Il y a des gens qui ont de la chance. Prenez le petit Guitry, par exemple. Sacha. Chez lui, ce n’était pas vraiment Sans Famille.... Une fois par semaine, le jeudi soir, en général, il voyait arriver chez lui, ou plutôt chez son père, Lucien, l’immense acteur, le Depardieu de l’époque, les invités très spéciaux du Club des Mousquetaires.
Le Club des Mousquetaires n’était certes pas une assemblée de détective, ni de bridge non plus. Ils étaient juste les convives d’un dîner hebdomadaire spécial, le dîner du jeudi soir. Et qui étaient ces invités réguliers? La fine fleur de l'esprit de l'époque, manieurs de mots, de style et de causticité. Toujours les mêmes. Quatre amis, liés par la culture, le théatre, la littérature.
Inutile de dire que ce diner d'hommes était triste à pleurer. Et d’un intérêt médiocre pour la formation du petit Sacha, assistant à cela, au point qu'il en finira homme d'esprit et auteur de théâtre.
Le premier...
... était donc Tristan Bernard, né Paul. D'abord avocat, puis directeur de vélodrome, finalement homme de lettres accessoirement inventeur du jeu de société des Petits Chevaux. Peut être le savez vous, mais la dernière strophe de "Marquise", de Brassens, est de lui...
On lui doit :
"Qui donne aux pauvres prête à Dieu, qui donne à l'État prête à rire." et encore : "Les hommes méchants ne sont pas les plus dangereux."
Grand amateur de mots croisés, on lui doit des définitions d'anthologie.
Cadeau bon marché : Conseil
Suit le cours des rivières : Diamantaire
Arrive souvent au dernier acte : Notaire...
Tristan Bernard est de loin le premier sur le marché de la citation. Rançon de la gloire : toutes ne sont pas de lui, ce dont il profitait à l'époque. Mais il est quand même celui qui, rencontrant un corbillard, jeta : "Hep! Cocher! Vous êtes libre?"
Le second...
... était donc Jules Renard. Alors lui... S'il y en a un qu'on pouvait dire caustique, c'était bien lui. Il faut dire qu'il y avait de quoi. Tout ce que vous avez lu de lui lui est arrivé. Y compris "Poil de carotte". D'où cette phrase : "Tout le monde n'a pas la chance d'être né orphelin."
Son humour acide, son sens de la synthèse, sont la source inextinguible de citations populaires, toutes plus jubilatoires les unes que les autres. Comme : " Je sais nager, suffisamment pour me retenir de sauver les autres", " Si l'argent ne fait pas le bonheur, rendez le!".
Il ne pensait pourtant pas déclencher cette tempête de citations. Il écrivit un jour dans son Journal : " Malade, je voudrais dire des mots profonds, un peu historiques, que mes amis se répèteraient, mais je m'énerve trop." Et pourtant...
Le troisième...
... était Alfred Capus, journaliste reconverti dans le théâtre, et qui collectionnait les succès. "Notre jeunesse" avait été monté à la Comédie Française, et "La Chatelaine" avait eu la garantie d'être créée par Lucien Guitry. Il sera directeur du Figaro, il succèdera à Henri Poincaré à l'Académie où il trouvera la vérification de cette vacherie de son cru:
"Certains hommes parlent pendant leur sommeil. Il n'y a guère que les conférenciers pour parler pendant le sommeil des autres."
Le quatrième...
... était le lunaire de la bande, et le remplaçant de Capus, quand celui ci était absent. D’un impassible consommé, buveur forcené, Alphonse Allais était d' Honfleur, comme Eric Satie. Comme quoi, contrairement à ce que dit Maupassant, les normands ont de l’humour.
Celui d’Alphonse était absurde. Il présenta un jour au salon des Incohérents une série de toiles monochromes dont une s’appelait : “Récolte de la tomate sur le bord de la mer Rouge par des cardinaux apoplectiques”.
Il cultivait la poésie holorime, qu’aimera aussi Émile Verhaeren. Un exemple :
Par les bois du djinn où s'entasse de l'effroi,
Parle et bois du gin ou cent tasses de lait froid.
Un autre est célèbre, eh oui, c’est de lui... :
Ah ! Vois au pont du Loing : de là vogue en mer Dante.
Hâve oiseau pondu loin de la vogue ennuyeuse.
qu’il avait fait suivre du commentaire :
“La rime n’est pas très riche, mais j’aime mieux cela que sombrer dans la trivialité."
Alphonse était connu pour écrire ses articles au dernier moment, et de tirer à la ligne au point d’en créer un style. Il a inventé le Capitaine Cap et, pharmacien d'origine, il a usé plus qu'il ne faut du fulmicoton. Il ne buvait pas beaucoup, mais souvent.
Vous imaginez le diner?
Tour de table, de gauche à droite : Jules Renard, Lucien Guitry, Tristan Bernard, Alfred Capus
Lucien : Ah! chers amis! Etre marié ! Ca, ça doit être terrible. Je me suis toujours demandé ce qu'on pouvait bien faire avec une femme en dehors de l'amour.
Tristan : Les imbéciles ont toujours été exploités et c'est justice. Le jour où ils cesseraient de l'être, ils triompheraient, et le monde serait perdu.
Alfred : Que d'époux ne sont séparés que par le mariage !
Alphonse : Moi, je préfère les femmes d'amis aux autres : comme ça, on sait à qui on a affaire. Quelqu'un peut m'offrir un peu de ce vin?
Jules : Allons, mes amis! Chacun trouve son plaisir où il le prend...
Alfred : Quand même... Idylle... Ca commence comme idiot et ça finit comme imbécile! Ils rient...
Jules : Si d'une discussion pouvait sortir la moindre vérité, on discuterait moins!
Tristan : Ne nous épuisons pas à contrarier nos instincts, ils sont plus forts que nous.
Jules : En tous cas, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il y a des moments où l'on en veut à mort à toutes les jeunes filles qu'on rencontre, parce qu'elles ne vous jettent pas leur coeur et 20 000 livres de rentes...
Tristan : Tu as raison... La volonté des hommes contrarie souvent la bonne volonté du destin...
Alfred : Avez vous des nouvelles d'Octave (Mirbeau)?
Jules: Comme d'habitude : il se lève furieux le matin, et passe la journée à chercher des occasions de se mettre en colère...
Tristan : J'ai eu un affreux cauchemar, la nuit dernière. J'avais fait quelque chose de très méchant, et il fallait que je l'avoue à mes parents. Je les aimais profondément, et j'imaginais leur tristesse. C'était si pénible que je m'éveillais. Je réalisais brusquement que ce n'était qu'un rêve. Mais presque aussitôt, je pensais : ils sont morts!... Quelle joie!...
Le petit Sacha : Redouter l'ironie, c'est craindre la raison.
Lucien : Sacha! Va te coucher! Tu as théâtre demain!
Générique : Les décors sont de Roger Hart, les costumes de Donald Cardwell...
, le 03.04.2007 à 07:29
Ça passe dans quelle salle?
, le 03.04.2007 à 08:16
Bien, Modane. Et pour jouer les prolongations, une petite phrase de Guitry :
“Les femmes, je suis contre, tout contre !”
, le 03.04.2007 à 08:31
Et une célèbre définition de mots croisés de Tristan Bernard : “Vide les baignoires pour remplir les lavabos”
L’entracte
Benoit
, le 03.04.2007 à 08:46
excellent :))))
, le 03.04.2007 à 08:51
Et de Allais: Partir c’est mourir un peu. Mourir, c’est partir beaucoup.
, le 03.04.2007 à 09:41
Merci Modane ! Exciter les zygomatiques dès le matin est bon pour la santé ! Je ne connaissais pas cette anecdote, même si les protagonistes me sont connus et, soyons francs, certains moins que d’autres.
Une définition de mot croisés de Georges Perec cette fois : Hante le palais, un danger pour la couronne ! :
Caramel
, le 03.04.2007 à 10:03
Ça mérite une expression populaire bien de chez nous (vaudoise):
Je suis déçu en bien!
Merci Modane!
Milsabor!
, le 03.04.2007 à 11:09
Merci, très intéressante historiette. La différence entre ceux qui élèvent leur(s) enfant(s) et ceux qui les éduquent…
z (c’est fou ce qu’on en apprends, sur Cuk.ch!)
, le 03.04.2007 à 14:08
Bon mots de S. GUTRY
“une femme sur les genoux qu’on n’aime plus, c’est lourd”
“tu m’as trompée avec une autre… ma chérie je te trompe bien plus quand je suis avec toi”
” je me suis cassé un ongle… oh tu t’es fait mal à l’ongle”
Il faut s’amuser à mentir aux femmes. On a l’impression qu’on se rembourse.
Il y a des bêtises que j’ai faites, uniquement pour avoir le plaisir de les raconter.
On a les femmes dans les bras, puis un jour sur les bras, et bientôt sur le dos.
Je vais donc enfin vivre seul ! Et, déjà, je me demande avec qui.
PEU CONNUES: il fut arreté à la fin de la guerre
1° “La libération, j’en fut le premier prévenu”
2° ” lorsque les policiers me conduisirent à la mairie, j’ai cru qu’ils allaient me marier de force”
En voilà qlq unes que j’apprécie particulièrement car venant d’un homme marié cinq fois, cela me laisse de la marge.
, le 03.04.2007 à 15:06
>FXprod : Je pense que tu vas aimer celle là…“Chérie, je me demande si tu ne joues pas un trop grand rôle dans ta vie.”
, le 03.04.2007 à 16:20
A une femme, folle de lui, qui souhaitait carrément se faire engrosser, argumentant:
-Imaginons que notre enfant ait ma beauté et votre intelligence, Sacha répondit – Et si c’était l’inverse ?
, le 03.04.2007 à 18:35
Dans les définitions de mots croisés, toujours du même ( prénom féminin): n’a pas besoin de porte jarretelles réponse: Sébastienne
, le 05.04.2007 à 16:01
Sacha, c’est la France… Une réserve de traits et de bons mots pour des siècles. L’adoration des femmes pudiquement cachée sous le persiflage. Cultivons le Sacha! Quant aux décors de Roger Hart et aux costumes de Donald Cardwell, je les ai infligés une fois à mes gamines, par ailleurs iPodisées, piratesdescaraïbisées, seigneurdesannelisées et tamagotchiques. Eh bien, elles n’en démordent plus!!! Il leur faut du “théâtre ce soir”… chaque semaine! Et du Shakespeare en bonus! Comme quoi, faut pas croire que la grande culture théâtrale soit tout juste bonne pour les vieux schnocks! PS Quelqu’un a-t-il vu la prodigieuse narration de Jacques Weber dans “Monsieur Molière” de Boulgakov, l’autre soir, à la Grenette de Vevey? Hein?
, le 05.04.2007 à 17:20
PS Quelqu’un a-t-il vu la prodigieuse narration de Jacques Weber dans “Monsieur Molière” de Boulgakov, l’autre soir, à la Grenette de Vevey? Hein?
Et non, Carabas… Tu sais, Paris est un peu loin de tout!… ;)
, le 13.04.2007 à 17:44
Et ça d’Alphonse:
“Les gens de la Maison Dubois à Bone scient
A la bonne saison du bois a bon escient”
Qu’est que c’est que ces vers qui ont les 22 dernières lettres pareilles et qui ne sont pas foutus de rimer!