Aujourd'hui, je vous invite à une petite visite, bien trop courte sans doute, de la charmante petite ville où j'ai mes pénates actuellement : Tournai. Ville belge, certes, mais frontalière de la France, à 25 km de Lille, tandis que Bruxelles est à 85 km. Elle est située sur l'Escaut, un des trois fleuves belges avec la Meuse et l'Yser (IJzer). La commune de Tournai, regroupant la ville historique et une trentaine de villages alentour, n'est pas très peuplée (environ 70 000 habitants), mais elle est, mine de rien, la plus grande de Belgique en superficie.
Vue aérienne du centre de la ville. On y distingue immédiatement sa cathédrale et, en cherchant un peu plus, son beffroi.
Tournai est une des plus anciennes villes de Belgique, en fait la plus ancienne avec Tongres (Tongeren) dans le Limbourg et Arlon dans le Luxembourg belge. On en parle dans les annales dès l'époque romaine (Tornacum). Ce fut ensuite la ville natale de Clovis et la première capitale de son royaume, et par la suite le siège d'un évêché particulièrement puissant dans la région, lequel recouvrait une bonne partie de la Flandre actuelle.
Culturellement flamande, comme en témoignent son architecture historique et son beffroi (le plus vieux de Belgique, d'ailleurs), mais linguistiquement francophone (picarde en fait, le « ch'ti » est son dialecte — en voie de disparition hélas), elle a été longtemps partie intégrante du royaume de France avant de passer de main en main : bourguignonne, espagnole, anglaise, à nouveau française, néerlandaise avant de devenir la ville belge que nous connaissons.
Son passé de capitale religieuse des Flandres lui a laissé ce que je considère comme la plus belle cathédrale qui soit en Belgique, et peut-être en Europe. Même Notre-Dame de Paris ne m'a pas fait autant d'impression que Notre-Dame de Tournai, patrimoine mondial de l'Unesco :
Construite sur une période à cheval entre le roman et le gothique, son architecture témoigne de cette évolution : la nef (à gauche de la photo ci-dessus) est romane, le chœur (à droite) est gothique. Quant au transept, faisant le lien entre les deux, il est unique au monde avec ses cinq clochers, dont quatre sans cloches (private joke : cela s'entend aussi : 400 cloches ;-)).
Sans parler de son trésor, exposé dans sa crypte, qui est l'un des plus riches de Belgique. À tel point qu'il attire les voleurs… Ainsi cette croix byzantine particulièrement riche, et contenant paraît-il un morceau de la « vraie croix », a fait l'objet d'un cambriolage à main armée en 2008, et les cambrioleurs comme la croix courent toujours…
Malheureusement, la cathédrale est elle-même un joyau fragile. Suite à une tornade en 1999 qui avait endommagé une partie du chœur, il a été décidé de lancer de lourds travaux de restauration, car on s'est aperçu alors (outre les dégâts provoqués par la tempête) que certaines portions de la cathédrale menaçaient de s'effondrer. Les travaux ont commencé aussitôt et il est prévu qu'ils durent au moins jusqu'en 2020, c'est dire… Actuellement, à l'intérieur, seules la nef et le transept sont visitables, tandis que le chœur fourmille d'échafaudages et que le transept subit également de très important travaux de soutènement.
À quelque chose malheur est bon : il est possible (sur rendez-vous pris via l'office du tourisme) de visiter les travaux eux-mêmes, ce que je devrai faire moi-même bientôt, en circulant sur les échafaudages perchés à une hauteur vertigineuse. De plus, ces travaux ont permis la mise en place de fouilles archéologiques à l'intérieur même de la cathédrale. Mais je vous laisse visiter vous-même le site officiel de la cathédrale qui vous en dira plus sur ce sujet, et vous en proposera d'autres points de vue.
De tout cela, vous comprendrez aisément que l'on vienne à Tournai essentiellement pour voir sa cathédrale. Mais il n'y a pas qu'elle à visiter : sa Grand-Place, voisine, est également bien agréable, avec le beffroi dont j'ai parlé, récemment et bellement restauré, culminant à 70 m tout en restant à l'ombre de la cathédrale (dont les clochers culminent à 83 m).
Grand-Place et beffroi de Tournai.
En tant qu'ancienne capitale religieuse (et siège actuel du diocèse du Hainaut, quand même), Tournai possède un nombre impressionnant d'églises, toutes plus intéressantes les unes que les autres. La plus remarquable, sinon la plus esthétique, à mon sens, est la très ancienne église Saint-Brice, avec son monumental clocher. La sépulture du père de Clovis, Childéric, a été découverte tout près.
Le fait que Tournai est sise sur l'Escaut, voie de navigation particulièrement fréquentée qui débouche sur le gigantesque port d'Anvers, lui conférait une position stratégique militaire non négligeable, dont témoigne l'insolite « Pont des Trous », ancienne fortification à même le cours d'eau, à sa sortie du centre-ville :
Et je ne parlerai pas des nombreux musées que renferment cette ville, uniquement parce que, honte à moi, je ne les ai pas encore visités. Mais le musée des Beaux-Arts de la ville est réputé pour sa collection. Sa construction est d'ailleurs l'œuvre du grand architecte art-nouveau Victor Horta. À noter que le célèbre peintre « primitif flamand », Rogier Van der Weyden, s'appelait en réalité Roger de la Pasture et était originaire de Tournai, Van der Weyden étant la traduction de « de la Pasture » (pâture) en néerlandais.
Je terminerai sur une note sportive. Le cycliste acharné, Grenoblois de naissance et amateur d'escalades que je suis a forcément un point de vue particulier sur la région tournaisienne. Et là, je remercie Dieu bien souvent d'avoir planté une colline au nord de Tournai qui rompt avec la platitude qui est le lot des alentours à 25 km à la ronde : le mont Saint-Aubert.
Le mont Saint-Aubert un tantinet embrumé, et son église.
Oh, certes, ce mont n'est vraiment pas grand'chose en mensurations : 149 m d'altitude et 120 m de dénivellation du pied au sommet, un Lausannois (et a fortiori un Grenoblois) n'étant pas venu s'établir dans le Nord s'en tordrait de rire. Mais faute de grives, on mange des merles, et de toutes façons le très beau panorama au sommet est là pour faire taire les médisants et attire bien des promeneurs le dimanche :-).
Et puis, si on fait 25 km vers l'est ou le nord-est, on arrive dans la région des collines, qui s'appelle dans le Hainaut le … « pays des Collines » et en Flandre les « Ardennes flamandes ». Pays d'ascensions courtes (jamais plus de 2 km, souvent moins d'une borne), mais souvent raides et parfois pavées : les séances de marteau-piqueur à vélo, c'est quelque chose, et sur des pentes à 20 % et plus, c'est pire ! Il est permis d'y être allergique si on n'est pas un « Flandrien ». Mais le centre-ville de Tournai elle-même est déjà généreusement pavé, et comme j'y habite, j'ai dû m'y faire :-/.
Voilà pour cette visite-éclair de Tournai et de ses environs (merci à Wikipédia pour la plupart des photos !). J'espère que cela vous a donné l'envie d'y faire un tour et que les véritables Tournaisiens d'origine dont je ne suis pas m'excuseront si j'ai oublié de mentionner certaines choses qui auraient dû l'être.
À bientôt !
, le 05.08.2010 à 00:33
Le premier roi de France (des Francs), Clovis, était un loubard belge.
, le 05.08.2010 à 02:30
Merci Franck, je me rends compte que je ne suis pas revenu sur tes deux derniers articles concernant la Belgique, juste avant le vote… et j’ai été étonné de la tonalité des propos en France au lendemain du vote. La question des origines des uns et des autres, et des revendications de tous ceux qui lorgnent sur telle ou telle partie de la Belgique en disent long sur les représentations de l’histoire, qui traversent les siècles.
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Le premier roi des Francs (466-511) n’était pas roi de France…
Car, le fils de Childeric, ne s’appelait pas Clovis, mais Chlodwig ou Chlodowech.
Sa langue maternelle n’était pas le français mais le francisque.
Je sais bien que les historiens de la IIIe République, à commencer par Jules Michelet, et Adolphe Thiers (ancien monarchiste, chef du parti de l’ordre qui demandera la répression de la révolution de 1848, devenu en 1871 le premier président de la République, après avoir noyé la Commune dans le sang, sous les yeux et l’attitude passive – et complices – des troupes d’occupation allemandes, oui déjà, c’était une vieille habitude, qui encerclaient Paris).
Remettons juste les choses dans leur contexte. Pour commencer, le nom.
Car, le fils de Childeric, ne s’appelait pas Clovis, mais Chlodwig ou Chlodowech. Au Ve siècle, comme tous les Francs, le premier roi des Francs ne parlait pas français mais le francique, un groupe de dialectes germanique dit “bas allemand”, parce que parlé par les basses terres, proches de la mer du Nord.
La Langue française n’existait donc pas, il lui faudra même plus de mille ans encore avant d’être officialisée (1539) et codifiée un siècle plus tard (normalisée, perfectionnée, simplifier) à partir de 1635, selon un processus jamais terminé, en perpétuel renouvellement, initialement à partir des travaux de l’Académie Française, mais aussi sous les coups de boutoir et l’invention de néologismes par les auteurs, écrivains, hommes de théâtre, philosophes, puis journalistes et surtout hommes de la rue. Donc si on résume Clovis était un germain qui parlait un dialecte germain, qui est né sur le territoire de l’actuelle Belgique à Tournai (alors que trois siècles plus tard, Charlemagne naîtra du côté de Maastricht, et parlait un autre dialecte francique bas rhenan)…
Les Francs, les Goths, les Alarmans, étaient tous des germains, “issus du même sang” d’où l’expression “cousins germains” devenus au fils du temps des “ennemis héréditaires” car se partageant un héritage dont chacun revendiquait la majeure partie.
Mais tu as raison sur un point les chefs de villages devenus à force de rapine, de trafics, de rackets des petits caïds locaux, avant de s’autoproclamer roi et d’annexer leurs voisins étaient d’une certaine manière les loubards de leur époque. De là à les qualifier de belges ;-)
, le 05.08.2010 à 08:28
Chouette, j’ai bien une connexion internet ! :-) Je modifie ma remarque de fin d’article en conséquence. Merci pour les réactions déjà arrivées !
Effectivement, la France n’existait pas à l’époque de Clovis, encore moins la Belgique d’ailleurs. C’est vrai que c’est assez paradoxal que le mot « France » d’origine germanique désigne aujourd’hui une nation de langue latine :-)
, le 05.08.2010 à 08:50
Tournaisien d’origine, je me suis expatrié (pas trop loin) à Mons. Ca fait un peu bizarre de voir un article sur Tournai dans Cuk :p
, le 05.08.2010 à 10:30
Quoi ?
Un article sur Tournai sans même voir le quat’quat des taxis MOL ?
Heureusement qu’on en avait déjà parlé il y a deux ans dans une humeur cukienne.
Merci Frank pour cette vision “européenne”.
, le 05.08.2010 à 11:37
Ce sont deux universitaires Tournaisiens qui ont traduit, et de belle manière, deux albums de Tintin en picard : Les pinderleots del Castafiore et El trésor du rouche Rackham
, le 05.08.2010 à 13:39
Tintin en ch’ti ? Ce n’est que justice : les éditions Casterman qui publient Tintin sont historiquement basées à Tournai :-)
, le 05.08.2010 à 15:00
Merci Frank, comme le monde est petit ! Ca fait assez bizarre de lire un article sur sa ville sur un site suisse,
Et ça me rappelle que l’on ne prête pas assez attention aux merveilles que l’on contemple tous les jours.
Ce que tu pourrais citer également, toujours dans le quartier Saint Brice, ce sont les maisons romanes. Par contre, je ne savais pas que l’église contenait les restes de Childéric, depuis la découverte du tombeau dans la rue adjacente au XVII ième, il me semblait que son contenu s’était dispersé…
Je te conseille, si ce n’est déjà fait, la visite des souterrains de la citadelle, car on y découvre une foule de choses sur le passé militaire de Tournai et les guides sont des passionnés !
Enfin, si je mets de côté l’épisode de la tour Michelin (merci l’Unesco d’avoir fait revenir nos édiles à la raison !), force est de reconnaitre que tout ce patrimoine est préservé et mis en valeur. Les éclairages nocturnes des quais sont par exemple une réussite je trouve.
Samd
, le 05.08.2010 à 21:44
La prochaine fois que je vais dans le Nord, je passe par Tournai. Promis juré. Merci pour la suggestion. Euh… Frank? Qu’est-ce que tu fais, à Tournai?
Depuis Locarno et mon iPhone
, le 05.08.2010 à 22:04
@ samd : on m’avait dit qu’il y avait la sépulture de Childéric dans l’église même (ou est-ce un simple mémorial ?), j’avoue n’avoir pas pris la peine de la rechercher dans l’intérieur de l’église même… La prochaine fois, je serai plus attentif. Au besoin je me renseignerai.
@ Anne : je suis arrivé à Tournai, de Bruxelles, parce que j’avais obtenu un travail à Lille, comme post-doctorant (maths/méca) sur un an. Depuis la fin de mon post-doc, après une période de remplaçant comme prof de maths dans un établissement de secondaire de Namur (3 h de train aller-retour !) jusqu’en janvier, je suis au chômage et je galère ! De septembre à décembre prochain, j’ai retrouvé un travail à temps partiel à… Bruxelles, dans mon ancien établissement du supérieur ! 2 h de train aller-retour, ce sera un progrès… Mais comme dans mon couple, c’est ma dulcinée qui a un travail fixe et sûr et qu’il est situé à Tournai, où notre fille a sa crêche qui plus est, ce serait bête de redéménager pour un poste seulement temporaire pour moi. Et puis, Tournai, on s’y sent bien. Et je ne perds pas espoir de trouver un travail complet et fixe quelque part, et pourquoi pas dans le coin.
Depuis Düsseldorf, en visite, et mon MacBook Pro.
, le 05.08.2010 à 23:38
Je conseille vivement les vidéos du site web de la cathédrale, fort intéressantes quoique un peu floue.
, le 26.08.2010 à 09:48
Je reviens un peu tard encore sur cet article, en te remerciant encore pour me permettre de découvrir ma nouvelle ville d’adoption, étant Malmédien (ville francophone des “cantons de l’est”) qui a longtemps vécu dans la région de Mons (un peu l’inverse de fstephany).
Peut-être pourra-t-on un jour envisager un mini Cuk Day Tournaisien? ;D