Qui de vous n'a pas été le témoin de la scène suivante ou d'une scène de même ordre: dans la queue aux caisses d'un supermarché, un enfant prend une boite de friandises savamment disposée à l'endroit stratégique, la mère (ou qui que ce soit d'autre) refusant l'achat et prononce LA phrase: "va remettre ça à sa place, dépêche toi". Vous avez bien lu, oui:
d-é-p-ê-c-h-e t-o-i
Quelquefois, "on" en remet une couche, d'un monstrueux, oui, monstrueux
d'accord, d'accord
J'imagine ce qui se passe dans le mental de l'enfant. Il voit surgir avec une soudaineté que l'urgence et, donc la compression du temps, lui font percevoir comme une brutalité, cet ordre qui claque violemment. Le temps, dont l'enfant n'a habituellement pas conscience, fait intrusion dans son esprit aussi fort qu'une gifle et va se pérenniser.
Comment ? par la génération d'une pression psychologique que nous allons rencontrer souvent au cours de notre existence. D'ores et déjà, j'estime, pour ne pas dire plus, que le sentiment de peur est proche: l'enfant perçoit l'Adulte comme un être tout puissant et ne fait pas la différence entre puissance et pouvoir.
Bien entendu, l'exemple de la queue aux caisses d'un supermarché se répétera sous d'autres formes, tant durant l'enfance que plus tard.
Afin que vous compreniez bien quel chemin je vais parcourir, laissez moi vous rapporter une histoire dont j'ai été l'acteur involontaire, de second rôle, et le témoin.
Une après-midi de printemps, superbe où tout porte à humer l'air, pour une fois peu pollué, la lumière rendait belle la banlieue ouest de Paris où je travaille.
Je dois me rendre à Paris 14 ème. Je retrouve sur le quai du RER, une amie et collègue J.
- Où vas-tu ?
- Je vais prendre le TGV à Montparnasse afin de rejoindre F. mon mari à Bordeaux
- Je vais 2 stations plus loin
A ce moment, un haut parleur hurle que le trafic vers Paris est interrompu en raison d'un très grave accident.
Le visage de J, jusque là souriant, change du tout au tout, elle s'anime d'une véritable agitation physique, et débute une logorrhée qui ne cessera qu'environ une heure plus tard.
- Je vais rater mon TGV, F. m'attend, nous devons ...... et blablabla ....
Je ne l'écoute plus et lui propose de l'emmener en voiture. Il est 13h15, le TGV est à 14h25.
- et tu crois qu'on arrivera à temps ? Parce que sinon blablabla .....
Dix fois au moins elle répètera cette question, je vous fais grâce des autres commentaires hors de propos....sauf le très classique
- et pourquoi passes tu par là, par ici ça va plus vite et ....
J'étais serein lorsque nous arrivons Gare Montparnasse à 14h05. Mais pas J. qui saute de la voiture, sans un mot et se met à courir, .... pourtant, elle avait ...et réservation et billet en main, elle n'avait qu'à monter dans le train. Avait-elle une nécessité objective de courir ?
Est-ce que J. a été contaminée étant enfant par un "dépêche toi" répété à l'envi selon les circonstances avec génération de pression à la clé ? Si on en croit Fitzhugh Dodson qui écrit qu'à 6 ans, tout est joué, j'aurais tendance à penser que pour J. oui, si je l'ai bien observée: nous avons travaillé presque 25 ans ensemble. J ne sait pas gérer la pression et se laisse envahir par l'émotion.
Sur quel modèle vit-on dans nos sociétés occidentales ? Je choisis l'exemple d'une famille avec enfants scolarisés, qu'il faut emmener à l'école.
Les parents pensent souvent, à juste titre d'ailleurs, que le sommeil des enfants est plus qu'important, calculent un horaire de lever "ric-rac" qui nécessite de caler pile-poil le petit déjeuner, la douche, l'habillage, le trajet vers l'école. La noria des voitures pilotées par des excité(e)s aux alentours de l'école proche de mon domicile témoigne d'un état d'esprit déjà en état de surchauffe vers 8h15.
L'enfant, sans cesse soumis à cette contrainte, non de penser au temps mais de le vivre, et avec un temps compressé, finit par en faire un système de fonctionnement, non, pas de pensée ... mais un comportement automatique. Je fais encore référence ici à Fitzhugh Dodson cité plus haut.
Combien d'utilisateurs des transports en commun courent et le matin et le soir pour pouvoir monter dans le "bon" bus-train-RER-métro-car afin de pouvoir arriver à temps, qui pour aller chercher le petit chez la nounou, qui pour faire les courses, qui pour préparer le dîner et obéir à Patrick Lelay en se dépêchant de rendre son cerveau disponible à la publicité. Quelle calamité, là aussi, il faut se dépêcher.
Là encore, dans la pub, il faut se dépêcher afin d'obtenir la dernière faveur que vous fera le publicitaire .... (Ah ... L'urgence à obtenir 100 SMS gratuits me laisse rêveur et me plonge dans un état de désolation ... très avancée).
Combien de tâches sont accomplies dans le travail ou ailleurs dans la précipitation sous la pression. Manger un sandwich en lieu et place d'un vrai déjeuner afin de soi-disant gagner du temps: Si quelqu'un connaît un gagneur de temps, il faut présenter cette personne au juré Nobel de physique. Ici, encore, on obéit à la dictature du "dépêche toi".
La conséquence de faire vite est de générer une pression mentale permanente qui donne l'illusion d'être efficace, alors qu'on peut faire, réaliser, accomplir sans se dépêcher, sans pression tout en parvenant au même but, bref, être tout aussi performant (si nécessaire).
J'ai lu (sous la plume de quelqu'un que nous connaissons tous ici) que ...
"pour avoir de la patience, il faut avoir du temps".
C'est là le noyau dur du problème évoqué ici. Nos fonctionnements sont régis par un raccourcissement du temps dont nous héritons de nos parents et autres intervenants, et tout ce qui en découle, y compris la mise sous pression de "l'autre" qui est et a été, de tout temps, utilisée dans toutes les catégories de la société. Quand je vous disais que c'est un système de fonctionnement.
Vous voyez une différence, vous, entre le tableau brossé aux caisses d'un supermarché et ce dessin de Plantu paru dans Le Monde du 10 octobre 2009 ?
Vous percevez sans aucun doute la part de cette pression permanente dans le stress - on n'est pas à l'endroit approprié pour en parler -mais vous m'accordez la parenté ?
La pression, faire vite, me parait être, je ne prétends aucunement à l'originalité, une caractéristique de notre époque:
- on voyage en TGV/avion
- nos automobiles peuvent pour certaines d'entre elles atteindre et même dépasser 200 km/h , et j'ai longtemps piloté de très grosses motos aux capacités monstrueuses .... avec une tension et une fatigue importantes :-(((((
- nos ordinateurs vont de plus en plus vite, (un Apple II 1 mHz; aujourd'hui, 4 coeurs à 3GHz est la progression en 32 ans)
- nos disques durs ont couramment des temps d'accès de 10 ms ou moins pour une bouchée de pain,
- on achète n'importe quoi sur Internet en un clic de souris: ça dure combien de temps déjà une clic de souris ? hep vous, le gagneur de temps, vous avez la réponse ?
Notre vie nous conduit à caser des tâches à accomplir, en nombre imprévisible et en temps d'exécution variable (normalement) dans un laps de temps fixe. Je vous cite un exemple que je connais assez bien: l'organisation des programmes des blocs opératoires qui illustre parfaitement mon propos. Et ça ne génère pas de pression ça ? Demandez aux infirmières de bloc et à mes collègues !!!
Un dernier exemple qui nous a bien mis dans cette crise financière effroyable: les banquiers et autres "traders", sous la pression du gain, encore la pression du temps, (je rappelle qu'un des credos du capitalisme, pas le plus intelligent, je vous l'accorde, est le gain d'argent le plus rapide possible) n'ont rien vu venir en titrisant du vent: des dettes. Aux dernières nouvelles (Le Monde du 4 octobre), on voit à nouveau les mêmes pratiques.
Encore une fois "dépêche toi" est un système, un mode d'action, irréfléchi, sans recul, imposant de toujours céder à la pression afin de ne plus la ressentir tant elle est violente, sans oublier le corollaire "d'accord, d'accord ?" qui surimpose le pouvoir à la puissance déjà évoquée.
Cette pression monopolise la pensée sur "Maman a dit vite", c'est insupportable. Je vais tout faire pour me débarrasser de .... et ... faire plaisir à Maman. En passant, vous voyez que la machine s'auto-entretient.
Pour pallier à ces "désagréments", nos chers laboratoires pharmaceutiques ont découvert et nous vendent qui du Lexomil, qui du Temesta, ou du Valium censés faire baisser la pression d'ordre psychologique ou le stress, ça dépend des molécules et des labos. En fait, par un mécanisme d'abrutissement, ces "drogues" diminuent la perception de la pression ... Quant au reste, je vous laisse y réfléchir et je (ne) vous parle (pas) de la dépendance à ces substances engendrée, bien sûr.
Je termine sur un corollaire. Nous sommes d'accord que derrière tout ça, apparaît une certaine peur, ne serait-ce que celle de ne pas faire plaisir à Maman, ou bien qu'elle augmente encore la pression jusqu'à ce que ... Rappelez vous la toute puissance de l'adulte.
Les éléments de base de la psychologie stipulent qu'il existe un trio infernal d'inséparables:
Et vous parvenez à vivre avec ça vous ?
P.S.#1 Paul Morand a écrit "l'Homme Pressé" dont j'ai trouvé une assez jolie synthèse
Pierre gâche tout, l'amitié, l'amour, la paternité, par sa hâte fébrile à précipiter le temps. A cette allure vertigineuse, il ne goûte plus ce qui fait le prix de la vie, ni les moments d'intimité que sa femme Hedwige lui ménage, ni la poésie des choses. Il se consume et consume les siens en fonçant vers un but qu'il renouvelle, chaque fois qu'il l'atteint.
P.S.#2 Derrière tout ce dont je viens de vous parler, vous avez bien compris que se profile le concept de liberté, liberté de choix de vie, liberté mentale .... L'école de Summerhill a tenté l'expérience de la liberté depuis longtemps, et à ce que j'en sais, les résultats obtenus, "plus tard dans la vie" sont loin d'être mauvais.
, le 05.11.2009 à 06:11
Beau thème d’actualité, ysengrain.
On peut aussi se poser la question de la qualité de l’éducation de ceux (cadres et patrons) qui poussent les autres, ceux d’en bas, à surproduire, en survitesse et en sachant très bien qu’ils leur demandent trop. Qu’ont-ils donc subi comme traumatisme dans leur enfance, ces traumatiseurs, comment et par quoi ont-ils été ainsi formatés à la capacité de faire sciemment souffrir les autres ? Bourreaux et victimes se confondraient-ils dans un même passé subi ?
D’où vient donc que tel quidam travaille avec la nonchalance d’un ours placide et que tel autre s’agite avec un métabolisme de lemming ? Le remarquable est que la productivité de chacun peut être équivalente. Mais l’un aura souffert, l’autre pas.
De fait, nous devrions adapter notre rythme de travail à la pure nécessité ; tantôt rapide pour une urgence, mais l’urgence ne peut être un état permanent, tantôt lent lorsque l’on n’est pas sous le coup de ladite urgence ; une période compensant l’autre, le rythme naturel serait respecté et le bien-être sauvegardé.
Il m’est arrivé de produire un « opuscule » de 135 pages en dix jours sur onze possibles. En restant crédible, apparemment, puisque personne n’a jamais émis sur ce chef-d’œuvre (!) né de l’urgence la moindre remarque négative. Aucun stress, juste le fun. Mais c’était un choix, rien ne m’interdisait de refuser. Ainsi l’homme devrait-il pouvoir choisir de forcer la cadence… ou pas. Le simple fait de pouvoir choisir vous place dans un état d’esprit constructif et productif. C’est quand il est libre que l’homme peut déployer tout son potentiel. Voir le fonctionnement des coopératives, on en reparlera certainement beaucoup et souvent dans les années qui viennent.
Il m’arrive de travailler avec un copain dont la devise est : « On n’a pas été faits en courant », devise qui place d’autorité le temps, tout simplement hors de propos. Quel temps est nécessaire à l’accomplissement d’une tâche ? Le temps qu’il faut pour l’accomplir correctement, tout simplement. Ce n’est pas du Fernand Reynaud dans le refroidissement du canon, c’est de la raison pure. Or, placés face à l’incompressibilité du temps, les zozos qui décident et ordonnent ont délibérément choisi de contourner l’indépassable en jouant sur la variable « ressource humaine » : l’homme de chair et de sang. Tant qu’il coûtera moins cher à l’entreprise abusive de remplacer un homme en panne (usé ou détruit) dont le coût sera encaissé par la collectivité, plutôt qu’une machine en panne dont le coût sera à la charge de l’entreprise, la folle course à la productivité se poursuivra. Car ce qu’il y a de radicalement nouveau dans ces trente dernières années c’est l’accroissement du « gagner toujours plus ». C’est l’avidité, le virus que le peuple subit. Jamais l’appât du gain ne fut si développé et l’on sait aujourd’hui que la course à l’argent est porteuse de mort pour ceux qui produisent la richesse.
Bien sûr, l’éducation, familiale et scolaire, peuvent formater à jamais un être humain.
Tu évoques, ysengrain, Libres enfants de Summerhill, un ouvrage que nous lisions dans les années post-68. Un guide, à l’époque, pour imaginer une philosophie de vie différente commençant par une éducation différente. Les critiques bourgeoises condamnaient alors violemment la « permissivité » (le mot s’est répandu comme un trait de poudre) de ces expérimentateurs anglais qu’ils jugeaient même licencieux, confondant ainsi, dans un raccourci qui les arrangeaient bien, liberté et licence. Pensez donc ! Un système éducatif dans lequel n’entreraient ni discipline, ni religion ! Ni sabre, ni goupillon ! Impensable pour le pouvoir de droite dont le libéralisme n’a décidément rien à voir avec la liberté.
Nous avons d’ailleurs des expériences antérieures de ce type en France avec la pédagogie Montessori et plus encore la pédagogie Freinet (coopérative d’enseignement laïc désormais intégrée à l’Éducation nationale) et je travaille en ce moment avec un jeune issu d’une école Freinet qui, à 24 ans, vient de créer, dans un établissement culturel, son propre emploi auquel personne n’avait pensé et qui s’avère aujourd’hui indispensable. Quelle capacité d’analyse, quelle indépendance d’esprit et quelle créativité ont été nécessaires pour inventer un emploi et combiner son financement à une époque où les restrictions budgétaires n’ont jamais été aussi sévères dans le domaine culturel !
—
« On ne peut être à la fois au four et au moulin. »
, le 05.11.2009 à 06:27
voilà une bien rude mais tellement lucide approche de ce qu’est la vie, et en filigranes, de ce qu’elle pourrait nous offrir si seulement nous avions le temps ;-)… Le temps est un luxe, tout comme l’espace et le silence. sans oublier, que dans cette gigantesque course de rats, l’homme a marqué de son empreinte d’autres souillures tout aussi graves que le stress à tout-va, comme les pollutions, diverses extinctions (faune, flore) et la désagréable impression que tout ce cycle, cette fuite en avant sont irréversibles, irrémédiables. Merci et bonne journée
, le 05.11.2009 à 07:07
Il y a longtemps, j’avais un Boss britannique très flegmatique.
En ces temps là, l’autoroute du Sud/Soleil s’arrêtait à peu près à Fontainebleau/Nemours.
Un de nos clients possédait une puissante SM et s’était vanté d’avoir gagné dix minutes sur Paris-Lyon. Le bon Harold lui a suavement demandé, derrière sa pipe, à quel taux il les avait placés en banque…
, le 05.11.2009 à 07:13
Tout va plus vite: les trains, les avions, les moyens de communication. Sur ce thème, je vous conseille le sketch de Timsit (“je suis pas là pour tricoter, j’suis un homme moderne moi ! “) Et puis bien sur la chanson de Noir Désir, l’Homme pressé. Et puis pour nuancer je pense qu’on doit aller vite pour des choses peu ou pas essentielles pour se concentrer sur des choses importantes (la famille). Moi aussi je stresse quand je risque de manquer mon avion ou mon train, sur le chemin du retour vers ma petite famille.
, le 05.11.2009 à 07:24
A la dernière question posée, je crois, sans que ça soit pour autant “THE” interprétation univoque, qu’il y a une communauté de formation à la pression qui commence dans l’enfance. Le boss de la clinique où je travaille a récemment pris une décision, sous la pression de l’actionnaire ( Je vous salue Môssieur le capitaliste pressé), contraire à la raison. Il ne l’a pas dit, mais je suis totalement convaincu qu’il le sait, et que … Se dépêcher et recevoir la pression deviennent rapidement indissolublement liés.
C’est la raison pour laquelle j’aime tant la lutherie que je pratique pour le simple plaisir d’élaborer sans pression, mais bien. Je travaille aux côtés d’un maître dont les premiers temps d’exercice ont été consacrés à la recherche de la meilleure méthode d’élaboration afin de pouvoir produire – il en vit – sans se mettre la pression. Il ne “grogne” ou ne “râle” jamais quand “ça ne va pas”: il produit sereinement.
, le 05.11.2009 à 07:42
Pas le temps de commenter! Faut que j’y aille!
Milsabor!
, le 05.11.2009 à 08:15
Oui, il m’arrive d’être pressé, mais heureusement, probablement avec l’âge et l’expérience de la vie, je ne me laisse plus stresser. Comme le dit très bien Okasou, des accélérations, des changements de rythmes, il y en aura toujours et je les trouve aussi plutôt bénéfiques.
J’ai la chance d’avoir eu à la fin de ma scolarité un éclair de bon sens (ou fut-ce de la peur ? Une lucidité inconsciente ? Peu importe), j’ai choisi de faire un apprentissage de jardinier bien que sortant de (ce que l’on appelait alors) l’école secondaire. Il est presque inutile de préciser que cette décision fut combattue par tout mon entourage (parents et école); mes parents, très désemparés, on même essayé une forme de chantage, ils m’ont privé de vacances qui étaient prévues avec des amis pour me faire faire un stage chez un jardinier (connu pour sa rudesse) et, bien sûr, ils n’ont réussi qu’à consolider mon choix (qui en plus, après ce chantage, devenait un bon moyen de «tuer» une fois de plus mes parents).
Je n’ai jamais regretté ce choix, car justement, ce fut le frein aux «dépêche toi». Quand nous travaillons avec la nature (même sous serres), c’est son rythme qui est la base de tout, avec en prime l’apprentissage de l’adaptation quotidienne aux changements météorologiques.
Il n’y avait aucune facilité : à 16 ans jusqu’à 52 heures de travail en saison et contrairement à tous mes anciens camarades 4 semaines de vacances par an au lieu des 13; je reste persuadé que ce ne sont pas le confort ni une certaine oisiveté qui sont formatifs, mais bien la confrontation à une réalité naturelle. Dans cette réalité, il restait encore des «dépêche toi» : des délais «artificiels» imposés par la société (le muguet en fleur le 1er mai, les étoiles de Noël, etc.), mais ce n’étaient que des objectifs fixés (nous sommes dans une société qui fonctionne par objectifs), mais c’est dans la manière d’y arriver que les lois naturelles s’imposaient et c’est totalement différents à tous les «d’accord, d’accord».
J’ai appris à «gagner» du temps en m’arrêtant pour voir planer un Milan royal, manger un écureuil, des chamailleries de moineaux ou simplement un mélange de soleil, de brumes et de vert.
Merci pour ce billet , une respiration, une de plus
, le 05.11.2009 à 08:54
Comme nous disent les Africains, à nous Européens pressés : “Vous, vous avez l’heure ; nous, nous avons le temps”
, le 05.11.2009 à 09:37
Merci, ysengrain, pour ce billet qui remet les pendules à l’heure. Je suis plutôt du genre « plantigrade flegmatique », le temps, pour moi n’a pas vraiment d’existence réelle : le passé n’est plus, le futur est punk (No Future !), seul compte l’instant, l’immédiat…
Philob, c’est bon, un écureuil ? pas facile à attraper, non ?
jeje31 ;o)
z (qui aime bien prendre son temps, je répêêêêêêêête : plutôt que de vivre avec son temps)
, le 05.11.2009 à 10:05
Bravo pour cette contribution !
Les “dépêche toi” et le “d’accord, d’accord” sont dans l’air du temps et de l’approximation permanente dans laquelle nous vivons et dans laquelle nous contraignent (liste non exhaustive) beaucoup de journalistes, d’hommes politiques et de publicitaires (avec, pour ces derniers, la bénédiction des entreprises pour lesquelles ils travaillent). Certaines évolutions technologiques (la convergence vers IP par exemple) augmentent la complexité des contrats de service et la dilution des responsabilités en cas de problème… Pour le grand public, l’accélération du renouvellement des gammes d’équipements et des services est une source de stress. Sans parler des nouvelles technologies qui engendrent un vocabulaire abscons, y compris pour les fournisseurs ! Je ne compte plus les fois où je pose la question de savoir ce que veut dire “giga” à un directeur régional de France Télécom ou à un responsable de la vente chez un grand équipementier informatique… et suis la plupart du temps effondré devant leur réponse. Je suis admiratif de la capacité d’adaptation du “grand public” mais également effrayé de savoir que nous vivons trop vite, sans comprendre ce qui nous entoure, ce qui nous est proposé comme modèle de société (pas le temps de lire les textes et d’avoir un débat ouvert), etc.
Sniff.
, le 05.11.2009 à 10:25
@ hp41: ce pseudo a t il quelque chose à voir avec l’utilisation d’une calculatrice programmable célèbre en son temps et que je possède toujours en état de fonctionnement ?
, le 05.11.2009 à 11:06
Excellent papier Ysengrain.
Juste quelques anecdotes en passant car je suis pressé, moi !!
J’accompagne mes gamins à l’école tous les matins et j’ai remarqué que ce sont toujours les mêmes qui sont en retard et donc pressés, or en connaissant certains très bien, rien ne justifie leur retard, si ce n’est une organisation stressée de leur vie.
A l’inverse, je me souviens d’une cafétéria dans un ensemble de bureaux comme la banlieue ouest parisienne les affectionne (moche et bruyante en sous-sol…), alternativement tenue par une antillaise débonnaire et fort placide et une autre personne “genre pétasse stressée”. J’ai rarement vu quelqu’un d’aussi efficace que cette antillaise dont chaque déplacement était “optimisé” dans le calme, la lenteur et l’efficacité.
Ce qui me fait rebondir sur le syndrome du “grand-chef a dit”, base de fonctionnement des bureaux situés dans les étages supérieurs…
Ainsi, il vient une idée au grand chef (bonne ou mauvaise là n’est pas le problème), il en parle aux chefs qui acquiescent et organisent rapidement des réunions avec les sous chef pour faire avancer l’idée, qui eux-même s’empressent de réunir leur subordonnés leur demandant d’organiser des réunions de travail dare dare avec les sous-sous-chefs qui stressés par nature s’en vont gueuler dans tous les services qu’il est inadmissible que le projet ne soit pas encore pondu et qu’il faut des résultats au plus vite pour le lendemain… et au passage qui se dépêcheront d’asticoter les fournisseurs, free lance et autres “consultants”.
Ah ! les sales cons ! ou le règne de la compétition, de la concurrence, de la compétitivité, des lignes de TGV qui nous font gagner une demi heure sur Paris Marseille au détriment des transports urbains qui, mal organisés et sous développés, nous en font perdre deux, à la rentabilité qui envoient se faire fabriquer à l’autre bout de la planète des trucs dont on n’a pas besoin ici…
Tiens, je me suis amusé à calculer un truc à propos de la CROISSANCE, ce fameux deus ex machina qui va nous sauver de la crise et que tout le monde attend avec envie ou regarde en bavant du côté de la Chine.
Or donc, si un stock (non renouvelable) de “machin-bidule” est épuisé en mille ans à consommation constante (x tonnes par an, tous les ans pendant mille ans), une consommation croissante de 10% l’an (x tonnes plus 10%, plus 10%, plus 10%… tous les ans) épuisera notre stock en… moins de 50 ans! et, plus drôle, la moitié des réserves sera atteinte au cours de la 42e année (doublement de la consommation tous les 7 ans)!
Elle est pas belle la vitesse, la croissance ! magnifique non ? Ahhhh… la croissance de la Chine… 10% par an !
T’as raison, Ysengrain, dépêchons-nous !
, le 05.11.2009 à 11:44
Merci Ysengrain pour cet article très intéressant.
Sur ce sujet, voir aussi l’ouvrage du canadien Carl Honoré, “Eloge de la lenteur”.
Et aussi les théories de l’analyse transactionnelle, qui identifient le “dépêche-toi” comme un des “drivers” imprimés très tôt dans notre mental, et qui peut générer des conduites d’échec. D’autant plus s’il devient une injonction paradoxale “dépêche toi et sois parfait”.
Dépêche-toi privilégie le moyen (aller vite) par rapport à l’objectif (finir à l’heure, qui reste tout de même important !).
Dépêche-toi donne aussi l’illusion de pouvoir attendre le dernier moment avant l’échéance pour engager un travail qui aurait mérité une longue réflexion.
Notre civilisation saura-t-elle sortir de la spirale infernale de la rapidité dans laquelle elle s’engage collectivement ? Quand je vois que l’on prend de plus en plus de décisions juste “pour décider vite”, quand je vois autour de moi tous ceux qui partent dans l’action avant même d’avoir entendu tous les motifs de cette action, j’ai du mal à y croire.
Et quand je nous vois nous mêmes impatients devant la page qui ne s’affiche pas instantanément, toujours dans l’attente du processeur plus rapide, je me dis aussi que nous nous créons en permanence de faux besoins de rapidité. Google nous entraine aussi dans la logique de la réponse immédiate à une question. Sans forcément en vérifier la pertinence.
Comme le dit Okazou, tout est dans l’éducation, qui fabrique à la fois les bourreaux et les victimes… celle que nous avons reçue, celle que nous donnons à nos enfants, à nos petits-enfants.
N’oublions pas dans cette éducation de parler d’art, de culture, de jeu… de tout ce qui est beau et qui prend du temps !
, le 05.11.2009 à 11:57
Je suis imprégné des éléments de l’analyse transactionnelle depuis plusieurs années. La rédaction de ce billet en est imprégnée largement, quand bien même j’ai essayé de l’éviter en gardant un langage “naturel”.
, le 05.11.2009 à 14:00
Je serai moins catégorique que certains d’entre vous : gagner du temps n’est pas un non sens à mes yeux.
Cela est justifié quand on a consacré moins de temps qu’on ne l’imaginait à une activité désagréable. Ce temps est alors disponible pour quelque chose de + gratifiant, il y a bien un gain.
Si je dois participer à une réunion avec quelqu’un que je trouve pénible ou antipathique, et que la réunion dure un quart d’heure de moins que prévu, j’estime avoir effectivement gagné du temps.
À l’inverse, il faut environ 1 heure de marche, ou un peu plus pour monter d’Arolla (2000 m) à Pra Gra (2479m) dans les Alpes Valaisannes. Si je mets plus de 2 heures, parce que j’ai eu la chance d’observer et éventuellement de pouvoir photographier une belle chenille, un petit Apollon (Parnassius phoebus) fraîchement éclos, ou des fleurs alpines en pleine floraison, je ne considérerai nullement que j’ai perdu du temps. Au contraire, j’aurai pu consacrer plus de temps que prévu à une activité passionnante. Ce temps supplémentaire est au contraire également du temps gagné !
, le 05.11.2009 à 15:03
C’est le paradoxe du nénuphar, repris, en 98 je crois, par Albert Jacquart pour le titre d’un de ses ouvrages.
Bon, c’est pas tout ça, mais le boulot m’attend.
, le 05.11.2009 à 16:29
@ysengrain : le pseudo correspond à mes initiales mais également à ma calculette préférée, qui ne fonctionne plus d’ailleurs… Tiens, en passant, j’ai du mal à trouver une HP-11c pour chacun de mes deux enfants !
, le 05.11.2009 à 20:30
Sympa, merci de nous mettre la pression ;-) … La solution ne serait-elle pas de pouvoir stocker le temps inutilisé afin de le “reprendre” à bon escient ! Perso j’ouvre de suite une banque du temps (à revendre).
J’ai eu la chance cette année de pouvoir prendre 2 X trois semaines de vacances (en l’espace de 3 mois) hors-tout, aucune imposition dans mon horloge biologique, sans nouvelles du monde, réveil quand je voulais. Quel pied, mais dommage, la réalité c’est pas ça… A chacun de mes retours, la réalité (dodo-boulot-métro-paperasse-facture-impôts) a repris le dessus. Bonjour la déprime :’(
, le 05.11.2009 à 22:37
Un des plus beaux cadeaux qu’on puisse me faire, c’est de me donner… du temps ! C’est une chose précieuse et qui ne s’achète pas : le temps, on le prend, on le donne, on l’offre.
Bref, beau billet,
, le 06.11.2009 à 19:42
Encore un sujet qui va partir trop rapidement.
Vite, VITE, je poste un commentaire avant de prendre le temps de lire les autres interventions !
, le 07.11.2009 à 01:15
Prendre grassement le temps de contempler le comportement de son prochain, en dénigrant sa vaine agitation forcément preuve d’un manque d’organisation, d’un abandon miséreux à la société de consommation, d’un manque de courage ou de clairvoyance.
Ah il a bon dos l’Autre ! Ah tous ces Gens qui sont là pour nourrir la suprême satisfaction du bourgeois parvenu qui se rêve en bon gestionnaire sans peur d’une vie pépère sans inconnu , dans un calme toujours maîtrisé où la colère a laissé place à la dérision et au renoncement.
Putain Ysengrain, vends ton Mac de bourgeois et donne ton pognon au sale peuple. Et repart de zéro avec les asservis qui triment, qui passent 3 heures par jour dans les transports pour gagner un smic, qui rentrent à point d’heure le soir, qui n’ont pas la force ni les moyens de ressortir pour aller au théâtre, qui courent encore après les trains pour s’évader le temps d’un weekend dans la famille qui habite à l’autre bout du pays.
Et même Okazou qui nous sort de la pédagogie Freynet, de l’auto-congratulation sur ses écrits et du “Le simple fait de pouvoir choisir vous place dans un état d’esprit constructif et productif”. Mais qui a vraiment la possibilité de choisir aujourd’hui ?
En quoi cette humeur naïve au relents rousseauistes va-t-elle faire avancer quelque chose ?
Tiens je me remémore l’agitation et le stress de l’hôte de ces lieux qui partit naguère au beau milieu de la nuit pour s’en aller quérir l’aillefone de ses rêves à l’autre bout du troisième paradis fiscal de notre planète, en nous gratifiant d’un pseudo reportage en temps réel. Belle illustration du sujet.
Ya des fois Cuk est en dessous de tout !
, le 07.11.2009 à 06:48
Ça, henrif, c’est la question stérile de celui qui a baissé les bras ou qui s’est levé du pied gauche. La bonne question, celle qui peut faire avancer les choses en tant qu’elle constitue un point de départ, c’est : « Que devons-nous faire pour qu’il soit possible à chacun de choisir et comment l’homme “moderne” a-t-il accepté de perdre sa liberté de choix qui est pourtant fondamentale ? » Encore faut-il prendre la liberté de dire haut et fort que ce qui doit devenir normal c’est que chacun puisse choisir. Quand je parle de choix, je ne présuppose pas non plus qu’il puisse être altéré par quoi que ce soit.
Ne t’inquiète pas sur mon compte ni sur mon sort, henrif, ce que tu décris comme une autocongratulation n’est que l’exemple le plus significatif que j’ai trouvé en écrivant pour emmener mon propos sur la possibilité dudit choix. Mais quand on veut forcer le trait… ;-)
, le 07.11.2009 à 09:37
@ henrif Merci de ce coup de gueule allant à rebrousse-poil du doux consensus qui régnait depuis la parution de ce billet. De fait, Je m’attendais à plus de contradiction(s).
Oui, j’ai pris le temps depuis quelques années de contempler mon prochain, et ça ne va pas s’arrêter là. Mais avant ça, en liaison avec le fait que faire le grand écart conduit quelquefois à se faire un élongation, ne me supportant plus avec mon lot de contradictions, j’ai fait le choix de me poser, de réfléchir et de me faire aider.
Oui, henrif, j’avais du temps, entre les 17 heures par jour que m’occupe mon métier, il y a aussi ma famille, mes enfants, mes amies et amis, l’envie comme tout le monde de respirer et d’aller courir “après les trains pour s’évader le temps d’un weekend dans la famille qui habite à l’autre bout du pays.”
Forcément, ce retour sur mon passé m’a remis “en contact” avec des événements de l’enfance. En somme, comme un autre genre de rousseauiste, comme tu m’appelles, – je veux parler de Boris Cyrulnik (et loin de moi l’idée de m’y comparer, mais simplement de le citer ici) – j’ai pris le temps de détricoter des étapes de ma vie. Ainsi, je me suis rendu compte de ce qui a fait le sujet de ce billet.
L’autre est à mes yeux non pas potentiellement un ennemi, mais un être vivant auquel je tends la main et plus si nécessaire. Je ne ressens aucune satisfaction de suprême satisfaction vis-à-vis de l’autre, de putative supériorité de parvenu bourgeois. Je vis au jour le jour toute la misère physique sociale, psychologique que la maladie, physique, elle, génère, depuis 40 ans. Sans compassion, je ne trouve pas d’autre mot, et ce n’est peut-être pas le plus approprié, je ne pourrais pas exercer mon métier, qui une des grands fondations de ma vie.
Pour terminer un peu plus légèrement, vendre mon Mac de bourgeois ne servirait à rien, car j’en ai 2 (comme tout bon bourgeois diras tu), car pour m’arrêter sur le chemin de la vie, il faudra m’empêcher de penser, réfléchir, regarder, humer, respirer, et ça vois-tu henrif, ça me fait avancer, avec ou sans Cuk, mais plutôt avec car c’est une communauté plus ou moins formelle ou informelle, c’est selon, dans laquelle je me sens bien.
Je crois que tu te trompes de colère, simplement. Et s’il y a colère ….
, le 07.11.2009 à 18:19
Ayé j’ai tout lu, et j’ai vu que d’autres avaient eu la même idée de blague que moi, avant moi.
Moi aussi je m’excite quand je risque de louper un train, ou quand un “mou du genou” me fait perdre mon temps dans une file d’attente. J’ai autre chose à foutre que de glander dans une gare à attendre le train suivant, et autre chose à foutre que d’écouter les conneries des mémères qui parlent de leur toutou à la boulangère.
Toutefois je ne fais jamais de remarques et je prends sur moi l’attente, et j’échange toujours quelques phrases avec ma boulangère etc. Là où ça m’agace, c’est quand je sens chez certaines personnes le besoin de freiner tout le monde. Cette frénésie et cette excitation permanente est fatigante ? Certes, alors allons nous allonger dans les champs, mais pas au milieu de la rue pour bloquer tout le trafic.
Cette société est fatigante, maintenant, il ne faut pas s’en prendre à ceux qui la subissent. Là dessus je rejoins henrif.
Il y a ceux qui courent pour gagner plus, et ceux qui courent pour garder la tête hors de l’eau.
Et moi, quand je suis en haut d’une pente, que ce soit à ski ou à VTT, je ne suis pas pressé d’arriver en bas et pourtant je la descend à toute allure. Et j’adore ça.
Et c’est pareil dans la vie de tous les jours, on a besoin d’un peu d’adrénaline de temps à autres.
Souvent je travaille vite quand je fais mes programmes, je suis hyper stressé, et pourtant c’est un passe-temps. Mais c’est parce que les idées se bousculent dans ma tête, je modifie une ligne et ça me fait penser que j’en aurais 3 autres à modifier en conséquence. Et je réfléchie à ces 3 autres, et je devine déjà qu’il y en aura 10 derrière que je devrais contrôler. Bref, j’en ai plein la tête et je dois vite finir avant d’oublier toutes les choses auxquelles j’ai pensé.
Et j’ai les mêmes exemples pour le travail. Bref, souvent je suis pressé de me vider la tête, le problème est qu’on se la re-remplie trop vitre derrière (ou qu’on nous la re-remplie. Et parfois même avant qu’on ait pu la vider des pensées précédentes).