Profitez des offres Memoirevive.ch!
D’Or et d’ou­blis, cha­pitre 13, fin et an­nexes

 image

 

Cha­pitres pré­cé­dents:

 

 

Les cha­pitres pré­cé­dents d’un roman po­li­cier sont trop dif­fi­ciles à ré­su­mer. Nous y ren­voyons le lec­teur: le feuille­ton pa­raît le di­manche et peut être consulté en ligne.

 

 

 

XIII

 

 

 

Que dire des mois qui ont suivi? Entre les ar­chives Tis­sot et nos clients ha­bi­tuels, nous avons, So­phie, Pierre-Fran­çois et moi, tra­vaillé d’ar­rache-pied.

Les mo­ments que je pré­fé­rais, c’était ceux où, après des re­cherches com­plexes qu’il se­rait en­nuyeux, et même sans in­té­rêt, de dé­tailler ici, je re­trou­vais un ou des hé­ri­tiers. Il fal­lait pas­ser par des ar­chives, des états ci­vils, sou­vent dans des langues dif­fi­ciles à com­prendre, ou alors dans un an­glais ou un al­le­mand de cui­sine. Il s’agis­sait de vaincre l’iner­tie de fonc­tion­naires sans beau­coup d’ima­gi­na­tion, de ré­duire à zéro la mau­vaise vo­lonté de res­pon­sables crain­tifs. Mais fi­na­le­ment, entre di­plo­ma­tie et me­nace, nous en avons re­trouvé une bonne par­tie. Le contact di­rect com­men­çait gé­né­ra­le­ment par une conver­sa­tion té­lé­pho­nique.

«Bon­jour Ma­dame».

«Bon­jour.»

«Vous êtes Ma­dame Éve­lyne Hir­sch­feld?»

«Euh… Oui.» Voix ju­vé­nile. Je sa­vais déjà qu’elle avait trente et un ans, et il y avait des chances que je connaisse son arbre gé­néa­lo­gique mieux qu’elle. Mais les ques­tions étaient de ri­gueur, il fal­lait les poser.

«Ma­dame Hir­sch­feld, je m’ap­pelle Marie Ma­chia­velli. Je vous té­lé­phone de la part de Maître Jean-Ber­nard Tis­sot, de Ge­nève. Êtes-vous une pa­rente de Mon­sieur Al­bert Hir­sch­feld, doc­teur en mé­de­cine de Graz en Au­triche?»

«On parle bien du Doc­teur Al­bert Hir­sch­feld?»

«Par­fai­te­ment.»

«Mais le Doc­teur Al­bert Hir­sch­feld, mon grand-père, est mort à Mau­thau­sen en 1944.» Le ton était per­plexe.

«Je sais qu’il est mort à Mau­thau­sen, Ma­dame, mais…»

«À fran­che­ment par­ler, votre ques­tion me sur­prend beau­coup, Ma­dame Ma­chia­velli. À pro­pos, votre nom, c’est un pseu­do­nyme?»

Tiens… Mé­ri­tait-elle mon bri­quet pla­qué or? Marie, soyons sé­rieux!

«Non, Ma­dame, c’est vrai­ment mon nom, en Tos­cane on le trouve en­core. Et je conçois que vous soyez sur­prise par ma ques­tion.»

«Bon, alors, qu’est-ce que vous me vou­lez?»

«Maître Jean-Ber­nard Tis­sot, de Ge­nève comme je vous le di­sais, m’a char­gée de re­trou­ver les hé­ri­tiers des per­sonnes qui avaient dé­posé des avoirs au­près de son étude avant la guerre. Mon­sieur Al­bert Hir­sch­feld avait confié seize mille francs suisses à l’Étude Tis­sot.»

«Ah bon? Nous avons un compte en déshé­rence? Sur­prise, sur­prise! Nous n’étions pas dans la liste qu’ont pu­bliée les banques suisses, pour­tant. Com­ment cela se fait-il? Et d’où vient-il, ce compte?»

Je fais grâce ici des ex­pli­ca­tions, et des men­songes par omis­sion né­ces­saires pour pro­té­ger la ré­pu­ta­tion de l’Étude Tis­sot. Cela se ter­mi­nait tou­jours par un ren­dez-vous. Maître Tis­sot vou­lait, par prin­cipe, que nous ayons vu tout le monde.

Pour des sommes re­la­ti­ve­ment peu im­por­tantes comme celle de Mon­sieur Hir­sch­feld, c’est moi qui me dé­pla­çais – de Vienne à Bu­ca­rest, j’ai beau­coup voyagé dans les ex-Pays de l’Est.

Pierre-Fran­çois éta­blis­sait en­suite des pro­jets de contrats. Maître Tis­sot avait in­sisté pour qu’un autre avo­cat su­per­vise toutes les opé­ra­tions.

Lorsque les sommes étaient plus consi­dé­rables, Maître Tis­sot al­lait voir les gens en per­sonne, pour dis­cu­ter: il n’avait pas de quoi rem­bour­ser tous les in­té­rêts à tous les ayant-droits. Nous en avons re­trouvé une ving­taine, presque tous juifs.

Par­fois, les hé­ri­tiers avec qui je pre­nais contact te­naient à venir en Suisse, ils al­laient voir Maître Tis­sot à l’Étude.

J’y étais moi-même sou­vent four­rée, à la cave la plu­part du temps. Ni Claude, ni Paul, ni Fran­çoise n’ont ja­mais fait la moindre re­marque sur les ar­chives, sur ma double iden­tité, sur le tra­vail, que je fai­sais en grande par­tie à Lau­sanne.

Quant à Sté­pha­nie, elle avait tenu pa­role: on n’avait plus parlé de rien. Elle n’avait tou­jours pas quitté le noir du deuil, mais elle avait presque re­trouvé le sou­rire.

C’est plus que l’on ne pou­vait en dire de Maître Tis­sot. Il était très af­fecté et ne le ca­chait pas. Il avait gardé son ca­rac­tère égal, sa gen­tillesse, sa com­pé­tence. Mais ses sou­rires, déjà rares au­pa­ra­vant, avaient dis­paru. Un pli lui bar­rait en per­ma­nence le front.

Je me suis rendu compte à quel point il avait mau­vaise conscience le jour où je l’ai ac­com­pa­gné à l’aé­ro­port.

Il al­lait à New York voir les Blu­men­stein, qui étaient res­tés les créan­ciers les plus im­por­tants du vieil Al­bert. Pierre-Fran­çois voya­geait avec lui, mais il avait an­noncé qu’il vien­drait à l’aé­ro­port par ses propres moyens (Pierre-Fran­çois n’at­trape ja­mais les trans­ports en com­mun qu’au vol – par prin­cipe).

Nous l’at­ten­dions au bar qui est avant le contrôle des pas­se­ports en si­ro­tant des eaux mi­né­rales. J’avais passé plu­sieurs jours à pré­pa­rer tous les do­cu­ments dont il pour­rait avoir be­soin à New York.

«Voilà, Maître. Les pièces comp­tables. Le re­gistre. Nous avons pho­to­co­pié les pages qui vous in­té­ressent. Les reçus de la banque. La cor­res­pon­dance. Je crois que tout y est.»

Maître Tis­sot a pris les che­mises co­lo­rées à me­sure que je les lui ten­dais, a jeté un coup d’œil dans cha­cune d’entre elles, puis les a glis­sées dans sa ser­viette.

«Merci, Maître. J’étu­die­rai tout ça à fond dans l’avion.»

J’avais beau ne plus tra­vailler chez lui, il avait conti­nué, im­per­tur­bable, à me trai­ter comme un de ses sta­giaires. J’al­lais lui en faire la re­marque en­jouée, lorsque j’ai vu ses yeux. Son re­gard était vide, il était ailleurs.

«J’ai sou­vent re­pensé à Per­rier, ces jours-ci», a-t-il fini par lâ­cher d’une voix loin­taine. «Je me sou­viens que les der­niers temps il était… com­ment dire? Étrange. Ab­sent.»

En­core une longue pause.

«Je re­gret­te­rai tou­jours qu’il se soit méfié de moi, qu’il ne m’ait rien dit. Bien sûr, on pense qu’un fils ne désa­vouera ja­mais son père.»

Il a eu un rire sans gaieté.

«C’est cu­rieux, la mé­moire. De­puis quelques se­maines, je suis hanté par une phrase du Père Go­riot de Bal­zac: “À l’ori­gine de toute for­tune, il y a un crime qu’on ignore. ” Que cela puisse s’ap­pli­quer à mon propre père…»

Il a sou­piré, s’est se­coué, s’est levé et a en­filé son man­teau.

«Allez, il faut que je cesse de pleur­ni­cher. Merci pour tout, Maître Ma­chia­velli, et à jeudi pro­chain.»

Il a pris congé. Sa poi­gnée de main était ferme.

«S’il y a quelque chose», ai-je en­core dit, «je suis au bout du fil. Vous pou­vez m’ap­pe­ler même chez moi.»

«Je vous prends au mot, et si né­ces­saire je n’y man­que­rai pas. Vous croyez que Maître Clair…?»

«Ne vous en faites pas, je suis sûre que vous le re­trou­ve­rez dans le fau­teuil à côté du vôtre au dé­col­lage. Il est comme ça.»

Il a tourné les ta­lons et s’est ache­miné vers le contrôle des pas­se­ports.

Je suis res­tée dans la halle des dé­parts pour être sûre, et cela n’a pas man­qué. Pans de man­teau ou­verts flot­tant der­rière lui comme des ailes, son fourre-tout dans une main, son pas­se­port d’où dé­pas­sait son billet de l’autre, Pierre-Fran­çois s’est pré­ci­pité vers les contrôles sans me voir. Au ta­bleau des dé­parts, les si­gnaux de son avion cli­gno­taient à n’en plus finir. C’était bon, il em­bar­que­rait. Je suis ren­trée à Lau­sanne tran­quille.

Avant de me re­mettre au tur­bin, j’ai ap­pelé David Blu­men­stein à son tra­vail, pour lui confir­mer le dé­part des deux avo­cats.

«J’avoue que j’ai des scru­pules», a-t-il re­mar­qué. «Je ne vou­lais pas que, parce que nous re­ce­vons notre dû, Maître Tis­sot soit dé­pouillé. Après tout, tout ça n’est pas sa faute».

«Vous ne le dé­pouillez pas. Il a pra­ti­que­ment tout vendu, mais il lui reste son étude, sa ré­pu­ta­tion, et il a même gardé sa mai­son. Le père et toute sa gé­né­ra­tion ont com­mis une er­reur. Le fils la ra­chète. Que vou­lez-vous de mieux? Il n’y a pas de scru­pules à avoir.»

Le petit rire de David a tra­versé l’At­lan­tique.

«Bon, si c’est comme ça que vous pre­nez la chose…»

Nous nous sommes quit­tés après qu’il m’a fait pro­mettre que j’irais les voir, lui et sa fa­mille, à New York. J’ai pro­mis, ça ne coû­tait rien.

Je me suis re­plon­gée dans les re­gistres, pen­dant des se­maines.

«S’il y a eu une ir­ré­gu­la­rité avec les Juifs, pour­quoi n’y en au­rait-il pas avec d’autres?» avait dit, très sec, Maître Tis­sot. «Je veux en avoir le cœur net. Vous éplu­chez tout.»

J’ai tout éplu­ché. Je n’ai pas vu pas­ser l’hi­ver, tant il a fallu tra­vailler. Pour des ré­sul­tats mé­diocres; à part la (trop forte) ten­ta­tion de l’ar­gent que per­sonne n’avait ré­clamé, les comptes d’Al­bert Tis­sot étaient cor­rects.

J’ai perdu la no­tion du temps jus­qu’au jour où, vers cinq heures de l’après-midi, Cesco a poussé sans façon la porte du bu­reau.

«Eh, pe­tite sœur. Les biens en déshé­rence at­tendent de­puis soixante ans, ils at­ten­dront bien jus­qu’à de­main. Ça fait des se­maines que tu ne dé­colles pas de cette chaise. Tu fe­rais bien de sor­tir un peu.»

«Salut, Cesco.»

«Salut. Je te si­gnale que de­hors le prin­temps s’an­nonce, que le ciel est bleu, que je viens d’Ou­chy, que j’y ai vu tes amis les fo­rains, et que j’ai pour mis­sion de te ra­me­ner au bord du lac. Alors, tu viens toute seule, ou je dois te por­ter, es­pèce de rat de comp­ta­bi­lité?»

J’ai éclaté de rire.

«Quand tu te mets à me faire la leçon, es­pèce de rat d’or­di­na­teur, tu es ir­ré­sis­tible.»

«Il a rai­son, vous savez», a ren­chéri So­phie, qui était déjà sur le pas de la porte, prête à s’en aller.

J’ai posé mon crayon.

«Bon, si vous vous y met­tez à deux, je ne ré­siste pas.»

Je me suis levée, j’ai en­filé mon par­des­sus. De toute façon, mon tra­vail pour Maître Tis­sot était presque ter­miné.

«La grande roue de la vie te tend les bras», a en­core dit Cesco dans les es­ca­liers.

«Ça va, garde pour toi ton ba­ra­tin dou­teux, je suis convain­cue. Ce soir je fais un mal­heur sur les car­rou­sels.»

En pas­sant, nous sommes en­trés chez Rico. Il pia­no­tait fu­rieu­se­ment sur le cla­vier de son or­di­na­teur.

Il ne s’est pas re­tourné, n’a même pas ra­lenti son rythme. Quand il ap­proche d’un délai, Rico est comme ça.

«Dites-moi où vous allez, il faut que je livre mon ar­ticle à six heures. Je vous re­joins.»

«On va à Ouchy, du côté de la grande roue.»

«Ça marche. À tout à l’heure.»

De­hors, j’ai vite constaté que Cesco avait rai­son. Il y avait dans l’air comme un par­fum de terre et de feuilles. De­puis les Jar­dins de Bourg, on voyait le lac, en­core rose. Dé­ci­dé­ment, les jour­nées s’al­lon­geaient.

À Ouchy, j’ai été ac­cueillie comme l’en­fant pro­digue.

«Marie… Enfin!»

«N’exa­gé­rons rien, il y a à peine quelques se­maines que vous ne m’avez vue.»

«Oui, c’est vrai, mais…», a voulu pro­tes­ter Jacky Girot.

«Mon­sieur Girot, ne dites rien. D’abord, je vais faire un tour sur la grande roue avant qu’il ne fasse com­plè­te­ment nuit. On dis­cu­tera après.»

«Ça me va. À tout à l’heure».

J’ai grimpé dans une na­celle, Cesco dans une autre, et nous sommes par­tis dans les hau­teurs, d’où le lac sem­blait en­core plus rose dans le cré­pus­cule qui avan­çait à grands pas.

«Eh, pe­tite sœur, ne fais pas la gueule», a hurlé Cesco de­puis la na­celle d’à côté.

C’était vrai, pas be­soin d’être sé­rieuse. J’ai éclaté de rire, sans rai­son, et je lui ai fait de grands signes, les deux bras en l’air.

Le fond de l’air était tiède, et des ef­fluves in­dis­tincts, un mé­lange in­dé­fini de fleurs et d’eau, me cha­touillaient les na­rines chaque fois que la roue ap­pro­chait du sol.

Comme tou­jours au prin­temps, cela don­nait envie de re­naître.

Au loin, la voix d’Édith Piaf chan­tait une chan­son an­cienne, que les fo­rains ont conti­nué à aimer en dépit du temps qui passe et des mé­tiers de­ve­nus élec­tro­niques. Elle se mê­lait aux rythmes en­dia­blés, aux grin­ce­ments des pou­lies, à l’ex­ci­ta­tion des voix, aux cris stri­dents des oi­seaux du soir, mais en même temps, elle res­tait dis­tincte:

«Tu me fais tour­ner la tête,

Mon ma­nège à moi, c’est toi.

Je suis tou­jours à la fête

Quand tu me tiens dans tes bras

Près d’une année consa­crée aux biens en déshé­rence. Il était temps de pas­ser à autre chose.

 

 

FIN

 

 

 

 

Post­face

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Con­trai­re­ment à ce qui se passe sou­vent, cette his­toire a com­mencé par être un film.

Au prin­temps 1997, la Té­lé­vi­sion ro­mande me de­man­dait d’écrire le scé­na­rio pour un té­lé­film qui tour­ne­rait au­tour du pro­blème des biens en déshé­rence.

Yvan But­ler, un des réa­li­sa­teurs de la mai­son, avait tra­vaillé avec un de mes col­lègues, le jour­na­liste Gé­rald Mury, qui avait fait une re­cherche et avait pro­duit ce qui est au­jour­d’hui connu de tous, mais qui était à l’époque une sorte de «scoop», pour user du lan­gage jour­na­lis­tique: il avait constaté bien avant qu’on n’en parle que s’il était beau­coup ques­tion des comptes va­cants (ou en déshé­rence) des banques, on ne fai­sait guère état des biens que les vic­times du na­zisme nais­sant avaient dé­po­sés dans des fi­du­ciaires, chez des no­taires, des avo­cats après 1933. Dans le cours de son en­quête, il avait dé­cou­vert ­plusieurs cas, im­pos­sibles à étayer lé­ga­le­ment après tant d’an­nées, mais dont il res­tait des traces «of­fi­cieuses» nom­breuses et convain­cantes – en plus d’une tra­di­tion orale te­nace que Mury a ren­con­trée de façon ré­pé­tée et dont j’ai pu consta­ter moi-même la per­sis­tance lorsque, à mon tour, j’ai fait des re­cherches pour com­plé­ter les siennes.

J’ai syn­thé­tisé le compte rendu du tra­vail de Gé­rald Mury, qui por­tait sur plu­sieurs af­faires, en un seul cas, basé sur la réa­lité, mais néan­moins fic­tif dans le ré­sul­tat: celui de «Maître Al­bert Tis­sot» – un per­son­nage in­venté comme tous ceux de cette his­toire et der­rière le­quel il se­rait vain de cher­cher à iden­ti­fier qui que ce soit. Ce qui est vrai, c’est la re­cherche par leurs hé­ri­tiers des biens venus se ré­fu­gier dans l’îlot de paix qu’ap­pa­rais­sait la Suisse dès après la prise de pou­voir d’Hit­ler, et la ré­ti­cence du monde suisse de la banque et des af­faires à les lâ­cher, une fois la tour­mente pas­sée.

Les évé­ne­ments po­li­tiques suisses et étran­gers qui forment l’ar­rière-fond du récit sont, eux aussi, conformes à la réa­lité, à une en­torse no­table près: j’ai condensé sur une seule année l’his­toire de Chris­toph Meili, le gar­dien qui avait sur­pris l’UBS d’alors en train de dé­truire des ar­chives des an­nées trente, et qui avait été pour­suivi pour «vio­la­tion du se­cret ban­caire». En réa­lité, cette his­toire s’est dé­rou­lée sur un peu plus de dix-huit mois, entre début 1997 et oc­tobre 1998 (im­ma­tri­cu­la­tion de Chris­toph Meili dans une uni­ver­sité amé­ri­caine).

Sur cette base, j’ai construit une his­toire, en y in­tro­dui­sant un per­son­nage que je ve­nais de créer (et qui à l’époque était en­core in­édit): l’en­quê­teuse Marie Ma­chia­velli, qui ra­conte sa pre­mière en­quête dans le roman «Âme de Bronze», paru en 1998.

Le scé­na­rio ori­gi­nal a en­suite subi le sort de tout scé­na­rio. Le ci­néma est un tra­vail d’équipe, et il se­rait vain (faux même) pour l’écri­vain de vou­loir être suivi à la vir­gule près par le réa­li­sa­teur. Sans comp­ter les réa­li­tés qui in­ter­viennent – im­pré­vi­sibles même avec la meilleure des pré­pa­ra­tions – au mo­ment où l’on se trouve dans le concret du tour­nage, et qui forcent le réa­li­sa­teur à ré­crire tel ou tel pas­sage sur un coin de table, en toute hâte.

J’ai moi-même réa­lisé des films dont j’avais écrit le scé­na­rio, il est rare que le film fini ait cor­res­pondu exac­te­ment à ce que j’avais écrit au dé­part.

Dans la me­sure où j’ac­cepte qu’un film soit le ré­sul­tat de la vi­sion de deux créa­teurs au mi­ni­mum (le scé­na­riste et le réa­li­sa­teur, mais aussi les co­mé­diens, le di­rec­teur de la pho­to­gra­phie, le mon­teur, le pro­duc­teur…), j’ai même dé­cliné d’as­sis­ter au tour­nage, ou d’in­ter­ve­nir pen­dant le mon­tage. Je ne vou­lais pas faire pres­sion sur qui que ce soit. Je n’ai vu que le film fini.

Ce n’était plus tout à fait mon his­toire, mais je ne me suis au­cu­ne­ment sen­tie tra­hie: ce sont les lois de l’exer­cice, ac­cep­tées d’avance – et l’es­sen­tiel y était, c’était là l’im­por­tant.

Le té­lé­film a été fait avec un bud­get mi­ni­mum. Yvan But­ler, qui est à la fois réa­li­sa­teur de fic­tion et grand re­por­ter, vou­lait faire la preuve qu’il est pos­sible de ra­con­ter des his­toires qui se passent ici sans avoir re­cours, comme on le fait sou­vent, à des ca­pi­taux étran­gers qui obligent à dé­per­son­na­li­ser les œuvres pour qu’elles soient ac­cep­tables par des pro­duc­teurs in­ter­na­tio­naux, sou­vent très crain­tifs. Il a tenté de ra­con­ter une fic­tion en uti­li­sant les moyens lé­gers du re­por­tage. Cela im­pli­quait une cer­taine li­néa­rité, et il a fallu re­non­cer à un cer­tain nombre d’évé­ne­ments, trop com­pli­qués à fil­mer dans un cadre aussi spar­tiate.

Dans le roman qu’on vient de lire, j’ai ré­ta­bli l’his­toire telle que je l’avais écrite au dé­part. Pou­voir lais­ser cou­rir son ima­gi­na­tion sans avoir à tenir compte de contin­gences d’ar­gent à chaque ligne, c’est là le pri­vi­lège de l’écri­vain par rap­port au ci­néaste. Ce­pen­dant, les dis­cus­sions avec les dif­fé­rents par­te­naires m’ont per­mis de cla­ri­fier cer­taines idées, et d’al­ler plus loin, en me for­çant à re­pen­ser les choses. Le roman est donc en­ri­chi par l’ex­pé­rience du film.

fi­na­le­ment, si «D’Or et d’Ou­blis» est «mon roman», il n’en reste pas moins (lui aussi) le ré­sul­tat d’un tra­vail d’équipe. Tous les ro­mans dont l’ar­rière-fond est do­cu­men­taire ou his­to­rique le sont, mais ce­lui-là l’est sans doute un peu plus que les autres.

Une der­nière pré­ci­sion.

La grande qua­lité de Marie Ma­chia­velli est qu’elle sait juger une si­tua­tion à la fois en s’im­pli­quant et en gar­dant une dis­tance iro­nico-cri­tique. Aussi ne ra­conte-t-elle ja­mais les choses en noir et blanc. Elle nuance. Dans son récit, il y a certes une condam­na­tion sé­vère des banques, des di­ri­geants, des ba­rons d’in­dus­trie de l’époque de guerre. Mais elle dis­tingue entre eux et les ci­toyens or­di­naires.

Je te­nais beau­coup à cette dis­tinc­tion.

D’ailleurs, contrai­re­ment à son at­ti­tude pas­sée, l’As­so­cia­tion suisse des ban­quiers la fait dé­sor­mais aussi. En 1997, au cours d’un débat té­lé­visé de la TV tes­si­noise, son re­pré­sen­tant Hein­rich Schnei­der af­fir­mait en­core que «nous sommes tous res­pon­sables.»

Le 21 sep­tembre 1998, Jacques Ros­sier, le re­pré­sen­tant de cette même As­so­cia­tion au débat animé par Gas­ton Ni­cole après la dif­fu­sion du té­lé­film «D’Or et d’Ou­blis» re­con­nais­sait que les banques s’étaient, après la guerre, ren­dues res­pon­sables de graves man­que­ments. Il ad­met­tait que des er­reurs graves de ju­ge­ment et de com­por­te­ment avaient été com­mises, man­que­ments et er­reurs dont les banques étaient seules res­pon­sables. Et Jacques Ros­sier pré­sen­tait en di­rect les ex­cuses of­fi­cielles des banques. Une pre­mière.

Dans cette his­toire, ce ne sont pas «les Suisses» qui sont en cause, mais bien une cer­taine ca­té­go­rie de per­sonnes, somme toute assez res­treinte, mais puis­sante.

Lorsque j’ai fait mes re­cherches, je me suis donné la peine d’al­ler écou­ter des hommes et des femmes qui ont vécu la guerre. La neu­tra­lité de la Suisse leur en a certes épar­gné les pires hor­reurs, mais sou­vent elle ne leur a évité ni les pri­va­tions ni des sa­cri­fices qui, pour ne pas avoir été ex­trêmes, leur ont néan­moins fait la vie dure.

À aucun mo­ment, ni à mes yeux ni (bien en­tendu) à ceux de Marie, ces per­sonnes-là ne sont en cause.

 

 

 

 

 

 

 

 

Re­mer­cie­ments

 

 

 

Je re­mer­cie tout d’abord Gé­rald Mury qui m’a fourni une en­quête sur la base de la­quelle il a été pos­sible de construire cette his­toire.

Je re­mer­cie Yvan But­ler grâce à qui, en d’in­nom­brables séances de tra­vail, j’ai pu cla­ri­fier mes idées.

Je re­mer­cie Ro­bert Boner pour l’idée d’ob­te­nir les aveux de Tis­sot en fai­sant lire la lettre d’Abra­ham Blu­men­stein par David.

Un merci par­ti­cu­lier à Mon­sieur Ro­dolphe Witt­wer: de tous les an­ciens de la Mob (on ap­pelle ainsi, en Suisse fran­co­phone, la Mo­bi­li­sa­tion gé­né­rale entre 1939 et 1945) aux­quels j’ai parlé, il est celui qui m’a le mieux fait com­prendre les dif­fi­cul­tés des an­nées de guerre pour un jeune père et sa fa­mille.

Merci éga­le­ment à Maître Marco Mona pour son ir­rem­pla­çable su­per­vi­sion ju­ri­dique.

 

Je dois aussi des re­mer­cie­ments

– à la TV ro­mande à Ge­nève, et par­ti­cu­liè­re­ment à ses dra­ma­turges et à son Ser­vice de do­cu­men­ta­tion écrite;

– aux col­lègues et amis qui m’ont ré­gu­liè­re­ment fourni des cou­pures de presse, ren­due at­ten­tive à des évé­ne­ments, prêté des livres, ainsi qu’à celles et à ceux qui m’ont ra­conté leur his­toire, leurs sou­ve­nirs.

Il est im­pos­sible de les nom­mer tous, ils ont été très nom­breux. Sans comp­ter celles et ceux (an­ciens em­ployés, fonc­tion­naires à la re­traite ou res­pon­sables de toutes sortes) qui ne m’ont fait des confi­dences qu’à condi­tion de res­ter ano­nymes.

 

 

Bi­blio­gra­phie

 

 

 

 

Livres, re­vues, rap­ports, sont de plus en plus nom­breux sur le sujet de l’or, des fonds en déshé­rence, des œuvres d’art, que ce soit à pro­pos de la Suisse ou d’autres pays mêlés à ces tra­fics (Es­pagne, Por­tu­gal, Suède, États-Unis, etc.). Il faut lire lar­ge­ment pour se faire une idée qui dé­passe nos fron­tières – car le pro­blème les dé­passe de loin. Ce­pen­dant, vu mon sujet, je ne donne ici que quelques titres qui concernent plus spé­ci­fi­que­ment la Suisse. Il y en a bien en­tendu d’autres, beau­coup d’autres.

 

Bour­geois Da­niel

     Bu­si­ness hel­vé­tique et Troi­sième Reich, Édi­tions Page deux/Le Cour­rier, Lau­sanne/Ge­nève 1998

 

Bower Tom

     Blood Money, Mac­Mil­lan, Londres, 1997

 

Ei­zens­tat Stuart S.

     US and Al­lied Ef­fort to Re­co­ver and Res­tore Gold and other As­sets Sto­len or Hid­den by Ger­many du­ring World War II, Wa­shing­ton 1997 (sous la di­rec­tion de William Z. Slany et du DrGreg Brad­sher). Tra­duc­tion fran­çaise «Le Rap­port Ei­zens­tat», Lau­sanne, 1997

 

Fleury An­toine, Cer­ruti Mauro, Per­re­noud An­toine

     Do­cu­ments di­plo­ma­tiques (jan­vier 41-sept. 43), vo­lume 14, Ben­teli Ver­lag, Berne, 1997

 

Häsler Al­fred A.

     La barque est pleine – La Suisse terre d’asile?, Ren­contre Lau­sanne (1971, épuisé)/ Ré­édi­tion de l’ori­gi­nal al­le­mand de 1967, Das Boot is Voll, ainsi que de l’édi­tion fran­çaise, M Ver­lag, Zu­rich, 1992

 

Jost Hans-Ul­rich

     Nou­velle His­toire de la Suisse et des Suisses, tome III, Payot, Lau­sanne, 1983

 

LeBor Adam

     Hit­ler’s Se­cret Ban­kers, Pen­guin Books, Londres, 1997

 

Mau­roux Jean-Bap­tiste

     Le bon­heur d’être Suisse sous Hit­ler, Pau­vert, Paris, 1967; édi­tion revue et com­plé­tée par l’au­teur, Édi­tions d’En-Bas, Lau­sanne, 1997

 

Ni­cho­las Lynn

     Le Pillage de l’Eu­rope, Seuil, Paris, 1995

 

Ri­beaud José

     Quand la Suisse dis­pa­raî­tra, Aire, Vevey, 1998

 

Rings Wer­ner

     L’or des nazis – La Suisse, un re­lais dis­cret, Payot, Lau­sanne, 1985

 

Stei­ger Ernst (Peter Sur­ava)

     Er nannte sich Sur­ava, Ro­thenhäusler, Ver­lag Stäfa, 1991

 

Task Force Suisse Deuxième Guerre mon­diale

     (sous la di­rec­tion de Tho­mas Borer)

     Dé­cla­ra­tions et do­cu­ments di­vers, Berne/États-Unis, 1996-1998

 

Zie­gler Jean

     La Suisse, l’or et les morts, Seuil, Paris, 1997

 

Presse quo­ti­dienne et pé­rio­dique, ra­dio­pho­nique et té­lé­vi­sée, suisse et étran­gère, 1995-1999

 

 

© Ber­nard Cam­piche édi­teur, CH 1350 Orbe (Suisse)

«D’Or et d’ou­blis» a été réa­lisé par Ber­nard Cam­piche, avec la col­la­bo­ra­tion de René Be­la­kovsky, Mary-Claude Gar­nier, Marie Musy, Ma­rie-Claude Schoen­dorff et Da­niela Spring. Photo de cou­ver­ture: Laurent Co­chet

8 com­men­taires
1)
Anne Cuneo
, le 08.02.2009 à 10:59

Chers Amis,

Ceux qui se sont ex­pri­més ont voté en grande ma­jo­rité pour la pu­bli­ca­tion en feuille­ton do­mi­ni­cal d’une troi­sième aven­ture de Marie Ma­chia­velli. On par­tira du prin­cipe que qui ne dit mot consent, et «Le Sou­rire de Lisa» pa­raî­tra donc ici, mais ce ne sera pas à par­tir de di­manche pro­chain. Pré­pa­rer les épi­sodes, cela de­mande un peu de temps, que je n’au­rai pas la se­maine pro­chaine – mon agenda est bourré.

Ce sera pour dans quinze jours, trois se­maines au plus tard – cela de­mande aussi du temps à Fran­çois, et j’ima­gine que chez lui aussi l’agenda dé­borde ;-).

2)
Franck Pas­tor
, le 08.02.2009 à 15:41

Ceux qui se sont ex­pri­més ont voté en grande ma­jo­rité pour la pu­bli­ca­tion en feuille­ton do­mi­ni­cal d’une troi­sième aven­ture de Marie Ma­chia­velli. On par­tira du prin­cipe que qui ne dit mot consent, et «Le Sou­rire de Lisa» pa­raî­tra donc ici…

OUAIS !!

mais ce ne sera pas à par­tir de di­manche pro­chain. Pré­pa­rer les épi­sodes, cela de­mande un peu de temps, que je n’au­rai pas la se­maine pro­chaine – mon agenda est bourré.

Maieuuuh…

3)
macs­teph
, le 08.02.2009 à 17:14

Super ! Je me ré­jouis déjà !

En tout cas, un grand merci pour les 2 pre­miers ou­vrages.

4)
jibu
, le 08.02.2009 à 20:39

Cool, merci pour cette lec­ture do­mi­ni­cale.

6)
Sa­luki
, le 08.02.2009 à 23:07

Le sa­luki s’en pour­lèche les ba­bines d’avance…

Merci, Anne. Tra­vailles un peu, Fran­çois.
Au fait je connais un bouche-trou pour di­manche pro­chain ;°))

7)
zit
, le 09.02.2009 à 15:54

Merci en­core, Anne. J’adore ton ton (, tata, di­rait Fran­çois ;o), cette ma­nière d’abor­der des su­jets graves avec l’air de par­ler d’autre chose, où le crime n’est qu’un alibi pour abor­der un sujet d’ac­tua­lité (ou pas). C’est ce que j’aime dans une cer­taine veine de ro­man­ciers “de po­lars” ou de SF, loin de la “lit­té­ra­ture” tour­née vers son nom­bril, sté­rile. Et aussi, l’es­poir, ce côté op­ti­miste (naïf ?) que tous les gens ne sont pas des sa­lops, même si ce fils Tis­sot, rongé de re­mords pour une faute qu’il n’a pas com­mise me pa­rait un peu trop beau pour être vrai :–(

z (vi­ve­ment di­manche, je ré­pêêêêêête : vi­ve­ment di­manche en huit)

8)
Anne Cuneo
, le 09.02.2009 à 20:35

ce fils Tis­sot, rongé de re­mords pour une faute qu’il n’a pas com­mise me pa­rait un peu trop beau pour être vrai :–( Texte

J’ai connu deux hommes dont le père avait ac­quis une for­tune par des moyens fri­sant l’illé­ga­lité, ou car­ré­ment illé­gaux. L’un a réagi en gar­dant l’ar­gent mais en s’adon­nant aux bonnes oeuvres. L’autre a cher­ché à iden­ti­fier sys­té­ma­ti­que­ment tous ceux que son père avait volés, et les a rem­bour­sés. Cela a pris trois ans, et à la fin il ne lui res­tait rien. Pour tous deux, le mo­teur de l’ac­tion était le re­mords “hé­rité“ – puisque tous deux avaient eu une en­fance dorée à cause de l’ar­gent volé par leur père. J’ai choisi de m’ins­pi­rer de celui qui a rendu le fric pour écrire Tis­sot.

C’est donc rare, peut-être, mais pas trop beau pour être vrai. Et je suis peut-être op­ti­miste de prê­ter at­ten­tion aux Tis­sot plu­tôt qu’aux mecs qui se foutent de sa­voir d’où leur est venu le fric dont ils dis­posent. Mais voilà, je suis comme ça …. ;-)