C'est curieux, la vie, des fois... L'autre jour, dans les couloirs de Gobelins, je croise Stéphane Kovalsky, un prof, photographe, sympa comme tout. Je ne l'avais pas vu depuis quelques temps. Je lui trouve l'air sombre. Je lui demande de ses nouvelles; il me répond qu'il est en deuil, très triste, et finit par me dire qu'il s'agit de son grand-père.
Bien que nous soyons tous deux du domaine du sensible, j'étais loin d'imaginer que le décès de son grand-père ait pu autant l'affecter. Puis il me dit que la peine du départ n'est pas le plus dur, mais la succession... J'ai dû avoir l'air surpris, je ne l'imaginais pas riche héritier. Moi qui étais à deux doigts de lui conseiller un thérapeute, je changeais d'avis en cherchant voir si je ne connaissais pas un avocat d'affaire. Mais je n'en ai pas eu le temps, car voyant mon air surpris, il ajoute : "Tu ne savais pas?... Mon grand-père... Willy... Il est décédé... Willy Ronis!... Tu connais?!..."
J'en reste comme deux ronds de flan. Je ne savais pas qu'il était apparenté à ce célèbre personnage. Je lui dis : "Quelle coïncidence! Sur Cuk.ch, l'autre jour, en hommage, en quelque sorte, j'ai mis une photo de lui! Le nu provençal!..."
Alors il me raconte la photo...
Rappel...
Ils faisaient les plâtres dans la masure qu'ils venaient d' acheter. La femme de Willy est descendue se rincer, après le travail. Willy l'a vue et il lui a dit : "Bouge pas! Je reviens!"
" Il a couru prendre son appareil et a fait quatre ou cinq clichés, a continué Stéphane... Dont celui qui est connu maintenant.
- Alors, la femme a qui je trouvais une silhouette... ?
- Oui oui, fait-il, ce sont bien les fesses de ma grand-mère!"
Plus tard...
Gobelins est un bouillon de Culture. Et pas seulement grâce aux stagiaires ou aux étudiants. Didier Pilon, photographe, qui officie à la tête de la formation continue, me propose de lui donner un coup de main en allant filmer une personnalité de la photo qui connaît en ce moment quelques problèmes. Non, non, pas des problèmes de santé, mais plutôt comme une poussée d'indignation.
Ce samedi, nous allons donc à Bièvres.
Là, rien qu'au nom de la ville vous savez qu'il va s'agir de photographie. Parce que tout les amoureux de la photo connaissent la Foire Internationale à la Photo, et aussi le Musée Français de la Photographie. Bièvres, c'est l'esprit de la photo. Comme dit si bien notre personnalité du jour : "Un sujet, une lumière, un appareil, un photographe, voilà les quatre choses qui font une photographie! S'il en manque une..."
Et notre interrogé, là, il en connaît un rayon, en appareils de tous genres et de tous types. Il a passé sa vie à rassembler une des plus belles collections mondiales de matériels photographiques, des milliers, et sa collection d'appareils français est reconnue comme la plus belle du monde.
Du matériel, il est allé en chercher partout, chez Zeiss, chez Nikon, chez Kodak, chez les photographes fermant boutique et ne voulant pas que leur activité se perde, chez les particuliers qui faisaient don, à la mort de leur propriétaire, de leurs boitiers et objectifs, en étant sûrs que leur mémoire serait respectée, que l'objet serait vu, et le donateur connu. Là, ce n'est plus de la muséographie, c'est une éthique!
Des années et des années de respect et de considération pour les photographes et leurs outils ont fait de cette collection de Bièvres l'une des plus respectées et accessibles au monde. Tout çà, parce qu'André Fage l'a fait. Parce qu'André Fage s'est décarcassé, a combiné, s'est débrouillé, organisé, etc. C'est à Monsieur Fage, et à lui seul, qu'un jour Monsieur Ikeda a apporté du Japon une dizaine de Nikon introuvables, dont des prototypes, à la stupéfaction des gens de Nikon France qui se sont sentis obligés de donner à leur tour, eux qui n'avaient jamais daigné le faire.
Monsieur Fage... Quelqu'un d'autre que lui n'aurait pas suscité le don de cette façon...Une idée de la chose ici...
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André Fage, fondateur du Musée Français de la Photographie
(Màj : L'image originale a été aimablement retouchée par Bernard Peyrega, lecteur exigeant et talentueux. Merci à lui!)
Et Bièvres, et Fage, c'est aussi des millions de photos. Des Man Ray, des Bovis, des Edith Gérin! Mais aussi des clichés et tirages d'inconnus, des fonds de photographes divers, marquant chacun une époque et un milieu, et conservés parce qu'il le faut, parce que c'est de la vie des gens qu'il s'agit.
André Fage est donc le fondateur, avec son père, de la plus magistrale initiative de conservation des oeuvres et techniques photographiques de France. Il a réussi à faire rayonner le plaisir de la photographie en Europe en fédérant les initiatives au sein de Photeurope, une sorte de photo-club européen. Mais cela, vous le savez sûrement mieux que moi, photographes que vous êtes... D'ailleurs, parlez-en à Vevey, les suisses, et à Bruxelles, les castards!
Et l'indignation, dans tout cela? Mais on parle là de la fin de Bièvres, bien sûr! André Fage, passant la main après tant de temps, voit le Conseil Général de l'Essonne récupérer cette extraordinaire collection, et ne pas tenir ses engagements, et transférer la collection à Etiolles, un village mal desservi, dans des locaux trop petits, où malgré le manque de place on privilégie les bureaux.
Il y aura un beau site web, et plus de musée, en quelque sorte, car on ne peut pas appeler celui d'Etiolles ainsi. Le site web existe déjà, mais les boitiers rares et historiques risquent fort de rester en caisses. On visitera le matériel en cartons dans des rayonnages de hangar. Sacrilège!
Sacrilège parce qu'André Fage tenait avant tout à ce que la collection soit vivante, évolutive, vue, disponible, susceptible donc de déclencher de nouvelles passions. Et pourquoi y tient-il ainsi? Par respect pour les donateurs, qui ont tous voulu faire perdurer cet esprit de Bièvres en ne laissant pas la mémoire de la photographie, de toute la photographie, clichés, boitiers, techniques, disparaître par négligence ou simple commodité.
Et puis, de projet de musée, il y en avait un, avant celui du Conseil Général, au financement bouclé, celui des fondateurs, qui aurait été, lui, digne des collections mais qui a été refusé, semble-t-il, abandonné pour un soi-disant problème de financement?...
Alors, Monsieur Fage milite, explique. En le filmant, j'ai découvert un personnage exceptionnel, d'une droiture exemplaire, d'une culture encyclopédique et d'une générosité extraordinaire. Et Monsieur Fage est scandalisé.
Finie la fête? À bas les étalages de vieilleries? Vive le web? Vive la promo clinquante? De toutes façons, la photo mérite-t-elle vraiment un musée? Au siècle de la vidéo? Voilà ce qui met Monsieur Fage en colère : cette attitude qui sonne le glas de la Photographie à Bièvres. Et aussi, d'un certain point de vue, de ce qu'on peut juger comme essentiel.
A moins que... Mais là, il faudra aider. Comment? La suite au prochain épisode... En attendant, merci, Monsieur Fage, j'ai été fort chanceux de vous rencontrer. C'était un vrai moment de bonheur!
, le 07.10.2009 à 08:56
Je crois avec ferveur aux rencontres, qu’elles soient dues au hasard ou à la géographie de notre activité. Je suis toujours frappée, et très étonnée, lorsque des critiques me reprochent de placer des rencontres “incroyables” dans mes histoires. Or, je pourrais raconter des dizaines (des centaines?) de rencontres qui peuvent paraître invraisemblables, mais qui ont eu lieu.
Je dois en conclure que la plupart du temps les gens ne sont pas attentifs aux rencontres, au «hasard objectif» comme disent les surréalistes. Ou la synchronicité, phénomène pourtant quotidien, comme disent les psychiatres et psychologues.
Tout ça pour dire que j’ai adoré lire cette humeur.
Je connaissais l’histoire de Willy Ronis (il l’avait racontée lui-même à la radio il n’y a pas si longtemps), mais je n’avais pas enregistré qu’il était mort, et ça me rend triste si je repense à cet entretien récent qui me l’avait rendu très proche. J’étais allée m’acheter un petit livre de photos, après.
Et je ne connaissais pas André Fage. Belle rencontre sur cuk.ch! Merci.
, le 07.10.2009 à 09:11
Merci Modane de me faire connaître ce Monsieur que je ne connaissais pas, je suis triste que de bonnes initiatives soient souvent détruites pour de mauvaises raisons.
Si vous passez tout près de Gracay joli petit village dans le 18
le détour en vaut vraiment la peine et que vous avez la chance que j’ai eue d’être guidé dans ce musée par le maître de maison Rémy Duroir, c’est vraiment inoubliable.
, le 07.10.2009 à 09:14
Ah! Marcel Bovis! J’adore!
Marcel Bovis, Place Falguière, 1937.
Merci Modane pour cet article. Etiolles, c’est un nom prédestiné, même avec deux ailes…
Milsabor!
, le 07.10.2009 à 09:17
J’en ai ras le bol !
Pas un jour qui, sans qu’on le veuille, sans le faire exprès, ne nous apporte une bonne raison de se foutre en colère. Une bonne raison d’être indigné, révolté, scandalisé…
Il y a des problèmes plus graves que celui d’un musée… mais tout est grave aujourd’hui.
Et toujours à cause d’une bande de gros nuls, d’incompétents, d’incultes, de pov’ types, de maffieux… J’arrête… je sens que je vais déraper !
, le 07.10.2009 à 09:54
Mon enfance a été “illuminée” par 2 monstres dont j’étais voisin:
– Georges Brassens que nous, mômes du quartier, appelions “l’Artiste”, parce qu’il portait les cheveux un peu plus longs que les autres hommes, qu’il était toujours habillé d’un pantalon de velours noir et d’un gros pullover. Parfois, Il s’asseyait près de nous, rue d’Alesia à Paris, avec sa guitare, grattait 2 ou 3 accords, fredonnait quelques mots. Quelques années plus tard, quand j’ai compris qui il était, il ne m’a jamais plus quitté mentalement.
–Alberto Giacometti : mon père m’avait expliqué qui il était. Je le voyais souvent pratiquement courir tant il marchait vite, grosse tignasse au vent, au milieu de la rue Hippolyte Maindron (Paris), souvent avec un “objet très allongé” de plâtre à la main, dégoulinant au sol. Je ne lui ai jamais parlé, trop respectueux de son statut peut-être.
, le 07.10.2009 à 12:17
Il y a un magnifique musée de la photo en Belgique. Le musée de la photo de Charleroi. La photo de Willy ROnis y figure d’ailleurs.
MarcOS Limelette, Belgique
, le 07.10.2009 à 12:32
haaaa, tu m’as grillé MarcOS !
très beau musée en effet, j’y vais ce soir pour une conférence.
Le site: http://www.museephoto.be/
Il y a aussi un très beau musée du même genre à Antwerpen (Anvers pour les francophones)
mais le nôtre à Charleroi est ‘plussss beau’ ;-)
, le 07.10.2009 à 12:43
Merci Modane pour ce coup de cœur coup de gueule !
, le 07.10.2009 à 13:00
En fait de rencontre, Bach et Haendel avaient rendez vous. Bach fut en retard et la marée obligeait Haendel à monter dans son bateau. Quel beau raté de l’histoire ….
, le 08.10.2009 à 09:00
Bien que me rendant à Bièvres tous les ans depuis 15 ans, je n’ai (honte à moi) jamais mis les pieds au musée (mais, dans cette vie, je ne fréquente pas les musées et les expos).J’y passe aussi de temps en temps au cours d’une balade à bicyclette (c’est plein de côtes sympas, dans le coin ;o).
Pour ce qui est du sujet de l’article, c’est vraiment énervant, à la fin, la bêêêêêêêtise humaine !
Heureusement, certaines rencontres donnent encore de l’intérêt à la fréquentation d’autres mammifères bipèdes…
z (plus je connais les hommes, plus j’aime les plantes, je répêêêêêêêêête : et les minéraux aussi…)
PS : ysengrain, il me semblait que la rencontre avait eu lieu et qu’ils avait été boire un coup dans un snack Bach (prononcer « barh » ;^) et Haendel : Bach avait pris un baby et Haendel avait commandé « un baby comme Bach » (prononcer bak)… :oD
Désolé…
, le 08.10.2009 à 09:08
Hello, Zit! Bravo pour les vannes! Mais en notant la Foire à la Photo, émanation directe du travail d’André Fage, tu soulèves exactement le problème du déplacement de la collection dont le but premier n’est pas seulement l’image, mais aussi les hommes, les techniques et les matériels qui ont contribué à l’évolution. Le prochain musée n’a pas l’air de s’occuper de ce second volet, alors que c’est là que la collection est spécialement remarquable! Quid de la chaise daguérienne, ou de la boite à dessin?
, le 08.10.2009 à 14:11
Oserais-je dire que je n’en crois rien ?