Il est arrivé que d'aucuns regrettent que cuk.ch ne soit plus un site consacré exclusivement à Apple et la photo, mais soit devenu une sorte de fourre-tout. Eh bien je propose aujourd'hui un billet qui est à la fois une critique de l'ergonomie Apple et une humeur en forme de réflexion personnelle. Ça s'appelle le "double effet cuk cool". Merci qui?
C’était il y a quelques jours. Je venais de passer mon iPhone en iOS 10 et je découvrais les modifications de l’application Musique. Je rageais un peu, parce que boum, il fallait à nouveau entrer dans une autre logique, apprivoiser une autre présentation.
Je me disais comme ça que c’était comme si l’on m’avait changé la plaque frontale de mon ampli de salon et qu’il avait tout à coup les boutons d’une autre forme et dans un ordre différent, des boutons en plus et d’autres en moins, le revêtement d’une autre couleur, les vumètres dans l’autre sens, tout ça.
Oui, je sais, je suis peut-être un peu psychorigide, et alors? Y a quand même un bout où j’ai un peu du mal avec le fait que tout change de plus en plus souvent et de plus en plus vite.
Oui, je sais, si j’aime pas ça j’ai qu’à me racheter un walkman et des cassettes.
Oui, je sais tout ça et le reste.
Mais quand même.
Et puis finalement, ces petits agacements sont le prix à payer pour profiter de ces nouvelles technologies dont j’avoue être un utilisateur plutôt content, en fait.
Et tout à l’heure, en faisant mon repassage (avec mon fer qui a toujours la poignée au même endroit, lui), je me mets de la musique. À partir de cet écran:
... je tape sur le titre, en bas, et une animation révèle la pochette en grand ainsi que les commandes. Bon. Mais tu vois la petite flèche, en haut, qui pointe vers le bas?
Je ne me souviens pas d’avoir vu cette flèche à cet endroit précédemment.
Elle me rappelle les fichiers de bibliothèques. Tu te souviens? On parcourait les fiches jusqu’à ce qu’on trouve celle dont on avait besoin. Et comme ces fiches étaient retenues dans le fichier par une tringle, on ne pouvait pas les sortir du tiroir. On recopiait les infos et on refermait le tiroir:
Source: Par Marie-Lan Nguyen
Travail personnel, CC BY 2.5, Lien
Eh bien, cet affichage, sur mon iPhone, me donne visuellement une impression bizarre. Bon. Je me dis qu’en faisant démarrer la lecture de la musique, l’affichage va changer et que cette impression va disparaître. Eh bien non. La pochette s’agrandit, un effet d’ombre donnant l’impression qu’elle se rapproche de moi, mais la flèche est toujours là:
Si je scrolle, la flèche disparaît, mais le haut de l’écran continue à me dire que je suis en train de consulter une fiche, debout devant le fichier:
J’ai curieusement senti en moi comme un stress, comme un malaise. Une sensation désagréable, mais très diffuse. En me mettant à l’écoute de cette sensation, j’ai eu l’impression de recevoir le message suivant:
Ce que tu es en train d’écouter n’est qu’un titre parmi d’autres. Il ne faut pas que tu le perdes de vue. Avant tu écoutais autre chose, après tu écouteras autre chose; ce que tu écoutes en ce moment n’est qu’une "chose" parmi d’autres. Ne t’installe pas, tout est provisoire. Et d’ailleurs, tout en écoutant, tu peux facilement glisser sur un autre écran, sur une autre activité qui pourra occuper les neurones dont tu n’as pas besoin pour ton écoute. Ainsi gagneras-tu du temps. Et gagner du temps, c’est bien. Sois multitâches et tu seras heureux.
Un peu comme si, dans la bibliothèque de tout à l’heure, une fois localisé le livre recherché, on m’obligeait à le lire debout devant le rayonnage de manière à pouvoir le remettre en rayon immédiatement après l’avoir refermé.
Oui, tout ça. Juste en voyant cette petite flèche en haut de mon écran. (C’est grave, docteur?)
Et j’ai réalisé que, mine de rien, cette petite flèche réveillait en moi une difficulté que je rencontre de plus en plus souvent. Il nous est demandé d’être multitâches, de maîtriser plusieurs domaines différents, de résoudre plusieurs problèmes en même temps, et surtout, surtout, de ne pas perdre une seconde, de profiter chaque trou notre emploi du temps pour vite répondre à un mail, faire un coup de fil, tu vois comment.
Personnellement, je suis dans une situation qui devrait m’épargner quelque peu, puisque je suis à la retraite. Mais je constate que ça n’est pas aussi clair que je m’y attendais. La pression que je ne reçois plus de l’extérieur, je me la mets moi-même, tout seul, comme un grand. Certes, elle n’est pas aussi forte que dans mon activité professionnelle, mais tout de même. Il y a une part de moi qui justement, du moment que j’ai tout ce temps, trouve que je devrais pouvoir en faire tellement plus!
Pourtant je sais.
- Je sais que si d’autres en font plus c’est aussi parce qu’ils ont d’autres ressources (je parle d’énergie disponible, de motivation...);
- je sais que je n’ai jamais signé d’engagement comme quoi une fois à la retraite il fallait absolument que je fasse mille et une choses;
- je sais que la marche m’enseigne le rythme juste: c’est le mien, et avec mes 165 cm je ne peux pas avoir la même foulée que si j’en faisais 20 de plus.
Même si je sais tout ça et le reste, je réalise à quel point je dois me raisonner pour ne pas me sentir obligé d’être plus... productif que moi! C’est finalement ce que me dit cette petite flèche sur mon écran d’iPhone.
J’imagine volontiers que si certaines personnes étaient spectatrices de ma vie quotidienne, elles auraient du mal à ne pas pouffer: "Stressé, lui, avec cet emploi du temps? Ridicule!" Et dans un premier temps, je pense que culpabiliserais, que j’aurais un peu honte. Mais bon. Plus ça va, plus j’ai envie de trouver cette adéquation à mon rythme, à ce que je suis plutôt que ce que je voudrais être en me basant sur celles et ceux que je jalouse.
Alors cette petite flèche, maintenant, quand je la vois, elle me renvoie à cette volonté que j’ai de ne pas me laisser dicter un rythme qui n’est pas le mien. Curieusement, alors que lorsque je l’ai vue pour la première fois elle a provoqué en moi un confus malaise, elle m’invite maintenant à prendre une grande respiration et à m’ancrer dans le moment présent.
Marrant, non? Toute cette réflexion à partir d’une petite flèche, d’un choix ergonomique...
~ ~ ~
Oui, je sais.
Peut-être auras-tu remarqué que je me mettais de la musique alors que j’étais en train de repasser.
Bon.
Cela veut dire que j’étais précisément en train de faire deux trucs en même temps.
D’accord.
Mais zut.
On peut avoir ses contradictions, non?
, le 10.01.2017 à 09:01
Dom, ceux qui poufferaient oublieraient une chose : tu es seul juge de ce qui est bon pour toi, de ce qui « sonne » juste pour toi.
Merci pour ce billet qui me rappelle que le multitasking n’est pas un état enviable.
Finalement, les contradictions sont indispensables dans la vie : sans elles, tu serais un robot programmable.
Belle journée toute blanche,
, le 10.01.2017 à 09:02
j’ai trouvé l’équivalent de cette petite flèche sur un bouton de l’autoradio de ma Prius. Appuyant par hasard sur ce bouton en à haut à droite j’ai eu la surprise de voir que s’affichait sur l’écran la liste dans l’ordre des morceaux de musique qui viendraient. Or ce que je préfère, en voiture, c’est écouter de façon aléatoire mes musiques. Parmi les 2 ou 3 mille morceaux de mon Iphone je redécouvre ainsi avec plaisir de petites perles que j’avais complètement oubliées. Ce bouton, insidieusement, me dit que le hasard n’existe pas, que la surprise, la découverte ou la redécouverte n’ont pas de sens avec le numérique.
Comme termine Dom’Python je note que je fais 2 trucs en même temps : conduire et écouter de la musique. Manifestement la musique se prête bien à la double activité.
, le 10.01.2017 à 10:06
Bonjour à tous,
J’ai relu plusieurs fois pour comprendre de quelle flèche tu parles.
Cette petite flèche, si c’est celle qui est à côté du logo Bluetooth, c’est la flèche qui indique qu’une appli est en train de te géo localiser.
Ça se paramètre dans « Réglages », puis « Confidentialité ».
, le 10.01.2017 à 10:24
@Madame Poppins
Ta première phrase est très juste. Mais il ne suffit pas de le savoir… Il n’y a pas si longtemps que j’ai pris conscience de ma dépendance (relative) au regard des autres. Et c’est un gros travail que de me libérer de la part dont je peux me défaire, et d’accepter sereinement le reste! Je ne sais plus qui a dit: “On ne peut pas se libérer de ses chaînes, mais on peut apprendre à danser avec.” Je suis d’accord avec le fond, mais le côté absolu de cette déclaration me dérange un peu. J’aime à croire qu’il est possible de se libérer partiellement.
Ou pas!
@Jean-Claude
L’écoute de la musique se prête en effet bien au “multitasking”. Certains diront probablement que dans ce cas on n’écoute pas, on entend. Je revendique pourtant le fait de pouvoir écouter en faisant autre chose, même si je reconnais bien sûr que la qualité de mon écoute n’est pas aussi bonne que lorsque je ne fais que ça.
@Patrick W
La flèche en question est entourée d’un trait rouge sur ma deuxième capture d’écran.
, le 10.01.2017 à 11:00
Cette flèche posée sur une application que je n’utilise que très rarement ne va pas hanter mes nuits! Par contre, le fait d’apprendre à appuyer sur la pédale « frein », c’est-à-dire cesser de se créer des obligations pour donner l’impression d’être « dans le coup », ça, c’est autre chose. Étant moi-même également « jeune senior », pour ne pas dire « vieillard sénile ayant dépassé la date de péremption », ce travail sur moi-même pour « ne plus me sentir obliger de » est une occupation quasi journalière. Ceci dit et pour rassurer les jeunes vieillissants, arriver à la retraite, cela a aussi de sacrés bons côtés!
, le 10.01.2017 à 11:12
Oui Dom c’est particulièrement parlant de prendre l’exemple des anciens fichiers attachés des bibliothèques (pour moi, ce furent la BSG, Cujas, la TGB, et vous ?). Et ce défaut que tu attribues à « Musique » par Apple, je le retrouve dans la plupart des apps et particulièrement celles « built in » par Apple.
Imaginez, vous avez sélectionné le Kol Nidre de Bruch, vous l’écoutez, eh bien je vous rappelle que vous étiez juste avant branché sur le Take Five de Dave Brubeck et vous ai choisi The lady is a Tramp par « The Voice » après. Perturbant, non ? Pas pour certains qui ont une écoute type Playlist, qui ne vaut que parce qu’elle a été décidée par l’auditeur et non par un algorithme.
Ce principe du « vous étiez ici il y a une fraction de temps, vous serez presque déjà là après », je le ressentais sans pouvoir le décrire. Merci d’avoir placé « les bons mots dessus ».
N’est-ce pas la contrepartie de disposer de plusieurs milliers de morceaux « en poche » que de les transformer dans leur ergonomie en « ready to use/ready to dispose off » ? Le jeu … la chandelle ?
En résumé, ne faut-il pas, pour échapper à ce « problème », revenir à une écoute moins « zappante » mais qui permet de ne pas se sentir pressé, voire opprimé ? Sans rentrer dans les discussions sur tel ou tel support et/ou logiciel, la Hi-res, Audirvana … , après l’avoir banni 10 ans durant, le CD remplace peu à peu chez moi les morceaux Itunes, in fine machine à ensevelir sous 10 ou 12 000 titres, le CD restructurant lorsqu’il y a lieu des oeuvres, offrant une qualité souvent supérieure à celle du « téléchargé » légal, qui à iso-qualité, ne rendra jamais son entièreté à l’Hymne à la joie comme partie de la IX ème de Beethoven ou prosaïquement, la totalité de l’album Honesty de Billy Joel, qui n’a pas placé ses titres au lancé de dés, à moins que. Et vous, combien êtes vous à revenir au CD, ceux de la cave ou du grenier ou achetés ?
, le 10.01.2017 à 11:45
@Roger
Je ne sais pas si tu es – biologiquement – un vieillard; je ne connais pas ton âge. Mais ton discours me donne à penser que tu es très loin de la sénilité et de la date de péremption!
Je ne sais pas où j’ai lu récemment: “Je n’ai pas soixante ans; j’ai vingt ans, mais avec quarante ans d’expérience!” J’aime bien.
@myvista
Cela fait longtemps, je l’avoue, que je n’ai pas mis les pieds dans un magasin de disques. J’y ai pourtant travaillé dans une vie précédente.
Je n’écoute pratiquement plus que depuis mon iPod ou mon ordi (ma chaine de salon est malade et je n’ai jamais pris le temps de m’en occuper). Il faut dire que je suis très très loin d’avoir l’exigence qualitative d’un audiophile. Mais j’apprécie le confort d’avoir ma musicothèque sous la main, du moins la quantité que mon iPhone peut héberger; j’en ai plus sur mon mac.
Les derniers CD que j’ai acheté, c’est à la sortie de concerts. Et plus particulièrement si ledit CD n’est pas disponible en téléchargement chez Quobuz, iTunes ou le site des musiciens. Car l’objet CD, s’il m’est sympathique en raison de sa pochette (certains son magnifiques), se trouve dans l’obscurité de mon armoire.
, le 10.01.2017 à 12:52
@myvista j’y reviens au CD et je cherche d’ailleurs une platine accessible en occasion. Un logiciel n’aura jamais le rendu de la platine CD choisie selon ses composants pour avoir tel rendu.
Si seulement, je pouvais en trouver une avec un PUCE TDA1541, ce serait le bonheur.
@Dom’ Python, « Ne t’installe pas, tout est provisoire » c’est tellement juste et en même temps j’aimerais que cela soit faux.
, le 10.01.2017 à 13:20
Pour ceux qui ont connu le walkman et la torture de devoir préparer des cassettes pour se balader en musique… ou peu après, le CD qui a permis un peu plus de flexibilité avec des CD qu’on pouvait graver… pour finir aujourd’hui avec des milliers de titres locaux ou en ligne, c’est une extraordinaire évolution pour ceux qui aiment la musique.
Perso, dans certaines activités aujourd’hui, si je n’ai pas de musique, je me sens terriblement frustré; quasi en manque.
Ceci dit, l’app Music d’Apple n’est de loin pas parfaite…
T
, le 10.01.2017 à 14:12
Ayant bien aimé la présentation réconciliatrice de ce billet, lisible via RSS mais absente dans le sujet, je la cite pour les malheureux qui seraient arrivés directement sur cette page ;-)
Edit : Merci de l’avoir remise.
Sujet malin et transgénération, même si les séniors sont les premiers à intervenir. Question d’emploi du temps, je présume !
Retraité itou, je dois avouer ne pas ressentir cette pression dont tu parles. Peut-être parce que j’essayais, autant que faire se peut, de la tenir à distance respectueuse en étant en activité dans une petite société où, d’expérience, nous n’étions plus convaincus du « Vite fait, bien fait »…
Et puis, d’anciennes lectures qui m’ont durablement marqué, l’une d’un athée, l’autre d’un croyant :
• Krishnamurti – Se libérer du connu (PDF)
• Khalil Gibran – Le Prophète. (PDF)
Faire deux choses à la fois ?
Si je ne peux pas lire deux livres en même temps, (incapable que je suis de dissocier les deux yeux pour y arriver. Navrant !) leur digestion se fait à posteriori de façon synchronisée …
, le 10.01.2017 à 14:35
Après Rimbaud et Baudelaire aujourd’hui Krishnamurti et Gibran. J’aime beaucoup me laisser porter par Krishnamurti car tout apparaît tellement simple et limpide mais la mise en pratique est une autre histoire.
En tout cas Cuk ne doit pas s’arréter avec de tels articles et commentaires
, le 10.01.2017 à 15:57
@cvanquick
Tu soulèves un point que j’ai failli développer: le caractère provisoire de toute chose. Je pense en effet qu’il est important de rester conscient que tout peut évoluer, les conditions peuvent changer, des êtres chers disparaître… En ce sens, il est important de ne pas s’installer trop confortablement, de s’encroûter (“on a toujours fait comme ça!”). En même temps, lorsque je suis en train de faire quelque chose, je pense qu’il est important de pouvoir m’immerger dans cette tâche, dans l’ici et maintenant comme on dit. C’est cette immersion qui me semble de plus en plus menacée; et cette interface me semble être une des manifestations de cette menace.
@TTE
C’est vrai que chaque nouveauté peut-être un soulagement par rapport à ce qui la précède. La torture dont tu parles était une sacrée libération qui nous permettait de prendre la musique avec nous… Mais en regard du confort actuel, c’est vrai que cela semble être une “torture” (encore que le mot semble un peu fort).
@Jean-Yves
Merci. En principe lorsque je rédige une intro pour la page de garde, je la remets en italique au début de l’article. J’avais oublié de le faire. J’ai corrigé.
Content pour toi si tu ne ressens pas cette pression. Mais il semble d’après ce que tu écris que ça fait longtemps que tu t’entraînes à la tenir à distance.
J’ai lu et relu le Prophète; je garde la référence de Krishnamurti pour une prochaine lecture.
, le 10.01.2017 à 17:22
Merci Dom’ Python pour ce texte. En lien avec ton commentaire 12 à cvanquick, je te rejoins sur la nécessité de l’ici et maintenant. Elle peut aussi être menacée par l’invasion du multitâche comme le repasser et écouter de la musique – ce que je pratique aussi. Paradoxalement, parfois je me dis que je ne l’ai pas écoutée cette musique; elle a été un bruit de fond et m’a aussi fatigué. Repasser, repasser, repasser … la playlist, tra la la.