Vous vous souvenez peut-être qu'il y a deux ans, j'avais fait un article sur le Nürburgring, dans l'Eifel allemand, et mon parcours à vélo de ce circuit légendaire.
Il se trouve qu'il y a dix jours j'arpentais, toujours à vélo, un autre circuit de légende, pas très éloigné : Spa-Francorchamps, dans l'Ardenne belge.
Vue aérienne du circuit de Spa-Francorchamps (photo tirée de Wikipédia, ainsi que les photos et illustrations suivantes). Beau cadre pour un circuit, non ?
En effet, le dimanche 4 septembre ont eu lieu les huit heures de Spa-Francorchamps, une épreuve cycliste consistant à parcourir autant de tours que possible de ce circuit de 7 km pendant ces huit heures, en solo ou par équipe de deux, quatre ou huit.
Parallèlement à cette épreuve d'endurance, l'organisation proposait des randonnées plus attrayantes pour ceux qui comme moi n'aiment pas particulièrement tourner en rond sur une aussi petite boucle pendant un aussi long laps de temps (pour ça les 25 km du circuit géant du Nürburgring sont bien moins répétitifs !). La plus conséquente de ces randonnées faisait en théorie un peu moins de 120 km et, après avoir commencé par un tour de circuit, en sortait pour parcourir les paysages somptueux de l'Ardenne et de l'Eifel belges. C'est ce que j'ai choisi de faire ce jour-là. Je vous dirai un peu plus loin comment cela s'est passé.
Pour le moment, revenons au circuit lui-même. Pour commencer, son nom est un peu trompeur. S'il se trouve bien dans la localité ardennaise de Francorchamps, en province de Liège, Francorchamps ne fait pas partie de la ville thermale de Spa mais de la commune voisine de Stavelot. Mais Spa étant bien plus connue, notamment à l'étranger, il a dû sembler bien plus porteur d'accoler son nom à Francorchamps pour baptiser le circuit.
Ledit circuit a connu une existence plus que mouvementée. Sa « conception » remonte aux années 20, plus précisément à 1921 quand deux Belges, Jules de Thier et Henri Langlois Van Ophem, ont eu l'idée de relier les trois communes de Francorchamps (alors commune à part entière), Malmedy et Stavelot par une course automobile empruntant des voies publiques ouvertes à la circulation, selon le parcours en triangle ci-dessous, d'une quinzaine de kilomètres.
Ancien circuit, première version.
Les courses en question ont commencé dès 1924. Vous aurez remarqué le peu de virages : c'est que dès le début l'objectif était de faire de ce parcours un temple de la vitesse automobile, donc de favoriser les longues lignes droites et les virages en longue courbe.
Dans cette optique, on décide en 1939 de court-circuiter le passage dit de « l'Ancienne douane » (en haut du schéma, ainsi appelée parce que la douane belgo-allemande, avant 1920 et le transfert des Cantons de l'Est à la Belgique, était toute proche) et de le remplacer par une courbe sinueuse en montée très raide, beaucoup plus rapide, qui est devenu très vite l'endroit le plus célèbre et en fait l'icône du circuit : le Raidillon. Toujours dans le même ordre d'idée, le virage très sec de Stavelot, en bas à gauche du schéma, a également été remplacé, en l'occurrence par un virage incliné beaucoup moins prononcé. Le résultat final, plus ou moins inchangé jusqu'en 1970, est repris sur le schéma suivant.
Ancien circuit, seconde version.
Spa-Francorchamps est très vite devenu un classique des courses automobiles, notamment en Formule 1, qu'il attirait de par sa vitesse globale très élevée comme l'avait souhaité ses concepteurs. Voici une présentation exceptionnelle, in situ, de ce qu'il proposait aux pilotes dans les années 60.
Tour commenté de l'ancien circuit, par le champion belge Lucien Bianchi en 1962. Admirez les maisons, arbres et poteaux en bordure de circuit… spécialement au niveau du « S de Masta », réputé le passage le plus dangereux de tout le parcours.
Malheureusement, tout comme le géographiquement proche mais conceptuellement très différent Nürburgring, Spa-Francorchamps eut très vite la réputation d'être un des circuits les plus dangereux du monde, si ce n'est le plus dangereux. C'est que la vitesse globale toujours plus élevée des voitures de compétition, qui a fini par approcher les 300 km/h de moyenne sur l'ensemble du circuit, associée au manque quasi total d'aménagements de sécurité le long de ces voies ouvertes à la circulation publique en temps normal, ont causé au fil des années bon nombre d'accidents, souvent mortels. Comme le disait le pilote anglais Jackie Oliver, « si vous sortiez de la piste, vous ne saviez pas ce que vous alliez heurter… »
Si bien qu'en 1969, sous l'impulsion notamment du champion écossais Jackie Stewart (lui-même sérieusement accidenté à Masta en 1966), les pilotes de F1 boycottèrent le circuit. Il reparut au programme en 1970, après l'adjonction de barrières de sécurité, mais il devint rapidement évident que c'était largement insuffisant, et le circuit fut abandonné pour la F1 à partir de cette année-là, et pour toute compétition automobile à partir de 1978.
Pendant plusieurs années, le Grand Prix de Belgique de Formule 1 eut lieu en alternance sur les circuits de Nivelles (aujourd'hui désaffecté) et Zolder, l'un wallon, l'autre flamand (pour respecter les sensibilités communautaires du pays…) et l'un comme l'autre peu remarquables… jusqu'à ce que le circuit de Spa-Francorchamps fasse son grand retour en Formule 1 en 1983, sous une forme drastiquement modifiée.
Le nouveau parcours, achevé en 1979 et qui était déjà pour l'essentiel celui qu'on connait aujourd'hui, reprenait la partie nord de l'ancien (ci-dessous représentée en bas du schéma) et court-circuitait complètement le reste du circuit, en proposant un parcours nettement moins rapide, plus sinueux et technique… et last but not least, avec des aménagements de sécurité grandement améliorés sur tous les points. Si bien qu'il est devenu un des circuits favoris des pilotes de Formule 1.
Parcours superposés de l'ancien circuit(en grisé) et du nouveau.
Plan plus rapproché du nouveau circuit.
Les concepteurs de ce nouveau tracé, qui ne mesure plus que 7 km (ce qui en fait quand même le plus long circuit de la F1 actuelle !) ont eu notamment l'excellente idée de conserver les parties les plus icôniques du circuit (hors le S de Masta…), entre autres l'épingle à cheveux de « la Source » au niveau des stands et bien sûr le fameux Raidillon et sa pente montant jusqu'à 18 %.
Le virage de l'Eau rouge (au niveau du pont, sous lequel coule le ruisseau éponyme) et le Raidillon.
Voici maintenant ce que donne le parcours du circuit actuel en voiture « sportive » :
Parcours du nouveau circuit en Porsche 911.
Et, plus intéressant en ce qui me concerne, ce que cela donne quand on le parcourt à vélo (ce qui n'est plus possible en temps normal, les routes du parcours actuel étant devenues fermées au trafic ordinaire depuis le début des années 2000).
Parcours du nouveau circuit à vélo (en hiver !).
Pour se livrer à cette expérience cycliste, il faut profiter de circonstances exceptionnelles, et les 8 heures de Spa-Francorchamps sont donc l'une d'entre elles.
Comme précisé plus haut, la randonnée de 120 km à laquelle j'ai participé se contentait en théorie d'un tour de circuit, en tout début de parcours, et puis quittait le circuit pour arpenter l'Ardenne et l'Eifel dans les provinces de Liège et du Luxembourg (belge). Les départs étaient libres de 7 h 30 à 11 h, et malheureusement pour moi j'ai eu la mauvaise idée de partir assez tard, vers 10 h 30. Si bien que je me suis retrouvé absolument seul pendant tout le parcours hors circuit. Quant au début, quand il s'agissait justement de quitter ce circuit, je n'ai pas su trouver la sortie à prendre… si bien que j'en ai profité, en douce, pour faire un second tour.
Après ce second tour, ne trouvant toujours pas la sortie prévue pour ma randonnée, j'ai pris d'autorité une sortie fléchée pour… un triathlon, et suis allé à Francorchamps proprement dit, où je savais que le parcours passait. Là, j'ai pu trouver enfin le fléchage de cette randonnée, et le suivre jusqu'au bout, profitant de paysages splendides… malgré le fait d'avoir écopé pendant ce périple d'à peu près tous les genres de précipitations qu'on puisse imaginer à cette époque : bruine, crachin, pluie intense, averses courtes et violentes, déluge prolongé… j'ai tout pris, sauf la grêle, qui paraît-il est tombée sur le circuit lui-même ! Le soleil a daigné faire son apparition seulement dans la dernière heure des six heures que j'ai mises pour faire les 131 km effectifs parcourus.
Bref, une journée épique, mais encore une fois, quel cadre ! Et puis ce n'est pas tous les jours qu'on peut parcourir à vélo un circuit de légende, sans trafic, sans pression, avec son billard en guise de revêtement, même si ce n'a été dans mon cas, que pour deux petits tours ! :-)
, le 14.09.2016 à 08:46
Je confirme, magnifique circuit situé dans un environnement luxuriant.
T
, le 14.09.2016 à 12:00
En 1968 (je crois ?) j’ai été invité à faire un tour ce circuit avec un journaliste automobile pilotant une Porsche 911 S sur ce circuit.
Bien que déjà, ancien dans le pilotage de moto – car les motos des années 60, ma bonne dame – je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie.
Ils sont fous ces mecs là.
Très beau circuit, peut-etre mais je n’ai plus cette sensibilité.
, le 14.09.2016 à 15:01
TTE, je vois que tu connais :-) En voiture ou en moto ?
Ysengrain, si c’était en 1968, c’était donc l’ancien circuit et ça ne m’étonne pas que tu aies eu si peur. Tout le monde en avait peur alors de ce circuit, même si certains n’osaient pas le dire.
Aujourd’hui il est difficile d’imaginer des bolides de F1 slalomer à plus de 200 km/h entre les maisons de Masta…
Et merci à tous les deux pour vos commentaires !
, le 14.09.2016 à 16:34
Voiture! Mais en moto, ce S doit être monstrueux à prendre…
T
, le 14.09.2016 à 16:58
C’est surtout un magnifique circuit qui a coûté une plombe à la Wallonie sans espoir de grand retour sur investissement sinon pour Bernie Ecclestone et quelques ministres socialistes.
Sur le plan écologique, « cette merveille » est une catastrophe pour Francorchamps, Malmédy, Bevercé et autres communes avoisinantes.
Au fond, je ne vois qu’inconvénients pour ce circuit de prestige…
, le 14.09.2016 à 17:43
Émilou, quand on voit tout ce qui gravite autour et vit de ce circuit à Francorchamps, Spa, Stavelot et environs, il semblerait que les retombées financières ne soient pas que pour Bernie Ecclestone et quelques ministres socialistes… Par ailleurs, les élus locaux sont à dominante libérale (MR) très marquée, et je ne crois pas qu’ils crachent sur les retombées financières du circuit.
Sans même parler de l’image de marque qu’un tel circuit apporte à l’étranger. Francorchamps est célèbre dans le monde entier rien que pour cela, la déjà célèbre Spa (pour son eau et ses thermes) en voit sa notoriété accrue, et par extension la Belgique et la Wallonie bénéficient de cette publicité.
Quant au problème écologique, il est évident, mais ça dépasse de loin le cadre de ce circuit en particulier. À ce compte-là, c’est tout circuit automobile qu’il faudrait supprimer, comme en Suisse. Avec toutes les pertes financières collatérales qui s’ensuivront pour la région. Dilemme cornélien, dont on a eu un aperçu suite à l’interdiction de la pub pour le tabac dans les années 2000, qui a conduit à la suppression de plusieurs Grand Prix à Francorchamps. Finalement aujourd’hui l’interdiction est respectée et le Grand Prix continue…
https://en.wikipedia.org/wiki/Circuit_de_Spa-Francorchamps#Recent_problems_and_renovations
Et puis, le circuit de Spa-Francorchamps ne se limite (heureusement) pas à la Formule 1, même si c’est son atout majeur.
, le 14.09.2016 à 23:45
Ah Emilou Harris…
Grande chanteuse ! :-D
https://fr.wikipedia.org/wiki/Emmylou_Harris
, le 15.09.2016 à 08:34
Effectivement, difficile de trouver une construction humaine qui ne soit pas un problème pour les autres espèces…
T
, le 15.09.2016 à 09:02
Bel article qui fait prendre le circuit à rebours et nous en apprend beaucoup.
Il y a quelques années, j’ai été invité une journée entière sur le circuit pour un exercice très amusant. Ford (qui avait encore son centre de développement et de tests à Lommel) pour qui j’écrivais des publicités, organisait un comparatif entre leur nouveau petit coupé sportif et 6 autres voitures de marques concurrentes. Nous avions pour mission de faire quelques tours de circuit accompagné d’un instructeur (2 tours au volant, 2 tours comme passager) avec chaque voiture et ensuite de livrer nos impressions.
Même sans être pilote, on ‘sent’ très vite les différences de comportement et des moteurs. Et à l’époque, il n’y avait encore aucune aide à la conduite. Quel circuit !
, le 16.09.2016 à 11:02
Mon papa ayant été pendant des années un des administrateurs du circuit dans les années 50 et 60 (et je peux vous dire qu’il n’en n’a pas tiré un seul franc, il faut arrêter le poujadisme), j’ai beaucoup fréquenté les stands à cette époque. De plus, celui qui m’a appris à conduire s’appelait Paul Frère et il m’y a parfois emmené dans des voitures mythiques.
Voici deux témoignages vidéo de ce qu’était l’ancien circuit:
en 1955
et en 1956
Merci Franck de mettre en exergue ce joyau de notre pays.