Ainsi, on put lire "Lena Horne s'est tue". C'était dans le Libé en ligne de ce lundi. Dans les RSS. Tout au fond, en bas, là où on ne va pas lire. On trouve le titre presque par hasard. Pas vraiment un entrefilet. Non. Un peu plus gros quand même.
Ce n'est pas que j'ai été fan. Je ne la connaissais même pas. Honte à moi. Il était marqué que c'était une chanteuse, noire, et que dans les années quarante, Hollywood lui donnait assez régulièrement une chanson à chanter. Juste une chanson. Pour qu'on puisse facilement la couper pour les projections dans le Sud. Une chanson. Dont Stormy Weather.
Stormy Weather m'a toujours fait un drôle d'effet. C'est une rengaine qui me colle. Elle m'accompagne en bande son dans mes moments sensibles, quand le Earl Grey va appeler le Jack Daniels et que l'heure de Billie Holliday ne va pas tarder; celle où elle va sortir saoule du Cotton Club, et peut être rester seule un moment dans le bref silence de la nuit et des trottoirs luisants avant de rentrer se faire cogner par son maquereau, la même heure où on reste inerte dans son fauteuil, stupide et imbibé, à imaginer ça, peut être juste pour partager le moment, pour comprendre, avant de saisir le bootleneck et de caresser les six cordes avec, pour évacuer...
Je l'ai jouée, Stormy Weather. Mais à la basse. Fretless. J'en avais une version solo, de Stormy Weather, belle comme un décolleté de jeune femme au printemps. Un bouquet...
C'est par Billie que je l'ai entendue, cette chanson, la première fois. "Don't know why there's no sun up in the sky..." Avec cette voix d'écorchée qui vous attaque les nerfs en direct... Non Billie. Je ne sais pas. Et si je pouvais te faire lever le soleil, j'hésiterais pas un instant... Alors je te le joue à la basse, en souvenir... Entre toi et moi...
Et puis Stormy Weather, c'est le film, aussi. D'Andrew Stone. Avec Cab Callaway en chef d'orchestre, et les dinguissimes Nicholas Brothers, danseurs fous, danseurs à faire peur. Les voir enchaîner, c'est hésiter entre incrédulité et peur du claquage. Tiens... Regarde!
Et puis le rideau s'ouvre, l'orchestre attaque, et cette jolie femme qui se retourne... Qui lance la première phrase... Et là...
Ce n'est pas tellement la version qui m'a surpris. Pas la musique. C'est la voix. Sur la première phrase. Juste la façon d'attaquer. Loin de Billie, loin d'Ella. Cette voix comme un trait de lumière. Du beau chant. Noir. Et cette candeur. Bon sang! Comment peut-on garder cette candeur dans la voix avec une vie pareille? Elle a même dû cacher son mariage. Blanc. Pas le mariage, le mari. Des années clandestins...
Et puis j'ai changé de page. C'est çà, le net. Retour au présent. La Grèce. L'Islande. Louisiane. Pétrole. James Lee Burke, juke joints. Noir. Blues. " Life is glare, doom and misery everywhere..." Lena Horne. Stormy Weather...
, le 12.05.2010 à 00:26
Merci Modane ! Excellent !
Et voilà que ça me rappelle une version que j’affectionne particulièrement, celle de Etta James, dans l’album “At last !”
, le 12.05.2010 à 01:12
Merci Modane, merci pour ce beau moment. Je vais mieux dormir cette nuit.
Didier
, le 12.05.2010 à 01:36
Merci Modane de nous rappeler cette chanson qui fût interprétée par des dizaines d’artistes. Cette chanson a été écrite par Harold Arien et Ted Koeler en 1933 (10 ans avant le film) et créée au fameux “Cotton Club” de Harlem par Ethel Waters, une très grande voix aussi. Je ne me souvenais pas avoir entendu cette version par Lena Horne, mais en lançant l’extrait Youtube, cela m’est revenu. Elle est magnifique.
Pour ceux que cela intéresse, on peut écouter un tas de versions sur Deezer et c’est passionnant.
, le 12.05.2010 à 06:27
Superbe, Modane.
Lena Horne et sa voix de miel. Mais comment les blancs américains peuvent-ils (pas tous) être racistes ?
Lena Horne fut également comédienne. Sans grand succès, d’ailleurs. Elle nous quitte à 90 ans. Une mémoire noire s’éteint mais ne meurt pas vraiment.
, le 12.05.2010 à 09:03
Merci pour l’info, Modane, j’adore les musicals, mais je ne me rappelle pas avoir vu celui–là…
Et les claquettes, formidable, les claquettes, qui ont le même son qu’ils dansent sur scène, sur la piste de danse ou le piano ;–) (ça devait être vachement balaize à doubler, ça !).
Notez le magnifique jeu d’ombres entre 35” et 58” (surtout sur la fin) des Nicholas Brothers.
Un poil moins élégants que le grand Fred (que j’adule), mais la descente de l’escalier est particulièrement spectaculaire (et douloureuse ;o).
Et, oui, Lena, un bien beau filet de voix.
@ Okazou : la connerie étant très uniformément répandue chez l’homme, il y a aussi des blancs français racistes, mais aussi des jaunes asiatiques, et des noirs africains, et des oranges indiens, et des rouges américains, et des verts martiens de racistes, même chez les ultraviolets vénusiens…
z (et chez les infrarouges saturniens aussi, d’ailleurs, je répêêêêêêêêêête : c’est pourtant joli, un arc en ciel…)
, le 12.05.2010 à 09:11
J’avais raté cette très mauvaise nouvelle. Merci Modane de l’avoir relevée. J’aimais beaucoup Lena Horne, elle est dans ma sonothèque au côté de Timy Yuro et de Billie Holliday.
, le 12.05.2010 à 09:38
Nouveau style de chronique : la chronique noire, comme le film… Superbe.
, le 12.05.2010 à 10:23
Merci à tous, et à eux! Petit détail : les Nicholas Brothers ont longtemps entraîné les grands blancs du Music-Hall, et entre autre Gene Kelly et le grand Fred. Quant à la question de la prise de son des claquettes, je vais me renseigner, c’est intéressant…
, le 12.05.2010 à 13:42
Merci à toi, Modane :)
, le 12.05.2010 à 14:18
Merci Modane.
Qu’elle est belle cette femme!
Et quelle voix…
Et cette musique, c’est tellement… je ne sais pas, toute ma jeunesse et tous ces films noir et blanc.
Du coup, j’ai téléchargé un album sur iTunes.
http://itunes.apple.com/ch/album/lena-horne/id315628427
Et la voix y est encore plus pure.
, le 12.05.2010 à 15:13
Merci Modane pour cette très précieuse contribution.
, le 12.05.2010 à 17:02
C’est vrai que c’est magnifique, un arc-en-ciel, mais pour le genre humain, je préfère le métissage à la juxtaposition.
Nous sommes TOUS des métis.
Et c’est beau.
, le 12.05.2010 à 18:02
Magnifique, Modane!
Ah ben moi, la rengaine qui me colle, c’est As Time Goes By. Des frissons à chaque fois!
, le 12.05.2010 à 22:44
Lena Horne était beaucoup plus que ce qu’on peut lire ici. Elle a enregistré des disques remarquables, parfois avant-gardistes. En plus, elle a épousé un juif, déjà qu’elle était la première noire à avoir eu un vrai contrat avec une major d’Hollywood, elle avait décidé de se distinguer. Et comble d’horreur, avec son mari, elle est flanquée sur la liste noire sous le McCartysme, arrêtant sac arrière de comédienne. Bref, une très grande dame.