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Avec l’in­for­ma­tique: plus idiots, plus in­tel­li­gents – ou pa­reils?

La ré­flexion ci-des­sous pa­raît sous une forme un peu plus courte dans le pro­chain nu­méro de la revue Culture en jeu (qui se veut un des porte-voix des ar­tistes, et qui est cen­trée sur les créa­teurs, l'ar­gent et le pu­blic), et vous en avez ici la pri­meur; elle a été ins­pi­rée par la lec­ture ré­pé­tée d'ar­ticles se po­sant des ques­tions qui se ré­sument en deux grands thèmes: 

Est-ce que Google (in­ter­net, Fa­ce­book, X…, Y…, Z…) nous rend idiots?

Est-ce que l'uti­li­sa­tion d'in­ter­net (de Google, de Twit­ter, de X…, de Y…, de Z…) af­fecte notre mé­moire?

Les va­riantes sont nom­breuses, la pré­oc­cu­pa­tion tou­jours la même.

 

Eloge du chan­ge­ment

L’écri­ture…? «Elle ne pro­duira que l’ou­bli dans l’es­prit de ceux qui ap­prennent, en leur fai­sant né­gli­ger la mé­moire. En effet, ils lais­se­ront à ces ca­rac­tères étran­gers le soin de leur rap­pe­ler ce qu’ils au­ront confié à l’écri­ture, et n’en gar­de­ront eux-mêmes aucun sou­ve­nir.» 

Et que dire de la lec­ture? «Lors­qu’ils au­ront beau­coup lu [les gens] se croi­ront de nom­breuses connais­sances, tout igno­rants qu’ils se­ront pour la plu­part, et la fausse opi­nion qu’ils au­ront de leur science les ren­dra in­sup­por­tables dans le com­merce de la vie.»

Ré­sul­tat? «Je n’ai aucun es­poir pour l’ave­nir de notre pays, la jeu­nesse de chez nous qui pren­dra le com­man­de­ment de­main est in­sup­por­table, igno­rante, sim­ple­ment ter­rible.»  (1)

En un mot comme en cent: toutes ces nou­veau­tés ne peuvent que conduire l’hu­ma­nité à sa perte, mieux vaut s’en pas­ser.

Les au­teurs de ces pro­fondes pen­sées? De grands ama­teurs de clas­siques par­lant de la lit­té­ra­ture de gare? De grands cal­li­graphes par­lant de la chose im­pri­mée? De grands im­pri­meurs au plomb par­lant de l’édi­tion in­for­ma­ti­sée? De lec­teurs as­si­dus de livres par­lant des ta­blettes de lec­ture?

Non. Ces textes sont de Pla­ton ci­tant So­crate (470-399 av. J.-C.), et on parle ici de cette grave me­nace pour l’ave­nir de l’hu­ma­nité: l’in­tro­duc­tion de l’écri­ture, et de son co­rol­laire, la lec­ture.

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Voici Jean Mié­lot, se­cré­taire et tra­duc­teur du duc de Bour­gogne Phi­lippe Le Bon, exer­çant sa pro­fes­sion aux alen­tours de 1456. Quelque deux mille ans après les sou­cis que s'est fait So­crate à son sujet, l'écri­ture en est là: les livres sont co­piés à la main, ils sont utiles, et si l'hu­ma­nité et la mé­moire hu­maine ont frôlé la ca­tas­trophe, ce n'est pas à cause d'elle (image BNF, cote FR 9198, f.19)

De­puis…

De­puis, nous n’avons guère fait mieux.

La sous­si­gnée a eu l’oc­ca­sion de suivre (dans les livres) la lutte achar­née de la Sor­bonne, au début du XVIe siècle, contre, à choix, l’im­pri­me­rie (ça ré­pand de mau­vaises idées, la Ré­forme par exemple), l’al­pha­bé­ti­sa­tion du petit peuple (pour son bien, mieux vaut ne pas lire, ça leur trou­ble­rait les idées), l’usage du fran­çais pour la chose écrite, l’en­sei­gne­ment du grec (c'est plein d'hé­ré­sie, tra­duit en clair: gros risque, ça per­met de sa­voir ce que dit vrai­ment la Bible), etc., etc. Ra­be­lais, Marot, Ga­ra­mond, Le­fèvre d’Étaples, Au­ge­reau et les autres ont re­pré­senté la pre­mière gé­né­ra­tion qui a souf­fert, a été per­sé­cu­tée, parce que d’autres consi­dé­raient qu’il fal­lait conte­nir la nou­velle me­nace pour la sur­vie de l’hu­ma­nité: l’im­pri­me­rie. (2)

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Voici une im­pri­me­rie vers 1500 (Image Musée de l'Im­pri­me­rie de Re­bais)

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Et voici un ate­lier d'im­pri­me­rie aux alen­tours de 1780-85, par le peintre Léo­nard De­france. (Image Musée de Gre­noble)

A chaque fois qu’un média nou­veau a fait son ap­pa­ri­tion, à chaque nou­veauté (et cela, nous l’avons vu, de­puis l’an­ti­quité), les te­nants de la pra­tique éta­blie gé­missent: c’est la fin de la culture, c’est la fin de l’in­tel­li­gence. Ainsi l’ap­pa­ri­tion du té­lé­graphe, puis du té­lé­phone, al­lait rendre les gens pa­res­seux, l’ap­pa­ri­tion du ci­néma al­lait les rendre inertes, im­mo­raux, cri­mi­nels…

Dans de tels dis­cours, il n’est ja­mais ques­tion du fait qu’il en va de même pour toute ac­ti­vité hu­maine: une cer­taine dose ou quan­tité est bé­né­fique, une autre dose (trop ou trop peu) ma­lé­fique, et il peut se trou­ver des gens qui per­ver­tissent l’usage de n’im­porte quel outil: un mar­teau peut ser­vir à plan­ter les clous pour construire une ma­gni­fique mai­son ou à fra­cas­ser le crâne de l’homme qu’on as­sas­sine.  

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Ate­lier de com­po­si­tion à Alen­çon, 1949 (Photo J. M. Pro­vost)


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Ate­lier d'im­pres­sion en 1955/56 à Saint-Mi­chel-en-Pri­ziac (carte pos­tale si­gnée Jean) L'im­pri­me­rie fonc­tionne sur le même prin­cipe de­puis cinq siècles en­vi­ron, et le monde ne s'est pas écroulé – pas à cause d'elle, en tout cas, et la mé­moire hu­maine a conti­nué à ac­cu­mu­ler (ou pas) selon les mé­ca­nismes propres du cer­veau.

 

Craintes et ré­sis­tances

Nous sommes, dans nos pays, des grands ad­mi­ra­teurs du «fait main», et l’avons in­vesti d’une charge mo­rale, es­sen­tiel­le­ment, à mon avis, parce que nous avons ou­blié ce que cela im­plique de faire fonc­tion­ner toute une so­ciété «à la main». De­puis la fin de la Deuxième Guerre mon­diale, l’éloi­gne­ment du «fait main» dans sa concep­tion an­cienne est allé en crois­sant et a at­teint une ac­cé­lé­ra­tion per­cep­tible à l’oeil nu avec l’ir­rup­tion de l’élec­tro­nique et de l’in­for­ma­tique.

L’élec­tro­nique a créé une ré­vo­lu­tion dans les mœurs d’abord, puis dans la tech­no­lo­gie, dans tous les do­maines, et cette fois l’ac­cé­lé­ra­tion a été telle qu’il est im­pos­sible de l’igno­rer. En vingt ans, on a in­for­ma­tisé la tech­nique pour ainsi dire dans son en­semble. Y com­pris l'in­for­ma­tion.

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Salle d'im­pres­sion de l'Im­pri­me­rie Co­nelli, Paris, en 2011 (photo Mo­nika Biels­kyte)

Tout cela se­rait po­si­tif.

La ré­sis­tance est, comme tou­jours, venue (consciem­ment ou in­cons­ciem­ment) de la crainte d’une mi­no­rité, gé­né­ra­le­ment puis­sante, que l’in­no­va­tion lui ôte ses pri­vi­lèges. Une fois que les élites ont trouvé com­ment tour­ner l’in­no­va­tion à leur pro­fit, la ré­sis­tance vient alors de ceux qu’on sa­cri­fie à sa mise en œuvre. Le rêve de l’hu­ma­nité était que la mé­ca­ni­sa­tion, l’ac­crois­se­ment de la pro­duc­ti­vité qui en dé­coule, li­bé­re­raient pour les hu­mains du temps pour les loi­sirs et des ri­chesses pour en jouir. Cela ne s’est réa­lisé que très par­tiel­le­ment. Le sys­tème de pro­duc­tion a changé, le mo­dèle éco­no­mique est tou­jours le même: on pro­duit plus vite avec moins de tra­vail, mais la ri­chesse pro­duite reste entre les mains d’une mi­no­rité. Pour la ma­jo­rité, le «temps libre» se tra­duit par le chô­mage d’une por­tion crois­sante de la po­pu­la­tion, pen­dant que ceux qui tra­vaillent croulent sous le poids de la tâche.

Les craintes et les ré­sis­tances s’ex­priment sou­vent de ma­nière dé­tour­née. Ici en­core, elles sont mas­quées par des sou­cis réels, mais qui n’abordent pas les ques­tions de fond.

«L’uti­li­sa­tion d’in­ter­net af­fecte-t-elle notre mé­moire?» Cette pré­oc­cu­pa­tion qui fait cou­ler des tonnes d’encre et mo­bi­lise des mil­lions de pixels est par­ti­cu­liè­re­ment si­gni­fi­ca­tive: So­crate l’ex­pri­mait déjà à pro­pos de l’in­ven­tion de l’écri­ture et de l’ap­pa­ri­tion des pre­miers textes écrits. Et si on peut se poser la même ques­tion à vingt-cinq siècles de dis­tance au sujet d’une in­no­va­tion, c’est qu’elle ne concerne pas pre­miè­re­ment la mé­moire, mais les trans­for­ma­tions qu’elle im­plique. Nous n’avons pas en­core tiré de la ré­vo­lu­tion tech­no­lo­gique les conclu­sions qui de­vraient en dé­cou­ler et qui abou­ti­raient à ce que les be­soins de tous soient sa­tis­faits.

 

La mé­ca­nique du cer­veau

 

On se de­mande si la TV, si in­ter­net nous rendent idiots, moins cu­rieux, plus pas­sifs. Des sé­mi­naires en­tiers se penchent sur la ques­tion de sa­voir si cela agit sur notre cer­veau – im­pli­ca­tion: c’est grave, doc­teur?

En fait, la té­lé­vi­sion a per­mis de po­pu­la­ri­ser la lit­té­ra­ture mon­diale en d’in­nom­brables films, sé­ries, etc. Il y a des émis­sions stu­pides, oui, mais ce n’est pas fatal: l’exis­tence de chaînes comme Arte, comme cer­taines chaînes de la BBC en An­gle­terre, comme la chaîne cultu­relle scan­di­nave, comme MSNBC (chaîne po­li­tique) aux Etats-Unis montre qu’on peut avoir un vaste pu­blic tout pro­dui­sant des émis­sions de qua­lité. Ce n’est pas la té­lé­vi­sion qui rend idiot: c’est l’usage qu’on en fait. C’est la dé­ci­sion fa­tale de construire les pro­grammes en fonc­tion de l’au­di­mat qui en abaisse le stan­ding, car cela re­vient for­cé­ment à se mettre au ni­veau du plus petit com­mun dé­no­mi­na­teur. Au lieu d’édu­quer, on conforte les té­lé­spec­ta­teurs dans leur si­tua­tion (quelle qu’elle soit). On vise les «neu­rones dis­po­nibles» pour les ac­ca­pa­rer au pro­fit de la pu­bli­cité, plu­tôt que de les faire fonc­tion­ner au pro­fit du té­lé­spec­ta­teur lui-même.

Cela est tout aussi vrai pour in­ter­net.

Il y a certes sur in­ter­net beau­coup de bla­bla in­utile ou même nui­sible. Mais il y a aussi des bi­blio­thèques en­tières à por­tée de sou­ris, des mil­lions de livres qui ne de­mandent qu’à être lus, d’in­nom­brables dic­tion­naires qui ne de­mandent qu’à être consul­tés: sur écran si ça ne vous pose pas de pro­blème, ou sur pa­pier, ils sont le plus sou­vent im­pri­mables.

Le titre d’une pu­bli­ca­tion de 1917 que je vous in­vite vi­ve­ment à lire (grâce à in­ter­net c’est pos­sible) ré­sume par­fai­te­ment le di­lemme:

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Tout est dit dans ce titre contra­dic­toire (3)

On pour­rait uti­li­ser un titre si­mi­laire pour un traité sur la té­lé­vi­sion ou sur in­ter­net.

Quant à sa­voir si la mé­ca­ni­sa­tion, l’élec­tri­fi­ca­tion et l’in­for­ma­ti­sa­tion de la com­mu­ni­ca­tion in­fluent sur le cer­veau, la ré­ponse est claire: cer­tai­ne­ment. Le psy­cho­logue amé­ri­cain James Flynn nous ap­prend, au bout d’une grande en­quête in­ter­na­tio­nale pour me­su­rer le quo­tient in­tel­lec­tuel moyen dans de nom­breux pays, que pen­dant tout le XXe siècle, les per­for­mances in­tel­lec­tuelles moyennes des po­pu­la­tions, leur quo­tient in­tel­lec­tuel, ont aug­menté de deux à trois points par dé­cen­nie. Un re­cord dans l'his­toire de l'hu­ma­nité, et ce n'est pas fini. (4)

La mé­moire s’est un peu dé­pla­cée et dé­sor­mais, pour re­prendre une phrase qui or­nait ré­cem­ment le fron­ton de la Bri­tish Li­brary de Londres, «la culture ce n’est pas de tout sa­voir, c’est de sa­voir où trou­ver ce qu’on ai­me­rait sa­voir.» 

On ne se sou­vient ni «moins», ni «plus» qu’au­tre­fois, on se sou­vient au­tre­ment. On re­tient les grandes lignes d’une ques­tion, l’es­sen­tiel, on dé­lègue cer­tains dé­tails à Yahoo, à Google, il suf­fit de sa­voir où les trou­ver, pas be­soin de s’en en­com­brer la tête.

Ce n’est pas le fait qu’on lit plu­tôt sur pa­pier ou plu­tôt sur écran qui est im­por­tant. C’est le fait qu’on lit. C’est que le té­lé­phone por­table, les ta­blettes, les or­di­na­teurs per­mettent de lire n’im­porte où en cas de be­soin ou d’en­vie, c’est qu’on a un choix plus vaste que dans n’im­porte quelle bi­blio­thèque.

Bref, comme dit Ham­let, c’est-à-dire Sha­kes­peare, «rien n’est bon ou mau­vais en soi, tout est dans l’idée qu’on s’en fait». (5) Et j’ajoute, tout est dans l’usage qu’on en fait, et dans le cadre so­cio-éco­no­mique dans le­quel cela se dé­ve­loppe.

 

 

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(1) Pla­ton, «Phèdre».

(2) Une fois n’est pas cou­tume, je vais me per­mettre de ren­voyer à mon livre «Le Maître de Ga­ra­mond» pour les dé­tails, édi­tions Ber­nard Cam­piche, iTunes  ou Apple store (pour iPhone et iPad).

(3) Vous trou­vez ce livre sur le site Gal­lica, sous le nom de son au­teur, Edouard Pou­lain.

(4) «Are we get­ting smar­ter? Ri­sing IQ in the Twenty-First Cen­tury», Cam­bridge: Cam­bridge Uni­ver­sity Press, 2012

(5) Sha­kes­peare, Ham­let, acte 2, sc. 2

28 com­men­taires
1)
In­connu
, le 14.08.2012 à 05:46

Je me sou­viens que dans mon en­fance et mon ado­les­cence, les adultes bien-pen­sants di­saient pis que pendre des BD … A chaque gé­né­ra­tion son bouc-émis­saire …

2)
Fran­çois Cuneo
, le 14.08.2012 à 06:28

J’ai l’im­pres­sion, peut-être que je me trompe, que le pro­blème est, de­puis l’avè­ne­ment de la TV, puis des mé­dias élec­tro­niques, que seul une mi­no­rité tire pro­fit cultu­rel­le­ment de ces mé­dias. La masse s’abru­tit de­vant les écrans pu­bli­ci­taires des grandes chaînes (jus­qu’à 20 mi­nutes par heure!).

Il n’y a qu’à voir la fré­quen­ta­tion d’Arte…

Cela dit, tout est dans le titre de l’écrit d’Edouard Pou­lain en effet, et qu’est-ce que je suis content d’avoir Google and co pour avoir la ré­ponse en 3 se­condes à mes ques­tions et aux ques­tions de mes en­fants, lorsque je ne sais pas.

Et comme je ne sais pas très sou­vent…

Merci pour cette ré­flexion!

3)
Alain Le Gal­lou
, le 14.08.2012 à 08:01

Je suis aussi de cet avis que l’hu­main s’abru­tit de­vant les écrans pu­bli­ci­taires des grandes chaînes (jus­qu’à 20 mi­nutes par heure!). C’est pour cela que je me suis tou­jours in­ter­dit d’ache­ter une TV.

Pour in­ter­net, il est pos­sible que cela soit bé­né­fique. Beau­coup qui n’ont pas le cou­rage de se dé­pla­cer jus­qu’à une bi­blio­thèque peuvent faire les re­cherches avec les mo­teurs in­ter­net. J’ai néan­moins peur que cela ne com­pense pas la dé­gra­da­tion de l’édu­ca­tion na­tio­nale fran­çaise.

4)
gilv
, le 14.08.2012 à 08:30

Bel ar­ticle …

5)
ysen­grain
, le 14.08.2012 à 08:38

Je cor­ro­bore ce que viennent d’écrire suc­ces­si­ve­ment Ma­cramé, Fran­çois et Alain. Anne, tu poses de bonnes ques­tions.

Une ce­pen­dant me pré­oc­cupe: qu’on le veuille ou non:

– “Cor­res­pondre” dans Fa­ce­book par exemple né­ces­site de se fondre dans un moule mo­dèle, for­cé­ment li­mi­tant: on y de­vient sans doute “py­jama serré”

– Être abonné au jour­nal dit “de ré­fé­rence” en France, Le Monde” com­porte la ré­cep­tion d’un in­fâme tor­chon “M”, heb­do­ma­daire truffé de pubs pour des montres hors de prix (“vous savez Mon­sieur m’a dit une ven­deuse du Prin­temps, ces montres ne donnent pas l’heure, elles vous la vendent !!), de va­cuité abys­sale – le der­nier exem­plaire conte­nait un soit di­sant “Louvre en abyme”. Ils ne connaissent même pas le sens du mot abyme – où ils se sont sé­vè­re­ment abi­més ;•DD Donc même Le Monde se TF1ise

À qui se fier ma bonne dame ?

Pa­ra­phra­sant Fran­çois, je suis tou­jours content d’avoir à por­tée de main (iPhone), un dic­tion­naire, une en­cy­clo­pé­die, de quoi noter une ré­flexion.

Anne, ta ci­ta­tion de fin d’Ham­let me va bien. Je ne crois pas avoir ré­gressé de­puis la pos­ses­sion de ces ob­jets et l’ac­cès per­mis.

6)
giam­paolo
, le 14.08.2012 à 09:08

Merci Anne.

7)
Sa­luki
, le 14.08.2012 à 11:15

L’au­ber­giste va­lai­san, dont Fran­çois fai­sait l’éloge hier, ne se pose pas toutes ces ques­tions… ;¥)

Mon papa ébé­niste di­sait : “L’ou­til n’est rien sans la main”. C’est vrai aussi pour les iTrucs, comme ce l’était au­pa­ra­vant pour la var­lope.

Merci Anne de tes re­mises à l’heure.

8)
Karim
, le 14.08.2012 à 11:24

Mi­chel Serres dé­fend l’idée que l’in­ven­tion de l’im­pri­me­rie a bien af­fecté notre mé­moire, mais de façon po­si­tive : c’est cette ex­ter­na­li­sa­tion de notre mé­moire dans le livre qui au­rait per­mis, selon lui, de li­bé­rer nos fonc­tions cog­ni­tives et le dé­ve­lop­pe­ment de la science à par­tir du 16e. On pou­vait certes, nous dit-il, as­sis­ter de­bout et sans prendre de note à un cours ma­gis­tral au XIIe siècle, et être ca­pable de le res­ti­tuer mot pour mot des an­nées après (ça m’en bouche un coin !) ; nous avons perdu cette ca­pa­cité, pour en ga­gner d’autres qui consti­tuent ce que l’on pour­rait ap­pe­ler l’es­prit scien­ti­fique. D’une ma­nière gé­né­rale, c’est toute l’his­toire de la tech­nique que Mi­chel Serres relit de cette façon : de­puis les pre­miers bi­faces qui sont l’ex­ter­na­li­sa­tion du poing de l’homme pré­his­to­rique et qui aug­men­tèrent ses ca­pa­ci­tés, jus­qu’aux por­tables ac­tuels de la “pe­tite pou­cette” (c’est le titre de son der­nier livre) qui pia­note avec ses deux pouces. Je trouve que son parti-pris ré­so­lu­ment op­ti­miste le conduit par­fois à une cer­taine mau­vaise foi, et je suis comme Anne plus me­suré, mais son ap­proche est très in­té­res­sante et nous ap­prend beau­coup (en tous cas elle est très utile aux grin­cheux du “c’était mieux avant”.

9)
Anne Cuneo
, le 14.08.2012 à 14:54

Il n’y a qu’à voir la fré­quen­ta­tion d’Arte

Dans les mi­lieux de la pu­bli­cité, on dis­tingue entre ar­ro­sage large et ar­ro­sage ciblé: lorsque tu ar­roses large (par exemple tu dis­tri­bues un pros­pec­tus à 1 mil­lion d’ex.), tu comptes sur un re­tour de 1 à 2%, si tu as beau­coup de chances 3%. Lorsque tu ar­roses ciblé, tu as des re­tours jus­qu’à 25 %, par­fois même plus.

Je re­proche au taux d’écoute, une no­tion à par­tir de la­quelle toutes les grandes chaînes de TV sont faites, de pro­vo­quer l’ar­ro­sage large. Je me sou­viens d’une en­quête que la TV alé­ma­nique avait fi­na­le­ment ca­chée au pu­blic (mais a cir­culé en in­terne); elle dé­mon­trait que sur cent mé­nages visés par l’ar­ro­sage large, plus de la moi­tié avaient ou­vert leur poste, mais ne prê­tait que peu ou pas d’at­ten­tion à ce qui s’y pas­sait. Dans un émet­teur comme Arte, comme ZDF en Al­le­magne, ou même BBC World, on vise un pu­blic spé­ci­fique. Mais ces chaînes-là re­çoivent moins de moyens, BBC World étant l’ex­cep­tion parce qu’elle n’est pas fi­nan­cée en solo, mais avec le pool de toute la BBC.

Où je veux en venir? Des chaînes comme Arte ont une au­dience moins im­por­tante, mais fi­dèle. Si on fai­sait confiance au pu­blic au moins une par­tie du temps, on au­rait une au­dience un peu plus pe­tite, mais mieux in­for­mée. Je sais que je prêche dans le dé­sert, j’ai dit ça pen­dant tout le temps que j’ai tra­vaillé à la TV, en vain…

10)
Anne Cuneo
, le 14.08.2012 à 15:03

Mi­chel Serres dé­fend l’idée que l’in­ven­tion de l’im­pri­me­rie a bien af­fecté notre mé­moire, mais de façon po­si­tive : c’est cette ex­ter­na­li­sa­tion de notre mé­moire dans le livre qui au­rait per­mis, selon lui, de li­bé­rer nos fonc­tions cog­ni­tives et le dé­ve­lop­pe­ment de la science à par­tir du 16e.

Je ne connais­sais pas cette théo­rie de Mi­chel Serres, mais nous sommes bien d’ac­cord. Il reste des gens qui lisent ou en­tendent quelque chose une fois et qui s’en sou­viennent jus­qu’à la moindre vir­gule, ils sont nés comme ça… Et ça ne les em­pêche pas d’avoir la ca­pa­cité d’ap­prendre par ailleurs. Ce sont les chan­ceux, mais ils vont en se ra­ré­fiant, à mon avis.

J’ima­gine qu’on peut culti­ver cette fa­culté de mé­moire. Le co­mé­dien Wolf­gang Lan­ghoff, à qui on de­man­dait com­ment il avait fait, une cer­taine fois, pour ap­prendre le rôle titre de Peer Gynt (un des plus longs du ré­per­toire) en trois jours, avait ré­pondu qu’il y avait des tech­niques pour cela, hé­ri­tées de l’époque où la chose écrite était rare, et qu’il avait, pour sa part, pu ap­prendre ces tech­niques. Cette ré­ponse, que j’ai lue ré­cem­ment, a été faite il y a quelque 60 ans.

Il est pos­sible que ce type de tech­niques se soient com­plè­te­ment per­dues main­te­nant, au pro­fit d’une dé­lé­ga­tion aux livres de la mé­moire non im­mé­dia­te­ment utile.

Y a-t-il un co­mé­dien pour ré­pondre parmi les lec­teurs de cette hu­meur?

11)
fxc
, le 14.08.2012 à 15:47

Bon­jour Anne

pour répondre à ta question

Il y a 15 ans je suis allé suivre une confé­rence faite par l’ins­ti­tutDale Car­ne­gie

sur des tech­niques de mé­moires, ce trou­vaient dans la salle des élèves ayant suivi un trai­ning et des per­sonnes s’in­té­res­sant à cela, je fus épaté des ré­sul­tats, ils ont de­man­dés à toutes les per­sonnes de dire une phrase, j’en avais in­venté une pas pi­quée des han­ne­tons, j’ai at­tendu d’être le der­nier pour la re­de­man­der à un des élèves pris au ha­zard et il me la ré­pé­tée mot pour mot; bluf­fant.

12)
te­le­vi­sions­can­di­nave
, le 15.08.2012 à 08:53

Bon­jour,

Quel est cette “chaîne cultu­relle scan­di­nave” ?

Merci

13)
zit
, le 15.08.2012 à 08:55

Débat in­té­res­sant. J’avoue que je soup­çonne la tévé d’abru­tir mal­gré tout un peu : j’en ai été une vic­time pen­dant quelques an­nées, zap­pant déses­pé­ré­ment en quête d’une nour­ri­ture in­té­res­sante, j’ai aussi avalé bien plus de co­chon­ne­ries que je l’au­rais voulu, mais im­pos­sible d’éteindre l’étrange lu­carne qui pos­sède un tout de même très mys­té­rieux pou­voir d’at­trac­tion. Au der­nier dé­mé­na­ge­ment, j’ai im­posé l’aban­don du té­lé­vi­seur dans le salon, je vou­lais pou­voir lire tran­quille­ment, dîner de­vant les images de fa­mine en Afrique ou d’at­ten­tats ici ou là ne me sa­tis­fai­sait plus trop, donc, une tévé dans chaque chambre, mais pas dans la pièce com­mune. Au final, per­sonne ne la re­garde plus (dans notre chambre, il n’y en a plus, et ju­nior qui est un grand gar­çon ne l’uti­lise plus que pour jouer ou re­gar­der des DVD), bon dé­bar­ras. J’ai par contre re­gardé l’autre soir la fi­nale olym­pique du 4×100 mas­cu­lin, en pré­am­bule de la­quelle j’ai été cho­qué d’en­tendre, en en­tier, deux fois la mar­seillaise et une fois le star span­gled ban­ner en moins de 3 mi­nutes, une pre­mière mar­seillaise en l’hon­neur de la mé­daille d’or du per­chiste, puis les deux autres hymnes presque im­mé­dia­te­ment der­rière pour le début d’un match de sport col­lec­tif avec un bal­lon, ça fait beau­coup, je trouve (en tout cas, je ne sais pas trop pour­quoi, ça m’a in­dis­posé et conforté dans mon opi­nion sur la tévé vec­teur de bour­rage de crâne, et pas que pour vendre de la les­sive).

Quand à in­ter­net, le pro­blème, c’est que quand Google ne trouve pas, ça n’existe pas, donc s’ils dé­cident de cen­su­rer quoi que ce soit, ça sera tout simple et com­plè­te­ment trans­pa­rent. Et puis in­ter­net, c’est une mé­moire à très court terme : com­bien de vos si nom­breux si­gnets pointent en­core sur une page d’un site qui existe en­core ? Ça m’est ar­rivé ré­cem­ment, pour l’ar­ticle d’au­jour­d’hui, j’ai fait un tour dans mes si­gnets du dos­sier “vélo”, le plus an­cien avait à la louche 7 ans (d’ailleurs, ça se­rait un in­di­ca­teur in­té­res­sant à avoir, ça, l’âge des si­gnets), date sup­po­sée (mais quasi cer­taine) des pre­miers si­gnets de ce dos­sier, et bien de nom­breuses sources d’in­for­ma­tions ju­gées suf­fi­sam­ment in­té­res­santes pour être book­mar­kées se sont dé­fi­ni­ti­ve­ment ta­ries, ou alors, elles coulent en­core, mais suite à un glis­se­ment de ter­rain, à quelques mil­li­mètres, ki­lo­mètres, par­secs de là où elles se trou­vaient pré­cé­dem­ment, soit le nom de do­maine à changé, soit le site est passé à une nou­velle ar­chi­tec­ture du passé fai­sant table rase, soit que sais–je, mais tou­jours est–il que dans ce dos­sier conte­nant une ving­taine de si­gnets, au moins cinq sont pas­sés à la trappe, ce n’est pas rien je trouve…

Donc in­ter­net, oui, pour les grandes mai­sons, genre la BNF ou autres sources ins­ti­tu­tion­nelles, c’est un puits de mé­moire, mais tout le reste, cette somme consi­dé­rable de connais­sances et de sa­voirs est à durée ex­trê­me­ment li­mi­tée, il suf­fit que pour une rai­son ou une autre un nom de do­maine ne soit pas re­nou­velé pour que pfuit, plus rien !

z (ça fout les cho­cottes, je ré­pêêêêêêêêêêêête : quoi ? j’ai ou­blié…)

14)
Anne Cuneo
, le 15.08.2012 à 09:57

Quel est cette “chaîne cultu­relle scan­di­nave” ?

J’étais à Stock­holm l’an der­nier, et dans ma chambre d’hô­tel j’ai vu une chaîne qui trans­met­tait une in­ter­view de Sal­man Ru­sh­die, puis pas­sait «Ci­nema Pa­ra­diso», puis trans­met­tait un débat sur un sujet cultu­rel, dont j’avoue que je n’ai pas tout à fait saisi le centre, mon sué­dois est très ap­proxi­ma­tif. J’ai de­mandé quel était ce pro­gramme, et on m’a dit «C’est la chaîne cultu­relle». Le soir sui­vant, dont j’ai en­core at­trapé une émis­sion, était éga­le­ment dédié à la culture. J’avoue ne pas sa­voir exac­te­ment com­ment s’ap­pe­lait cette chaîne, mais on me l’a dé­si­gnée avec tant de fer­meté, que j’ai pensé que tous les Scan­di­naves la connaissent. Ai-je as­sumé quelque chose de faux? Cela ne change pas mon pro­pos… mais bon, si j’ai fait une er­reur de ju­ge­ment, par­don.

15)
Anne Cuneo
, le 15.08.2012 à 11:42

Donc in­ter­net, oui, pour les grandes mai­sons, genre la BNF ou autres sources ins­ti­tu­tion­nelles, c’est un puits de mé­moire, mais tout le reste, cette somme consi­dé­rable de connais­sances et de sa­voirs est à durée ex­trê­me­ment li­mi­tée, il suf­fit que pour une rai­son ou une autre un nom de do­maine ne soit pas re­nou­velé pour que pfuit, plus rien !

C’est vrai pour tout un pan de l’in­for­ma­tion, que j’as­si­mi­le­rais à l’ar­ro­sage large. Mais il faut que j’in­siste: plus que la TV, in­ter­net peut être très dif­fé­rent selon comme tu l’uti­lises. Je vais te don­ner des exemples tes­tés par moi, pour être sûre de sa­voir de quoi je parle.

a) Les dic­tion­naires: il existe sur in­ter­net de grands dic­tion­naires que je consulte gra­tui­te­ment à condi­tion de m’y ins­crire – dic­tion­naire des sy­no­nymes, dic­tion­naire ita­lien-ita­lien, ita­lien-fran­çais, an­glais-ita­lien, dic­tion­naires tech­niques, der­nières édi­tions de l’En­cy­clo­pe­dia Bri­tan­nica avant celle qui est en vente, Webs­ter, Lit­tré, D’alem­bert-Di­de­rot, TLFi, etc. – et je ne parle pas de ces pseu­do­dic­tion­naires qui ne sont que des vé­hi­cules pu­bli­ci­taires avec une mi­ni­dé­fi­ni­tion comme ex­cuse, mais de vrais grands dic­tion­naires que l’on peut consul­ter aussi sur pa­pier, mais dont il n’existe pas de ver­sion Mac en in­for­ma­tique (je n’ai mal­heu­reu­se­ment pas le temps de cher­cher les liens à cette mi­nute).

b) Il existe des bi­blio­thèques en­tières, que je consulte ré­gu­liè­re­ment: In­ter­net Ar­chive, Gal­lica, Bri­tish Li­brary (une pe­tite par­tie des livres pour l’ins­tant, ils viennent de com­men­cer), etc. On peut éga­le­ment consul­ter WorldCat.​org, qui vous in­dique quelle bi­blio­thèque proche de vous a le livre que vous cher­chez, et j’en passe, sans doute des meilleures…

c) Il existe des sites pour les cartes his­to­riques, pour les cos­tumes, pour la cui­sine, pour l’hor­ti­cul­ture, pour… pour… pour…

On en re­vient à pa­ra­phra­ser le titre du livre d’Edouad Pou­lain: Contre In­ter­net, école de l’éphé­mère et du crime, Pour In­ter­net, école d’édu­ca­tion, mo­ra­li­sa­tion et vul­ga­ri­sa­tion.

En fait, on peut presque dire que In­ter­net est en­core jeune, que ça va dé­can­ter, les choses éphé­mères dis­pa­raî­tront, mais l’es­sen­tiel res­tera, même si ce n’est pas la BNF

16)
Zal­lag
, le 15.08.2012 à 13:34

Ci­ta­tion de Fran­cesco Pa­nese, pro­fes­seur de so­cio­lo­gie à l’Uni­ver­sité de Lau­sanne, tirée d’un ar­ticle du Temps de 2008.

«Toutes les grandes trans­for­ma­tions des tech­niques de com­mu­ni­ca­tion ont mo­di­fié nos ca­pa­ci­tés cog­ni­tives. Au­jour­d’hui, grâce à sa plas­ti­cité, le cer­veau prend peu à peu la forme d’In­ter­net lui-même, pri­vi­lé­gie le zap­ping, la ra­pi­dité, la concen­tra­tion im­mé­diate sur des conte­nus pré­cis, per­ti­nents, courts. Cette er­go­no­mie nous en­cou­rage à lire da­van­tage, à avoir accès à plus de conte­nus de qua­lité. Je ne vois pas de dan­ger à cette évo­lu­tion.

En re­vanche, je vois un dan­ger dans l’igno­rance qui en­toure le sta­tut des textes que nous li­sons sur le Web. In­ter­net fait de plus en plus l’im­passe sur la no­tion d’au­teur. On tombe dans l’ins­tant et sans ef­fort sur des textes qui semblent avoir été si­gnés par des mains in­vi­sibles. On ou­blie ainsi la no­tion d’au­teur, du tra­vail préa­lable de com­pré­hen­sion, de va­li­da­tion des conte­nus, de dé­bats contra­dic­toires qui ont abouti au final à un livre ou à un ar­ticle. La di­men­sion cri­tique de la connais­sance passe ainsi la trappe. Il est ainsi pos­sible de dis­tin­guer les étu­diants qui com­prennent que le sa­voir est re­la­tif, qu’il a une épais­seur, une ori­gine, une tem­po­ra­lité. Alors que d’autres se contentent de bra­con­ner sur In­ter­net pour y ac­cu­mu­ler des dé­fi­ni­tions et des ci­ta­tions, sans sa­voir d’où elles viennent. Par­don­nez-moi l’ana­lo­gie, mais ils se contentent de lire des éti­quettes de pots de confi­ture en ou­bliant qu’il a bien fallu quel­qu’un pour faire ces confi­tures. In­ter­net est donc un ma­gni­fique outil, mais il ne faut pas né­gli­ger les connais­sances né­ces­saires à sa bonne uti­li­sa­tion.».

Autre piste in­té­res­sante et ori­gi­nale :

Une re­cherche a été faite sur la fa­ci­lité de lec­ture et de mé­mo­ri­sa­tion de textes et ar­ticles en fonc­tion de la po­lice de ca­rac­tère uti­li­sée. C’est assez fas­ci­nant : moins la po­lice de ca­rac­tères est li­sible, mieux l’on re­tient. Pour­quoi ? Parce que la mé­mo­ri­sa­tion est plus ef­fi­cace si on lui donne un peu plus de temps. Or in­ter­net est du zap­ping, de la ra­pi­dité, de la briè­veté. La ques­tion à se poser est, selon moi, de com­pa­rer quels me­dias per­mettent le mieux la mé­mo­ri­sa­tion, l’ac­qui­si­tion de connais­sances.

Phrase-clé à re­te­nir de cet ar­ticle : la dif­fi­culté dur­cit le muscle cé­ré­bral, alors que la fa­ci­lité ne dur­cit que la confiance.

17)
Anne Cuneo
, le 15.08.2012 à 18:59

Or in­ter­net est du zap­ping, de la ra­pi­dité, de la briè­veté.

Il est cela si tu dé­cides qu’il est cela. Tu peux aussi pas­ser des heures à ex­plo­rer un seul site: c’est une ques­tion de ca­rac­tère – face aux conte­nus, in­ter­net est ce que l’on en fait.

19)
Bi­galo
, le 16.08.2012 à 14:06

Et puis in­ter­net, c’est une mé­moire à très court terme : com­bien de vos si nom­breux si­gnets pointent en­core sur une page d’un site qui existe en­core ?

D’ac­cord avec toi pour l’ob­so­les­cence par­fois trop ra­pide des si­gnets, mais un si­gnet pé­rimé n’im­plique pas for­cé­ment que l’in­for­ma­tion n’est plus ac­ces­sible. Dans l’un des cas que tu évoques, où le site a été ré­or­ga­nisé, la page (ou en tout cas l’in­for­ma­tion) peut être tou­jours pré­sente.

Pour la re­trou­ver, on peut faire appel à la re­cherche avan­cée de Google, qui per­met par exemple de cir­cons­crire une re­cherche à une pé­riode ou à un site par­ti­cu­lier, d’ex­clure cer­tains mots des pages de ré­sul­tats, …

Mal­heu­reu­se­ment, trop de gens la né­gligent, n’ont pas suf­fi­sam­ment le ré­flexe de l’uti­li­ser lors­qu’une re­cherche simple donne trop de ré­sul­tats, voire en ignorent l’exis­tence.

En outre, cette re­cherche avan­cée n’est plus aussi fa­cile d’ac­cès qu’au­tre­fois. Jus­qu’à il y a quelques mois, elle était di­rec­te­ment ac­ces­sible sur la page d’ac­cueil de Google ou sur les pages de ré­sul­tats.

Do­ré­na­vant, l’ac­cès di­rect à la re­cherche avan­cée a été rem­pla­cée par « plus d’ou­tils », der­nier lien dans la co­lonne de gauche des pages de ré­sul­tats. Ces ou­tils sup­plé­men­taires sont moins puis­sants que n’était la re­cherche avan­cée. En par­ti­cu­lier, ils ne per­mettent pas de li­mi­ter la re­cherche au contenu d’un seul site.

On peut pal­lier cette in­suf­fi­sance en uti­li­sant le mot-clef « site: » lors de la re­cherche. Par exemple si on a un si­gnet pé­rimé, re­la­tif à une page consa­crée aux co­li­bris sur le site http://​www.​ornithoantilles.​fr (in­venté pour l’oc­ca­sion), on pourra es­pé­rer re­trou­ver les don­nées en en­trant sur Google « co­li­bris site:www.​ornithoantilles.​fr ».

On peut éga­le­ment re­trou­ver la re­cherche avan­cée ici.

Par ailleurs, pour les sites de ré­fé­rence, il n’est pas for­cé­ment né­ces­saire d’uti­li­ser des si­gnets. Leps.​it par exemple est consa­cré aux pa­pillons d’Eu­rope. Le site est ita­lien, mais il est en an­glais. Il com­porte prin­ci­pa­le­ment une ico­no­gra­phie re­mar­quable, ainsi que des don­nées sur les plantes nour­ri­cières des che­nilles. Pour la plu­part des es­pèces, on trouve une ou plu­sieurs images du pa­pillon adulte, sou­vent ac­com­pa­gnées d’image(s) de la che­nille, par­fois de l’œuf et/ou de la chry­sa­lide. De­puis 1 an ou 2, on peut éga­le­ment y trou­ver des vi­déos consa­crées à une es­pèce. Des si­gnets sont ici pra­ti­que­ment in­utiles (sauf pour per­mettre à un tiers d’ac­cé­der à une page par­ti­cu­lière, dans un email, ou au sein d’un autre site). En effet, on ac­cède à l’in­for­ma­tion en sé­lec­tion­nant une es­pèce, ou par­fois une plante-hôte pour trou­ver quelles es­pèces y sont in­féo­dées.

Dans un do­maine qui in­té­resse un pu­blic bien + large, imdb.​com est une en­cy­clo­pé­die consa­crée au ci­néma. Là en­core point be­soin de si­gnet : on ac­cède à l’in­for­ma­tion en en­trant le nom d’un ac­teur, le titre (com­plet ou une frac­tion) d’un film. Do­ré­na­vant, il existe éga­le­ment une ver­sion fran­çaise, imdb.​fr, mais j’ignore si elle est aussi com­plète.

En quelques mots, In­ter­net donne accès à une masse consi­dé­rable d’in­for­ma­tions, mais pour s’en ser­vir de façon op­ti­male, il faut conser­ver l’es­prit cri­tique (toutes les sources de sont pas de qua­lité égale, et c’est un eu­phé­misme), et ap­prendre à faire des re­cherches ef­fi­caces, en fai­sant appel à la re­cherche avan­cée, ou à une com­bi­nai­son de mots-clefs, afin d’amé­lio­rer la per­ti­nence des ré­sul­tats ren­voyés.

Il ne faut pas non plus hé­si­ter à uti­li­ser des mots-clefs dans une autre langue : il y a quelques an­nées, je re­cher­chais la date de nais­sance d’un per­son­nage his­to­rique. Le nom du per­son­nage et « date nais­sance », n’ont pas abouti. J’étais avec des amis. L’un d’eux a sug­géré d’uti­li­ser plu­tôt « bir­th­day », et cette fois Google m’a ren­voyé l’info at­ten­due !

20)
Anne Cuneo
, le 16.08.2012 à 14:27

Merci, Bi­galo – CQFD!

21)
Anne Cuneo
, le 16.08.2012 à 14:28

@ Mirou: merci pour le lien, mal­heu­reu­se­ment Le Temps em­pêche les non abon­nés de le lire.

22)
Bi­galo
, le 16.08.2012 à 18:05

Merci à toi sur­tout, Anne

23)
Jean­sé­rien
, le 16.08.2012 à 18:50

Voici une confé­rence de mi­chel serres… Un vrai dé­lice.

24)
pat3
, le 18.08.2012 à 11:21

Merci Anne, de rap­pe­ler ici ce débat qui agite les cé­nacles et en­tre­tient les contro­verses.

Il me semble qu’il est main­te­nant ac­quis que l’in­ter­net n’est qu’un moyen, trans­for­ma­teur comme tous les ou­tils, mais in fine li­bé­ra­teur – au sens où il al­lège la tâche qu’il per­met de réa­li­ser. Ce qui est, à mon sens, plu­tôt en débat, c’est ce qu’on peut faire de cet outil: dans le do­maine qui me concerne, l’édu­ca­tion, on est en­core loin de pen­ser cet outil en terme d’avan­tages. Pour ma part, c’est réglé: je passe par in­ter­net pour dé­po­ser les do­cu­ments, in­di­quer les sources, les re­cou­per; mon mé­tier est, in­trin­sè­que­ment, de don­ner accès, à tous les sens du terme (c’est-à-dire cog­ni­ti­ve­ment et prag­ma­ti­que­ment) à des connais­sances et à leurs sources (c’est sans doute là une des dif­fé­rences fon­da­men­tales entre l’uni­ver­sité et le se­con­daire ou le pri­maire: don­ner accès aux sources pre­mières, et pas seule­ment aux connais­sances qui en res­sortent).

En vous li­sant, toutes les ré­ti­cences et cri­tiques faites aux mé­dias re­prennent la vul­gate cri­tique (la télé abê­tit), sans prendre en compte le fait sou­levé par Anne que c’est son as­ser­vis­se­ment par les classes di­ri­geantes qui en fait ce qu’elle est: le contenu des mé­dias est idéo­lo­gique, et vise à main­te­nir une do­mi­na­tion.
Pour­tant, les moyens de se sor­tir de cet as­ser­vis­se­ment existent, si l’on com­prend que l’es­sen­tiel est de se sor­tir de ce qui nous aliène le plus: l’ac­tua­lité. Il suf­fit de consi­dé­rer les in­for­ma­tions re­çues en se sor­tant de leur ac­tua­lité (qui régit leur in­té­rêt, leur soit di­sant per­ti­nence) pour com­prendre dif­fé­rem­ment le monde qui nous en­toure et sa plé­thore d’in­for­ma­tions. C’est ce dan­ger que crai­gnaient les contem­po­rains de l’im­pri­me­rie (non seule­ment faire cir­cu­ler le sa­voir, dans l’es­pace, mais aussi main­te­nir sa cir­cu­la­tion dans le temps).

La té­lé­vi­sion a, de­puis des an­nées, son an­ti­dote: le ma­gné­to­scope! Il suf­fi­sait, et il suf­fit en­core d’en­re­gis­trer pour re­gar­der à tête re­po­sée, et déjà toute la pro­pa­gande ac­tua­li­taire( j’in­vente le terme) s’étiole.
Le même an­ti­dote est pos­sible pour contrer le peu d’em­pan tem­po­rel de l’in­for­ma­tion en ligne; la sau­ve­gar­der quand on la trouve in­té­res­sante, pour la re­trou­ver plus tard.

Le Cloud est la der­nière idéo­lo­gie en vogue pour nous cou­per de la ca­pa­cité à prendre du recul sur l’in­for­ma­tion reçue; une fois en ligne, toutes nos in­for­ma­tions sont mo­di­fiables, su­brep­ti­ce­ment et mas­si­ve­ment.
Mais sto­ckées sur nos disques durs per­son­nels, sur nos CD et DVD (et blue-ray), elles res­tent telles que nous les avons vues lors de leur pre­mière pré­sen­ta­tion. La clé, donc, est l’ar­chi­vage, et plus les in­di­vi­dus le com­pren­dront, moins il sera tri­bu­taire des condi­tions tech­no­lo­giques dic­tées par les mêmes conglo­mé­rats qui ont in­té­rêt à être les seuls à le mai­tri­ser. Les dé­lé­guer à nos ins­ti­tu­tions n’est pas suf­fi­sant: elles aussi ont fort af­faire pour lut­ter contre des in­té­rêts po­li­tiques à courte vue, qui or­ga­nisent les prio­ri­tés fi­nan­cières. Mais la folk­so­no­mie peut aussi fonc­tion­ner in­dé­pen­dam­ment des ou­tils de com­men­taires en ligne, ou en tout cas en étant ali­men­tés par des don­nées que le Cloud peut avoir ou­bliées.

Théo­rie du grand com­plot? Non. Ex­pé­rience et ré­flexion per­son­nelle et pro­fes­sion­nelle. J’ai beau­coup en­re­gis­tré la télé pour en mon­trer la construc­tion aux per­sonnes que je for­mais; c’est in­croyable ce qu’on voit lit­té­ra­le­ment une fois sorti du mael­ström du temps réel.

Une preuve: prendre un sujet des tous dé­buts de cuk, et voir ce qu’il en reste sur le web (je parie que Cuk, en tant qu’ar­chive per­son­nelle, de­vient plus fiable que le web au fur et à me­sure qu’on re­cule dans le temps.

25)
In­connu
, le 18.08.2012 à 11:26

Pour ten­ter aussi mo­des­te­ment que pos­sible de ré­pondre à ta ques­tion, Anne, je di­rais que les In­ter­nautes sont vic­times du syn­drome de la rue Gamma:

Ils savent tout sur les bio-dé­ta­chants sur­ac­tifs van­tés dans la pub de mon en­fance, mais ne savent pas com­ment, ni même pour­quoi ami­don­ner un col de che­mise (idem pour ce qui est de re­pri­ser une chaus­sette trouée, même s’ils savent où en ache­ter une nou­velle paire made in India par des es­claves bos­sant pour se consti­tuer une dot).

In­ter­net offre la fa­ci­lité de ré­pondre ra­pi­de­ment à des ques­tions, mais dans la plu­part des cas, il n’in­cite pas les In­ter­nautes à en sa­voir plus, voire à mettre la main à la pâte: nous sommes pas­sés de la bi­blio­thèque des an­nées 1990 à un sex-shop dé­guisé.

26)
Anne Cuneo
, le 18.08.2012 à 19:30

In­ter­net offre la fa­ci­lité de ré­pondre ra­pi­de­ment à des ques­tions, mais dans la plu­part des cas, il n’in­cite pas les In­ter­nautes à en sa­voir plus, voire à mettre la main à la pâte: nous sommes pas­sés de la bi­blio­thèque des an­nées 1990 à un sex-shop dé­guisé.

Dé­so­lée, mais ma ré­ponse est tou­jours la même: in­ter­net est ce qu’on en fait, c’est un ins­tru­ment, rien de plus. En­suite, si tu en fais un sex-shop dé­guisé, c’en est un. J’en fais, moi, le moyen d’at­teindre une bi­blio­thèque uni­ver­selle qui me sert tous les jours. Un exemple, en plus de ceux que Pat3 donne: je vou­lais plan­ter un noyau d’avo­cat, j’avais ou­blié com­ment faire pour que ça marche – deux mi­nutes, in­ter­net me l’a dit. Ça marche. Bien sûr, si j’avais voulu voir un film porno, j’au­rais pu tout aussi vite. Je choi­sis de me ser­vir d’in­ter­net pour autre chose. In­ter­net ne t’in­cite ni plus ni moins à la cu­rio­sité qu’un dic­tion­naire ou un ma­nuel en pa­pier. C’est toi qui choi­sis. Je ne sais plus com­ment le dire.

27)
pe­le­rin
, le 19.08.2012 à 22:27

@ Mirou: merci pour le lien, mal­heu­reu­se­ment Le Temps em­pêche les non abon­nés de le lire.

Il n’est pas né­ces­saire d’être abonné au Temps pour lire cette série pro­po­sée par Mirou. Je suis sim­ple­ment ins­crit sur le site du Temps et ai pu lire toute la série…

Ceci dit, merci pour les ré­flexions bien­ve­nues.

le pè­le­rin

28)
M.G.
, le 20.08.2012 à 23:43

Ten­ter de ré­di­ger un com­men­taire sur l’ex­cellent ar­ticle pro­posé par Anne Cuneo est déjà un défi. D’abord parce que sa dé­marche in­tel­lec­tuelle est tou­jours “li­sible” et par­fai­te­ment rai­son­née. En­suite, parce que les com­men­taires qu’elle pro­voque sont tou­jours in­té­res­sants et en­ri­chissent sou­vent le sujet.

Ces com­men­taires m’au­ront per­mis de dé­cou­vrir la Confé­rence de Mi­chel Serres pour les 40 ans de l’IN­RIA, le 11 dé­cembre 2007 à Lille sur le thème : « Les nou­velles tech­no­lo­gies : ré­vo­lu­tion cultu­relle et cog­ni­tive ».

« Les nou­velles tech­no­lo­gies nous ont condam­nés à de­ve­nir in­tel­li­gents ! ». C’est ce que pos­tule Mi­chel Serres…

Cette confé­rence est un régal pour l’es­prit. Je met­trai pour­tant un bémol à l’op­ti­misme du maître, ce qui re­vient à faire de même pour les pro­pos d’Anne Cuneo.

Certes, les nou­veaux ou­tils de com­mu­ni­ca­tion nous ouvrent un champ gi­gan­tesque de connais­sance puis­qu’une re­quête sim­ple­ment for­mu­lée (en lan­gage cou­rant) sur Google nous ren­voie ins­tan­ta­né­ment la ré­ponse at­ten­due, de ma­nière presque ma­gique. En fait, il n’y a au­cune magie en l’es­pèce mais un tra­vail fa­bu­leux sur les al­go­rithmes de re­cherche à tra­vers les mil­liards de pages en­re­gis­trées par le sys­tème.

Certes, cet accès ins­tan­tané à la connais­sance est un pro­grès im­mense dans l’his­toire de l’Hu­ma­nité et mar­quera une étape es­sen­tielle dans son dé­ve­lop­pe­ment, au même titre que l’écri­ture et l’im­pri­me­rie.

Est-ce pour­tant suf­fi­sant pour consi­dé­rer qu’elle nous rend plus in­tel­li­gents ? Je n’en suis pas si sûr…

« Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine. » di­sait Mon­taigne. Croyez-vous que l’ap­pa­ri­tion avé­rée de dis­ser­ta­tions ou de thèses qui n’ont été gé­né­rées que par une suc­ces­sion de “Co­pier-Col­ler” sans au­cune ré­flexion par­ti­cipe à l’amé­lio­ra­tion de l’in­tel­li­gence ?

Pour avoir lu « In­ter­net rend-il bête ? » de Ni­cho­las Carr (2010), je me re­trouve par­fai­te­ment dans son ana­lyse. Oui, l’In­ter­net nous rend dif­fé­rents dans notre façon d’ap­pré­hen­der l’in­for­ma­tion. Nous bu­ti­nons d’un “lien” à l’autre au fil des pages sans par­ve­nir à fixer notre at­ten­tion sur un texte ou un sujet pré­cis. Comme il l’a constaté et dé­crit, je me suis re­trouvé in­ca­pable de lire un livre d’un trait, en une nuit comme je le fai­sais au­pa­ra­vant.

Les mes­sages des “Listes de dis­tri­bu­tion”, les flux RSS et main­te­nant les “No­ti­fi­ca­tions” sur nos iBi­dules nous bouffent un temps de neu­rones dis­po­nible ab­so­lu­ment dé­li­rant !

Il nous faut né­ces­sai­re­ment re­voir notre façon d’uti­li­ser ce nou­vel outil gé­nial qui nous a été vo­lon­tai­re­ment livré sans mode d’em­ploi…

C’est pour­quoi je conclu­rai en ap­puyant la re­marque es­sen­tielle faite par Anne Cuneo : oui, l’In­ter­net est ce que nous en fai­sons. C’est peut-être là que notre in­tel­li­gence doit se ma­ni­fes­ter, se dé­ve­lop­per et mar­quer un pro­grès.

Pour finir, re­mer­cions Mi­chel Serres d’avoir eu l’hon­nê­teté in­tel­lec­tuelle de nous rap­pe­ler l’his­toire de la “Langue d’Ésope” : tout mé­dium peut être la meilleure ou la pire des choses.