciant de m’avoir donné une vraie direction à ma recherche musicale.
Je croyais en faire un peu beaucoup, avec mon Jaco, jusqu’à ce que j’écoute le Mr Pastorius composé par Marcus Miller et joué par Miles, en guise d’adieu, et que je lise ce que Marcus Miller en dit :
« Quand j'ai entendu Jaco, j'étais un slapper, mais j'ai aussitôt commencé à m'éloigner de cela. Je voulais grandir développer la profondeur de mon jeu comme Jaco. Je voulais vraiment savoir non seulement comment il jouait ce qu'il a joué, mais POURQUOI.
Cela m'a conduit à étudier le jazz, l'harmonie et la composition. C'était assez intimidant. Je restais assis là à écouter en solo Jaco sur "Havona" de "Heavy Weather", l’album de Weather Report, et je me disais: «Comment vais-je jamais arriver à improviser sur les changements d'accords de cette façon parfaite?" Je veux dire, le ton, le phrasé, les idées ... tout est parfait.
Mais il m'a conduit. Et il m'a fait grandir. Finalement, j'ai commencé à réintégrer mon slap dans mon jeu, me rendant compte que c'était une grande partie de qui j'étais. Mais je pense vraiment que l'étude intense de la musique de Jaco a donné à mon jeu une profondeur que je n'aurais jamais eue autrement. »
Voilà… Google est votre ami. You Tube aussi. Et encore iTunes et Deezer. Bon anniversaire, Jaco. Et merci.
, le 05.12.2012 à 07:37
Jaco, le maître incontesté de beaucoup de bassistes, mais aussi comme Hendrix et d’autres : un “grand” disparu trop tôt. Même si je suis guitariste je suis moi aussi un fan du bonhomme. J’adore aussi ses prestations “annexes” : bien sûr il a accompagné Joni Mitchell sur quelques titres d’”Hejira” (voir ici par ex.) , mais savez-vous qu’on peut l’entendre derrière Michel Polnareff dans “Coucou me revoilou” ? J’aime aussi le côté fou, tête brulée et anti-star du personnage.
Merci de l’avoir rappelé à notre souvenir Modane
, le 05.12.2012 à 07:45
merci Modane
, le 05.12.2012 à 09:01
Jaco Pastorius… je l’avais découvert avec Weather Report: “Birdland” (sur “Heavy Weather” et “8:30”) grâce à un ami musicien qui m’avait raconté la triste fin de ce grand musicien et précurseur de la fusion jazz-rock.
Merci Modane pour cet hommage.
, le 05.12.2012 à 11:57
Merci Modane pour cet hommage grandement mérité. Actuellement je suis conquis par l’Album Renaissance de Marcus Miller. A+ Yvan
, le 05.12.2012 à 13:21
Avec plusieurs amis bassiste admirateurs du personnage et qui s’en inspirent largement (mais c’est aussi valable pour plein de créatifs de tous bords s’inspirant de modèle), je me demande si : quand on admire quelqu’un, on cherche souvent à lui ressembler, voir à adopter en partie son style (combien de fois j’entends un concert et : t’as entendu le style de jeu de ce guitariste/batteur/bassiste/etc, y’a pas photo, il est largement inspiré de … “le nom qui vous voulez”)… si cela ne va pas en défaveur de rechercher son style à soi / ou à ne pas chercher à un développer un.
Personnellement dans mon genre de miouz mon Papa à moi c’est Keith (Ritchards) et j’avoue que même si j0ai toujours essayé d’avoir un sytle le plus perso et reconnaissable possible, j’ai tout de même tendance à m’approcher des Riff de Keith.
Voilà, c’est une/des question(s) que je me pose régulièrement.
, le 05.12.2012 à 13:53
Super question, Blues… Je me suis souvent posé la question de la ressemblance. Sans réponse. Mais j’ai plutôt remarqué une filiation. Je suppose que si tu aimes Keith Richard, tu dois aimer Muddy Waters? Si tu aimes Muddy Waters, tu dois aimer Robert Johnson?
Je trouve qu’il y a entre ces trois là une communauté d’approche musicale, qu’on ne retrouverait pas forcément chez d’autres excellents guitaristes. Et peut être qu’en s’inspirant des deux derniers, on arrive à un jeu “à la Richard”, sans le copier, parce que lui aussi a fait le même chemin?
Et puis le principal n’est-il pas d’être sincère, au moment où on joue? Là est peut être le plus difficile, car il s’agit de maturité, même plus de concept ou de culture…
, le 05.12.2012 à 14:25
Et puis, j’y repense… Quand je parle du groove de Jaco, je ne peux que penser que plus que le plaisir de ressembler à cet extraordinaire artiste, c’est la découverte de la pulsation redoublée, du jeu en syncopes, et de l’interprétation du tempo qui m’a apporté le plaisir. Peut être que ça lui ressemble, mais surtout, grâce à lui, je sais pourquoi je le fais. Et je le fais à ma manière.
C’est un peu, toutes proportions gardées, ce que dit Miller. Il y a des artistes, comme lui, comme Keith, qui éclairent un certain nombre d’ambiguïtés. J’avais beaucoup appris aussi avec Mingus, pour l’énergie. Et avec Miles, pour le silence.
, le 05.12.2012 à 15:16
Merci pour tes réponses “bien senties” Modane. Bien sûr que je connais les inspirateurs de Keith (Waters & Johnson) mais tu en as oublié un et d’importance : Chuck :) car finalement c’est plutôt la veine R&B/R&R qui m’inspire et un peu moins la fibre blues (malgré mon pseudo).
Oui c’est exactement ça (la sincérité au moment où on joue) et à mon avis ça rattrape le coup et ça fait toute la différence ! (ça ressemble au maître, ok, mais “tout de même” joué avec ma personnalité au plus profond de moi-même).
Bon, allez, j’avoue que j’ai aussi joué de la basse, et que comme plein d’autres je me suis aussi approché du jeu de Jaco, mais en dilettante, hein, juste “comme ça” (j’aimais aussi bien Stanley Clarke à l’époque).
, le 05.12.2012 à 15:57
Je n’ai qu’un disque de Jaco Pastorius, il s’intitule “Honestly Live Solo” et c’est bien joué, mais le fait d’utiliser un delay digital de 2 secondes pour s’accompagner lui-même est à la limite de la tricherie.
L’album n’est pas très bon… désolé pour feu Jaco, mais l’onanisme à 4 cordes…
Si vous voulez entendre de grands bassistes innovants et tout ça, Ecoutez “Hhaï” sur le Live de Magma, par exemple, ou alors les albums “Sailing seas of cheese” et “Pork Soda” de Primus…
, le 05.12.2012 à 16:27
Ecouter un album solo et le taxer d’onanisme, il y a une certaine logique! :) Et le son est pourri!
Je te conseille plutôt de réécouter Weather Report, Joni Mitchell ou ses deux premiers albums, le premier pour la basse, le second (Word of mouth) pour la composition… En ce qui me concerne, ça me fait toujours de l’effet.
, le 05.12.2012 à 17:10
Je me permets de vous conseiller l’écoute de la version live de Birdland sur 8:30 qui est plus nerveuse et incisive que la version album sur Heavy Weather, qui reste néanmoins un excellent disque, d’approche facile et pourtant technique, par exemple le morceau A Remark You Made dans le style blues que j’apprécie énormément. Et pour Joni Mitchell, les albums Blue et Court and Spark, évidemment.
, le 05.12.2012 à 17:22
Sur « le plus grand bassiste du monde », un ouvrage avait été publié par un éditeur suisse :
La vie extraordinaire et tragique de Jaco Pastorius
, le 06.12.2012 à 10:54
Dans un autre instrument, j’ai également une pensée émue pour Dave Brubeck, décédé hier à 91 ans.
Je me rappelle le concert de son quartet à la salle Métropole de Lausanne fin novembre 2005 où, certes moins pugnace que dans ses plus vertes années, sa complicité avec ses musiciens, l’amitié, la douceur et l’humilité illuminaient les notes et le public.
Longue vie à la belle musique et aux artistes éternels.