Le 18 mai dernier, Facebook faisait (enfin) son entrée en bourse au Nasdaq. Evènement boursier le plus attendu depuis le début de l’année, cette IPO (Initial Public Offering) devait signifier le retour en force du secteur technologique, non sans rappeler les grandes heures de la bulle spéculative de 1999 où la Silicon Valley créait des millionnaires, voire des milliardaires, à tout va.
Sur le papier, il s’agit d’un succès franc et massif : en vendant 421.2 millions d’actions à 38$, la firme de Menlo Park a réussi à lever plus de 16 milliards $, faisant de Facebook la 3ème plus grosse introduction en bourse de l’histoire des USA :
- Visa (2008): 19.7 milliards $
- General Motors (2010): 18.15 milliards $
- Facebook (2012): 16 milliards $
Ceci dit, les Chinois restent les maîtres en la matière, trustant les trois premières places mondiales avec :
- Agricultural Bank of China (2012): 22.1 milliards $
- ICBC (encore une banque chinoise, 2006): 21.9 milliards $
- American International Assurance (compagnie d'assurance de Hong Kong, 2010): 20.5 milliards $
En terme de valorisation, cette introduction à 38$ portait Facebook à plus de 107 milliards $, soit 25 fois son chiffre d’affaire annualisé. Encore plus incroyable, en ce qui concerne les profits (205 millions $ au premier trimestre), Facebook vaudrait 130 fois ses profits !
Passés les premiers instants d’euphorie boursière (phase 1 : spéculation de la part de ceux qui n’avaient pas accès prioritaire aux actions mises en vente) et l’ajustement anticipé (phase 2 : prise de bénéfice des chanceux qui eux avaient cet accès prioritaire), le titre a en une dizaine de jours perdu plus d’un quart de sa valeur, signifiant là les doutes de la part des investisseurs sur la pérennité des résultats de Facebook et de la croissance de ses revenus : même avec une courbe exponentielle du nombre d’utilisateurs (900 millions dans le monde !), au premier trimestre 2012, le bénéfice net a baissé de 12% tandis que les frais de marketing ont explosé…
Source : Le Monde
Mais au fait, comment peut-on expliquer cet engouement pour Facebook ?
Vous vous souviendrez peut-être de mon article précédent sur le Cloud et ses quatre couches formant la « pile » (stack) alimentant les services Internet tels que Facebook : Infrastructure, Plateforme, Service et Client. En fouillant dans mes archives, j’ai retrouvé une table présentant à mon humble avis les innovations proposées par chaque couche ainsi que les bénéfices pour les différents acteurs : consommateurs, développeurs et fournisseurs. Hélas en anglais, je me permets malgré tout de vous la soumettre en l’état (j’ai un peu la flemme de la traduire !) :
Ce sont ces innovations qui entretiennent le rêve des investisseurs, faisant légitimement croire à ceux-ci que le potentiel de l'entreprise est énorme.
De plus, chaque couche permet une monétisation bien particulière :
Les petites bulles indiquent la faisabilité de chaque forme de monétisation par couche (noir/plein : facile, blanc/vide : très improbable).
Appliqué à Facebook, on se rend vite compte que tant que les utilisateurs accèdent au réseau avec leur navigateur favori (Safari, Chrome, Firefox, IE…), la possibilité de payer indirectement par la consommation de publicité est assurée. Mais que faire lorsque la principale interface du service migre vers les mobiles ? Rien… Les revenus de la publicité fondent, aujourd’hui à 4$/an/utilisateur, mais il n’est toujours pas possible de faire payer directement pour un service qui reste « gratuit » dans l’imaginaire des gens. Reste alors à Facebook, et également aux autres fournisseurs de services Internet tels que Google, Twitter et Foursquare ayant le même challenge, à se diversifier afin de valoriser les autres couches de la pile, passant d’un modèle de monétisation indirect à 100% vers un modèle hybride. A ce titre Amazon l’a bien compris le premier en proposant aux entreprises l’utilisation de son infrastructure et sa plateforme (AWS).
Ceci m’amène donc à faire quelques petites prédictions concernant le futur proche de Facebook :
- FB va profiter de sa fortune récente pour faire quelques grosses acquisitions afin de se rapprocher d’un modèle direct de monétisation : n’a-t-on pas entendu parler d’un Facebook Phone ? Ces achats permettront également de renforcer l’attrait des différentes couches de la pile Facebook,
- FB proposera prochainement son infrastructure et sa plateforme à des tiers, copiant ainsi Amazon, avec la mise à disposition d’outils de profiling performant,
- Enfin, FB pourrait mettre à disposition d’acteurs plus ciblés ses outils de création et de gestion de réseaux sociaux afin de créer des solutions payantes par abonnement, dédiées par exemple aux chasseurs de tête (LinkedIn), communautés religieuses, sportives, et autres groupes d’intérêt.
Cette diversification permettra alors à Facebook de réaliser pleinement son potentiel, faisant valoir son expérience acquise auprès de presque un milliard d’individus. En attendant, l’amateur que je suis estime que le titre boursier se stabilisera à 20$ en attendant des jours meilleurs ;)
Amitiés,
Arnaud
PS: Voici une petite simulation de l'évolution potentielle du titre FB en appliquant un modèle "naturel" (S-curve):
, le 31.05.2012 à 09:25
Merci Arnaud pour cette analyse et ces figures qui résume bien les enjeux qui attendent FB à court, moyen et long terme. Je ne suis visiblement pas le seul à être sceptique sur la performance de l’action tant que les résultats financiers de FB ne se montrent pas plus solides.
, le 31.05.2012 à 12:30
Je constate qu’aujourd’hui, le titre est à 28$ et que les spécialistes estiment qu’il peut encore chuter de 20% (ce qui correspond bien à ton analyse, Arnaud).
Si je comprends bien, cela vaudrait la peine d’en acheter en-dessous de la zone de 20$…
, le 31.05.2012 à 12:50
@Migui: je ne suis pas certain qu’en dessous de 20$, l’affaire soit intéressante. Il s’agit avant tout d’une valeur spéculative, plus dépendante des rachats potentiels de sociétés et des déclarations de Zuck & Co., que de l’évolution des revenus. La seule contrepartie de cette IPO qui va intéresser l’industrie est l’obligation de transparence concernant la publication trimestrielle des résultats: on va bien voir combien coûtent ces 4$ de revenus par personne par an!
, le 31.05.2012 à 13:54
Pour le fun, je viens d’ajouter une petite simulation sans prétention de l’évolution éventuelle du titre FB, en appliquant une fonction sigmoid fort à l’aise pour modéliser des processus naturels…
, le 31.05.2012 à 14:49
Je sens qu’”on” va me tomber dessus: pensant que FB est d’une futilité et d’une inutilité absolue, je ne vois pas pourquoi “on” accorderait du crédit à cette société.
De plus, comment des gens aussi malins, le FB boys & girls (parité disiez vous ?), les courtiers, les ci-devant analystes (tudieu, qu’ils me plaisent, ceux-là), ont pu se planter à tel point ? Quelqu’un peut me répondre ? Peut-on continuer à faire confiance à ces gens qui ont foncé tête baissée ? sans réflexion ?
, le 31.05.2012 à 15:39
@ysengrain: pourquoi penses-tu qu’il y a eu plantage? En fait, FB a bien réussi sa levée de fond (16B$), les investisseurs qui ont supporté FB pendant des années ont bien gagné leur salaire! Seul bémol, les gogos qui ont spéculé sur le titre en espérant se faire un peu d’argent facile, ceux-là se sont bien fait avoir…
Maintenant, il est tout à fait légitime de juger futile les réseaux sociaux, “on” ne te tombera pas dessus pour ça (prend juste garde que l’on ne t’y trouve pas!).
, le 10.06.2012 à 12:53
Je viens après la pluie mais cette analyse me laisse froid et oublie beaucoup de points.
A l’exception de l’indice de 130x les bénéfices, tu ne mentionnes pas tous les autres fondamentaux qui font que ce prix est juste débile. Je vais en donner un seul sur les 20 que je connais: pour que ce prix se justifie, il faudrait que FB continue d’engranger 20% d’abonnés par an pendant les 10 prochaines années!
Enfin, tu as oublié de mentionner que le CFO de FB a décidé au dernier moment d’augmenter l’émission d’actions de 25%… délirant.
Mais à l’évidence, il reste encore des investisseurs à la tête froide…