La gra­tuité est-elle vrai­ment gra­tuite?

Culture en jeu est une as­so­cia­tion qui se dé­fi­nit de la ma­nière sui­vante:

«De­puis sa créa­tion en 2002, l’as­so­cia­tion Cultu­reEn­jeu sou­tient l’idée d’une culture suisse riche et di­verse. Elle ob­serve la si­tua­tion na­tio­nale et in­ter­na­tio­nale dans les do­maines qui touchent le dé­ve­lop­pe­ment de la culture. Cultu­reEn­jeu oeuvre pour mettre en lu­mière les pro­blé­ma­tiques es­sen­tielles qui dé­ter­mi­ne­ront le futur des branches cultu­relles et ar­tis­tiques suisses».

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Culture en jeu s'en­gage à fond pour que la Lo­te­rie ro­mande no­tam­ment puisse conti­nuer à fi­nan­cer la culture, et que ses bé­né­fices ne tombent pas dans les poches de grands fian­ciers qui sont der­rière les ca­si­nos pri­vés - et qui ai­me­raient (en der­nière ana­lyse) voir dis­pa­raître à leur pro­fit des ins­ti­tu­tions comme la Lo­te­rie ro­mande.

Sur son site, on trouve de nom­breuses contri­bu­tions, et no­tam­ment une revue, consa­crée aux rap­ports (sou­vent dif­fi­ciles) entre les créa­teurs dans tous les do­maines et l'ar­gent; on peut consul­ter en ligne tous les nu­mé­ros parus. Le pro­chain nu­méro, le 4e de 2009, est consa­cré à la gra­tuité. Ma contri­bu­tion dans ce nu­méro a été pas­sa­ble­ment ins­pi­rée par di­vers dé­bats sur le sujet qui ont eu lieu sur cuk.​ch. Aussi, avec l'ap­pro­ba­tion du ré­dac­teur en chef, nous vous en of­frons ci-des­sous la pri­meur.

 

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LA GRA­TUITE - COM­MENT ET POUR QUI ?

 

Lorsque j’étais en­fant, je rê­vais d’un monde dans le­quel tout se­rait gra­tuit — et où je fe­rais ca­deau de mon tra­vail, qui se­rait tout sim­ple­ment ajouté au ca­pi­tal in­tel­lec­tuel mon­dial en de­hors de toute tran­sac­tion fi­nan­cière. A vrai dire, je ne sais pas pour­quoi je parle au passé. J’ai grandi de­puis — mais ce rêve-là ne m’a pas quit­tée. Je me dis qu’il re­flète un be­soin fon­da­men­tal de l’homme: don­ner et re­ce­voir, li­bre­ment, en toute ami­tié. 

Pro­blème: dans un monde régi par l’ar­gent, c’est une uto­pie, car il y a tou­jours quel­qu’un qui paie, et c’est par­fois quel­qu’un de loin­tain — le petit Afri­cain que nous avons privé de son ave­nir en pha­go­cy­tant ses ma­tières pre­mières, ou la jeune Chi­noise qui fa­brique ces ba­la­deurs qui «coûtent si peu», 15 heures par jour, pour un sa­laire de mi­sère. Or, pour que l’uto­pie du «tout gra­tuit» se réa­lise, il fau­drait que TOUT soit TOU­JOURS gra­tuit pour TOUS. Dans la so­ciété post­mo­derne, en­tiè­re­ment basée sur l’ar­gent (ou sur la bourse), c’est im­pos­sible.

 

La gra­tuité — une no­tion qui coûte cher

 

Petit dia­logue tri­vial.

Nous sommes au bord de la route, dans la ré­gion de Nice, et at­ten­dons le pas­sage des cou­reurs du Tour de France.

«Pour­quoi êtes-vous là?»

«Pour voir les cou­reurs», dit l’un.

«Parce que c’est gra­tuit», dit un autre.

«Gra­tuit? D’où ve­nez-vous?»

Ils viennent de Brest, nous sommes à l’autre bout de la France, ils se sont mis quatre dans une voi­ture, parce qu’ils aiment le cy­clisme, et parce que c’est «gra­tuit». J’ai cal­culé que ce plai­sir «gra­tuit» aura coûté à cha­cun d’entre eux entre 200 et 300 francs suisses.

Cela aura rap­porté à quelque mar­chand d’es­sence, à quelques res­tau­rants, à quelque hôtel ou ter­rain de cam­ping, et ainsi de suite. Pour les cou­reurs et les or­ga­ni­sa­teurs du Tour de France, le rap­port aura été de voir quatre per­sonnes de plus sur la route, dont le “cer­veau dis­po­nible” aura em­ma­ga­siné toute la pu­bli­cité qui ac­com­pagne le Tour.

Autre exemple: les quo­ti­diens «gra­tuits».

Un quo­ti­dien gra­tuit n’est pas plus gra­tuit qu’un échan­tillon «gra­tuit». Il est payé, et par nous, mais de façon in­di­recte: la pu­bli­cité est fi­nan­cée sur le pro­duit de vente des mar­chan­dises que nous au­rons ache­tées parce que nous avons vu l’an­nonce dans le quo­ti­dien gra­tuit, qui peut faire payer la pu­bli­cité d’au­tant plus cher que da­van­tage d’entre nous l’au­ront lu.

J’ai pris tout ex­près des exemples hors du monde de la culture, pour illus­trer une af­fir­ma­tion qui de­vrait être une vé­rité de la Pa­lisse, mais — à mon grand éton­ne­ment — ne l’est sou­vent pas: dans notre so­ciété, RIEN N’EST GRA­TUIT.

Un mor­ceau de mu­sique gra­tuit pas plus qu’autre chose.

Sim­ple­ment, l’ar­gent est dis­tri­bué au­tre­ment. Et dans cette nou­velle dis­tri­bu­tion, les vrais din­dons de la farce, ce ne sont pas les pro­duc­teurs (les sta­tis­tiques dé­montrent que les soi-di­sant pi­rates sont les meilleurs ache­teurs de CD mu­si­caux ou de films en DVD, par exemple), mais les au­teurs.

Pour pou­voir té­lé­char­ger de la mu­sique «gra­tui­te­ment», il faut dis­po­ser d’un ma­té­riel très dis­pen­dieux, et le mor­ceau «gra­tuit» dont on jouira illé­ga­le­ment aura en fait coûté une jolie somme — et rap­porté pas mal d’ar­gent à quelques in­ves­tis­seurs, in­dus­triels, re­ven­deurs (de sup­ports, de liai­son in­ter­net, etc.), tout en en pri­vant d’autres de ce qu’ils consi­dèrent leur bé­né­fice lé­gi­time — sans par­ler de l’au­teur, qui ne tou­chera pas de droits.

Mais soyons as­su­rés que si on parle beau­coup des au­teurs dans nos mi­lieux, ailleurs ce qui pré­oc­cupe les in­dus­tries lé­sées, ce sont les marges et les bé­né­fices per­dus avant toute chose. L’au­teur, sans le­quel au­cune in­dus­trie cultu­relle n’exis­te­rait, est traité de plus en plus clai­re­ment pour ce qu’il est: un ou­vrier sur le tra­vail du­quel on fera des pro­fits, entre autres en le payant le moins pos­sible.

 

La gra­tuité et l’au­teur

 

L’écri­vain Jean-Louis Sagot Du­vau­roux a pu­blié deux écrits sur la gra­tuité: d’abord, en 1995, «Pour la gra­tuité», puis, en 2006, «De la gra­tuité». Dans la lo­gique des choses, ils sont tous deux li­bre­ment dis­po­nibles sur in­ter­net.

«De la gra­tuité», a été pu­blié par les Edi­tions l’éclat, qui mettent tou­jours les textes li­bre­ment à dis­po­si­tion sur in­ter­net (gra­tui­te­ment s’en­tend) en même temps qu’ils les mettent en vente comme livre. Ré­sul­tat: de bonnes ventes de livres — les édi­teurs pensent même qu’ils vendent da­van­tage grâce à leur stra­té­gie.

Je donne ici deux ex­traits de la ré­flexion de Jean-Louis Sagot Du­vau­roux qui me pa­raiss ent par­ti­cu­liè­re­ment per­ti­nents. Ils sont consa­crés plu­tôt au livre, mais ce n’est pas si dif­fé­rent pour les autres do­maines de la créa­tion.

Il constate tout d’abord la ra­pi­dité avec la­quelle les choses ont changé:

“Sou­ve­nez-vous de ces temps loin­tains. Le texte reste li­goté à la mar­chan­dise im­pri­mée grâce à la­quelle de­puis Gu­ten­berg, on sait le faire pas­ser de mains en mains. L’onde In­ter­net est déjà lan­cée, mais elle ne s’est pas en­core ré­pan­due. Onze ans plus tard, elle est de­ve­nue tsu­nami. Dé­sor­mais, pour un coût mar­gi­nal, le texte se dé­verse sans délai sur la pla­nète en­tière. Grosse suée chez les gardes-bar­rières de la pro­priété in­tel­lec­tuelle. In­quié­tude aussi chez les écri­veurs de textes écrits qui voient s’ef­fri­ter, sans so­lu­tion de re­change en vue, une de leurs sources de re­ve­nus.”

Jean-Louis Sagot Du­vau­roux donne en­suite la clé fon­da­men­tale de la si­tua­tion de la créa­tion dans nos so­cié­tés:

«Les pro­ces­sus d’in­no­va­tion cultu­relle – créa­tion ar­tis­tique et lit­té­raire, re­cherche scien­ti­fique, pen­sée théo­rique, in­ven­tions so­ciales – sont dé­sor­mais pla­cés sous la pré­pon­dé­rance du ca­pi­ta­lisme fi­nan­cier. […] Ayant fait de l’in­no­va­tion cultu­relle une mar­chan­dise comme une autre, les énormes concen­tra­tions ca­pi­ta­listes qui dé­sor­mais la cor­naquent éva­luent ce pro­duit comme elles éva­luent les autres, à l’aune de leur cri­tère unique: la ca­pa­cité à gé­né­rer un taux de pro­fit suf­fi­sant pour se fi­nan­cer sur le mar­ché des ca­pi­taux. Le débat n’est plus dans l’af­fron­te­ment de la vé­rité contre l’er­reur ou le men­songe. L’usage du lan­gage, sa fia­bi­lité, a cessé d’in­di­quer la route. Non plus «de quoi ça me parle», mais «qu’est-ce que ça me rap­porte». La fric­tion entre la vé­rité conser­va­trice de l’ordre éta­bli et les ex­plo­ra­tions de l’in­no­va­tion créa­tive s’ef­face de­vant un cri­tère to­ta­le­ment nou­veau, to­ta­le­ment hé­té­ro­gène à la ques­tion du lan­gage: l’aug­men­ta­tion du taux de pro­fit.” (1)

 

Quelle ba­taille, et par qui?

 

Lorsque les pos­ses­seurs de mp3 s’in­dignent qu’on ajoute une taxe sur leur ba­la­deur pour compe nser le «pi­ra­tage» et per­mettre aux au­teurs de tou­cher quelques droits tout de même,   ils ont à la fois tort et rai­son.

Ils ont tort, parce que l’au­teur aussi doit vivre.

Et ils ont rai­son pour deux mo­tifs dif­fé­rents. 

D’une part, un grand nombre des mor­ceaux qu’ils mettent sur leur ba­la­deur ( tous, même, pour cer­tains) ont été ac­quis tout à fait lé­ga­le­ment, et payés — et leur ar­gu­ment est que si c’est comme ça, ils vont dé­sor­mais pi­ra­ter en toute bonne conscience.

Et d’autre part, toute cette grande lutte contre le pi­ra­tage n’a pas en pre­mier lieu été en­ga­gée pour les droits d’au­teur, mais pour les pro­fits des mul­ti­na­tio­nales de la culture, ce que touchent les au­teurs (sou­vent le moins pos­sible — comp­tez sur les mai­sons de pro­duc­tion pour cela) n’était qu’une frac­tion des sommes en jeu. On com­prend que le consom­ma­teur qui ou­blie l’au­teur, mais n’a guère loi­sir d’ou­blier l e pro­duc­teur, ait l’im­pres­sion de payer la mar­chan­dise deux fois.

 

La gra­tuité — réa­li­sable?

 

Mais les pro­tes­ta­tions dé­coulent aussi d’une confu­sion. 

Lors­qu’on parle des pro­blèmes de droit d’au­teur, on est sou­vent confron­tés à des sou­rires scep­tiques: on peut se faire pas mal d’ar­gent en tant qu’ar­tiste. Cette croyance gé­né­rale est due au vé­ri­table la­vage de cer­veau que re­pré­sente le culte du ve­det­ta­riat dans tous les do­maines de la créa­tion. Quelques ta­lents ex­cep­tion­nels sur­gissent, on fait la pro­mo­tion de quelques autres: et on sous-en­tend que c’est à la por­tée de tout le monde. Vous ne vous en­ri­chis­sez pas? C’est de votre faute. Vous êtes riche? Alors, si je pi­rate quelques cen­times de vos droits d’au­teur, vous ne vous en aper­ce­vez même pas.

Il y a là une grave confu­sion entre pro­duc­teur et créa­teur, qui ne sont en der­nière ana­lyse, der­rière de belles pa­roles, que pa­tron et em­ployé — mais un pa­tron et un em­ployé par­ti­cu­lier. Le sa­laire ne sera versé que si la mar­chan­dise est ven­due, avec des ga­ran­ties mi­nimes. 

Par ailleurs, pour que le sys­tème du ve­det­ta­riat fonc­tionne, il faut qu’il y ait pé­nu­rie — c’est-à-dire peu d’élus pour beau­coup d’as­pi­rants. Le pro­duc­teur filtre avec un œil sur le pro­fit, et que le contenu soit bon ou pas, cela vient en se­cond lieu. Face à cela, le créa­teur n’a guère voix au cha­pitre.

Par rap­port à la glo­ba­lité de la créa­tion, le ve­det­ta­riat n’est que de la poudre aux yeux — la plu­part des ar­tistes gagnent si peu sur leurs œuvres qu’ils sont obli­gés d’exer­cer un autre mé­tier à côté, et de sa­cri­fier du temps qu’ils pour­raient consa­crer à leurs œuvres. Et si beau­coup d’ar­tistes se battent, c’est parce que ce qu’ils pensent avoir à par­ta­ger (écrire, chan­ter, peindre, in­ven­ter, phi­lo­so­pher, etc., etc.) est pour eux plus im­por­tant que l’ar­gent.

Ils vivent dans une so­ciété où (comme Marx l’avait pré­dit à une époque où ce n’était pas en­core to­ta­le­ment le cas) l’ar­gent a tout en­vahi, y com­pris la conscience.

 

Conclu­sions?

 

Lors­qu’un objet de consom­ma­tion est «gra­tuit», il est en fait payé au­tre­ment, bé­né­fices et pertes sont dis­tri­bués dif­fé­rem­ment - dans une so­ciété régie par l’ar­gent, rien, ré­pé­tons-le, n’est gra­tuit. 

Mais si la gra­tuité, dans une telle si­tua­tion, est une im­pos­si­bi­lité, la re­ven­di­ca­tion de la gra­tuité, elle, est l’ex­pres­sion — confuse, sou­vent mal di­ri­gée — d’une as­pi­ra­tion pro­fonde de l’hu­ma­nité: une vie d’har­mo­nie, sans conflits, dans la­quelle nous pour­rions don­ner et re­ce­voir li­bre­ment, dans un monde d’abon­dance, ce que nous avons de meilleur en nous: nos pen­sées, nos œuvres. Tout, quoi.

La re­ven­di­ca­tion de la gra­tuité est donc plus que lé­gi­time. Mais il faut se rendre compte que si on veut que ce soit da­van­tage que de belles pa­roles, si on va jus­qu’au bout de la lo­gique, elle ne se li­mite pas aux au­teurs: elle met en cause tout le sys­tème so­cial dans le­quel nous vi­vons ac­tuel­le­ment, et im­plique une so­ciété fon­da­men­ta­le­ment dif­fé­rente - plus éga­li­taire, plus fra­ter­nelle et plus juste.

 

(1) Jean-Louis Sagot Du­vau­roux, «De la gra­tuité», édi­tions de l’éclat, Paris 2006, et http://​www.​lyber-eclat.​net/​lyber/​sagot1/​gratuite1.​html#​2

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Un des der­niers nu­mé­ros de Culture en jeu

 

PS. On peut té­lé­char­ger tous les nu­mé­ros de Culture en jeu sur le site, et on peut s'abon­ner à l'édi­tion pa­pier, ne se­rait-ce que par so­li­da­rité... Dans le No 4/2009, d'autres ar­ticles exa­minent des points sur les­quels je ne m'at­tarde pas ici (in­ter­net, la mu­sique etc.).

26 com­men­taires
1)
Oka­zou
, le 24.11.2009 à 06:14

Très beau pa­pier, Anne. Presque trop beau car il ne laisse guère de prise à l’en­ga­ge­ment d’un dia­logue (un tant soit peu po­lé­mique, bien sûr !) tant ton re­gard sur la gra­tuité est proche du mien.

Gra­tuité sou­hai­tée et es­pé­rée dans un contexte so­cial à trans­for­mer.

Ce n’est d’ailleurs pas tant le gra­tuit, qu’il faut ré­cla­mer, mais le juste échange. L’échange équi­table. Di­sons que l’idéal pour­rait se si­tuer entre gra­tuité et échange équi­table. Quel que soit le ser­vice ou le bien concerné.

Pour en res­ter aux biens cultu­rels il est bon de rap­pe­ler que ce que nous payons au­jour­d’hui est moins une œuvre que son sup­port – moins le texte que le livre. L’œuvre d’un seul être en­re­gis­trée (un livre est un en­re­gis­tre­ment, une ma­nière de mise en mé­moire en même temps qu’une mise à dis­po­si­tion) sur un sup­port éla­boré par un ar­ti­sa­nat ou une in­dus­trie et la dis­tri­bu­tion de ce sup­port sur des ré­seaux (li­braires, dis­quaires, Toile…)

Trois in­ter­ve­nants sont concer­nés : l’ar­tiste créa­teur ; le fa­bri­cant-com­mer­çant-dis­tri­bu­teur ; vous et moi. On voit qu’entre l’ar­tiste qui crée l’œuvre pour nous et nous-mêmes qui sommes dans l’at­tente de sa créa­tion se glisse, comme un coin dans un tronc, le monde mar­chand qui, comme nous, mais avec une at­ten­tion et des in­ten­tions très dif­fé­rentes, at­tend la nais­sance de l’œuvre pour nous la four­guer (pas de sen­ti­men­ta­lisme en af­faire) et nous vider les poches. Tout le pro­blème ré­side dans cette in­ter­face mar­chande qui s’im­misce entre des hommes qui créent de la culture et des hommes na­tu­rel­le­ment avides de cette culture. Un échange équi­table peut s’éta­blir ai­sé­ment entre les créa­teurs et les ré­cep­teurs de culture. En re­vanche il est par­fai­te­ment in­équi­table entre l’in­dus­trie et le créa­teur et entre l’in­dus­trie et le pi­geon de payant.

Faut-il alors sup­pri­mer cet ogre d’in­ter­mé­diaire ? Et d’abord, est-il vrai­ment utile ou bien ne se contente-t-il pas de sucer la sève des or­ga­nismes vi­vants (vous savez ? l’homme !) qu’il pa­ra­site par les deux bouts ?

Mes li­braires, j’y tiens. Mes dis­quaires aussi. Ils sont com­pé­tents et les rap­ports hu­mains di­rects se ra­ré­fient tel­le­ment par les temps qui courent. Et puis je re­marque que j’achète plus sou­vent ma lit­té­ra­ture chez de pe­tits édi­teurs qui ne se sont pas fait bouf­fer par des gros dans la tour­mente des concen­tra­tions. Ha­chette ap­par­tient au mar­chand d’armes La­gar­dère et Ha­chette ce n’est pas que Ha­chette lit­té­ra­ture mais aussi : Gras­set, Fayard, Stock, Cal­mann-Lévy, Jean-Claude Lat­tès, Har­le­quin, Ar­mand Colin, Hat­tier, Le Livre de Poche et Ma­ra­bout. J’en ou­blie sû­re­ment.
Heu­reu­se­ment, les pe­tits édi­teurs (qui vivent de peu mais sont pas­sion­nés par ce qu’ils font) se mul­ti­plient.

Les édi­teurs de sup­ports pa­pier sont plus à l’abri de la dé­ma­té­ria­li­sa­tion (nu­mé­ri­sa­tion) des œuvres. Ce n’est pas de­main que l’on se ba­la­dera avec un eBook®, le livre pa­pier est un objet trop sen­suel et tel­le­ment plus pra­tique au lec­teur. En re­vanche, les édi­teurs de sup­ports de mu­sique ont du mou­ron à se faire.

Au­jour­d’hui la mu­sique peut être pro­duite di­rec­te­ment par son créa­teur et dis­tri­buée sur la Toile. De­main, des co­opé­ra­tives (struc­tures émi­nem­ment dé­mo­cra­tiques) peuvent être créées pour pro­duire et dis­tri­buer la mu­sique, tous genres confon­dus.
Pour la co­opé­ra­tive, le tra­vail n’est pas une mar­chan­dise (Or­ga­ni­sa­tion In­ter­na­tio­nale du Tra­vail), les sa­la­riés-co­opé­ra­teurs dé­tiennent la ma­jo­rité du ca­pi­tal et ne dis­posent, quelle que soit leur fonc­tion, que d’un seule voix à l’as­sem­blée gé­né­rale. On re­garde alors le monde au­tre­ment. Idem pour les mu­tuelles dont les membres sont, dans le même temps, ac­tion­naires et clients.

Les com­pé­tences n’ont ja­mais été l’apa­nage des di­rec­tions des grands groupes. Les com­pé­tences, on les trouve chez les créa­teurs et les tech­ni­ciens. Chez ceux qui ne ré­cla­me­ront ja­mais de pa­ra­chute doré.

Les moyens tech­niques et les moyens lé­gaux sont au­jour­d’hui réunis pour mettre en place une culture dy­na­mique et am­bi­tieuse, non mar­chande, où cha­cun trou­vera, créa­teur ou tech­ni­cien, une maî­trise et une re­con­nais­sance de son tra­vail et où le consom­ma­teur cè­dera sa place à l’ama­teur gour­mand.

La re­cherche d’un échange équi­table entre créa­teur, pro­duc­teur et ama­teur d’œuvres cultu­relles me semble donc plus in­té­res­sante que la quête de la gra­tuité.


Le monde n’est pas une mar­chan­dise.

2)
ysen­grain
, le 24.11.2009 à 08:56

Merci Anne, de ce beau rap­pel à l’ordre, en quelque sorte.

Une fois qu’on a com­pris qu’aussi les re­la­tions entre in­di­vi­dus ou êtres vi­vants ne sont pas gra­tuites, “c’est plié”. Le chien dont on vante, à juste titre, la fi­dé­lité, qui de fait n’est qu’une re­la­tion d’amour, trouve une ré­com­pense à cette fi­dé­lité. Il en est de même me semble-t-il dans toutes les re­la­tions. Hélas, ces re­la­tions là ne sont pas les seules à être “im­bi­bées” d’in­té­rêt.

3)
je­je31
, le 24.11.2009 à 09:14

Bon­jour,

merci pour ce très bon ar­ticle qui pose bien le pro­blème de la gra­tuité.

Dans l’éla­bo­ra­tion d’un pro­duit cultu­rel de masse, il y a pas mal d’in­ter­ve­nants entre l’au­teur et le pro­duc­teur. On l’ou­blie trop sou­vent et c’est dom­mage que cet ar­ticle ne les men­tionne pas. Mais je pense aux ou­vriers de l’im­pri­me­rie, aux tech­ni­ciens du son du stu­dio d’en­re­gis­tre­ment, aux ca­dreurs, aux mon­teurs du ci­néma, etc. Ils sont pris en étau entre l’au­teur – par­fois sa­cra­lisé quand il at­teint la re­nom­mée – et le pro­duc­teur. Donc quand les pro­duc­teurs cherchent à ga­gner de l’ar­gent, c’est aussi pour pou­voir payer toutes com­pé­tences, sou­vent te­nues pour quan­tité né­gli­geable. Mais qu’on ne fasse pas dire ce que je ne dis pas : le pro­fit pour le pro­fit voulu par ces mul­ti­na­tio­nales n’a évi­dem­ment pas grâce à mes yeux.

4)
ysen­grain
, le 24.11.2009 à 10:38

Gra­tuité di­siez vous ? Hier, je fais une ré­ser­va­tion pour l’ex­po­si­tion sur les peintres hol­lan­dais de la col­lec­tion du Rijks­Mu­seum d’Am­ster­dam. J’ai le choix entre le site de la Pi­na­co­thèque de Paris qui re­çoit cette ma­ni­fes­ta­tion et la FNAC, grand dis­tri­bu­teur de billets d’en­trée. Étant adhé­rent à la FNAC, je choi­sis la FNAC pour cette tran­sac­tion. Je choi­sis la pos­si­bi­lité d’im­pri­mer les billets. En fin de tran­sac­tion, juste avant de cli­quer sur “Payer”, je m’aper­çois de l’exis­tence d’une ligne de fac­ture sup­plé­men­taire: => Im­pres­sion du billet à do­mi­cile: 1 euro. Oui, vous avez bien lu. De cette ma­nière, en uti­li­sant mon cou­rant élec­trique, mon or­di­na­teur, mon im­pri­mante et ses car­touches, que même que je les ai payées moi même, et mon pa­pier, je fais faire à la FNAC l’éco­no­mie de ges­tion de billet, d’im­pres­sion, d’en­voi et ces mal-éle­vés veulent me faire payer ??

J’ai adressé un e mail pour si­gna­ler cette ano­ma­lie et faire part de mon mé­con­ten­te­ment.

Ré­ponse:

Bon­jour Ysen­grain

Merci de nous avoir contac­tés. Voici la ré­ponse du ser­vice client à votre de­mande nu­méro 452022-1258990884 :

Suite à votre mail, nous vous in­for­mons que vous pou­vez ef­fec­tuer votre achat de chez vous ; et ob­te­nir vos billets de façon ins­tan­ta­née, sans at­tendre de les re­ce­voir par cour­rier, ou sans avoir à vous dé­pla­cer en ma­ga­sin. C?est un nou­veau ser­vice qui vous est pro­posé. Ce ser­vice a né­ces­sité des dé­ve­lop­pe­ments tech­no­lo­giques per­met­tant de gé­né­rer votre billet, et de four­nir les in­for­ma­tions né­ces­saires à l?accès à la ma­ni­fes­ta­tion pour que vous puis­siez en­trer. Au titre de ce ser­vice, des frais vous sont fac­tu­rés. Cor­dia­le­ment, L’équipe Billet­te­rie

5)
Mon­de­For­mi­dable
, le 24.11.2009 à 11:13

La “gra­tuité” ? Une re­mar­quable in­ven­tion to­ta­li­taire ou le peuple fini par faire des sauts de cabri pour ré­cla­mer ses propres chaines.

6)
Guillôme
, le 24.11.2009 à 11:17

Dé­solé Anne, je n’ai pas en­core eu le temps de lire le ma­ga­zine cité et son ar­ticle sur le gra­tuit… Pro­mis, je le fais dès que pos­sible.

Je me dis qu’il re­flète un be­soin fon­da­men­tal de l’homme: don­ner et re­ce­voir, li­bre­ment, en toute ami­tié.

Ce qui me gêne dans ton hu­meur, c’est le mé­lange gra­tuit et libre. Ce sont deux choses fon­da­men­ta­le­ment dif­fé­rentes.

Per­son­nel­le­ment, j’at­tache beau­coup plus d’im­por­tance à des for­mats ou­verts, à la li­berté d’uti­li­sa­tion, au par­tage de la connais­sance… qu’à la gra­tuité!

Comme tu le dis rien n’est gra­tuit, mais à la ri­gueur, peu im­porte. Ce qui est gê­nant c’est ce qui n’est pas libre!

Et quand je dis libre, je ne dis pas libre au sens li­cence GPL du lo­gi­ciel où l’on peut du­pli­quer ton oeuvre et la re­dis­tri­buer sans que tu n’aies ton mot à dire ou un quel­conque bé­né­fice.

Non, quand je dis libre, je veux dire dont on peut jouir sans en­trave et sans li­mi­ta­tion ar­ti­fi­cielle dans la li­mite des droits ac­quis.

Dans la lo­gique des choses, ils sont tous deux li­bre­ment dis­po­nibles sur in­ter­net.

Libre ne veut pas dire gra­tuit. Libre peut im­pli­quer la gra­tuité. Gra­tuit ne veut pas dire libre et, en­core moins, gra­tuit n’im­plique pas libre dans la lo­gique des choses…

Lorsque les pos­ses­seurs de mp3 s’in­dignent qu’on ajoute une taxe sur leur ba­la­deur pour com­pen­ser le «pi­ra­tage» et per­mettre aux au­teurs de tou­cher quelques droits tout de même, ils ont à la fois tort et rai­son.

En France, la taxe sur les sup­ports d’en­re­gis­tre­ment (ex : VHS) a tou­jours eu lieu, il y avait donc moins d’in­di­gna­tion sur ce sujet que sur la pro­tec­tion des mor­ceaux de mu­sique :

  • pro­tec­tion qui em­pê­chait la copie en vio­la­tion du droit à la copie pri­vée (de­puis la loi a été chan­gée en France et il est au­to­risé d’in­ter­dire la copie à ses clients (sic) )
  • pro­tec­tion qui li­mi­tait les usages de façon stu­pide (lieu de lec­ture, ma­té­riel de lec­ture…)

Là où les couacs ont eu lieu, c’est avec la dis­pa­ri­tion des ven­deurs en ligne qui ont su­bi­te­ment lais­sés sur le car­reau les ache­teurs avec leurs mor­ceaux qui de­ve­naient illi­sibles. Vu les risques fi­nan­ciers et les plaintes, l’in­dus­trie est fi­na­le­ment re­venu à la rai­son avec dé­sor­mais des mor­ceaux de mu­sique qui ne sont plus pro­té­gés.

Concer­nant la taxe sur les sup­ports, je ne vais pas en­trer dans ce sujet et les abus car sinon je fais écrire 6 pages de com­men­taires!

La gra­tuité — réa­li­sable?

En­core une fois, je pense que cette ques­tion po­si­tive la gra­tuité comme si c’était un but en soi. Alors même que je pense que la gra­tuité n’a pas d’in­té­rêt. Ce qui compte, c’est l’ac­cès à l’in­for­ma­tion, l’ab­sence de ver­rou tech­no­lo­gique!

Lors­qu’on parle des pro­blèmes de droit d’au­teur, on est sou­vent confron­tés à des sou­rires scep­tiques

Pour ma part, non.

Je me pose plu­tôt des ques­tions sur la durée des droits d’au­teurs ou sur les droits des au­teurs à pro­té­ger eux-mêmes leurs droits en sub­sti­tu­tion de la jus­tice elle-même… Su­jets com­plexes où je n’ai pas d’avis tran­ché ou de ré­ponse à don­ner.

7)
alec6
, le 24.11.2009 à 11:38

Ex­cellent ar­ticle Anne !
je ne dé­ve­lop­pe­rai pas d’avan­tage, Oka­zou l’a bien mieux fait à ma place, mais je met­trai ton ar­ticle en pa­ral­lèle avec cet autre ar­ticle de Contre-info (en­core et tou­jours conter-info !) dont l’ori­gi­nal en an­glais est à lire ici.
Je vous re­com­mande le pa­ra­graphe sur le pa­ra­doxe de Lau­der­dale ie va­leur d’usage et va­leur d’échange… C’est long, c’est de l’éco­no­mie et c’est en an­glais, mais per­met de com­prendre un peu mieux le monde dans le­quel nous vi­vons (le fond de l’ar­ticle est consa­cré au “ca­pi­ta­lisme soi di­sant vert”) !

PS sans aucun rap­port, et pour faire suite à l’ar­ticle de Fran­çois Char­let, j’ai vu le film 2012 et re­péré entre autres ce dia­logue “un mil­liard de dol­lars ! c’est beau­coup !” – “ce ne sont pas des dol­lars, mais des euros” sa­crés yan­kees !

8)
Mo­dane
, le 24.11.2009 à 11:54

Là, c’est clair! Et je suis d’ac­cord avec le simple dé­pla­ce­ment du cir­cuit fi­nan­cier pris pour de la gra­tuité, et le rôle des in­ter­mé­diaires que tu sou­lignes.

La ques­tion du droit d’au­teur ne de­vrait pas être remis en cause. Mais la marge des in­ter­mé­diaires, elle, l’est déjà sou­vent. Et pour avoir vu un jour ar­ri­ver dans une mai­son de pro­duc­tion le ca­deau qu’on al­lait faire à un per­son­nage connu, une Porsche, payée par la com­mu­ni­ca­tion, j’abonde!…

Au point que si j’ap­pre­nais avant à mes mon­teurs et vi­déastes les cir­cuits de dis­tri­bu­tion et le sta­tut d’in­ter­mit­tent, j’ajoute main­te­nant qu’ils ont toutes pos­si­bi­li­tés de vendre eux-mêmes, di­rec­te­ment, et d’ainsi prendre les bud­gets, et le risque de l’en­tre­prise.

Mais comme le sou­li­gnait Ané­mone dans un en­tre­tien, il y a quelques an­nées, il est pa­ra­doxal de de­man­der à un créa­tif d’être aussi un com­mer­çant, les deux n’al­lant sou­vent pas de pair.

9)
Mon­de­For­mi­dable
, le 24.11.2009 à 13:09

la gra­tuité ?

C’est la bête tra­ves­tie en ange.

C’est l’im­puis­sance sous l’illu­sion du pou­voir.

Et son pa­roxysme c’est taxer le chant du ros­si­gnol, pour of­frir “gra­tui­te­ment” la der­nière bouse que les “com­mu­ni­quants” “créa­tifs” “pu­bard” “mar­kec­teux” “think thank” on choisi de nous im­po­ser.

10)
To­TheEnd
, le 24.11.2009 à 16:03

Je n’ai pas tout com­pris parce que j’ai l’im­pres­sion que la ques­tion du jour est, au fil des lignes, em­por­tée par la cause de l’au­teur sur des ter­rains dif­fé­rents qui ap­pellent des com­men­taires et des so­lu­tions dif­fé­rentes.

C’est clair que rien n’est gra­tuit et pen­ser au­tre­ment, c’est faire preuve d’une jolie naï­veté (bon, il y a en­core énor­mé­ment de croyants).

Il ne fait aucun doute que l’éclo­sion de nou­veaux ta­lents a été pos­sible via In­ter­net… au­cune major ou autre mul­ti­na­tio­nale au­rait mis un rond sur cer­tains nou­veaux ar­tistes.

Je ne doute pas que dans le même temps, cer­tains ar­tistes souffrent de la trans­for­ma­tion… mais comme dans tout chan­ge­ment.

Tout ça, c’est une tran­si­tion et comme toute tran­si­tion, elle a un début et une fin. Ac­tuel­le­ment, tout le monde crie (de l’au­teur à l’édi­teur en pas­sant par le client) car tous sont en train de perdre quelque chose… mais celui qui ga­gnera à la fin est d’après moi le client.

J’ai­me­rais prendre un exemple simple: au­jour­d’hui, je re­garde de moins en moins la TSR et en par­ti­cu­lier, cer­tains de leur pro­gramme. Tou­te­fois, je dois m’ac­quit­ter de la re­de­vance et de bien autres taxes alors que je ne re­garde pas 5% de ce qu’ils dif­fusent.

De­main, via un for­fait que je paie­rai par mois ou par an, j’au­rai accès à 24h de conte­nus par jour dans le monde en­tier. Je pour­rai choi­sir ce que je veux sans payer 1 sous de plus et sans me pré­oc­cu­per du fait que j’ai un abon­ne­ment ou non, qu’il faille payer un ma­ga­zine car je veux lire un ar­ticle. Le par­tage de mes de­niers sera as­suré au pour­cen­tage de ce que je re­garde… de l’au­teur, réa­li­sa­teur, pro­duc­teur, etc.

Le di­rec­teur de la chaîne Mezzo di­sait ré­cem­ment: ça me va d’être dans un mar­ché de niche au ni­veau mon­dial… c’est tout de même 20 mil­lions de té­lé­spec­ta­teurs. Et qui s’en plain­drait?

Tout le monde y trou­vera son compte à l’ex­cep­tion de ceux qui n’ont pas vu le chan­ge­ment venir, qui y sont ré­frac­taires ou qui n’en veulent pas.

T

11)
Anne Cuneo
, le 24.11.2009 à 16:48

Ce qui me gêne dans ton hu­meur, c’est le mé­lange gra­tuit et libre. Ce sont deux choses fon­da­men­ta­le­ment dif­fé­rentes.

Per­son­nel­le­ment, j’at­tache beau­coup plus d’im­por­tance à des for­mats ou­verts, à la li­berté d’uti­li­sa­tion, au par­tage de la connais­sance… qu’à la gra­tuité!

Comme tu le dis rien n’est gra­tuit, mais à la ri­gueur, peu im­porte. Ce qui est gê­nant c’est ce qui n’est pas libre!Et quand je dis libre, je ne dis pas libre au sens li­cence GPL du lo­gi­ciel où l’on peut du­pli­quer ton oeuvre et la re­dis­tri­buer sans que tu n’aies ton mot à dire ou un quel­conque bé­né­fice.Non, quand je dis libre, je veux dire dont on peut jouir sans en­trave et sans li­mi­ta­tion ar­ti­fi­cielle dans la li­mite des droits ac­quis.

Un livre que j’em­prunte à la bi­blio­thèque mu­ni­ci­pale de ma ville (gra­tuit dans la me­sure où j’ai payé mes im­pôts, qui co-fi­nancent la bi­blio­thèque) est libre et (ap­pa­rem­ment) gra­tuit.

Je n’ai mal­heu­reu­se­ment pas le temps de dé­piau­ter ton rai­son­ne­ment, mais il me pa­raît peu lo­gique.

Quant au fait que je ne fais pas la dis­tinc­tion, je ré­pète que mon ar­ticle est un de six qui pa­raissent dans Cultu­reEn­Jeu No 24 (sor­tie pré­vue le 16 dé­cembre) que j’en­cou­rage les dé­bat­teurs ci-pré­sents à lire. On peut le com­man­der ou s’abon­ner pour une somme très mo­dique ici

Quelques se­maines après la pa­ru­tion, le nu­méro est mis en ligne (gra­tui­te­ment) où on trouve aussi les an­ciens nu­mé­ros. Si l’en­vie vous prend de les lire, com­men­cez à re­bours, par le der­nier. au début nous tâ­ton­nions un peu, les nu­mé­ros sont moins ap­pro­fon­dis que de­puis quelque temps.

12)
Anne Cuneo
, le 24.11.2009 à 16:56

Tout ça, c’est une tran­si­tion et comme toute tran­si­tion, elle a un début et une fin. Ac­tuel­le­ment, tout le monde crie (de l’au­teur à l’édi­teur en pas­sant par le client) car tous sont en train de perdre quelque chose… mais celui qui ga­gnera à la fin est d’après moi le client.

Tu em­ploies le mot juste: le CLIENT ga­gnera. Le client qui im­plique une tran­sac­tion es­sen­tiel­le­ment mer­can­tile. Le pro­blème, très com­plexe, de la culture est que la culture en tant que mar­chan­dise tend à un tel ni­vel­le­ment par le bas, que le consom­ma­teur qui y aura gagné (en ar­gent) aura perdu (en culture). Je ne pré­tends pas avoir la ré­ponse, mais il me semble qu’une chose soit sûre: cette ré­ponse, ce n’est pas la libre concur­rence de la so­ciété ul­tra-li­bé­rale ac­tuelle.

13)
Anne Cuneo
, le 24.11.2009 à 16:59

En­core une fois: cet ar­ticle est une par­tie d’un tout. Cer­tains des ar­gu­ments que vous ai­me­riez voir dis­cu­tés le sont dans le No 24 de Cultu­reEn­Jeu, sor­tie pré­vue le 16 dé­cembre. Le pro­bléme de la gra­tuité et du libre y sont trai­tés sous toutes les cou­tûres.

Cultu­reEn­Jeu

14)
To­TheEnd
, le 24.11.2009 à 18:23

Al­lons, al­lons, un client n’est pas qu’un ho­mi­nidé qui a évo­lué avec des sous dans ses poches. Il est éga­le­ment un for­mi­dable vec­teur de com­mu­ni­ca­tion. Tous ceux qui ont connu le suc­cès doivent re­mer­cier les amis et autres qui ont par­ti­ci­per – du moins au début – à la pro­pa­ga­tion de son oeuvre. Cet élé­ment n’est pas prêt de chan­ger… au contraire, il va se ren­for­cer.

Donc, est-ce que ces 500 der­nières an­nées ont vu un pro­grès en terme du nombre d’ar­tistes et de l’offre cultu­relle dis­po­nible? A notre échelle, est-ce que ces 100 der­nières an­nées ont vu plus d’ar­tistes et de choix que tout autre pé­riode?

As­su­ré­ment. Ne pas le voir, c’est faire preuve de mau­vaise foi.

Va-t-on vers moins de choix, moins de qua­lité, moins d’offre, etc.? Ou comme tu le dis, on va perdre en culture?

Ton ar­gu­men­ta­tion ne me convainc pas… d’après moi, les dé­cen­nies à venir de­vraient être en­core plus in­té­res­santes que celles qui se sont écou­lées.

T

15)
Guillôme
, le 24.11.2009 à 23:21

Un livre que j’em­prunte à la bi­blio­thèque mu­ni­ci­pale de ma ville (gra­tuit dans la me­sure où j’ai payé mes im­pôts, qui co-fi­nancent la bi­blio­thèque) est libre et (ap­pa­rem­ment) gra­tuit.

Au­jour­d’hui oui mais de­main avec le livre nu­mé­rique ce ne sera pas le cas si les so­lu­tions fer­mées et li­ber­ti­cides prennent le pas sur les so­lu­tions ou­vertes. Ton livre sera d’ap­pa­rence gra­tuite et non libre…

Rien qu’à ma mé­dia­théque mu­ni­ci­pale, je ne peux pas pro­fi­ter de la vod arte (20 films avec ma carte) car je suis sous mac et que arte uti­lise une so­lu­tion fer­mée et avec des ver­rous nu­mé­riques.

16)
Smop
, le 25.11.2009 à 00:31

Cette conclu­sion en ode à la gra­tuité, ou plus exac­te­ment à l’échange sans pas­ser par la case de la très re­la­tive va­leur de l’ar­gent, est sym­pa­thique. Comme toutes les uto­pies d’ailleurs. Ce­pen­dant, dans un monde mal­heu­reu­se­ment mené par la vé­na­lité, force est de consta­ter que nom­breux sont ceux qui dis­si­mulent der­rière leur re­ven­di­ca­tion de la gra­tuité et du par­tage la jus­ti­fi­ca­tion du vol.

17)
pat3
, le 26.11.2009 à 08:25

Deux re­marques après t’avoir lu, Anne, et avoir lu les com­men­taires.

Je suis glo­ba­le­ment d’ac­cord avec ton idée de la (fausse) gra­tuité, mais je reste très du­bi­ta­tif quant à la concep­tion an­gé­lique de l’ar­tiste qui sous-tend ta ré­flexion: si comme le dit Mo­dane

La ques­tion du droit d’au­teur ne de­vrait pas être remis en cause

la ges­tion du droit d’au­teur pour­rait être dis­cuté, la durée du droit d’au­teur pour­rait faire débat, et, plus glo­ba­le­ment, c’est la ques­tion de la va­leur de la pro­duc­tion ar­tis­tique (car toute pro­duc­tion ar­tis­tique n’est pas œuvre d’art – à moins qu’on en­tende par là ou­vrage d’art) qui pour­rait être dis­cu­tée. Or, dans ton pro­pos, l’ar­tiste est neutre (si ne c’est va­leu­reux), c’est le mar­chand qui pour­rit tout.

Ben non; à mon avis, non. L’ar­tiste peut aussi être vénal (le débat sur la loi DAVDSI a bien mon­tré que c’était le cas), cal­cu­la­teur, trom­peur même, en te­nant un dis­cours ar­tis­tique em­preint de cer­taines va­leurs, quand il en vé­hi­cule de tout autre dans sa vie éco­no­mique (épargnes et ac­tions)… On est passé près, dans le débat fran­çais, d’un ac­cord sur la li­cence glo­bale, qui au­rait à mon avis clôt le débat: mais cu­rieu­se­ment, les pro­duc­teurs, les ayants-droits (ah les ayants-droits: épi­ciers de la pro­priété in­tel­lec­tuelle, pe­tits pro­prié­taires du ta­lent de leurs aïeux), cer­tains ar­tistes parmi les mieux payés, les so­cié­tés de ges­tion des droits des ar­tistes se sont éle­vés contre… C’est qu’il au­rait alors fallu re­mettre sur la table le mode de ré­par­ti­tion des droits de la SACD et de la SACEM…

Ce se­rait bien qu’on ar­rête cette di­cho­to­mi­sa­tion digne du conte po­pu­laire, mé­chant mar­chand, gen­til ar­tiste. Ça faus­se­rait moins le débat; no­tam­ment quand on consi­dère l’éco-sys­tème au sein du­quel l’ar­tiste prend place; même lors­qu’on se dit qu’en al­lant au concert plu­tôt qu’en ache­tant les disques, on ré­duit l’écart entre l’ar­tiste et son pu­blic, on se trompe: une tour­née, c’est du ma­té­riel, du trans­port, et des gens: des tech­ni­ciens, un loueur de salles, un or­ga­ni­sa­teur de tour­née. C’est tout ce monde qui vit de la pro­duc­tion mu­si­cale d’un in­ter­prète, qui est par­fois l’au­teur-com­po­si­teur (sinon, c’est en­core une autre per­sonne); et tout ça ne fonc­tionne que s’il y a de la pro­mo­tion pour le faire sa­voir, des af­fiches, des billets, des spots radio, du buzz in­ter­net: au­tant de pro­duits qui font l’ac­ti­vité d’une in­dus­trie.

Bref: non, l’ar­tiste n’est pas hors du monde, à créer sans souci et sans contrainte, il fait par­tie d’un monde à va­lence éco­no­mique forte. Et ça a tou­jours été le cas!! La lit­té­ra­ture s’est dé­ve­lop­pée avec la lec­ture, qui elle même s’est dé­ve­lop­pée avec la pro­duc­tion de masse per­mise par l’im­pri­me­rie! En même temps, ça a dé­ve­loppé la contro­verse, l’es­prit cri­tique, la di­ver­sité d’opi­nion… Et la mar­chan­di­sa­tion. Que je sache, la re­nais­sance ita­lienne ne s’est pas faite sans ar­gent: le mé­cé­nat fai­sait vivre les ar­tistes. Et il y a tou­jours eu d’ha­biles mar­chands d’art pour s’im­mis­cer entre l’ar­tiste et son pu­blic. Je ne dis pas que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais je dis qu’à ne pas vou­loir voir le pro­blème comme un sys­tème, on le fausse: la so­lu­tion ne se­rait pas d’éra­di­quer les mar­chands; sitôt fait, on ver­rait des ar­tistes les ré­cla­mer, le pu­blic les ré­cla­mer, etc. Enfin, pour ce qui peut se dé­ma­té­ria­li­ser, il y a moyen de ré­duire les in­ter­mé­diaires et mo­di­fier les don­nées de l’éco-sys­tème; la mar­chan­di­sa­tion mon­dia­li­sée rate tou­jours quelque chose: le local.

Pour re­ve­nir sur la ques­tion de la gra­tuité, je suis plu­tôt d’ac­cord avec Guillôme, il me semble que l’amal­game entre libre et gra­tuit fausse un peu la ré­flexion, et d’ac­cord avec Oka­zou, que la re­cherche de la jus­tesse de l’échange doit pri­mer sur la gra­tuité.

L’in­dus­trie de l’im­ma­té­riel change la donne, car elle met en avant le flux et struc­ture ses va­leurs au­tour: ce qui compte, pour des four­nis­seurs d’ac­cès et leurs four­nis­seurs, c’est la bande pas­sante. À côté de cela, le mo­dèle éco­no­mique qui fai­sait dé­pendre la va­leur du sup­port et de son cir­cuit de dif­fu­sion a du mal à per­du­rer; les ver­rous sautent un à un; on a bien vu que le mo­dèle de ver­rouillage du sup­port ne fonc­tionne pas: on ne peut pas à la fois dis­tri­buer à vo­lonté à par­tir d’une source unique et es­pé­rer ver­rouiller la ré­cep­tion à un ré­ci­pien­diaire unique.

Je pense qu’on vien­dra à une li­cence glo­bale, plus ou moins chère, et que la dif­fé­ren­cia­tion se fera sur la va­leur sup­po­sée des conte­nus vé­hi­cu­lés, le ca­ta­logue au­quel la li­cence, plus ou moins chère, don­nera accès.

La gra­tuité, dé­ci­dé­ment, amène bien des dé­ve­lop­pe­ments: ce n’est que la par­tie im­mer­gée d’un énorme ice­berg, qui touchent aux fon­de­ments de nos so­cié­tés in­dus­trielles…

18)
Anne Cuneo
, le 26.11.2009 à 14:44

la ges­tion du droit d’au­teur pour­rait être dis­cuté, la durée du droit d’au­teur pour­rait faire débat, et, plus glo­ba­le­ment, c’est la ques­tion de la va­leur de la pro­duc­tion ar­tis­tique (car toute pro­duc­tion ar­tis­tique n’est pas œuvre d’art – à moins qu’on en­tende par là ou­vrage d’art) qui pour­rait être dis­cu­tée. Or, dans ton pro­pos, l’ar­tiste est neutre (si ne c’est va­leu­reux), c’est le mar­chand qui pour­rit tout.

Je vou­drais rap­pe­ler une fois de plus que ma ré­flexion fait par­tie d’un tout (Cultu­reEn­Jeu No 24), et que dans le tout quel­qu’un dé­ve­loppe jus­te­ment la si­tua­tion de l’ar­tiste dans la si­tua­tion ac­tuelle. Je ne consi­dère donc pas que l’ar­tiste est neutre, je ne dé­ve­loppe pas, parce que quel­qu’un d’autre le fait.

Je vou­drais ce­pen­dant juste re­mar­quer que lorsque c’est neuf, nous ne voyons pas tou­jours clai­re­ment si oui ou non une pro­duc­tion qui se dit ar­tis­tique est une oeuvre d’art. On cite tou­jours le cas de Proust, que Gide a re­fusé de pu­blier parce que c’était trop moche – il est ty­pique. Même moi, j’ai vécu cela avec mon pre­mier film, fait il y a vingt-sept ans, des­cendu en flammes comme nul; main­te­nant il a été res­tauré et il fait par­tie des clas­siques de la ci­né­ma­thèque – ou com­ment ap­pelle-t-on ces films res­tau­rés. En ma­tière d’art (et de re­cherche dans tous les do­maines) les mé­cènes ou in­ves­tis­seurs doivent ac­cep­ter qu’on se trompe, qu’on tâ­tonne beau­coup, qu’on soit trop hors des modes du mo­ment – une ma­nière de faire qui ne colle pas avec l’exi­gence du ren­de­ment ra­pide.

Je suis comme toi d’ac­cord avec Oka­zou, que la jus­tesse de l’échange prime sur la gra­tuité.

En­ten­dons-nous: mon texte n’im­pli­quait pas une prise de po­si­tion tran­chée par rap­port à ce qu’on ap­pelle la gra­tuité: j’en ex­po­sais la non-réa­lité ef­fec­tive, et j’es­sayais de dire à quel rêve uto­pique l’idée de la gra­tuité cor­res­pond.

Je ne peux pas ré­sis­ter à la ten­ta­tion de te dire que j’adore com­ment tu traites l’ar­tiste de vénal lorsque, tout en ayant des rêves d’éga­lité, il est pru­dent et prend des pré­cau­tions pour ses vieux jours, en épar­gnant et – ô faute im­par­don­nable – en ache­tant des ac­tions.

Si tu en as tiré la sen­sa­tion que je consi­dère l’ar­tiste comme hors du monde, tu te trompes. C’est bien parce qu’il est dans le monde et qu’il a be­soin de vivre que l’ar­gent qu’il gagne avec ses oeuvres est im­por­tant. Et je consi­dère quelque peu in­sul­tant que ma fille soit trai­tée, le jour où elle exi­gera l’ar­gent que j’ai gé­néré pour elle, en ad­met­tant que mon oeuvre me sur­vive, d’“épi­cière de la pro­priété in­tel­lec­tuelle, de petit pro­prié­taire du ta­lent de ses aïeux”.

Et juste pour ter­mi­ner, les droits de ré­par­ti­tion de la SACD (je suis moins fa­mi­lière avec la SACEM) sont constam­ment revus – la SACD s’oc­cu­pant de faire en sorte, soit dit en pas­sant, que le tra­vail que nous avons fourni soit ré­mu­néré, et nous y te­nons. Eh oui, nous sommes des êtres vé­naux, qui re­ven­di­quons le droit de man­ger un beef­steak de temps à autre. Quelle in­di­gnité!

19)
Mon­de­For­mi­dable
, le 27.11.2009 à 10:45

Anne

Une chose m’a tou­jours ” constam­ment émer­veillé”

c’est la pro­pen­sion de ” l’art” a se dé­cla­rer “vertu” et exi­ger que ce soit le” vice” que lui-même de­nonce, le fasse vivre, au nom de la “gra­tuité”. Il n’y au­rait pas une nouille dans le co­tage ver­doyant où gam­badent les bi­sou­nours ?

je ci­te­rais l’exemple de la lo­te­rie = il n’y rien d’ar­tis­tique dans une lo­te­rie, que de l’ar­gent, une “af­faire” comme tant d’autres qui rap­porte pour ses or­ga­ni­sa­teurs, et l’es­pé­rance du lucre pour les joueurs, où est l’art ?

Faut-il s’éton­ner, que le lucre re­vienne au lucre ?

In­ver­sion des choses non ?

Si j’ai bien com­pris les ar­tistes, fort jus­te­ment, re­ven­diquent de vivre de leur “art”, rien de plus nor­mal.

Qu’ils soient fi­nan­cés par le “lucre” re­lève, si on va au fond des choses, d’une per­ver­sion, qu’ils au­raient du dé­non­cer d’en­trée, un “pri­vi­lège” per­vers… qui avait en lui la né­ga­tion , jus­te­ment, que l’art, et les ar­tistes doivent pou­voir vivre de leur “art”, et que cela ai un air de “gra­tuit” pour le gueux qui en pro­fitent ne sau­rait ca­cher cela.

Ne se­rait-il pas du de­voir des ar­tistes de dé­non­cer cela, mais cela re­met­trais en cause bcp de pri­vi­lèges et de passe-droit et fe­rait tom­ber des tar­tuffes, des op­por­tu­niste, des fu­mistes, comme un es­saim de mouche sous un coups de Fly­tox, non ?

c’est tou­jours à double tran­chant cela, une “gra­tuité” fi­nan­cée par des puis­sances, dont les ar­tistes dé­pendent. Ou est leur “in­dé­pen­dance” ?

Tou­jours en fait “au ser­vice”, que ce soit “l’art of­fi­ciel” au ser­vice du “peuple” (grin­ce­ment de dents) ma­ni­pu­la­tion , ou du mar­ché, spé­cu­la­tion.

Ef­fec­ti­ve­ment “rien n’est gra­tuit”. et le “vraie gra­tuité” qui se dé­marque de ce “jeux de con” sera, elle, tou­jours sus­pecte, au yeux de tout les “re­li­gieux” ou des tar­tuffes.

20)
Mon­de­For­mi­dable
, le 27.11.2009 à 10:58

Tant-pis, je vais aller au bout des choses, par pro­voc un peu, sinon ce se­rait pas drôle. ;o)

donc l’ar­tiste se­rait d’uti­lité so­ciale, ce n’est pas contes­table, si on re­garde d’un seul coté de la lor­gnette … “On” doit le fi­nan­cer pour que le “peuple” en pro­fite “gra­tui­te­ment”.

Mais , mais, alors, le pay­san c’est pa­reil…. dira mon es­to­mac…

Et tout les autre corps de mé­tier un peu “utiles”, du cor­don­nier au chau­dron­nier.

ce monde “idéal” pour les “ar­tistes” a existé, où tout était gra­tuit.

c’était l’ U R S S …

21)
pat3
, le 29.11.2009 à 13:29

Anne, j’aime bien ta ré­ponse et son iro­nie…

Je vou­lais juste sou­li­gner le fait que dans la façon dont ton ar­ticle pose la ques­tion de la gra­tuité, la seule po­si­tion qui n’est pas mise en dis­cus­sion est celle de l’ar­tiste. C’est là le sens de mon dé­ve­lop­pe­ment.

Je vou­drais ce­pen­dant juste re­mar­quer que lorsque c’est neuf, nous ne voyons pas tou­jours clai­re­ment si oui ou non une pro­duc­tion qui se dit ar­tis­tique est une oeuvre d’art.

Tout à fait d’ac­cord, mais cela conduit à un pa­ra­doxe, puisque la de­mande est de fi­nan­cer de ma­nière par­ti­cu­lière, dif­fé­rente, pri­vi­lé­giée, la créa­tion ar­tis­tique; non pas au re­gard d’une va­leur ob­jec­tive (si tant est qu’on puisse don­ner une va­leur ob­jec­tive à une pro­duc­tion hu­maine, c’est une autre ques­tion), mais en vertu du prin­cipe de la va­leur (so­ciale? so­cié­tale? na­tio­nale, au sens du pres­tige des na­tions?) de l’art (Jean-Marc Le­ve­rato a bien dis­cuté de ces ques­tions dans son ou­vrage de­venu clas­sique: La me­sure de l’art: so­cio­lo­gie de la qua­lité ar­tis­tique ).

Il y a pour moi contra­dic­tion entre la re­ven­di­ca­tion d’être payé “comme tout le monde” pour le tra­vail que l’on four­nit, et fi­nancé “au­tre­ment” pour la va­leur pré­sup­po­sée de son tra­vail.

Je ne peux pas ré­sis­ter à la ten­ta­tion de te dire que j’adore com­ment tu traites l’ar­tiste de vénal lorsque, tout en ayant des rêves d’éga­lité, il est pru­dent et prend des pré­cau­tions pour ses vieux jours, en épar­gnant et – ô faute im­par­don­nable – en ache­tant des ac­tions.

Rac­courci? Je di­sais

L’ar­tiste peut aussi être vénal (le débat sur la loi DAVDSI a bien mon­tré que c’était le cas), cal­cu­la­teur, trom­peur même, en te­nant un dis­cours ar­tis­tique em­preint de cer­taines va­leurs, quand il en vé­hi­cule de tout autre dans sa vie éco­no­mique (épargnes et ac­tions)…

Le débat sur la loi DAVDSI qui a été long, a mon­tré plus qu’à son tour des ar­tistes consa­crés, assis sur un pac­tole qui sans doute per­met­tra à deux gé­né­ra­tions de des­cen­dance de vivre confor­ta­ble­ment de ses rentes (tant mieux) crier au vol de leur pain… Rap­pe­lons que les mêmes crient au scan­dale quant au taux de leur im­po­si­tion (Hal­li­day, Pagny, pour les plus bruyants d’entre eux).

Tu n’es pas de ceux-là, mais quand tu dis

Eh oui, nous sommes des êtres vé­naux, qui re­ven­di­quons le droit de man­ger un beef­steak de temps à autre

il y a des mé­ta­phores qui font mal, au­jour­d’hui où des tra­vailleurs pré­caires dorment dans leur voi­ture parce que leur paie ne suf­fit pas à leur as­su­rer un loyer. Ce n’est pas de cela exac­te­ment que l’on dis­cute, non?

Quant à l’achat d’ac­tion, je fais ré­fé­rence au double dis­cours qui est de dire, d’un côté, que l’ac­tion­na­riat, c’est mal, et de l’autre, qu’il faut bien pen­ser à ses vieux jours en ache­tant des ac­tions. Là, je ne com­prends pas, ou plu­tôt, je com­prends mieux pour­quoi ce sys­tème s’est aussi bien dé­ve­loppé.

Enfin, en ce qui concerne les ayants-droits, ce que je veux dire, c’est que la dis­cus­sion de­vrait pou­voir être ou­verte, sur la durée du droit d’au­teur: en France, c’est 70 ans, les conven­tions in­ter­na­tio­nales s’ac­cordent sur 50 ans; c’est déjà une gé­né­ra­tion de moins, et on pour­rait sans doute s’ac­cor­der là-des­sus; mais pour­quoi ne dis­cu­te­rait-on pas du pour­quoi 50 ans? Pour­quoi les droits d’au­teur ne se li­mi­te­raient pas à la des­cen­dance im­mé­diate? Ce n’est pas à ta fille que je pen­sais, mais à tes pe­tits en­fants, et à tes ar­rières pe­tits en­fants, qui, si chez vous les gé­né­ra­tions sont assez rap­pro­chées, pour­ront ré­gen­ter tout usage de ton œuvre, sous le seul pré­texte que tu as été leur ar­rière grand-mère. Ça, pour moi, ça de­vrait se dis­cu­ter, au nom même du prin­cipe de la va­leur cultu­relle (par­ta­gée?) de l’art…

22)
Anne Cuneo
, le 29.11.2009 à 16:26

@Pat3

Je ne vais pas re­prendre le débat point par point, parce que de toute évi­dence, nous ne nous com­pre­nons pas sur cer­tains points. Juste un dé­tail: le droit d’au­teur était de 50 ans par­tout, et il a été pro­longé à 70 dans une bonne par­tie du monde il n’y a pas très long­temps, jus­te­ment parce que les gens vivent dé­sor­mais beau­coup plus long­temps.

Je trouve bi­zarre ce rejet de ce que les pe­tits-en­fants jouissent du fruit du tra­vail de leur an­cêtre. Le jour où l’hé­ri­tage n’exis­tera plus, alors bon. Mais une fois de plus, voilä qu’on ré­clame une ex­cep­tion aux lois de l’hé­ri­tage jus­te­ment pour le droit d’au­teur.

Ou bien dans la so­ciété tout est gra­tuit, et plus be­soin d’hé­ri­tage. Ou bien rien n’est gra­tuit. Et alors la pro­priété in­tel­lec­tuelle existe aussi, avec ses lois et ses rè­gle­ments. Mal­heu­reu­se­ment, per­sonne n’a trouvé de so­lu­tion in­ter­mé­diaire uni­ver­selle. Juste de com­bines ponc­tuelles. Je le re­grette, mais la réa­lité est celle-là.

23)
pat3
, le 29.11.2009 à 22:54

@Anne

Sur le droit d’au­teur, mes sources sont donc mau­vaises; pour­rais-tu m’en don­ner de meilleures?

Sur la ques­tion des ayants-droits: les en­fants hé­ritent de leur pa­rents, pour qu’ils hé­ritent de leurs grands pa­rents il faut un leg par­ti­cu­lier (non? Je peux me trom­per). Pour moi, la pro­priété in­tel­lec­tuelle, si elle pro­tège le droit des in­di­vi­dus, ce qui est une bonne chose, bloque par­fois l’ac­cès aux œuvres par le plus grand nombre, ce qui est une mau­vaise chose. Par exemple, si on res­pecte la loi, il faut en France de­man­der une au­to­ri­sa­tion pour uti­li­ser en cours une re­pro­duc­tion de ta­bleau de peintre sous le droit d’au­teur… même quand on est prof d’his­toire de l’art, ou d’art plas­tique.

Il me semble que l’im­ma­té­ria­lité de l’œuvre et son sta­tut d’œuvre d’art de­vrait jus­te­ment per­mettre son ver­se­ment au pa­tri­moine com­mun. Pre­nons un ta­bleau de maître, par exemple. Sa pro­priété (ma­té­rielle) de­meure aux ayants-droits, comme tout bien ma­té­riel. Mais quel dom­mage que les re­pro­duc­tions de ce ta­bleau à des fins non mar­chande soient elles aussi sou­mises au bon vou­loir des ayants-droits; quel dom­mage qu’un in­ter­naute ad­mi­ra­teur se voit fer­mer son blog (ou no­ti­fier une in­jonc­tion qui l’in­cite fort à le faire) parce qu’il re­pro­duit le dit ta­bleau sur son site, même dans un for­mat d’image non uti­li­sable pour l’im­pri­me­rie. De même, en ap­pli­quant la loi à la lettre, si je prends en photo une œuvre ar­chi­tec­tu­rale contem­po­raine, sou­mise au droit d’au­teur, et que je la mets en photo sur mon site web de photo de voyage, je peux être pour­suivi par l’au­teur ou ses ayants-droits, en rai­son du droit de pro­priété in­tel­lec­tuelle. Bof, non?

Mais si nous ne nous com­pre­nons pas, c’est, à mon avis, que la dis­cus­sion se­rait longue pour dé­mê­ler les te­nants et les abou­tis­sants de nos po­si­tions res­pec­tives, et que le me­dium ac­croit la dif­fi­culté de ce long échange… On est d’ac­cord sur le fond de l’illu­sion de la gra­tuité; pas sur les formes ac­tuelles de la ré­mu­né­ra­tion, ni sur la place de l’ar­tiste et la va­leur de son tra­vail dans l’éco­sys­tème mar­chand au­quel il contri­bue.

24)
Guillôme
, le 30.11.2009 à 16:43

nous ne nous com­pre­nons pas sur cer­tains points.

Et c’est nor­mal, car der­rière le mot “droit d’au­teur” se cache une réa­lité mul­tiple.

Comme le dit pat3 en com­men­taire 23, il y a une dé­rive du droit d’au­teur qui à mon sens n’est pas bon.

Au­jour­d’hui, tout est tech­ni­que­ment mis en place pour li­mi­ter au maxi­mum les droits de l’uti­li­sa­teur de l’oeuvre et maxi­mi­ser les re­ve­nus sur la vente de ces droits.

In­ter­dic­tion en France, de­puis peu, d’uti­li­ser/pos­sé­der/dis­tri­buer des lo­gi­ciels de copie DVD qui en­lève la pro­tec­tion…

Au ca­nada, il était (ou il est, je n’ai plus suivi les dé­ve­lop­pe­ments) in­ter­dit de trans­for­mer ses cd ache­tés en mp3 pour son bal­la­deur Obli­ga­tion de re­pas­ser à la caisse.

Aux États-Unis, le lec­teur Kindle d’Ama­zon qui a dé­frayé la chro­nique, au­to­rise Ama­zon à ac­cé­der aux don­nées et à les mo­di­fier/sup­pri­mer/li­mi­ter selon son bon vou­loir (Ils l’ont fait d’ailleurs avec le livre 1984).

Je pour­rai ainsi lis­ter des di­zaines d’exemples de li­mi­ta­tion.

Tout ça me fait pen­ser qu’il ne fau­dra pas s’éton­ner si un gi­gan­tesque effet boo­me­rang a lieu avec une re­mise en cause des du­rées de droits d’au­teur, une re­mise en cause des taxa­tions et des re­ver­se­ments, une re­mise en cause des créa­tions “fer­mées” for­cée par l’ex­plo­sion des ar­tistes dif­fu­sant en li­cence ou­verte…

Pour­quoi cette re­mise en cause? Tout sim­ple­ment parce qu’il ne sera pas pos­sible de ga­gner sur deux ta­bleaux : une gra­nu­la­rité du droit d’au­teur tou­jours plus im­por­tante et la va­leur du droit d’au­teur main­te­nue au ni­veau de ce qu’elle était quand les contraintes étaient faibles.

Le débat ou­vert.

25)
Anne Cuneo
, le 01.12.2009 à 17:19

Guillôme!!!

Tous les exemples que tu cites n’ont pas rap­port au droit d’au­teur, mais au fait que le chiffre d’af­faires des ma­chands de culture baisse avec les co­pies. Le droit d’au­teur dé­fi­cient n’est qu’une consé­quence, et ce n’est pas lui que les in­dus­triels de la mu­sique ou de la chose écrite ou fil­mée es­saient de pro­té­ger, CE SONT LEURS PRO­FITS. Les au­teurs sont au­tant vic­times que les gens qu’on oblige à pas­ser deux fois à la caisse.

Plu­tôt que de vous achar­ner sur le droit d’au­teur, vous fe­riez mieux de re­gar­der la vraie di­rec­tion du vent!

Je l’ai dit dans mon ar­ticle, et vous me le prou­vez: le ve­det­ta­riat est un la­vage de cer­veau – vous confon­dez, Pat3 et toi (et des mil­lions d’autres), le fait que quelques-uns gagnent beau­coup avec la grande masse des tra­vailleurs cultu­rels qui triment, et dont les in­dus­triels de mau­vaise foi se servent pour dire à leur place qu’ils vont perdre en droit d’au­teurs avec la copie “illé­gale”.

La vé­rité, c’est qu’ils se fichent des au­teurs comme de l’an 40, à ce ni­veau-là. Ce sont leurs poches qui im­portent.

PS. Ce que tu ap­pelles la durée du droit d’au­teur est en fait la durée de la pro­tec­tion lé­gale, qui si­gni­fie que le mar­chand de culture à qui l’ar­tiste a obli­ga­toi­re­ment cédé ses droits pour être mul­ti­plié et dif­fusé peut conti­nuer à vendre ton livre, ton film, ta mu­sique etc. Si quel­qu’un d’autre veut vendre, il doit payer au mar­chand de culture. L’au­teur tou­chera si tout va bien quelque 5% de la tran­sac­tion. Tan­dis qu’à la fin de la pro­tec­tion lé­gale, tout le monde peut vendre, pu­blier, fil­mer, chan­ter. Le droit d’au­teur n’est qu’une in­fime par­tie du pro­blème.

26)
Guillôme
, le 01.12.2009 à 18:49

Guillôme!!!

Anne !!!!! ;)

Bon, je ne suis pas d’ac­cord avec tes af­fir­ma­tions (cor­ré­la­tion entre copie et baisse, baisse des re­ve­nus des mar­chands de culture…).

Je ne peux pas dé­ve­lop­per, ce se­rait trop long et trop dif­fi­cile de re­trou­ver toutes les sources mais si j’ai le cou­rage je fe­rais une hu­meur car c’est un sujet qui m’in­té­resse :)

le ve­det­ta­riat est un la­vage de cer­veau – vous confon­dez, Pat3 et toi (

Dé­solé Anne, mais je n’ai rien dit sur le ve­det­ta­riat, ni parlé de ceux qui gagnent beau­coup ou de ceux qui triment…

D’ailleurs, je ne com­prends même pas la plu­part de ta ré­ponse par rap­port à mon com­men­taire, j’ai l’im­pres­sion que soit c’est dé­calé soit on parle de choses dif­fé­rentes sous cou­vert de mots iden­tiques!

La pro­chaine fois qu’on se croise, je t’offre le café et on re­fait le monde ;)