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«Res­ter par­tir…», une pas­sion à la Val­lée de Joux

Il rê­vait d’un lieu my­thique, ap­pelé Tom­bouc­tou, où aucun Eu­ro­péen n’était ja­mais allé, et qui était de­venu lé­gen­daire: René Caillié avait dé­cidé de s’y rendre. Et cet été, vous pou­vez l’ac­com­pa­gner.

On par­lait de mi­na­rets cou­verts d’or, de rues pa­vées de pierres et de mé­taux pré­cieux, d’ha­bi­tants hors du com­mun… Mais en fait, vers 1825, la ré­gion de Tom­bouc­tou n’était qu’un blanc sur les cartes. René Caillié vou­lait sa­voir. Par­tir pour Tom­bouc­tou était de­venu pour lui une ob­ses­sion.

Au­jour­d’hui, son aven­ture, consi­gnée par lui en car­nets de voyage et pu­blié après son re­tour, est de­ve­nue une pièce de théâtre. La com­pa­gnie du Clé­dar à la Val­lée de Joux (je vous en avais parlé ici il y a deux ans) la monte ac­tuel­le­ment et va avoir sa Pre­mière. Un spec­tacle digne de l’ex­ploit de René Caillié, et à la hau­teur de la ré­pu­ta­tion du Clé­dar.

Caillié? Clé­dar? Ki­seksa?

Com­men­çons par René Caillié (ou Caillé). Qui donc était ce gar­çon frêle que rien ne sem­blait dis­tin­guer?

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René Caillié après son re­tour de Tom­bouc­tou. Il al­lait sur­vivre une di­zaine d’an­nées à son pé­riple.

Ce Ven­déen était né en 1799; son père avait fini au bagne pour une his­toire non dé­mon­trée de fi­lou­te­rie d’au­berge. Au­tre­ment dit, René Caillié a eu une jeu­nesse dif­fi­cile. Il a fait un ap­pren­tis­sage de cor­don­nier, mais très tôt il avait rêvé d’ex­plo­rer la par­tie in­con­nue de l’Afrique. A 28 ans, il a enfin réussi à par­tir, sans ar­gent – en termes ac­tuels, on di­rait qu’il n’avait pas réussi à convaincre un spon­sor, et bien en­tendu il n’avait pas de for­tune per­son­nelle.

Au prin­temps 1827, il s’est re­trouvé sur la côte afri­caine, d’où il est parti pour l’in­té­rieur du conti­nent le 19 avril, avec une ca­ra­vane, dé­guisé en mu­sul­man.

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Le pé­riple de René Caillié

Le voyage est vite de­venu dif­fi­cile, Caillié est tombé ma­lade. Il lui a fallu une année pour ar­ri­ver à Tom­bouc­tou, jour pour jour (20 avril 1828). Le lieu ma­gique et rêvé n’était qu’une bour­gade pous­sié­reuse et lar­ge­ment hos­tile.

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Des­sin de Tom­bouc­tou par Caillié

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Tom­bouc­tou au­jour­d’hui (Photo Brian Mc­Mor­row)

Quinze jours après son ar­ri­vée, Caillié, très déçu, dé­ci­dait de ren­trer.

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La mai­son où Caillié a sé­journé. La rue où elle se trouve porte au­jour­d’hui son nom. (Photo Brian Mc­Mor­row)

Le voyage du re­tour al­lait se ré­vé­ler plus dif­fi­cile en­core que l’al­ler. Caillié a ra­mené en France une santé dé­té­rio­rée. Mais il a réussi, au prix des pires dif­fi­cul­tés, à sau­ve­gar­der ses car­nets de voyage, qui ont très vite été pu­bliés: il n’avait pas été le pre­mier à ten­ter de voyage de Tom­bouc­tou, mais il était le pre­mier à en être re­venu vi­vant.

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Les car­nets de René Caillié, édi­tion ori­gi­nale

De­puis bien­tôt deux siècles, les Car­nets de René Caillié, son aven­ture, ont ins­piré tant les voya­geurs que les écri­vains. Parmi eux, Ber­nard Char­treux. Sa pre­mière pièce sur le sujet date de 1981. La pièce que joue cet été la Com­pa­gnie du Clé­dar aux Char­bon­nières (Val­lée de Joux) est une adap­ta­tion faite tout ex­près par l’au­teur pour la troupe. L’au­teur agence à sa ma­nière la conti­nuité lo­gique et chro­no­lo­gique du récit. Il fa­brique des si­tua­tions scé­niques à par­tir d’un as­pect ou d’un autre, qu’il ma­gni­fie en gros­sis­sant le trait.

Pas­sons main­te­nant au Clé­dar.

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Voici les membres du Clé­dar au ma­quillage, lors d’un pré­cé­dent spec­tacle (photo Anne-Lise Vul­lioud)

Le Clé­dar, c’est une troupe fon­dée il y a 22 ans; elle monte tous les deux ans un spec­tacle qui fait du bruit non seule­ment dans la ré­gion, mais loin à la ronde. Les co­mé­diens sont tous “ama­teurs” (en­core que, vu le sé­rieux qu’ils mettent à la pré­pa­ra­tion et à l’en­traî­ne­ment, le terme fi­nisse par être re­la­tif), et ils viennent tous de la ré­gion. La troupe est basée à la Val­lée de Joux, et c’est tou­jours là que les spec­tacles ont lieu, non pas dans des théâtres (il n’y a pas de théâtre pro­pre­ment dit à la Val­lée), mais dans des lieux plus sur­pre­nants les uns que les autres – cela va de la clai­rière au­tour d’une ca­bane fo­res­tière à la scie­rie désaf­fec­tée.

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La Val­lée de Joux, une pai­sible oasis cam­pa­gnarde – et un vi­vace lieu de culture

Il ar­rive que cer­tains membres de la troupe dé­mé­nagent hors de la Val­lée de Joux, mais res­tent fi­dèles au Clé­dar: il n’est pas rare que cer­tains fassent, les soirs de ré­pé­ti­tion, 200 km pour venir ré­pé­ter.

Ce qui fait la force du Clé­dar, c’est que son co­mité a vite com­pris qu’il fal­lait s’en­tou­rer de pro­fes­sion­nels: ainsi, les au­teurs, les met­teurs en scène, les scé­no­graphes, les cos­tu­miers, les mu­si­ciens, les tech­ni­ciens, ont tou­jours été des pro­fes­sion­nels. Sou­vent ori­gi­naires de la Val­lée de Joux. Le mé­lange de l’en­thou­siasme des ama­teurs et du sa­voir-faire des pro­fes­sion­nels (vite conta­mi­nés par l’en­thou­siasme du Clé­dar – ça s’at­trape comme un virus) crée un charme au­quel suc­combent à chaque fois plu­sieurs mil­liers de spec­ta­teurs.

Voilà, les pro­ta­go­nistes sont en place, pas­sons main­te­nant (trom­pettes) ta­ra­tata …

… AU SPEC­TACLE

«Mon but prin­ci­pal était de re­cueillir avec soin, avec exac­ti­tude, tous les faits qui tom­be­raient sous mes yeux, de quelque na­ture qu’ils fussent, et de me li­vrer spé­cia­le­ment à tout ce qui me pa­rais­sait in­té­res­ser les pro­grès de la géo­gra­phie et de notre com­merce en Afrique.»

C’est ainsi que René Caillié ex­plique, dans ses Car­nets de voyage, un rêve en­tre­tenu dès sa prime jeu­nesse: «voir Tom­bouc­tou», un nom qui dé­signe au­jour­d’hui en­core un but my­thique, loin­tain, in­at­tei­gnable. Il vou­lait être connu et re­connu pour avoir foulé des ter­ri­toires «non frayés», il a tout misé sur cette quête, en y lais­sant un peu de sa peau.

La pièce de Ber­nard Char­treux “Res­ter par­tir. Une pas­sion sous les tro­piques”, basée sur ces Car­nets, ra­conte son pé­riple afri­cain. René Caillié l’a en­tre­pris au début du XIXe siècle, au mo­ment où l’Eu­rope en­voyait ses ar­mées pour conqué­rir l’Afrique. Mais il est parti seul, sans moyens, se mê­lant aux ca­ra­vanes d’es­claves, se fai­sant pas­ser pour mu­sul­man et lut­tant sans re­lâche pour at­teindre son but.

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La ca­ra­vane est en marche; le chef de ca­ra­vane (Jacques-Henri Dé­praz) conseille Caillié (Claude Crau­saz)

Aller. Il y a l’al­ler. Vers Tom­bouc­tou. Le héros est en marche. A l’ar­rière-plan, le lieu du mou­ve­ment, l’iti­né­raire vers ce quelque part my­thique, in­connu, rêvé, dont l’es­pace pour­rait se com­pa­rer à l’image mo­bile du ci­néma ou de la BD. Au pre­mier plan, le lieu de l’ar­rêt, du repos, celui où l’on ren­contre ceux qui ne sont pas du voyage, où l’on ra­conte ce qui s’est passé ; on pour­rait dire que c’est l’es­pace du théâtre, du conte ou du jeu.

Re­tour. Après Tom­bouc­tou, c’est le re­tour. In­sup­por­table re­tour, bien dif­fi­cile à vivre, puisque l’ave­nir du héros était dé­sor­mais der­rière lui. Juste envie de prendre dans ses bras le voya­geur fa­ti­gué, et de pan­ser ses bles­sures.

Le texte est com­posé d’une ving­taine de sé­quences, écrites à par­tir des car­nets de René Caillié, à quoi s’ajoutent d’in­nom­brables no­tices et no­tules is­sues de l’es­prit en­cy­clo­pé­dique de Char­treux, un des écri­vains dra­ma­tiques émi­nents du théâtre contem­po­rain. Char­treux ex­pose et dé­crit sans in­ter­pré­ter ; au spec­ta­teur de faire son che­min à tra­vers les cris­taux du ka­léi­do­scope et de se faire l’in­ter­prète de sa réa­lité. Scènes de ré­cits, dia­logues ser­rés de ci­néma, sé­quences gro­tesques ou cau­che­mar­desques, en­vo­lées ly­riques, les sup­ports sty­lis­tiques de «Res­ter par­tir» sont mul­tiples.

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Décor, cos­tumes, masques… tout est beau – et sur­pre­nant

L’in­ter­pré­ta­tion du Clé­dar

Lorsque le Clé­dar se lance dans une aven­ture, il ne fait pas les choses à moi­tié. Il y a deux ans, pour fêter son ving­tième an­ni­ver­saire, la troupe avait dé­cidé de mon­ter un spec­tacle sur Sha­kes­peare, et avait poussé la co­hé­rence jus­qu’à construire un théâtre “éli­sa­bé­thain” ins­piré du Globe (le théâtre re­cons­ti­tué de Sha­kes­peare).

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Le théâtre éli­sa­bé­thain dans le pay­sage des Char­bon­nières

Ce même théâtre va ser­vir au Clé­dar une se­conde (et der­nière) fois cette année (après quoi il conti­nuera sa vie à Yver­don) – il sera presque mé­con­nais­sable, tant il est trans­formé en vaste éten­due où se joue l’épo­pée d’un des­tin, et où se vit le plai­sir du Clé­dar – et de son pu­blic. L’évo­ca­tion du long voyage (2600 km en­vi­ron, dont les trois quarts à pied) de René Caillié a quelque chose de féé­rique.

De­puis 22 ans, le Clé­dar reste fi­dèle à tout ce qui a fait son suc­cès: l’in­so­lite, l’in­at­tendu, l’in­édit, et sur­tout le plai­sir. Et ce plai­sir, nourri d’ami­tié et d’une in­épui­sable éner­gie, le Clé­dar le trans­met à son pu­blic. Dans ce spec­tacle aussi.

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Avant un spec­tacle, ceux du Clé­dar ré­pètent tou­jours avec achar­ne­ment. Ici, le maître d’armes Mi­chael Hewer règle les ba­garres

Comme tou­jours, l’aven­ture est vécue jus­qu’au bout: chaque spec­tacle est ac­com­pa­gné de sa gas­tro­no­mie spé­ci­fique. Pour le pé­riple à tra­vers l’Egypte et le Mali, ce sera la cui­sine afri­caine, ser­vie dans une tente ber­bère.

Au mo­ment où pa­raît cette hu­meur, je n’ai pas en­core vu le spec­tacle en en­tier. J’ai suivi de près (par ami­tié) tout le pro­ces­sus créa­tif, la mise en place. J’ai as­sisté à des ré­pé­ti­tions, vu quelques cos­tumes et quelques dé­cors. Les pho­tos que vous voyez ici sont prises pen­dant ces ré­pé­ti­tions.

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Même les cau­che­mars de Caillié prennent forme (Georges-Henri Dé­praz sous le masque d’un no­table)

Les re­pré­sen­ta­tions ont lieu du 15 août au 8 sep­tembre. Je n’en dis pas plus, mais on trou­vera plein de choses sous www.​cledar.​ch

Avis aux ama­teurs: le soir de la jour­née Cuk, le 8 sep­tembre, ce sera la der­nière re­pré­sen­ta­tion. En s’y pre­nant suf­fi­sam­ment tôt, je peux ré­ser­ver des places et on peut y aller à plu­sieurs – c’est à une heure (peut-être moins) de voi­ture et à 1 h 15 de train du lieu où nous pas­se­rons la jour­née.

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Guère re­connu de son vi­vant, René Caillié a eu droit à la gloire post­hume, sur­tout parmi les grands voya­geurs et en Ven­dée d’où il ve­nait. L’Etat fran­çais a fini par l’ho­no­rer, entre autres, par un timbre.

PS. Pour en sa­voir plus sur René Caillié et son voyage ou Wi­ki­pe­dia (plus com­plet en an­glais qu’en fran­çais).

PS. 2. Pour mieux connaître le Clé­dar, on peut aussi com­man­der, sur leur site www.​cledar.​ch, le film do­cu­men­taire que j’ai réa­lisé sur eux.

PS. 3 Les pho­tos dont l’au­teur n’est pas in­di­qué sont de la sous­si­gnée.

8 com­men­taires
1)
Fran­çois Cuneo
, le 10.08.2007 à 06:47

J’irai, c’est sûr, mais avant le 8!:-)

2)
Franck_­Pas­tor
, le 10.08.2007 à 09:16

Mo­rale du voyage de Caillé : il y a sou­vent loin du rêve à la réa­lité. C’est pour­quoi on en parle re­la­ti­ve­ment peu dans les prin­ci­paux re­cueils de ré­cits d’ex­plo­ra­tion, sans doute. Un des rares pour­tant sans visée “conqué­rante”.

3)
Ca­plan
, le 10.08.2007 à 10:12

Ah, René Caillié! Après avoir en­tendu le récit de son voyage par l’ex­cellent Alain De­caux, j’avais lu les deux tomes écrits par René Caillié lui-même et ré­édi­tés par Mas­péro et La Dé­cou­verte en 1982 et 1985:

Quelle épo­pée! Quelle aven­ture! Quelle dé­ter­mi­na­tion, sur­tout! Il a fini dans un état de santé la­men­table. N’im­porte le­quel d’entre nous se se­rait laissé mou­rir.

Sans comp­ter qu’il a fait le voyage vers l’Afrique à bord de La Loire, qui na­vi­guait de concert avec La Mé­duse, qui a fait le nau­frage que l’on sait…

Une belle aven­ture pour un spec­tacle qui doit être à la hau­teur!…

Mil­sa­bor!

4)
coa­coa
, le 10.08.2007 à 11:43

Tout cela m’ins­pire une mo­deste ré­flexion…

Ce que je trouve ad­mi­rable, dans le tra­vail de la troupe du Cle­dar tel que tu nous le dé­peints, Anne, c’est l’éner­gie for­mi­dable dé­ployée pour ré­pondre à l’ap­pel d’une pas­sion. Parce qu’il en faut, de la pas­sion, pour mener à bien un tel ba­teau.

Ca­plan, par­lant de Caillié, parle de dé­ter­mi­na­tion. Com­ment mieux qu’à tra­vers la dé­ter­mi­na­tion des uns rendre hom­mage à la dé­ter­mi­na­tion de l’autre ?

C’est très tou­chant.

P.S. Je pro­fite un brin du sujet pour vous dire que de­main et di­manche se joue à Nyon, au fes­ti­val des arts vi­vants, une pièce que j’ai écrite et mise en scène pour le compte de la com­pa­gnie V.I.T.R.I.O.L.

Infos ici

Ecou­ter Dare-dare (Es­pace 2) consa­cré au spec­tacle en sui­vant ce lien ou en cli­quant là

5)
Fran­çois Cuneo
, le 10.08.2007 à 18:50

Et purée, je suis pris de­main!

Mais non…

La pro­chaine fois, tu m’aver­tis bien avant stp?

Merci!

F

6)
Ma­dame Pop­pins
, le 10.08.2007 à 21:34

J’ai bien aimé l’idée d’une folle aven­ture mue par une folle pas­sion de la dé­cou­verte. Et, je l’avoue, je ne suis pas in­sen­sible au fait que la pièce est mon­tée par une com­pa­gnie de la Val­lée de Joux : un peu comme pour faire dé­men­tir les mau­vaises langues qui disent que c’est un coin perdu. Perdu, un peu, mais avec plein de gens pas­sion­nés aussi et mo­ti­vés.

Ex­cel­lente soi­rée,

7)
Ga­bone
, le 10.08.2007 à 22:41

Merci Anne, de mous faire dé­cou­vrir la troupe et René Caillié.

8)
coa­coa
, le 11.08.2007 à 02:01

Ca se joue en­core di­manche à 19h et 21h… :-)

Et j’en avais parlé en com­men­taire n°20 dans la chro­nique du 10 juillet…

C’était pas assez bien avant, ça, Mon­sieur, hein, hein, hein ?

:-P