Aujourd'hui, je comptais vous écrire un truc drôle, un truc à vous plier de rire, un truc à vous exploser la rate, à vous fendre la pipe. Un truc à vous gondoler, une vanne de la mort-qui-tue.
Et puis non. Il doit y avoir ce matin dans cette maison noyée d'odeurs de thé et de cris d'enfant, quelque chose qui m'en empêche. Alors je vous propose ce poème de René Char, que j'affectionne particulièrement, pour une petite pause...
J'habite une douleur
Ne laisse pas le soin de gouverner ton coeur à ces tendresses parentes de l'automne auquel elles empruntent sa placide allure et son affable agonie. L'oeil est précoce à se plisser. La souffrance connaît peu de mots. Préfère te coucher sans fardeau: tu rêveras du lendemain et ton lit te sera léger. Tu rêveras que ta maison n'a plus de vitres. Tu es impatient de t'unir au vent, au vent qui parcourt une année en une nuit. D'autres chanteront l'incorporation mélodieuse, les chairs qui ne personnifient plus que la sorcellerie du sablier. Tu condamneras la gratitude qui se répète. Plus tard, on t'identifiera à quelque géant désagrégé, seigneur de l'impossible.
Pourtant.
Tu n'as fait qu'augmenter le poids de ta nuit. Tu es retourné à la pêche aux murailles, à la canicule sans été. Tu es furieux contre ton amour au centre d'une entente qui s'affole. Songe à la maison parfaite que tu ne verras jamais monter. A quand la récolte de l'abîme? Mais tu as crevé les yeux du lion. Tu crois voir passer la beauté au-dessus des lavandes noires...
Qu'est-ce qui t'a hissé, une fois encore, un peu plus haut, sans te convaincre?
Il n'y a pas de siège pur.
René Char
Le poème pulvérisé, éditions Fontaine, 1947.
Chut!... Vous pouvez le relire en écoutant l'Adagietto de la 5° symphonie de Gustav Malher.
C'est tout pour aujourd'hui. Bonne journée...
, le 08.07.2008 à 01:34
Merci Modane pour cette petite note de douceur. J’ai pas tout compris non plus…m’enfin! Cela me plaît aussi bien comme ça! Je relirai le texte après mon deuxième café du matin. Bonne journée!
, le 08.07.2008 à 08:11
Alors je sais que je vais en faire hurler certains, mais j’ai un gros problème avec la LECTURE de la poésie.
Autant j’aime bien lorsqu’on me la joue, me l’interprète, autant la vue d’un recueil de poésies (hormis Paroles de Prévert) m’endort instantanément.
Ça fait pas bien de dire ça hein…
Ben tant pis.
, le 08.07.2008 à 08:19
A la lecture de ce poème, bien que je n’affectionne pas particulièrement la poésie en général, je trouve dommage qu’on nous impose que les “grands” poètes à lire au gymnase. Baudelaire, Verlaine…
Pourquoi ne pas nous faire lire aussi des poèmes plus contemporains, moins connus, peut-être moins classiques ?
Mais merci Modane, celui-ci est très beau ! Par contre, je l’ai écouté avec le mouvement final de la 9ème de Beethoven (c’est mon réveil matin), tu ne m’en veux pas ? Je n’ai pas la 5ème de Malher sous la main… :)
, le 08.07.2008 à 08:52
Merci Modane pour ce moment de polésie, comme disait Desproges.
Ton lien sur l’adagietto donne sur une page d’accueil. Voici un autre lien direct pour écouter ce passage.
Milsabor!
, le 08.07.2008 à 08:58
… Merci Modane. Faute de Mahler on peut aussi se choisir le deuxième mouvement du concerto en sol pour piano de Ravel ou encore l’une des Variation Goldberg de Bach, Flamenco Sketches de Miles Davis… et bien d’autres encore !
, le 08.07.2008 à 10:35
bq%François Cuneo%. Alors je sais que je vais en faire hurler certains, mais j’ai un gros problème avec la LECTURE de la poésie.
Autant j’aime bien lorsqu’on me la joue, me l’interprète, autant la vue d’un recueil de poésies (hormis Paroles de Prévert) m’endort instantanément. % %
François, un test: est ce que tu peux mener à bien le lecture de cette poésie là: Le Mot et la Chose
Madame, quel est votre mot Et sur le mot et sur la chose ? On vous a dit souvent le mot, On vous a souvent fait la chose. Ainsi, de la chose et du mot Pouvez vous dire quelque chose. Et je gagerai que le mot Vous plaît beaucoup moins que la chose !
Pour moi, voici quel est mon mot Et sur le mot et sur la chose J’avouerai que j’aime le mot, J’avouerai que j’aime la chose Mais c’est la chose avec le mot Et c’est le mot avec la chose, Autrement la chose et le mot A mes yeux seraient peu de chose.
Je crois même, en faveur du mot, Pouvoir ajouter quelque chose, Une chose qui donne au mot Tout l’avantage sur la chose Est qu’on peut dire encore le mot Alors qu’on ne peut plus la chose… Et, si peu que vaille le mot, Enfin, c’est toujours quelque chose !…
De là, je conclus que le mot Doit être mis avant la chose, Que l’on doit n’ajouter un mot Qu’autant que l’on peut quelque chose Et que, pour le temps où le mot Viendra seul, hélas sans la chose, Il faut se réserver le mot Pour se consoler de la chose !
Pour vous, je crois qu’avec le mot Vous voyez toujours autre chose Vous dites si gaiement le mot, Vous méritez si bien la chose, Que, pour vous la chose et le mot Doivent être la même chose… Et, vous n’avez pas dit le mot, Qu’on est déjà prêt à la chose.
Mais, quand je vous dis que le mot Vaut pour moi bien plus que la chose Vous devez me croire, à ce mot, Bien peu connaisseur de la chose ! Et bien, voici mon dernier mot Et sur le mot et sur la chose -. Madame, passez-moi le mot… Et je vous passerai la chose !
, le 08.07.2008 à 12:15
Un peu comme mon cher “patron d’ici’ que j’adore taquiner, je suis “fermétique” à la poésie, sauf à qlq vers de Ronsard
Celui qui boit, comme a chanté Nicandre, De l’Aconite, il a l’esprit troublé, Tout ce qu’il voit lui semble estre doublé, Et sur ses yeux la nuit se vient espandre.
Celui qui boit de l’amour de Cassandre, Qui par ses yeux au coeur est ecoulé, Il perd raison, il devient afolé, Cent fois le jour la Parque le vient prendre.
Mais la chaut vive, ou la rouille, ou le vin Ou l’or fondu peuvent bien mettre fin Au mal cruel que l’Aconite donne :
La mort sans plus a pouvoir de garir Le coeur de ceux que Cassandre empoisonne, Mais bien heureux qui peut ainsi mourir.
QUANDvous serz bien vieille, au soir, à la chandelle, Assise auprès du feu, devidant et filant, Direz chantant mes vers, en vous esmerveillant: François me celebroit du temps que j’estois belle.
Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle, 5 Desja sous le labeur à demy sommeillant, Qui au bruit de mon nom ne s’aille resveillant, Benissant vostre nom de louange immortelle.
Je seray sous la terre, et, fantosome sans os, Par les ombres myrteux je prendray mon repos: 10 Vous serez au fouyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et vostre fier desdain. Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain: Cueillez dès aujourd’huy les roses de la vie.
, le 08.07.2008 à 13:44
Merci Ysengrain pour avoir retrouvé ce poème extraordinaire que je connais, mais sur lequel je n’avais pas mis la main ou les yeux depuis longtemps. Quant au mot et à la chose…
, le 08.07.2008 à 15:04
Ysengrain,
Je me suis tellement régalée de la lecture de ce texte que je l’avais imprimé et mis sur la porte de mon bureau, ce qui ne manquait jamais de surprendre les gens qui s’attendaient à trouver des articles de loi uniquement dans le bureau de la juriste ! Merci de me l’avoir fait relire, j’aime toujours autant.
, le 08.07.2008 à 15:53
En effet, excellent, Ysengrain!:-)
Merci.
, le 08.07.2008 à 16:44
Chouette, j’en ai encore converti un. Avec mes remerciements, Monsieur l’Abbé.