Salut l’Artiste, et merci pour tout. J’ai eu l’occasion de voir sa rétrospective à Arles cette année. Et de m’arrêter à la librairie Côté Sud pour acheter “Ce jour là”, un livre dans lequel il raconte les circonstances des prises de vue d’une cinquantaine de ses photos. Passionnant.
[MODE FLIKR/ON] La chaise est coupée. L’extérieur de la fenêtre est complètement cramé. Il faudrait penser à redresser les perspectives. C’est légèrement surex dans les ombres (la chaise). [MODE FLIKR/OFF]
Un photographe comme Willy Ronis ne meurt pas. Son œuvre reste, vivante à jamais (surtout sur négatifs! ;-))
J’ai eu le chance de tomber sur l’édition originale de Belleville-Ménilmontant aux puces. Ce livre fait partie de la brassée de bouquins que je sauverais si ça brûlait!
@ ElGeko: voilà la preuve, s’il en était encore besoin que l’objectivité, indéniable dans tes observations, ne peut suffire à dire que cette photo montrée est loupée. Car de l’avis très majoritaire dans le monde entier, il s’agit ici d’une très grande photo.
YSENGRAIN: Déjà, je mettais un mode qui n’est pas (forcément) le mien hein… (à part le sarcasme final qui —lui— correspond bien à ce que je pense de la critique photo moderne). Qu’une grande majorité de gens dans le monde considère cette image comme une grande photo, moi, je veux bien, mais honnêtement, je pense que si elle avait été prise hier, par quelqu’un d’inconnu, elle n’aurait pas ce même impact. De là à dire que seules les photos “anciennes”, de photographes morts si possible, merci d’avance, peuvent atteindre des sommets de popularité… Attention, j’aime bien cette photo aussi, pas de soucis, mais de là à la considérer comme un chef d’oeuvre… j’en suis loin. Cette photo apporte une émotion à son spectateur, clairement, (et c’est ce qui compte évidemment) mais au niveau technique, elle manque d’aboutissement, je maintiens, en toute humilité of coursément! :)
RENAUD: non, je ne pourrais pas car il ne s’agirait plus alors d’une critique objective mais d’un avis personnel, ce qui n’a plus rien à voir.
Aujourd’hui tout le monde est photographe, mais aussi graphiste, journaliste, critique d’art, comptable, écrivain, réalisateur, monteur… etc.
La puissance des ordinateurs permet tout cela, les amateurs concurrencent réellement les pro, voilà pourquoi les agences photo disparaissent, les journaux de même et le reste à l’avenant. Même dans des domaines plus matériels et palpables comme la plomberie, la peinture, l’électricité et le reste… les loisirs d’un côté et la simplicité de mise en œuvre des procédés ont fait éclater le secteur du bricolage… (la vis cruciforme auto foreuse et son corolaire la visseuse sans fil en sont emblématiques).
C’est comme ça, mais parallèlement, rares sont les maçons qui savent encore tirer le plâtre sur les murs ou les menuisier construire un escalier balancé…
C’est un constat ; des techniques se perdent et des savoir-faire s’aiguisent.
…mais au niveau technique, elle manque d’aboutissement, je maintiens, en toute humilité of coursément! :)
Si je comprends bien, tu plaisantes, mais pas trop… “Au niveau technique, elle manque d’aboutissement!” Faudrait juste voir à ne pas dire n’importe quoi. Même en toute humilité…
Superbe… merci de la partager cette photo – et aussi de l’hommage (mon beau-frère, artiste lui aussi est décédé quelques jours avant Willy = le fameux 09-09-2009 – je suis donc en “phase”) je ne connaissais pas Willy Ronnis, mais cette photo-là, cela ne m’aurais pas dérangé d’en être l’auteur O:-)
CAPLAN: que tu la trouves parfaite n’implique ni qu’elle le soit, ni que je dise n’importe quoi si je ne suis pas du même d’avis que toi. Mais peut-être as-tu des arguments valables, et concrets, à faire valoir, pour expliquer en quoi cette photo est parfaite, techniquement? Merci d’avance…
Dans un interview de l’Express, voici ce que disait Willy Ronis:
À la question : “Vous est-il arrivé, dans vos chasses aux images, de revenir bredouille?”, il répond :
Ça m’est arrivé. Dans ce cas-là, on ressent la fatigue très fortement. Il y a des jours où on ne voit rien. Et ce n’est pas parce qu’il n’y a rien à voir. C’est parce qu’on est incapable de voir.
question : Comment peut-on apprendre à voir?
Il y a deux choses: l’appareil qui regarde et l’oeil qui «voit». L’oeil est sélectif dans l’instant, mais derrière l’appareil il y a le cerveau. Et, c’est lui qui fait les choix, qui détermine le moment où il faut appuyer.
Question : Ce que votre maître et ami Cartier-Bresson nomme l’ «instant décisif».
Exactement. Avant le déclic, il y a tout ce qui précède, c’est-à-dire la composition. Dans l’ordre, le choix du point de vue, du cadre, de l’angle. A partir du moment où vous êtes placé et où vous sentez qu’il peut se passer quelque chose, vous «prévisualisez» afin de ne pas manquer l’instant où vous pourrez attraper «ça». L’instant du déclic, c’est encore très compliqué. Si l’oeil voit une chose particulièrement intéressante, cela ne veut pas dire que cela fera une bonne photo. L’oeil est incapable physiologiquement d’appréhender à la fois le sujet principal et tout ce qui l’entoure. C’est une des difficultés de la photographie sur le vif, d’atteindre cette vision globale; de bien faire le cadre. Quand on arrive à maîtriser la vision globale, on peut s’adonner à la photo sur le vif. La belle image, c’est une géométrie modulée par le coeur.
@ElGeko: Je ne te veux aucun mal, ne souhaite aucune polémique ou agression, et je trouve plutôt sympa que tu défendes si fort ton point de vue même contre une image admirée faite par un immense (Tu as bien compris que Willy Ronis qui vient de disparaître était un immense). Je crois que tu n’as pas du tout compris que nous sommes d’accord avec toi pour dire que techniquement certains aspects en [MODE FLIKR/ON] ne vont pas.
Il n’empêche, et tu n’as pas cette vision dans tes arguments, que la technique ne fait pas tout (Joël Robuchon dit que la grande cuisine l’emmerde) que cette photo possède un charme, dénote une ambiance, témoigne avec une telle véracité d’une actualité passée, comme on l’a pas souvent montrée. C’est en ça, qu’elle a les critères pour être une grande photo.
Enfin, quand bien même si chaque homme a fait des “pâtés” dans sa vie, pour l’instant, quand on parle de Ronis on sait de qui on parle, mais désolé sincèrement, pour belles que soient les photos que tu montres sur ton site, dans le monde de la photo ton nom résonne très peu par rapport à celui de Ronis et encore une fois désolé, et vraiment sincèrement et sans polémiquer: regarde et apprends, après tu nous montreras.
La puissance des ordinateurs permet tout cela, les amateurs concurrencent réellement les pro, voilà pourquoi les agences photo disparaissent, les journaux de même et le reste à l’avenant.
Jai un bon appareil photo, j’ai un bon petit Mac, j’ai Photoshop, et bien malgré tout cela je suis bien incapable de réussir une telle photo. Non la technique ne fait pas tout et heureusement mais à cause d’elle on finit par se contenter de l’a-peu-près dans tous les domaines qu’elle touche, comme vous le signalez si justement : tout le monde se prend pour JH Lartigue, on voit tous les jours sur le net des sites monstrueux, on balance des infos sans aucune vérification. On a trop tendance à oublier en Art qu’il y a le métier, capital que tout un chacun peut acquérir, mais il y a aussi et surtout le talent, et là ce n’est pas donné à tout le monde.
Cette photo de Ronis me touche tout comme je suis touché par l’hyper-réalisme d’un grand nombre de photos d’ElGeko. Mais dans les deux cas l’émotion doit arriver avant de se lancer dans une étude sur la technicité de l’oeuvre.
Mais peut-être as-tu des arguments valables, et concrets, à faire valoir, pour expliquer en quoi cette photo est parfaite, techniquement? Merci d’avance…
Le problème, c’est que je regarde la photo et que toi, tu regardes la technique. On ne pourra pas se mettre d’accord. Dans un cas concret comme celui-là, le sujet, l’ambiance, la lumière sont tellement présents que la “technique” passe loin à l’arrière-plan. Il n’y a pas à parler “technique” devant une telle œuvre. Il y a juste à regarder et à se dire que ni toi ni moi ne serons jamais des Willy Ronis…
Je continue à défendre le point de vue de ElGeko. Si la photo n’était pas signée Ronis, si un brocanteur en herbe (ou professionnel) l’avait dénichée dans quelques vide-greniers du quartier, la photo ferait la joie certes de son possesseur, peut-être de son entourage, mais sûrement pas de la planète entière.
En matière artistique, et je suis bien placé pour en parler puisque tel est mon statut officiel (je suis designer inscrit à la Maison des Artistes, passé sous les fourches caudines d’une école prestigieuse d’arts appliqués à Paris), l’habit fait le moine que cela nous plaise ou pas ! Cela n’enlève rien au talent des Ronis, Cartier-Bresson ou Doisneau bien entendu, mais le jeu des galeristes et des collectionneurs est bien plus efficace pour aider à la postérité de quelqu’un qu’une supposée “beauté artistique universelle ex nihilo”
L’Art n’a pas un statut universel trans culturel, géographique et temporel ! La beauté en soi n’existe pas, elle fait toujours référence à une Culture, une Histoire, des coutumes… L’art n’est pas une loi physique comme la chute des corps ou la thermodynamique. Ce qui est beau pour les uns est horrrrrrrible pour les autres.
Dois-je rappeler la perception qu’avaient les contemporains des expressionnistes, cubistes, suprématistes, symbolistes, futuristes et autres ou encore de l’Art Nègre au début du XXe siècle ou pour finir, mais la liste est, elle, infinie, du Pierrot Lunaire de Schönberg (1912), des Ready made de Duchamp ?
Hors de son contexte, une œuvre n’a pas beaucoup de sens, c’est d’ailleurs le contexte qui lui donne sens, en l’occurrence et par exemple la Fontaine signée RMutt de Marcel Duchamp dans une galerie en 1917…
alec6, je suis tout à fait d’accord avec toi. Ce que d’aucuns appellent de l’art, d’autres l’appellent de la merde. Et je pense qu’on trouvera des gens d’un camp ou de l’autre pour chaque oeuvre présentée comme étant de l’art.
Sauf peut-être pour Cloaca de Wim Delvoye. Là, tout le monde est d’accord : c’est de la merde (au propre, tout au moins).
Alors là, cher COACOA, je suis bien de ton avis. Pour moi, c’ est incompréhensible ( j’ ai fait 5 ans d’ études artistiques ) que tant de monde s’ extasie devant les oeuvres du sieur WIM DELVOYE. Sa machine à faire du caca, ses rayons-X explicites de couples ” accouplés ”, sa ferme en CHINE où il tatoue les cochons, … Avec ses élucubrations, cet immense artiste se paye 2 châteaux …
La technique, il faut la laisser aux couillons, ça les occupe (et s’ils pouvaient nous lâcher ça nous ferait des vacances). Pendant ce temps nous nous attachons à l’image et à ce qu’elle nous dit, ce qu’elle produit comme réaction en nous.
Qu’elle soit signée Ronis ou Personne n’a pas plus d’importance. De deux choses l’une si mon regard se pose dessus : j’accroche ou je n’accroche pas. Si j’accroche, c’est gagné, on peut aller plus loin dans la découverte et la « lecture ». Si je n’accroche pas, je passe mon chemin.
Cette photo de Ronis, il se trouve qu’elle me séduit. Qu’elle soit signée ne doit pas être un handicap à son appréciation. Au fait, cette photo que nous montre Modane, l’avons-nous faite ? Non, bien sûr. Non seulement elle nous séduit mais elle est un unique objet d’un unique auteur.
Rappelons tout de même que Ronis était le photographe de la classe ouvrière et de la lutte sociale. Il aurait fallu une seconde photo, cher Modane, pour mettre en évidence ce volet qui était de la première importance pour Ronis et c’est en tant que tel qu’il entre dans l’histoire. Il était beaucoup moins le photographe de l’intime.
Tu as raison, cher Okazou. J’aurais dû montrer Le petit garçon, ou le vendeur de journaux. Mais il se trouve que celle-ci, je ne la connaissais pas, j’ai d’ailleurs bien peur d’avoir des gouffres dans ma culture… Elle m’a touchée parce que c’est une photo intime qui ressemble bien à ce que je connais du personnage : sensible, droit, direct, lumineux, une belle âme, en quelque sorte.
Et puis le décor… Dans sa maison, qu’il avait achetée peu de temps après s’être fâché avec son agence pour des raisons éthiques. La dame, je n’en suis pas sûr, doit être sa madame à lui. Telle que figée, elle a la pause gracieuse. J’y crois reconnaître une statue classique qui ne déparerait pas le Louvre, entre Rodin et Maillol.
Et la composition, comme disait François… Cette chaise, la coupée, là, qui donne cette ligne de fuite créant un coin là où il n’y en a pas, imposant l’idée d’une intimité de la toilette, le broc, continuant le penché du volet. As-tu remarqué : il n’y a pas de fenêtre.
Et ce contre-jour… En pelloche… Sans flash pour déboucher…
Cette image est, plus qu’une photo, un acte de reconnaissance, de gratitude, pour ces moments chers qui font la joie de l’existence.
Telle que figée, elle a la pause gracieuse. J’y crois reconnaître une statue classique qui ne déparerait pas le Louvre, entre Rodin et Maillol
À cela je répondrai par la remarque ô combien classique de
des goûts et des couleurs…
De mon point de vue, le modèle est plutôt moche : petite, courte sur pattes avec des jambes épaisses !
Le seul intérêt de la photo selon moi est l’émotion qui s’attache à une époque révolue, et éventuellement une certaine nostalgie. À mon sens, il s’agit d’un document intéressant, mais sûrement pas d’une belle photo.
Ceci dit, pour juger valablement, il faudrait voir le tirage original, probablement un assez grand format, et pas une imagette récupérée sur le Web ; en faisant une recherche dans Google images avec « Ronis nu », on trouve de très nombreux exemplaires de cette image avec des niveaux de contrastes très variés.
Voici par exemple une version beaucoup plus contrastée que l’image choisie par Modane :
En conclusion, l’original est probablement une belle photo, pour ceux qui ne trouvent pas le modèle complètement dénué de charme, mais la reproduction illustrant l’humeur me semble une image assez médiocre.
En continuant à chercher sur le Web, voici quelques lignes à propos de la photo sur le site du Figaro. Pour éviter des remarques sur le choix de ce titre, il ne s’agit pas d’un choix mais de la première info relative à cette photo trouvée sur la première page de résultats de Google
L’un de ses plus célèbres clichés, «Nu provençal», est pris en 1949. Ronis vient d’acheter une maison en Provence, à Gordes, avec son épouse, la peintre Marie-AnnelLansiaux, (1910-1991). La photo montre celle-ci, nue, devant un lavabo que jouxte une fenêtre ouverte. Ce cliché fera le tour du monde.
L’image illustrant l’article est bêtement recadrée, mais techniquement il s’agit d’une reproduction de meilleure qualité ; on distingue bien plus de détails à travers la fenêtre.
Et bien, COACOA, tu m’ étonnes …. N’ as-tu pas voulu écrire : ” des égoûts et des odeurs ” ??? Quant à moi, je veux bien passer pour un béotien, mais, ce genre d’ élucubrations même pas dignes de potaches retardés, je ne les qualifierai jamais de réalisations artistiques … ( maintenant, chacun est libre de ses opinions, n’ est-ce pas ? )? Je suis quand même heureux que tant de cukiens apprécient cette oeuvre de RON DENIS …
Photoad, Michel Onfray, bien mieux que je ne saurais le dire, explique précisément ce qui me passionne dans le travail de Delvoye.
Paf, je le cite, et toutes mes excuses pour ce loooooong post.
MICHEL ONFRAY SUR WIM DELVOYE Vitraux in vitro et in vivo
Quand il ne définit pas un faiseur, un mondain engagé dans un filon, un rouage du système marchand, un artiste se caractérise par un style. Banalité de base. Un style, loin des ficelles de métier, des gimmicks de mode ou des points de repère pour consciences embrouillées, s’incarne dans deux ou trois ritournelles. Banalité première. Une ritournelle, au contraire des rengaines filant la métaphore d’une indigence ayant trouvé l’occasion d’un marché, prend chair dans une petite musique reconnaissable à la première mesure, même pour l’oreille distraite ou l’intelligence moyennement attentive. Banalité finale.
Faisons le ménage: dans le (petit) monde de l’art contemporain, on trouve beaucoup de rengaines, des scies à l’envi, du métier roublard, des marchandises clonées, des citations légitimantes, pas vraiment de grand ton, de parole forte, de puissance incontestable. Pour cacher l’absence de style de ceux qui, dans une brève carrière, en affichent plusieurs, l’historiographie parle de périodes… Rien de plus rare qu’un artiste qui, le temps passant, tournant le dos aux ruptures des périodes, effectue des variations sur un même thème et affirme son style. Wim Delvoye est l’un de ceux-là.
A quoi ressemble son style? Et sa ritournelle? Quelle petite musique? En un mot, Wim Delvoye pratique l’oxymore. Figure de style que j’affectionne par-dessus tout et qui suppose la collision, technique propre à notre époque d’accidents, de catastrophes et de calamités, l’oxymore associe deux termes ou deux instances contradictoires. En temps normal, selon les principes d’une saine logique, les contradictions s’annulent car deux forces opposées se rencontrant, il en résulte au pire un anéantissement, au mieux, la production d’un neutre. Avec cette figure de rhétorique prisée à l’époque baroque, les lois de la dialectique hégélienne reprennent le dessus car une chose associée à son contraire produit un tiers objet, une signification nouvelle, un dépassement qui modifie le sens des deux forces en jeu. On sait ce signifie se hâter, on n’ignore rien de la lenteur, mais La Fontaine génère un sens nouveau en invitant à se hâter lentement…
Quid, donc, de la pensée oxymorique de Wim Delvoye? Voyons d’abord la série des objets de chantier représentés à l’échelle un, mais dans un matériau qui contredit la solidité, la rusticité, l’efficacité pratique du modèle de base: du bois ouvragé, sculpté à la manière des moucharabiehs orientaux, ou peint avec des couleurs inusitées sur une zone de travaux. Autrement dit: une bétonneuse violette et or – comme un prélat catholique – , un camion toupie à béton en bois précieux, etc. De l’utile inutilisable, du costaud fragile, du solide délicat, du travail improductif.
Dans quel but? Voir et regarder autrement, modifier sa perception des choses, faire de l’art une occasion de transfigurer l’objet dans le musée, certes, mais aussi, dehors, d’opérer une nouvelle transvaluation en vertu de quoi on appréhende autrement un chantier, de manière plus ludique, le sourire aux lèvres – celui qu’on a eu dans la salle d’exposition.
Autre exemple: la série des animaux tatoués. Certes on tatoue des bêtes, mais avec des numéros pour l’élevage, en vue de l’abattage (les nazis ne s’y sont pas trompés qui réservaient ce traitement aux humains envoyés à l’abattoir) pour permettre à son propriétaire de retrouver son animal de compagnie perdu, ou afin de signifier la race de haute volée du bichon de concours.
De même on peut, même relevant théoriquement de la catégorie homo sapiens sapiens, se faire tatouer le motif que l’on voudra sur le corps : un cœur, une ancre de marine, des initiales, un poignard et tout le toutim. La catégorie des motards propriétaires de Harley Davidson affectionne particulièrement le tatouage des signes de la tribu: Hells Angels, logo commercial dudit bicycle, accessoires associés (casque en bol, lunettes chromées…), etc.
Que fait donc Wim Delvoye quand il tatoue sur la peau d’un cochon vivant les signes communautaires des motards américanophiles? Il les traite de porcs? Ou considère les truies comme des happy few de la marque incriminée? A moins qu’il invite à réfléchir sur la bête humaine, l’humanité de la bête, les rites de la horde motarde. Ou plus largement sur les techniques de marquage du corps identifiable, sur l’écriture du logo commercial dans la chair, l’encre des marchandises dans la peau… L’humanité comme porcherie, l’individu grégaire, cochonnerie de l’american way of life?
Autres oxymores? Les variations sur le thème charcutier: les mosaïques en jambon, salami, saucisson… Personne n’ignore l’interdit musulman de figurer le Prophète, certes, mais également de toute forme humaine. D’où un art de motifs, d’arabesques, d’entrelacs, d’où la calligraphie, d’où un talent pour l’ornementation. Chacun sait aussi le tabou musulman du porc.
Dès lors, on mesure la charge violente et puissante qu’il y a à composer des mosaïques en charcuterie. Faux sols, véritables illusions, pur cochon. Charcuterie islamique, cochon musulman, sourate (en)saucissonnées, cochonnailles mahométanes, ces derniers temps pareille rôtisserie conceptuelle sent la poudre! Mais pourquoi penser tragiquement les choses sérieuses? Iconophilie, iconoclastie, iconographie, iconophagie, iconologie – variations diogéniennes…
Encore un exemple? Cloaca. Avec cette sublime machine, quintessence de l’artifice, Wim Delvoye concentre toute la technologie possible et imaginable, recourt à la biochimie de pointe, et produit, à partir de l’ingestion d’aliments dans un broyeur, un étron dûment calibré, coloré et parfumé aux essences… disons naturelles. Où est l’oxymore? L’homme machine, la machine humaine, l’artifice naturel, la valeur du déchet, une défécation sans intestins, des matières fécales culturelles, pour le dire dans une formulation triviale, l’art de chier – sinon chier de l’art.
Dernier exemple avant les vitraux: la série des radiographies. Habituellement, les rayons X servent à prévenir la maladie, constater ses dégâts, mesurer les effets d’un traitement, constater la disparition d’une tumeur, d’un cancer, d’une protubérance. On ne passe pas le cœur léger dans la cage où le radiologue prend le cliché. Ensuite, chacun attend son déchiffrage au négatoscope avec crainte et inquiétude. Radiographie et travail de la mort fonctionnent donc de conserve. Dès lors, quand Wim Delvoye détourne le procédé pour célébrer la pulsion de vie, notamment dans sa forme sexuelle, l’oxymore ne fait plus aucun doute.
Finies les taches de nodules, d’excroissances, de kystes, Wim Delvoye transforme le radiologue en artiste qui saisit en noir et blanc l’intérieur d’un baiser, la matière d’une fellation, l’intromission d’une sodomisation, les ombres d’une masturbation, les volutes charnelles de caresses et autres jeux amoureux. Ainsi, oxymorique à souhait, l’artiste donne à voir en transparence des radios de vie – de vits aussi… – , des rayons X classés X, des humeurs bénignes au lieu des habituelles tumeurs malignes. Et puis, les vitraux. Cette séquence nouvelle permet donc les ritournelles oxymoriques, évidemment. Autocitations: des corps encore, des chairs toujours, mais cette fois ci, inversion de Cloaca qui présentait de la matière fécale sans intestin, des intestins sans matière fécale; des mosaïques de viande photographiée, autrement dit, étymologiquement écrites avec la lumière; là encore des radiographies détournées, comme par un situationniste post-moderne, de son habituel usage médical au profit d’une proposition esthétique, donc éthique, donc politique. Le tout agencé dans une composition de vitraux. Oxymore, bien sûr, le vitrail païen, mieux, athée, car cette forme esthétique n’existe pendant des siècles que dans le cadre de l’art sacré, religieux. Art de la lumière – photographie là encore, écriture à la lumière, suaire de Véronique, la véritable icône – , le vitrail obéit à des lois symboliques: on sollicite la lumière comme fait physique à des fins métaphysiques. Lumière platonicienne et néo-platonicienne: rayonnement de l’Un Bien, radiations émises par les essences, radioactivité des Idées pures, la métaphore du divin associé à la lumière passe dans le christianisme qui, à son tour, transforme le Messie en occasion de renouveau, de retour de la clarté dans un monde de ténèbres. La fête du solstice, de sol invictus – soleil invaincu – deviendra bien vite celle de la nativité du Christ…
Le dualisme platonicien recyclé par le christianisme donne une série d’oppositions fondatrices en occident: d’un côté, le ciel, l’âme, le haut, la clarté, la lumière, les idées (le vrai, le beau, le bien, le juste), le paradis, l’ascension, la transcendance, les anges; de l’autre, la terre, le corps, la chair, le bas, l’obscurité, les ténèbres, la matière, l’erreur, les ombres, l’enfer, la chute, le sol, le sous-sol, les démons, la mort. Dieu ou le monde.
La lumière descend, elle tombe, elle vient de plus haut qu’elle, au-delà d’elle. Le vitrail la filtre, la sculpte, taille dans les prismes de verre colorés des éthers chromatiques fugaces, mobiles, changeants en fonction des variations d’intensité de la lumière. Venue du ciel, la clarté enseigne de manière métaphorique la nature de l’arrière monde. Tombée dans la nef, inondant les travées, enveloppant les piliers, chatoyante comme un vif argent de couleurs, elle est médiatisée par le vitrail. Sa fonction? Matérialiser l’immatériel, signifier l’indicible, montrer l’invisible. Voilà pour l’oxymorique du support, du matériau.
Le message? Comme presque toujours dans l’art, il s’agit de célébrer la puissance: la religion, le pouvoir politique, plus tard sa formule économique, tardivement la nature – avant les récents continents de l’art moderne. Le vitrail palie l’illettrisme des fidèles: il montre des scènes de la légende dorée du christianisme. Images pieuses et édifiantes, chromos à usage existentiel. Annonciation, Nativité, Passion, Crucifixion, Ascension, Résurrection, etc. Le peuple ne sait pas lire, on lui présente des images, le vitrail sert à cela. Faire tomber la lumière divine et la mettre à hauteur d’homme.
On imagine le trajet Wim Delvoye pour subvertir le vitrail sacré et le soumettre à sa dialectique oxymorique. Il garde le principe du vitrail: fenêtre avec arcature gothique, panneaux de matériaux transparents (noir, gris blanc, certains colorés), barlotières (tringles qui, de loin en loin, soutiennent les plaques), vergettes (les réseaux de plomb), et nilles (pitons carrés recevant les clavettes courbes servant à fixer les panneaux de vitraux), tout cela subsiste chez l’artiste.
En revanche, si la technique reste la même, la chose dite, on s’en doute, diffère un peu! La thématique des radiographies retrouve droit de cité: sexe et mort, baisers et ossements, autant dire variations post-modernes sur la vanité classique avec son cortège de crânes et de fémurs, de squelettes et de danses macabres. On y entend presque le cliquetis silencieux de morts en goguette habillés d’une chair que le cliché transforme en ombres blanches.
La vie de la mort, la danse des os, l’intérieur de la chair, la transparence de la matière, le sexe lumineux, la guirlande intestinale fabrique des efflorescences, des boutons de fleurs aux parfums qu’on imagine suaves, le mou des chirurgiens se transforme en concrétions de lumières, le tout en réseaux, agencements géométriques et compositions qui recourent à la symétrie, aux renvois en miroir, aux mises en abyme et à tout ce qui permet la combinaison d’un vitrail apparemment classique… L’oxymorique de Wim Delvoye fait de lui un artiste cynique – au sens de Diogène. Pour faire pièce au cynisme vulgaire de notre époque – vulgaire parce que libéral, marchand, consumériste, nihiliste, acéphale… – le cynisme philosophique propose un antidote. Réfléchir sur la différence de degré, et non de nature, entre l’homme et l’animal; penser la question de l’interdit dans la religion musulmane; aborder la question des potentialités magnifiques des biotechnologies; repenser à nouveaux frais l’interrogation spinoziste: que peut le corps?; donner à la sexualité un réel ancrage du côté de la pulsion de vie; le tout dans une ambiance de grand rire nietzschéen: voilà matière à réjouissances essentielles!
Texte extrait du catalogue de l’exposition «Eldorado»
Je ne cherche pas la polémique non plus, et j’avoue que j’ai “critiqué” l’image postée ici, et non pas l’original qui —lui— ne fait pas apparaître les défauts que j’indiquais dans ma première intervention. Donc, mea culpa à ce niveau.
Mais ça confirme quand-même que je n’avais pas si tort que ça. En effet, l’image proposée avait donc bien les défauts techniques indiqués puisqu’ils ont disparu de l’original et que ça se voit bien!!!
Enfin, je renvoie à mon texte ceux qui le désirent, où il était bien spécifié:
Attention, j’aime bien cette photo aussi, pas de soucis, mais de là à la considérer comme un chef d’oeuvre… j’en suis loin. Cette photo apporte une émotion à son spectateur, clairement, (et c’est ce qui compte évidemment)
La technique a son importante, en photo comme ailleurs, n’en déplaise à ceux qui disent le contraire. Et l’on a bien vu ici que la technique du scan l’est d’autant plus donc! :)
Merci à ceux qui ont vu une certaine émotion traverser quelques unes de mes images. Je suis comme tous les photographes, connus ou pas (et personnellement, je me fous totalement de la gloire): j’aime retranscrire mes émotions en images.
Mon cher COACOA, et bien, tu as probablement battu le record de la plus longue réponse ! Par correction, je me suis forcé de lire cette prose. Et bien, et bien … j’ en suis tout retourné … Amitiés.
cette humeur a eu l’avantage de me faire connaitre des artistes dont je n’avais jamais entendu parler, merci pour les découvertes.
Après avoir parcouru les divers sites parlant ou montrant les “œuvres” de Wim Delvoye… A part l’inutilité, je le trouve “trop fort” le gars, taré ok, mais il fallait oser (surtout les machines à M…). J’aime bien son art “tatou-istique” que je trouve largement inspiré des icônes hindouistes dont je suis fan. J’adore les objets en fer forgé (camion etc…) qui me font penser entre-autre au facteur Cheval et à Gaudi.
Maintenant que ce soit “du l’Art ou du cochon”, pour moi, ça n’a pas d’importance.
… Pour en revenir à la machine de Wim Delvoye… ne pas oublier la Merde d’artiste de Manzoni (1961). Rien de bien neuf donc… la technique (encore elle) en plus, c’est tout !
En parlant de technique de repro, je l’aurais bien rescannée, cette image, je l’aurais mieux réussie, mais je n’avais plus l’original! ;) Et puis il aurait fallu recalibrer aussi nos écrans?! Non, décidément, pour les oeuvres, rien ne vaut l’original!
Oui, mais en l’occurrence le vrai “original” est primairement le négatif noir-blanc et secondairement le tirage papier de l’artiste. Pour les obtenir et les scanner, bonne chance.
Il y a bien longtemps, j’ai “opéré” en pro pendant 8 ans en chambre noire pour des tirages papier photo (agrandisseur) / ainsi que pour des repros film (caméra repro) à destination des presses offset; je connais un peu et peux apprécier ce sujet.
Les paramètres pour atteindre un résultat donné sont trop subjectifs car uniquement dépendants de l’artiste (ou évent. du labo ou du “tireur”) et de l’effet qu’il pense atteindre. Pour ceci il joue avec le type de papier utilisé et sa dureté, ainsi qu’avec le temps d’exposition et les éventuels masquages si besoin. De là, j’en déduis que seul l’artiste qui était là au moment de la prise de vue sait l’aspect qu’il va donner au tirage final (selon ses souvenirs de la scène et son humeur au moment précis dans son labo). Le photolithographe de l’imprimerie qui a ensuite produit le film pour la repro offset (pour l’impression du livre) s’en est forcément un peu écarté selon sa sensibilité et son humeur.
Donc, ça me fait bien marrer de vous lire (voir de vous chamailler), car à part ceux qui auraient vu le vrai tirage papier photo (si on peut l’appeler l’original – puisque de base, seul le négatif en est la source) avant reproduction, peuvent savoir (selon leur souvenir et encore là je doute) si les scans présentés dans cette humeur sont proches de l’original ou non.
Il y a quand même bien d’autres choses dans une photo que la qualité de la reproduction. Il y a le sujet, l’angle de prise de vue, le geste, la position, la géométrie, le contraste entre la peau de la jeune femme ( elle est jeune?) et le bois de la chaise ou le plâtre du mur, etc… Il y a autre chose qu’une simple technique photographique. Ou alors, c’est une discussion entre techniciens et imprimeurs.
, le 15.09.2009 à 05:59
Salut l’Artiste, et merci pour tout. J’ai eu l’occasion de voir sa rétrospective à Arles cette année. Et de m’arrêter à la librairie Côté Sud pour acheter “Ce jour là”, un livre dans lequel il raconte les circonstances des prises de vue d’une cinquantaine de ses photos. Passionnant.
, le 15.09.2009 à 07:20
Magnifique en effet.
Et quel beau tirage aussi. Quelle composition et quelle lumière!
Merci.
, le 15.09.2009 à 07:40
[MODE FLIKR/ON] La chaise est coupée. L’extérieur de la fenêtre est complètement cramé. Il faudrait penser à redresser les perspectives. C’est légèrement surex dans les ombres (la chaise). [MODE FLIKR/OFF]
Vive l’ère moderne.
, le 15.09.2009 à 07:52
Un photographe comme Willy Ronis ne meurt pas. Son œuvre reste, vivante à jamais (surtout sur négatifs! ;-))
J’ai eu le chance de tomber sur l’édition originale de Belleville-Ménilmontant aux puces. Ce livre fait partie de la brassée de bouquins que je sauverais si ça brûlait!
Milsabor!
, le 15.09.2009 à 08:11
@ ElGeko: voilà la preuve, s’il en était encore besoin que l’objectivité, indéniable dans tes observations, ne peut suffire à dire que cette photo montrée est loupée. Car de l’avis très majoritaire dans le monde entier, il s’agit ici d’une très grande photo.
, le 15.09.2009 à 08:46
ElGeko: tu pourrais également dire que c’est cadré un peu trop centré.
, le 15.09.2009 à 10:23
YSENGRAIN: Déjà, je mettais un mode qui n’est pas (forcément) le mien hein… (à part le sarcasme final qui —lui— correspond bien à ce que je pense de la critique photo moderne). Qu’une grande majorité de gens dans le monde considère cette image comme une grande photo, moi, je veux bien, mais honnêtement, je pense que si elle avait été prise hier, par quelqu’un d’inconnu, elle n’aurait pas ce même impact. De là à dire que seules les photos “anciennes”, de photographes morts si possible, merci d’avance, peuvent atteindre des sommets de popularité… Attention, j’aime bien cette photo aussi, pas de soucis, mais de là à la considérer comme un chef d’oeuvre… j’en suis loin. Cette photo apporte une émotion à son spectateur, clairement, (et c’est ce qui compte évidemment) mais au niveau technique, elle manque d’aboutissement, je maintiens, en toute humilité of coursément! :)
RENAUD: non, je ne pourrais pas car il ne s’agirait plus alors d’une critique objective mais d’un avis personnel, ce qui n’a plus rien à voir.
, le 15.09.2009 à 11:30
Tout à fait d’accord avec toi ElGeko.
Aujourd’hui tout le monde est photographe, mais aussi graphiste, journaliste, critique d’art, comptable, écrivain, réalisateur, monteur… etc.
La puissance des ordinateurs permet tout cela, les amateurs concurrencent réellement les pro, voilà pourquoi les agences photo disparaissent, les journaux de même et le reste à l’avenant. Même dans des domaines plus matériels et palpables comme la plomberie, la peinture, l’électricité et le reste… les loisirs d’un côté et la simplicité de mise en œuvre des procédés ont fait éclater le secteur du bricolage… (la vis cruciforme auto foreuse et son corolaire la visseuse sans fil en sont emblématiques).
C’est comme ça, mais parallèlement, rares sont les maçons qui savent encore tirer le plâtre sur les murs ou les menuisier construire un escalier balancé…
C’est un constat ; des techniques se perdent et des savoir-faire s’aiguisent.
, le 15.09.2009 à 13:25
Si je comprends bien, tu plaisantes, mais pas trop… “Au niveau technique, elle manque d’aboutissement!” Faudrait juste voir à ne pas dire n’importe quoi. Même en toute humilité…
Milsabor!
, le 15.09.2009 à 13:36
Superbe… merci de la partager cette photo – et aussi de l’hommage (mon beau-frère, artiste lui aussi est décédé quelques jours avant Willy = le fameux 09-09-2009 – je suis donc en “phase”) je ne connaissais pas Willy Ronnis, mais cette photo-là, cela ne m’aurais pas dérangé d’en être l’auteur O:-)
, le 15.09.2009 à 15:16
CAPLAN: que tu la trouves parfaite n’implique ni qu’elle le soit, ni que je dise n’importe quoi si je ne suis pas du même d’avis que toi. Mais peut-être as-tu des arguments valables, et concrets, à faire valoir, pour expliquer en quoi cette photo est parfaite, techniquement? Merci d’avance…
, le 15.09.2009 à 15:18
Désolé pour ce départ, Blues!
, le 15.09.2009 à 15:54
Dans un interview de l’Express, voici ce que disait Willy Ronis:
À la question : “Vous est-il arrivé, dans vos chasses aux images, de revenir bredouille?”, il répond :
Ça m’est arrivé. Dans ce cas-là, on ressent la fatigue très fortement. Il y a des jours où on ne voit rien. Et ce n’est pas parce qu’il n’y a rien à voir. C’est parce qu’on est incapable de voir.
question : Comment peut-on apprendre à voir?
Il y a deux choses: l’appareil qui regarde et l’oeil qui «voit». L’oeil est sélectif dans l’instant, mais derrière l’appareil il y a le cerveau. Et, c’est lui qui fait les choix, qui détermine le moment où il faut appuyer.
Question : Ce que votre maître et ami Cartier-Bresson nomme l’ «instant décisif».
Exactement. Avant le déclic, il y a tout ce qui précède, c’est-à-dire la composition. Dans l’ordre, le choix du point de vue, du cadre, de l’angle. A partir du moment où vous êtes placé et où vous sentez qu’il peut se passer quelque chose, vous «prévisualisez» afin de ne pas manquer l’instant où vous pourrez attraper «ça». L’instant du déclic, c’est encore très compliqué. Si l’oeil voit une chose particulièrement intéressante, cela ne veut pas dire que cela fera une bonne photo. L’oeil est incapable physiologiquement d’appréhender à la fois le sujet principal et tout ce qui l’entoure. C’est une des difficultés de la photographie sur le vif, d’atteindre cette vision globale; de bien faire le cadre. Quand on arrive à maîtriser la vision globale, on peut s’adonner à la photo sur le vif. La belle image, c’est une géométrie modulée par le coeur.
, le 15.09.2009 à 15:54
@ElGeko: Je ne te veux aucun mal, ne souhaite aucune polémique ou agression, et je trouve plutôt sympa que tu défendes si fort ton point de vue même contre une image admirée faite par un immense (Tu as bien compris que Willy Ronis qui vient de disparaître était un immense). Je crois que tu n’as pas du tout compris que nous sommes d’accord avec toi pour dire que techniquement certains aspects en [MODE FLIKR/ON] ne vont pas.
Il n’empêche, et tu n’as pas cette vision dans tes arguments, que la technique ne fait pas tout (Joël Robuchon dit que la grande cuisine l’emmerde) que cette photo possède un charme, dénote une ambiance, témoigne avec une telle véracité d’une actualité passée, comme on l’a pas souvent montrée. C’est en ça, qu’elle a les critères pour être une grande photo.
Enfin, quand bien même si chaque homme a fait des “pâtés” dans sa vie, pour l’instant, quand on parle de Ronis on sait de qui on parle, mais désolé sincèrement, pour belles que soient les photos que tu montres sur ton site, dans le monde de la photo ton nom résonne très peu par rapport à celui de Ronis et encore une fois désolé, et vraiment sincèrement et sans polémiquer: regarde et apprends, après tu nous montreras.
, le 15.09.2009 à 16:08
Jai un bon appareil photo, j’ai un bon petit Mac, j’ai Photoshop, et bien malgré tout cela je suis bien incapable de réussir une telle photo. Non la technique ne fait pas tout et heureusement mais à cause d’elle on finit par se contenter de l’a-peu-près dans tous les domaines qu’elle touche, comme vous le signalez si justement : tout le monde se prend pour JH Lartigue, on voit tous les jours sur le net des sites monstrueux, on balance des infos sans aucune vérification. On a trop tendance à oublier en Art qu’il y a le métier, capital que tout un chacun peut acquérir, mais il y a aussi et surtout le talent, et là ce n’est pas donné à tout le monde.
Cette photo de Ronis me touche tout comme je suis touché par l’hyper-réalisme d’un grand nombre de photos d’ElGeko. Mais dans les deux cas l’émotion doit arriver avant de se lancer dans une étude sur la technicité de l’oeuvre.
Benoit
, le 15.09.2009 à 16:50
Le problème, c’est que je regarde la photo et que toi, tu regardes la technique. On ne pourra pas se mettre d’accord. Dans un cas concret comme celui-là, le sujet, l’ambiance, la lumière sont tellement présents que la “technique” passe loin à l’arrière-plan. Il n’y a pas à parler “technique” devant une telle œuvre. Il y a juste à regarder et à se dire que ni toi ni moi ne serons jamais des Willy Ronis…
Milsabor!
, le 15.09.2009 à 17:16
Je continue à défendre le point de vue de ElGeko. Si la photo n’était pas signée Ronis, si un brocanteur en herbe (ou professionnel) l’avait dénichée dans quelques vide-greniers du quartier, la photo ferait la joie certes de son possesseur, peut-être de son entourage, mais sûrement pas de la planète entière.
En matière artistique, et je suis bien placé pour en parler puisque tel est mon statut officiel (je suis designer inscrit à la Maison des Artistes, passé sous les fourches caudines d’une école prestigieuse d’arts appliqués à Paris), l’habit fait le moine que cela nous plaise ou pas ! Cela n’enlève rien au talent des Ronis, Cartier-Bresson ou Doisneau bien entendu, mais le jeu des galeristes et des collectionneurs est bien plus efficace pour aider à la postérité de quelqu’un qu’une supposée “beauté artistique universelle ex nihilo”
L’Art n’a pas un statut universel trans culturel, géographique et temporel ! La beauté en soi n’existe pas, elle fait toujours référence à une Culture, une Histoire, des coutumes… L’art n’est pas une loi physique comme la chute des corps ou la thermodynamique. Ce qui est beau pour les uns est horrrrrrrible pour les autres.
Dois-je rappeler la perception qu’avaient les contemporains des expressionnistes, cubistes, suprématistes, symbolistes, futuristes et autres ou encore de l’Art Nègre au début du XXe siècle ou pour finir, mais la liste est, elle, infinie, du Pierrot Lunaire de Schönberg (1912), des Ready made de Duchamp ?
Hors de son contexte, une œuvre n’a pas beaucoup de sens, c’est d’ailleurs le contexte qui lui donne sens, en l’occurrence et par exemple la Fontaine signée RMutt de Marcel Duchamp dans une galerie en 1917…
, le 15.09.2009 à 18:11
alec6, je suis tout à fait d’accord avec toi. Ce que d’aucuns appellent de l’art, d’autres l’appellent de la merde. Et je pense qu’on trouvera des gens d’un camp ou de l’autre pour chaque oeuvre présentée comme étant de l’art.
Sauf peut-être pour Cloaca de Wim Delvoye. Là, tout le monde est d’accord : c’est de la merde (au propre, tout au moins).
, le 15.09.2009 à 18:55
Alors là, cher COACOA, je suis bien de ton avis. Pour moi, c’ est incompréhensible ( j’ ai fait 5 ans d’ études artistiques ) que tant de monde s’ extasie devant les oeuvres du sieur WIM DELVOYE. Sa machine à faire du caca, ses rayons-X explicites de couples ” accouplés ”, sa ferme en CHINE où il tatoue les cochons, … Avec ses élucubrations, cet immense artiste se paye 2 châteaux …
, le 15.09.2009 à 19:15
La technique, il faut la laisser aux couillons, ça les occupe (et s’ils pouvaient nous lâcher ça nous ferait des vacances). Pendant ce temps nous nous attachons à l’image et à ce qu’elle nous dit, ce qu’elle produit comme réaction en nous.
Qu’elle soit signée Ronis ou Personne n’a pas plus d’importance. De deux choses l’une si mon regard se pose dessus : j’accroche ou je n’accroche pas. Si j’accroche, c’est gagné, on peut aller plus loin dans la découverte et la « lecture ». Si je n’accroche pas, je passe mon chemin.
Cette photo de Ronis, il se trouve qu’elle me séduit. Qu’elle soit signée ne doit pas être un handicap à son appréciation. Au fait, cette photo que nous montre Modane, l’avons-nous faite ? Non, bien sûr. Non seulement elle nous séduit mais elle est un unique objet d’un unique auteur.
Rappelons tout de même que Ronis était le photographe de la classe ouvrière et de la lutte sociale. Il aurait fallu une seconde photo, cher Modane, pour mettre en évidence ce volet qui était de la première importance pour Ronis et c’est en tant que tel qu’il entre dans l’histoire. Il était beaucoup moins le photographe de l’intime.
, le 15.09.2009 à 19:48
Tu as raison, cher Okazou. J’aurais dû montrer Le petit garçon, ou le vendeur de journaux. Mais il se trouve que celle-ci, je ne la connaissais pas, j’ai d’ailleurs bien peur d’avoir des gouffres dans ma culture… Elle m’a touchée parce que c’est une photo intime qui ressemble bien à ce que je connais du personnage : sensible, droit, direct, lumineux, une belle âme, en quelque sorte.
Et puis le décor… Dans sa maison, qu’il avait achetée peu de temps après s’être fâché avec son agence pour des raisons éthiques. La dame, je n’en suis pas sûr, doit être sa madame à lui. Telle que figée, elle a la pause gracieuse. J’y crois reconnaître une statue classique qui ne déparerait pas le Louvre, entre Rodin et Maillol.
Et la composition, comme disait François… Cette chaise, la coupée, là, qui donne cette ligne de fuite créant un coin là où il n’y en a pas, imposant l’idée d’une intimité de la toilette, le broc, continuant le penché du volet. As-tu remarqué : il n’y a pas de fenêtre.
Et ce contre-jour… En pelloche… Sans flash pour déboucher…
Cette image est, plus qu’une photo, un acte de reconnaissance, de gratitude, pour ces moments chers qui font la joie de l’existence.
, le 15.09.2009 à 21:00
WILLY RONIS photographie avec son coeur.
Elgeko , avec son intellect, et “il ironis”
, le 15.09.2009 à 22:04
Très cher Photoad, ma foi pour ma part, j’adore Wim Delvoye. Comme quoi… C’est ce que je disais : des goûts et des couleurs…
, le 16.09.2009 à 00:19
À cela je répondrai par la remarque ô combien classique de
De mon point de vue, le modèle est plutôt moche : petite, courte sur pattes avec des jambes épaisses !
Le seul intérêt de la photo selon moi est l’émotion qui s’attache à une époque révolue, et éventuellement une certaine nostalgie. À mon sens, il s’agit d’un document intéressant, mais sûrement pas d’une belle photo.
Ceci dit, pour juger valablement, il faudrait voir le tirage original, probablement un assez grand format, et pas une imagette récupérée sur le Web ; en faisant une recherche dans Google images avec « Ronis nu », on trouve de très nombreux exemplaires de cette image avec des niveaux de contrastes très variés.
Voici par exemple une version beaucoup plus contrastée que l’image choisie par Modane :
En conclusion, l’original est probablement une belle photo, pour ceux qui ne trouvent pas le modèle complètement dénué de charme, mais la reproduction illustrant l’humeur me semble une image assez médiocre.
, le 16.09.2009 à 00:38
En continuant à chercher sur le Web, voici quelques lignes à propos de la photo sur le site du Figaro. Pour éviter des remarques sur le choix de ce titre, il ne s’agit pas d’un choix mais de la première info relative à cette photo trouvée sur la première page de résultats de Google
L’image illustrant l’article est bêtement recadrée, mais techniquement il s’agit d’une reproduction de meilleure qualité ; on distingue bien plus de détails à travers la fenêtre.
, le 16.09.2009 à 00:42
@Bigalo
Et finalement, Ronis n’a pas coupé la chaise sur sa photo ! Et pas trop brûlé les hautes lumières non plus :-)
, le 16.09.2009 à 09:02
Dites … je ne crois pas qu’elle soir libre de droit cette photo ?
, le 16.09.2009 à 09:34
Et bien, COACOA, tu m’ étonnes …. N’ as-tu pas voulu écrire : ” des égoûts et des odeurs ” ??? Quant à moi, je veux bien passer pour un béotien, mais, ce genre d’ élucubrations même pas dignes de potaches retardés, je ne les qualifierai jamais de réalisations artistiques … ( maintenant, chacun est libre de ses opinions, n’ est-ce pas ? )? Je suis quand même heureux que tant de cukiens apprécient cette oeuvre de RON DENIS …
, le 16.09.2009 à 15:07
Photoad, Michel Onfray, bien mieux que je ne saurais le dire, explique précisément ce qui me passionne dans le travail de Delvoye.
Paf, je le cite, et toutes mes excuses pour ce loooooong post.
MICHEL ONFRAY SUR WIM DELVOYE Vitraux in vitro et in vivo
Quand il ne définit pas un faiseur, un mondain engagé dans un filon, un rouage du système marchand, un artiste se caractérise par un style. Banalité de base. Un style, loin des ficelles de métier, des gimmicks de mode ou des points de repère pour consciences embrouillées, s’incarne dans deux ou trois ritournelles. Banalité première. Une ritournelle, au contraire des rengaines filant la métaphore d’une indigence ayant trouvé l’occasion d’un marché, prend chair dans une petite musique reconnaissable à la première mesure, même pour l’oreille distraite ou l’intelligence moyennement attentive. Banalité finale.
Faisons le ménage: dans le (petit) monde de l’art contemporain, on trouve beaucoup de rengaines, des scies à l’envi, du métier roublard, des marchandises clonées, des citations légitimantes, pas vraiment de grand ton, de parole forte, de puissance incontestable. Pour cacher l’absence de style de ceux qui, dans une brève carrière, en affichent plusieurs, l’historiographie parle de périodes… Rien de plus rare qu’un artiste qui, le temps passant, tournant le dos aux ruptures des périodes, effectue des variations sur un même thème et affirme son style. Wim Delvoye est l’un de ceux-là.
A quoi ressemble son style? Et sa ritournelle? Quelle petite musique? En un mot, Wim Delvoye pratique l’oxymore. Figure de style que j’affectionne par-dessus tout et qui suppose la collision, technique propre à notre époque d’accidents, de catastrophes et de calamités, l’oxymore associe deux termes ou deux instances contradictoires. En temps normal, selon les principes d’une saine logique, les contradictions s’annulent car deux forces opposées se rencontrant, il en résulte au pire un anéantissement, au mieux, la production d’un neutre. Avec cette figure de rhétorique prisée à l’époque baroque, les lois de la dialectique hégélienne reprennent le dessus car une chose associée à son contraire produit un tiers objet, une signification nouvelle, un dépassement qui modifie le sens des deux forces en jeu. On sait ce signifie se hâter, on n’ignore rien de la lenteur, mais La Fontaine génère un sens nouveau en invitant à se hâter lentement…
Quid, donc, de la pensée oxymorique de Wim Delvoye? Voyons d’abord la série des objets de chantier représentés à l’échelle un, mais dans un matériau qui contredit la solidité, la rusticité, l’efficacité pratique du modèle de base: du bois ouvragé, sculpté à la manière des moucharabiehs orientaux, ou peint avec des couleurs inusitées sur une zone de travaux. Autrement dit: une bétonneuse violette et or – comme un prélat catholique – , un camion toupie à béton en bois précieux, etc. De l’utile inutilisable, du costaud fragile, du solide délicat, du travail improductif.
Dans quel but? Voir et regarder autrement, modifier sa perception des choses, faire de l’art une occasion de transfigurer l’objet dans le musée, certes, mais aussi, dehors, d’opérer une nouvelle transvaluation en vertu de quoi on appréhende autrement un chantier, de manière plus ludique, le sourire aux lèvres – celui qu’on a eu dans la salle d’exposition.
Autre exemple: la série des animaux tatoués. Certes on tatoue des bêtes, mais avec des numéros pour l’élevage, en vue de l’abattage (les nazis ne s’y sont pas trompés qui réservaient ce traitement aux humains envoyés à l’abattoir) pour permettre à son propriétaire de retrouver son animal de compagnie perdu, ou afin de signifier la race de haute volée du bichon de concours.
De même on peut, même relevant théoriquement de la catégorie homo sapiens sapiens, se faire tatouer le motif que l’on voudra sur le corps : un cœur, une ancre de marine, des initiales, un poignard et tout le toutim. La catégorie des motards propriétaires de Harley Davidson affectionne particulièrement le tatouage des signes de la tribu: Hells Angels, logo commercial dudit bicycle, accessoires associés (casque en bol, lunettes chromées…), etc.
Que fait donc Wim Delvoye quand il tatoue sur la peau d’un cochon vivant les signes communautaires des motards américanophiles? Il les traite de porcs? Ou considère les truies comme des happy few de la marque incriminée? A moins qu’il invite à réfléchir sur la bête humaine, l’humanité de la bête, les rites de la horde motarde. Ou plus largement sur les techniques de marquage du corps identifiable, sur l’écriture du logo commercial dans la chair, l’encre des marchandises dans la peau… L’humanité comme porcherie, l’individu grégaire, cochonnerie de l’american way of life?
Autres oxymores? Les variations sur le thème charcutier: les mosaïques en jambon, salami, saucisson… Personne n’ignore l’interdit musulman de figurer le Prophète, certes, mais également de toute forme humaine. D’où un art de motifs, d’arabesques, d’entrelacs, d’où la calligraphie, d’où un talent pour l’ornementation. Chacun sait aussi le tabou musulman du porc.
Dès lors, on mesure la charge violente et puissante qu’il y a à composer des mosaïques en charcuterie. Faux sols, véritables illusions, pur cochon. Charcuterie islamique, cochon musulman, sourate (en)saucissonnées, cochonnailles mahométanes, ces derniers temps pareille rôtisserie conceptuelle sent la poudre! Mais pourquoi penser tragiquement les choses sérieuses? Iconophilie, iconoclastie, iconographie, iconophagie, iconologie – variations diogéniennes…
Encore un exemple? Cloaca. Avec cette sublime machine, quintessence de l’artifice, Wim Delvoye concentre toute la technologie possible et imaginable, recourt à la biochimie de pointe, et produit, à partir de l’ingestion d’aliments dans un broyeur, un étron dûment calibré, coloré et parfumé aux essences… disons naturelles. Où est l’oxymore? L’homme machine, la machine humaine, l’artifice naturel, la valeur du déchet, une défécation sans intestins, des matières fécales culturelles, pour le dire dans une formulation triviale, l’art de chier – sinon chier de l’art.
Dernier exemple avant les vitraux: la série des radiographies. Habituellement, les rayons X servent à prévenir la maladie, constater ses dégâts, mesurer les effets d’un traitement, constater la disparition d’une tumeur, d’un cancer, d’une protubérance. On ne passe pas le cœur léger dans la cage où le radiologue prend le cliché. Ensuite, chacun attend son déchiffrage au négatoscope avec crainte et inquiétude. Radiographie et travail de la mort fonctionnent donc de conserve. Dès lors, quand Wim Delvoye détourne le procédé pour célébrer la pulsion de vie, notamment dans sa forme sexuelle, l’oxymore ne fait plus aucun doute.
Finies les taches de nodules, d’excroissances, de kystes, Wim Delvoye transforme le radiologue en artiste qui saisit en noir et blanc l’intérieur d’un baiser, la matière d’une fellation, l’intromission d’une sodomisation, les ombres d’une masturbation, les volutes charnelles de caresses et autres jeux amoureux. Ainsi, oxymorique à souhait, l’artiste donne à voir en transparence des radios de vie – de vits aussi… – , des rayons X classés X, des humeurs bénignes au lieu des habituelles tumeurs malignes. Et puis, les vitraux. Cette séquence nouvelle permet donc les ritournelles oxymoriques, évidemment. Autocitations: des corps encore, des chairs toujours, mais cette fois ci, inversion de Cloaca qui présentait de la matière fécale sans intestin, des intestins sans matière fécale; des mosaïques de viande photographiée, autrement dit, étymologiquement écrites avec la lumière; là encore des radiographies détournées, comme par un situationniste post-moderne, de son habituel usage médical au profit d’une proposition esthétique, donc éthique, donc politique. Le tout agencé dans une composition de vitraux. Oxymore, bien sûr, le vitrail païen, mieux, athée, car cette forme esthétique n’existe pendant des siècles que dans le cadre de l’art sacré, religieux. Art de la lumière – photographie là encore, écriture à la lumière, suaire de Véronique, la véritable icône – , le vitrail obéit à des lois symboliques: on sollicite la lumière comme fait physique à des fins métaphysiques. Lumière platonicienne et néo-platonicienne: rayonnement de l’Un Bien, radiations émises par les essences, radioactivité des Idées pures, la métaphore du divin associé à la lumière passe dans le christianisme qui, à son tour, transforme le Messie en occasion de renouveau, de retour de la clarté dans un monde de ténèbres. La fête du solstice, de sol invictus – soleil invaincu – deviendra bien vite celle de la nativité du Christ…
Le dualisme platonicien recyclé par le christianisme donne une série d’oppositions fondatrices en occident: d’un côté, le ciel, l’âme, le haut, la clarté, la lumière, les idées (le vrai, le beau, le bien, le juste), le paradis, l’ascension, la transcendance, les anges; de l’autre, la terre, le corps, la chair, le bas, l’obscurité, les ténèbres, la matière, l’erreur, les ombres, l’enfer, la chute, le sol, le sous-sol, les démons, la mort. Dieu ou le monde.
La lumière descend, elle tombe, elle vient de plus haut qu’elle, au-delà d’elle. Le vitrail la filtre, la sculpte, taille dans les prismes de verre colorés des éthers chromatiques fugaces, mobiles, changeants en fonction des variations d’intensité de la lumière. Venue du ciel, la clarté enseigne de manière métaphorique la nature de l’arrière monde. Tombée dans la nef, inondant les travées, enveloppant les piliers, chatoyante comme un vif argent de couleurs, elle est médiatisée par le vitrail. Sa fonction? Matérialiser l’immatériel, signifier l’indicible, montrer l’invisible. Voilà pour l’oxymorique du support, du matériau.
Le message? Comme presque toujours dans l’art, il s’agit de célébrer la puissance: la religion, le pouvoir politique, plus tard sa formule économique, tardivement la nature – avant les récents continents de l’art moderne. Le vitrail palie l’illettrisme des fidèles: il montre des scènes de la légende dorée du christianisme. Images pieuses et édifiantes, chromos à usage existentiel. Annonciation, Nativité, Passion, Crucifixion, Ascension, Résurrection, etc. Le peuple ne sait pas lire, on lui présente des images, le vitrail sert à cela. Faire tomber la lumière divine et la mettre à hauteur d’homme.
On imagine le trajet Wim Delvoye pour subvertir le vitrail sacré et le soumettre à sa dialectique oxymorique. Il garde le principe du vitrail: fenêtre avec arcature gothique, panneaux de matériaux transparents (noir, gris blanc, certains colorés), barlotières (tringles qui, de loin en loin, soutiennent les plaques), vergettes (les réseaux de plomb), et nilles (pitons carrés recevant les clavettes courbes servant à fixer les panneaux de vitraux), tout cela subsiste chez l’artiste.
En revanche, si la technique reste la même, la chose dite, on s’en doute, diffère un peu! La thématique des radiographies retrouve droit de cité: sexe et mort, baisers et ossements, autant dire variations post-modernes sur la vanité classique avec son cortège de crânes et de fémurs, de squelettes et de danses macabres. On y entend presque le cliquetis silencieux de morts en goguette habillés d’une chair que le cliché transforme en ombres blanches.
La vie de la mort, la danse des os, l’intérieur de la chair, la transparence de la matière, le sexe lumineux, la guirlande intestinale fabrique des efflorescences, des boutons de fleurs aux parfums qu’on imagine suaves, le mou des chirurgiens se transforme en concrétions de lumières, le tout en réseaux, agencements géométriques et compositions qui recourent à la symétrie, aux renvois en miroir, aux mises en abyme et à tout ce qui permet la combinaison d’un vitrail apparemment classique… L’oxymorique de Wim Delvoye fait de lui un artiste cynique – au sens de Diogène. Pour faire pièce au cynisme vulgaire de notre époque – vulgaire parce que libéral, marchand, consumériste, nihiliste, acéphale… – le cynisme philosophique propose un antidote. Réfléchir sur la différence de degré, et non de nature, entre l’homme et l’animal; penser la question de l’interdit dans la religion musulmane; aborder la question des potentialités magnifiques des biotechnologies; repenser à nouveaux frais l’interrogation spinoziste: que peut le corps?; donner à la sexualité un réel ancrage du côté de la pulsion de vie; le tout dans une ambiance de grand rire nietzschéen: voilà matière à réjouissances essentielles!
Texte extrait du catalogue de l’exposition «Eldorado»
, le 16.09.2009 à 20:17
Je ne cherche pas la polémique non plus, et j’avoue que j’ai “critiqué” l’image postée ici, et non pas l’original qui —lui— ne fait pas apparaître les défauts que j’indiquais dans ma première intervention. Donc, mea culpa à ce niveau.
Mais ça confirme quand-même que je n’avais pas si tort que ça. En effet, l’image proposée avait donc bien les défauts techniques indiqués puisqu’ils ont disparu de l’original et que ça se voit bien!!!
Enfin, je renvoie à mon texte ceux qui le désirent, où il était bien spécifié:
La technique a son importante, en photo comme ailleurs, n’en déplaise à ceux qui disent le contraire. Et l’on a bien vu ici que la technique du scan l’est d’autant plus donc! :)
Merci à ceux qui ont vu une certaine émotion traverser quelques unes de mes images. Je suis comme tous les photographes, connus ou pas (et personnellement, je me fous totalement de la gloire): j’aime retranscrire mes émotions en images.
C’est ça qui compte, c’est ça… l’objectif!
, le 17.09.2009 à 00:07
Mon cher COACOA, et bien, tu as probablement battu le record de la plus longue réponse ! Par correction, je me suis forcé de lire cette prose. Et bien, et bien … j’ en suis tout retourné … Amitiés.
, le 17.09.2009 à 08:53
cette humeur a eu l’avantage de me faire connaitre des artistes dont je n’avais jamais entendu parler, merci pour les découvertes.
Après avoir parcouru les divers sites parlant ou montrant les “œuvres” de Wim Delvoye… A part l’inutilité, je le trouve “trop fort” le gars, taré ok, mais il fallait oser (surtout les machines à M…). J’aime bien son art “tatou-istique” que je trouve largement inspiré des icônes hindouistes dont je suis fan. J’adore les objets en fer forgé (camion etc…) qui me font penser entre-autre au facteur Cheval et à Gaudi.
Maintenant que ce soit “du l’Art ou du cochon”, pour moi, ça n’a pas d’importance.
, le 17.09.2009 à 09:40
… Pour en revenir à la machine de Wim Delvoye… ne pas oublier la Merde d’artiste de Manzoni (1961). Rien de bien neuf donc… la technique (encore elle) en plus, c’est tout !
, le 17.09.2009 à 11:02
Un grand photographe ( je crois) avait dit:
“Une bonne photo: quand on l’a vu une fois, on s’en souvient toute sa vie”.
, le 18.09.2009 à 17:01
En parlant de technique de repro, je l’aurais bien rescannée, cette image, je l’aurais mieux réussie, mais je n’avais plus l’original! ;) Et puis il aurait fallu recalibrer aussi nos écrans?! Non, décidément, pour les oeuvres, rien ne vaut l’original!
, le 19.09.2009 à 10:40
Oui, mais en l’occurrence le vrai “original” est primairement le négatif noir-blanc et secondairement le tirage papier de l’artiste. Pour les obtenir et les scanner, bonne chance.
Il y a bien longtemps, j’ai “opéré” en pro pendant 8 ans en chambre noire pour des tirages papier photo (agrandisseur) / ainsi que pour des repros film (caméra repro) à destination des presses offset; je connais un peu et peux apprécier ce sujet.
Les paramètres pour atteindre un résultat donné sont trop subjectifs car uniquement dépendants de l’artiste (ou évent. du labo ou du “tireur”) et de l’effet qu’il pense atteindre. Pour ceci il joue avec le type de papier utilisé et sa dureté, ainsi qu’avec le temps d’exposition et les éventuels masquages si besoin. De là, j’en déduis que seul l’artiste qui était là au moment de la prise de vue sait l’aspect qu’il va donner au tirage final (selon ses souvenirs de la scène et son humeur au moment précis dans son labo). Le photolithographe de l’imprimerie qui a ensuite produit le film pour la repro offset (pour l’impression du livre) s’en est forcément un peu écarté selon sa sensibilité et son humeur.
Donc, ça me fait bien marrer de vous lire (voir de vous chamailler), car à part ceux qui auraient vu le vrai tirage papier photo (si on peut l’appeler l’original – puisque de base, seul le négatif en est la source) avant reproduction, peuvent savoir (selon leur souvenir et encore là je doute) si les scans présentés dans cette humeur sont proches de l’original ou non.
, le 20.09.2009 à 23:02
Il y a quand même bien d’autres choses dans une photo que la qualité de la reproduction. Il y a le sujet, l’angle de prise de vue, le geste, la position, la géométrie, le contraste entre la peau de la jeune femme ( elle est jeune?) et le bois de la chaise ou le plâtre du mur, etc… Il y a autre chose qu’une simple technique photographique. Ou alors, c’est une discussion entre techniciens et imprimeurs.