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A la re­cherche d’un per­son­nage… en­core.

Nous voici une fois en­core en route à la re­cherche de John Flo­rio. Je ne le pré­sente plus, je l’ai fait ici. J’ai vi­sité et vous ai fait connaître le lieu de son en­fance, So­glio, puis celui de la pre­mière par­tie de son ado­les­cence, Tübin­gen

Vers 15 ou 16 ans, il est re­tourné en An­gle­terre, le pays qu’il avait quitté en­core bébé. 

Pen­dant une di­zaine de jours, j’ai mar­ché, mar­ché, mar­ché, j’ai pris des bus, des trains. 

J’ai d’abord cher­ché les lo­ge­ments de John Flo­rio. Mais quatre siècles et demi plus tard, c’est dif­fi­cile. 

Un exemple.

Lors de la pu­bli­ca­tion de son pre­mier re­cueil, «First Fruites» alors qu’il a 25 ans, en 1568, il donne son adresse, une adresse en fait très pré­cise: Wor­ces­ter place. Je l’ai cher­chée dans des gra­vures de l’époque, et je l’ai trou­vée.

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Voici la mai­son sur la carte, cette cé­lèbre carte est ap­pe­lée «Agas Map» – la car­to­gra­phie hé­site en­core entre plans et fa­çades.

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Et la voici (flèche) sur le cé­lèbre pa­no­rama die Vis­scher, du nom de son gra­veur.

Puis, coup de chance, j’ai re­péré un ta­bleau fait comme on fait au­jour­d’hui les pho­tos: pré­cis. Le voilà (il est volé à l’iPhone, qu’on me par­donne la qua­lité…).

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Et puis j’ai cher­ché dans la réa­lité.  

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La ran­gée de mai­sons le long du fleuve…

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…et la mai­son telle qu'elle est au­jour­d'hui.

Et je ne peux pas illus­trer le pé­riple à la re­cherche de la ruelle où se trou­vait la mai­son, qui, ai-je fini par dé­cou­vrir, n’existe plus de­puis une ving­taine d’an­nées, en­glou­tie par la Mai­son de la Confré­rie des mar­chands de vin (la grande mai­son à co­lonnes — on ne di­rait pas, hein, à l’ar­chi­tec­ture, mais elle est neuve!). Pour ten­ter d’y ar­ri­ver, on marche dans un tun­nel d’une tris­tesse to­tale, le lieu glauque pour polar des bas-fonds.

Tout est plus ou moins ainsi. 

John a passé sa vie d’adulte dans une mai­son de Shoe Lane. Dé­part à la re­cherche de Shoe Lane, j'avais une image an­cienne…

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J’y ai trouvé ceci:

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La der­nière fois que j’avais fait un exer­cice de ce genre, à la re­cherche d’adresses du XVIe siècle, c’était il y a dix-sept ans. Je dois dire que la dis­pa­ri­tion du vieux Londres au pro­fit du béton et du verre s’est ac­cé­lé­rée de ma­nière spec­ta­cu­laire de­puis. Il reste des coins comme ce­lui-ci.

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Un sou­ve­nir du temps passé — au­tour de cette de­meure, il y a cer­tai­ne­ment eu un jar­din, un jour… Je ne fais pas dans le pas­séisme, en­ten­dez-moi bien, je constate. 

Au cours de ces ba­lades, bien sûr, on fait des ren­contres. En al­lant à la re­cherche de Wor­ces­ter Place, que je vou­lais voir d’en face, je suis tom­bée sur le cé­lèbre Théâtre du Globe, et je m’y suis ar­rê­tée: j’ai bien fait – j’y ai vu le plus ma­gni­fique Songe d’une nuit d’Eté qu’on puisse ima­gi­ner, un des plus beaux spec­tacles de ma vie. Les pho­tos ne rendent guère le dy­na­misme, l’hu­mour, la per­fec­tion du jeu, mais enfin, j’es­père qu’elles vous don­ne­ront envie, si vous trou­vez cette troupe sur votre che­min.

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Le Songe d'une nuit d'été, c'est le chassé-croisé de plu­sieurs couples qui s'aiment sans s'ai­mer, qui ne s'ai­menent pas tout en s'ai­mant…

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…pen­dant qu'un cer­tain Bot­tom, chef de troupe qui res­semble beau­coup à l'au­teur, William Sha­kes­peare, en mode auto-dé­ri­sion…

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…es­saie déses­pé­ré­ment de mettre au point la mise en scène d'un spec­tacle sub­ven­tionné par les au­to­ri­tés.

Enfin, je suis allée à Ful­ham, la der­nière adresse de John. C’était au XVIe siècle un ha­meau riant, où n’ha­bi­taient, outre les pay­sans qui culti­vaient ces cam­pagnes de­puis la nuit des temps, que quelques riches dans de grandes de­meures — un évêque, no­tam­ment, ainsi que quelques per­sonnes dont la for­tune avait pris une voie des­cen­dante: on n’était pas en­core pauvre, mais mieux va­lait se re­ti­rer dans un coin hors de la cité, de ses lo­ge­ments, pro­vi­sions, di­ver­tis­se­ments, vê­te­ments, hors de prix, et aller vivre plus sim­ple­ment, loin de l’obli­ga­tion de pa­raître.

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Voilà Ful­ham tel qu'il était vu par B., ar­tiste par ailleurs ano­nyme, à la fin du XVIIIe siècle. Un Flo­rio «ap­pau­vri» au­rait logé dans une mai­son­nette comme celle qu'on per­çoit entre les bran­cages.

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Il reste quelques bribes, mais on per­çoit…

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… que ce qui est de­venu un quar­tier de Londres a dû être un lieu char­mant.

C’est ce qu’a fait notre John après la mort de sa «pa­tronne», la reine Anne à la­quelle il avait dédié la deuxième édi­tion de son grand dic­tion­naire («Le Monde de mots de la Reine Anne»). Il avait droit à une pen­sion, mais elle n’est ja­mais ar­ri­vée, et nous avons des lettres de lui se plai­gnant d’être dans la mi­sère. Ga­geons que c’était une mi­sère re­la­tive – un type qui avait vécu pen­dant qua­rante ans à proxi­mité des puis­sants de­vait se sen­tir pauvre de n’avoir que des biens li­mi­tés, c’est hu­main.

Pour John Flo­rio, Ful­ham a été le bout de la route: la grande épi­dé­mie de peste de 1625 l’a em­porté: il avait 72 ou 73 ans.

Quant à moi, je conti­nue: j’en suis ac­tuel­le­ment à sa ving­tième année. 

Vous aurez de mes nou­velles sur la suite: ac­tuel­le­ment, grosso modo, Flo­rio et sa vie, je ne pense pour ainsi dire qu’à ça. Aussi m'est-il par­fois dif­fi­cile de par­ler d'autre chose…

Pour ter­mi­ner, je vou­drais si­gna­ler aux pos­ses­seurs de iPhone dès 3G un pro­gramme très in­té­res­sant (gra­tuit) du Musée de la ville de Londres, le Mu­seum of Lon­don, ap­pelé Street­mu­seum: il donne à des ama­teurs de la Londres d'au­tre­fois des images his­to­riques d'en­droits di­vers dans Londres, on peut, en al­lant sur place, su­per­po­ser l'image his­to­rique à l'image réelle via la ca­méra, on a une su­per­po­si­tion d'époques, ainsi que quelques in­for­ma­tions his­to­riques. Si on n'est pas à Londres, c'est un bel album d'images. Exem­plaire de ce qu'on peut faire d'in­tel­li­gent avec un iPhone. Et je pro­fite de l'oc­ca­sion pour si­gna­ler éga­le­ment que le Mu­seum of Lon­don (gra­tuit) est un MUST ab­solu si vous allez à Londres. Non seule­ment il est ins­truc­tif, mais il est éga­le­ment amu­sant, et il y a une am­biance du ton­nerre.

 

PS. Les pho­tos sortent de mon fi­dèle petit Leica (ex­cep­tion­nel­le­ment de l'iPhone), sauf les trois du Songe d'une nuit d'été, qui sont de Fiona Moo­rhead.

6 com­men­taires
1)
Phi­lob
, le 09.06.2010 à 07:27

Belle pro­me­nade, merci Anne. Je n’ai ja­mais été à Londres, alors ça me fait voya­ger.

2)
zit
, le 09.06.2010 à 07:35

Merci pour la pro­me­nade dans l’es­pace et le temps, Anne.

C’est donc cette quête qui t’as mené en la per­fide Al­bion, t’éloi­gnant du dé­li­cat fumet de l’an­douillette cham­pe­noise grillée sur la braise vi­triote ;o).

Sur­pre­nante, l’image « la vielle mai­son », on n’est pas ha­bi­tués à ces dis­so­nances ar­chi­tec­tu­rales à Paris, la ville étant figée comme un Dis­ney­land Hauss­man­nien. Ça fait un peu pen­ser au Japon, où l’on croise fré­quem­ment ce genre de pa­ra­doxes tem­po­rels.

z (vi­ve­ment la suite ! je ré­pêêêêêêêêête : et merci en­core)

3)
Anne Cuneo
, le 09.06.2010 à 09:03

Oui, zit, voilà ce que je fai­sais pen­dant que vous dé­gus­tiez l’an­douillette… Ce qui me rap­pelle mon re­gret de ne pas avoir vu ton objet fa­bu­leux. Tu l’as tou­jours? Il y a dé­sor­mais un grand nombre de mi­nus­cules restes his­to­riques quasi en­se­ve­lis sous béton+verre. Je pré­fère Paris – ou Ox­ford où je vais vous ame­ner un de ces jours. Dans des coins comme celui de la photo, c’est comme si on vou­lait nier le passé. Et dé­truire le passé plu­tôt que l’in­té­grer, c’est tou­jiurs dan­ge­reux. Cette mai­son­nette en­tou­rée de monstres sur 4 côtés n’est pas une in­té­gra­tion, c’est un alibi.

4)
ysen­grain
, le 09.06.2010 à 11:02

Sû­re­ment une belle ba­lade. Dans son fonc­tion­ne­ment, elle m’a évo­qué les mul­tiples épi­sodes où en com­pa­gnie d’amis lu­thiers, fac­teurs de cla­ve­cins, mu­si­co­logues, nous avons ar­penté les écrits et autres gri­moires sur la piste de l’his­toire d’un ins­tru­ment. Ton his­toire me pro­cure la même émo­tion. Merci.

5)
Mar­co­li­vier
, le 09.06.2010 à 11:33

Très belle ba­lade, et bal­lade rem­plie de poé­sie et d’aven­tures dans le Londres d’au­tre­fois, au­jour­d’hui. Pour­rions-nous par­ler de pré­sent an­té­rieur?

Merci bien pour cet écrit. Toutes vos en­quêtes et re­cherches sur ce Flo­rio, cela nous don­nera bien un livre, non?

6)
Anne Cuneo
, le 09.06.2010 à 12:56

@mar­co­li­ver

Oui ça fi­nira par don­ner la vie vé­ri­dique avec par­ties ro­man­cées (les trous de l’his­toire) de John Flo­rio.

Quand vous serez à Londres, n’ou­bliez pas d’al­ler assez vite vi­si­ter le Mu­seum of Lon­don. Il y en a pour tous les âges, et vous com­pren­dez mieux Londres. Il y a des ap­pli­ca­tions iPhone pour le Tube et les rues.