L’après-ba­taille de Grand­son comme si vous y étiez…

Au dé­part, c’est l’his­toire d’un mal­en­tendu. Un mou­ve­ment des troupes bour­gui­gnonnes de Charles le Té­mé­raire qui n’au­rait dû être qu’un re­dé­ploie­ment, qui a été in­ter­prété comme une fuite, une pa­nique s’est en­sui­vie, et la vic­toire des Suisses (des sol­dats re­dou­tables qui se bat­taient dans toute l'Eu­rope au ser­vice des rois et princes du temps) a été fa­ci­li­tée d’au­tant.

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La ba­taille de Grand­son vue par Die­bold Schil­ling

A l’époque, un prince par­tait en guerre avec toutes sortes de biens cen­sés re­haus­ser son pres­tige: vais­selle, bi­joux, ta­pis­se­ries, armes, meubles, etc., etc.

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La guerre est finie; tout joyeux, les Suisses s'em­parent des tré­sors aban­don­nés sur le champ de ba­taille à Grand­son. Ta­bleau de Die­bold Schil­ling (dé­tail).

A Grand­son, tout cela est resté sur le champ de ba­taille, et c’est la rai­son pour la­quelle vous pou­vez ad­mi­rer au­jour­d’hui, au Musée his­to­rique de Berne, une bonne por­tion des «tré­sors du butin bour­gui­gnon».

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Et voici, tou­jours par Die­bold Schil­ling, qui d'après moi a dû être chargé de rendre compte et de mettre de l'ordre dans tout ça, une page – illus­trée, s'il vous plaît – de l'in­ven­taire du butin.

Mais il n’y a pas eu que Grand­son. Je vous ren­voie au com­mu­ni­qué de presse du Musée qui re­trace l’ori­gine des tré­sors. 

Ce qu’il y a de plus in­té­res­sant ac­tuel­le­ment, ce sont les ta­pis­se­ries. Ces ta­pis­se­ries fla­mandes ont dès sa fon­da­tion en 1894 été au cœur du musée, dont cer­taines salles ont été ex­pres­sé­ment conçues pour les re­ce­voir. Elles étaient alors comme neuves, ayant passé quatre siècles dans l’obs­cu­rité, dans un lieu sec et aéré qui leur conve­nait. Et de­puis le pre­mier jour, elles ont été ex­po­sées aux vi­si­teurs. Jus­qu’en 1985, elles étaient même éclai­rées par la lu­mière du jour. De­puis, on a pris conscience que la lu­mière, au­tant que les pol­luants et les mou­ve­ments dé­té­riorent les fibres à la longue, et on a re­mé­dié à cela en ren­for­çant les ta­pis­se­ries à l’ar­rière, en les ex­po­sant sur des plans lé­gè­re­ment in­cli­nés plu­tôt que sus­pen­dues.

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La Ten­ture des trois Rois mages (Bruxelles ou Tour­nai, vers 1450/1460)

Ces dé­tails éta­blis, il faut re­gar­der les ta­pis­se­ries elles-mêmes. Point par point, elles vous donnent une re­pré­sen­ta­tion à la fois ar­tis­tique et pho­to­gra­phique de l’époque où elles ont été conçues: leur sujet est bi­blique ou his­to­rique, mais pour ce qui est des cos­tumes et du décor, on ne s’est pas em­bar­rassé de vé­ra­cité his­to­rique, concept étran­ger à la men­ta­lité de l’époque. On a vêtu, fait agir les per­son­nages dans le décor, et avec les vê­te­ments et ac­ces­soires que l’on connais­sait. C’est tout sim­ple­ment ma­gique.

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Vue de la Ta­pis­se­rie aux Mille Fleurs, jadis pro­priété de Phi­lippe le Bon (Bruxelles?, vers 1466) Elle fait par­tie du butin de Grand­son, tout comme celle des Rois Mages. De­vant ces cen­taines de feurs, on a la sen­sa­tion de voir un ta­bleau abs­trait.

J'ajoute que les ta­pis­se­ries ne sont que le som­met d'une ex­po­si­tion plus large qui per­met de voir vê­te­ments, ob­jets, ou­tils, armes, ta­bleaux – les bu­tins des Ber­nois, qui ont beau­coup conquis jus­qu'au XVIe siècle ont tou­jours été riches, et pour notre plus grande sa­tis­fac­tion his­to­rique, une bonne par­tie de ce qui en reste se re­trouve au­jour­d'hui au musée.

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Quelques œuvres de l’art cour­tois bour­gui­gnon

Les Ta­pis­se­ries de César

Dans la me­sure où la nou­velle ex­po­si­tion per­ma­nente s’ap­pelle «Tré­sors de guerre», et qu’elle met en ve­dette les ta­pis­se­ries, il était lo­gique d’y ajou­ter les «Ta­pis­se­ries de César».

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Ta­pis­se­rie de César: au bord du Rhin, les ar­chers de César tirent sur l’ar­mée d’Ario­viste

Ces ta­pis­se­ries-là, exé­cu­tées en laine et soie, ont été créées à Tour­nai vers 1465-1470 et avaient été com­man­dées par le Fri­bour­geois Guillaume de la Baume. Elles ont fini par ap­par­te­nir à l’évêque de Lau­sanne. Elles sont par­ties pour Berne au mo­ment de la conquête du Pays de Vaud par les Ber­nois en 1536. Elles ont donc eu un des­tin un peu dif­fé­rent de celui des ta­pis­se­ries de Charles le Té­mé­raire, et cette dif­fé­rence se ma­ni­feste au­jour­d’hui dans leur état de conser­va­tion. Elles sont fra­giles, et il faut les res­tau­rer.

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Ta­pis­se­rie de César : au bord du Rhin, César com­bat l’ar­mée d’Ario­viste

Après maintes hé­si­ta­tions, qui ont entre autres conduit à un re­port de l’ex­po­si­tion, qui au­rait dû ou­vrir ses portes en 2010, le Musée his­to­rique a trouvé une so­lu­tion que pour ma part je trouve gé­niale: il faut res­tau­rer les ta­pis­se­ries de César? Qu’à cela ne tienne, on les res­tau­rera en pu­blic. Et vous, moi, nous vi­si­teurs pou­vons as­sis­ter à ce tra­vail de bé­né­dic­tin qu’est la res­tau­ra­tion d’une ta­pis­se­rie du XVe siècle.

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Ta­pis­se­rie de César: Cu­rion se bat avec les tri­buns du peuple aux côtés de César

Ici aussi, il s’agit bien de César, et de ses ex­ploits, mais tout cela est ra­conté avec cos­tumes et dé­cors du XVe siècle, ce qui per­met une double lec­ture de ces chefs-d'oeuvre.

En quit­tant l'ex­po­si­tion (ou avant d'y en­trer, selon les goûts et les tem­pé­ra­ments), cela vaut la peine de s'at­tar­der à la salle d'ac­cueil: une vidéo de Fran­ti­cek Kloss­ner per­met de se plon­ger dans l'am­biance mé­dié­vale qui convient.

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Ta­pis­se­rie de César: l’au­gure Spu­rinna et l’épouse de César, Cal­pur­nia, de­vant les portes de Rome

Je vous laisse dé­cou­vrir le (re­la­ti­ve­ment peu connu) Musée his­to­rique de Berne – il fera sans aucun doute par­ler de lui l’an­née pro­chaine: comme vous le ver­rez en consul­tant son site, il s’ap­prête à re­ce­voir les 8000 guer­riers chi­nois de terre cuite de l’em­pe­reur Qin.

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Vue d’un groupe de fan­tas­sins de terre cuite en cui­rasse et bon­net de tissu
© Mu­seum of the Ter­ra­cotta Army, Xi’an (Chine)

Il n’est pas pos­sible de faire soi-même des pho­tos, mais le Musée his­to­rique de Berne four­nit à la presse d’ex­cel­lentes re­pro­duc­tions. Ce sont elles que vous voyez ici. Elles sont de Nadja Frey. Celles des Ta­pis­se­ries de César sont de Ste­fan Reb­sa­men; il s'agit de dé­tails, choi­sis par le pho­to­graphe, et non par moi.

On peut re­gret­ter ou pas, selon les goûts, que le musée ait choisi le parti de pho­to­gra­phier les chefs-d'oeuvres en gar­dant le pu­blic dans le cadre (mis à part bien sûr les ta­pis­se­ries de César aux­quelles le pu­blic, jus­te­ment, n'a pas accès). Per­son­nel­le­ment, cela me gêne sur­tout pour la ta­pis­se­rie des Rois Mages, où l'ombre d'un vi­si­teur semble un ac­ci­dent (or c'est sans doute voulu) et cache un bout de ta­pis­se­rie.

N'ou­bliez pas de cli­quer sur les images pour mieux voir les dé­tails!

5 com­men­taires
1)
guru
, le 15.05.2012 à 10:44

Merci Anne, un nou­veau pas de confra­ter­nité entre la Suisse et la Bel­gique !

Dé­ci­dé­ment, dans l’or­tho­graphe fran­çaise, il manque tou­jours le point d’iro­nie.

2)
pter
, le 15.05.2012 à 11:12

j’adore cette hu­meur! Merci! les ex­traits de la ta­pis­se­rie de César sont im­pres­sion­nant. En fait ce qui m’im­pres­sionne est la tech­nique pour les dif­fé­rentes nuances de cou­leurs (pas en­core les ombres mais presque -> ar­chers de césar). Pour moi qui suis un fan de ta­touage, c’est gé­nial!

3)
Anne Cuneo
, le 15.05.2012 à 11:44

la tech­nique pour les dif­fé­rentes nuances de cou­leurs (pas en­core les ombres mais presque -> ar­chers de césar

Soyons gé­né­reux, elles sont là… C’est ainsi que j’ai in­ter­prété les nuances de cou­leurs, les re­flets, sur les casques. C’est vrai­ment spec­ta­cu­laire!

4)
Guillôme
, le 15.05.2012 à 14:30

Su­perbe ar­ticle, comme d’ha­bi­tude!

5)
zit
, le 18.05.2012 à 10:16

Très in­té­res­sant, comme tou­jours, mal­gré le sujet que j’au­rais zappé dès la pre­mière ligne ve­nant de quel­qu’un d’autre.

Et c’est amu­sant que le même jour, je sois tombé sur cet ar­ticle, chez Kor­ben… D’un côté, une res­tau­ra­tion of­fi­cielle, aux yeux de tous, et de l’autre…

z (qui pré­fère quand même les pâ­tis­se­ries aux ta­pis­se­ries, je ré­pêêêêêêêêêêêête : le rustre !)