Quoi de plus normal: vous sortez de votre cercueil douillet à la tombée de la nuit, vous vous habillez, allez bosser, gagnez votre fric, vous vous nourrissez en passant d’une pinte de bon sang, celui d’un gars qui vous faisait du gringue ou d’une nana qui vous énervait, et vous faites bien attention de ne pas vous regarder dans un miroir en public, car vous n’avez pas de reflet; vous rentrez avant le jour vous coucher, et pendant la journée, vous êtes mort(e). Si votre train-train, c’est ça, c’est signe que vous êtes un vampire des plus ordinaires.
Et comme en tant que vampire en exercice vous n’êtes mort(e) que de jour, et revivez chaque soir, vous avez les mêmes soucis que tout le monde: les voisins, le patron qui est radin, vos fringues qui se déglinguent, les journaux qui racontent des bobards, les vigilants convaincus que ce sont des chauves-souris qui mordent les citoyens dans le cou (vous n’avez même pas la possibilité de vous vanter de vos exploits) et qui tuent pour un oui et pour un non, l’argent - vous êtes toujours à court d’argent. Bref, la galère.
Il n’y a pas à s’étonner, dans ce contexte, que l’on puisse rêver d’un coin tranquille. Un château, par exemple. En pleine ville, en plus. Ramené pierre par pierre de Roumanie (la Mecque des vampires). Non seulement ce serait l’habitation idéale, mais cela représenterait une bonne action. Car voilà-t-il pas que des gars absolument sacrilèges voudraient le démonter, l’installer à Dubaï et en faire une pizzeria médiévale. Un authentique château transylvanien! On ne peut pas permettre ça. Mais voilà, vingt millions d’euros, comment trouver vingt millions d’euros pour acheter cette superbe demeure? C’est pourtant simple: un hold-up suffit. Pourquoi ne pas demander de l’aide à un copain qui date du XIIIe siècle. Après tout, il a de l’expérience, depuis le temps qu’il exerce…
Un fantastique roman fantaisiste
La vierge de glace, roman de Marc Behm, publié en Livre de poche, est une histoire exceptionnelle: un roman non tant fantastique que fantaisiste. Les romans fantastiques ne me passionnent pas. J’ai toujours préféré les histoires qui se passent sur terre, aussi déjantées soient-elles. Si le fantastique est un genre qui ne m’a jamais trop attirée, c’est en partie parce que j’ai souvent trouvé que les auteurs se prenaient trop au sérieux. Marc Behm a choisi une autre voie. Il faut vous dire que Behm a écrit des romans noirs vraiment très noirs: La reine de la nuit (The Queen of the Night) - son premier, paru en 1977, ou Mortelle randonnée (The Eye of the Beholder - un chef-d’œuvre absolu dans son genre) etc. Et puis, en 1983, a paru, dans un recueil de trois de ses romans, The Ice Maiden, La vierge de glace, une histoire de vampires pas comme les autres.
“J’ai toujours été fasciné par les vampires, et par l’idée de ce qui serait arrivé si Dracula n’avait jamais été pris. De nos jours, les anciens sont victimes, comme tout le monde, du système financier moderne”, dit Marc Behm, un Américain qui approche des quatre-vingts ans et qui a passé plus de la moitié de sa vie à Paris.
J’avais, un peu par hasard, lu La vierge de glace au moment de sa parution en anglais. Maxim Jakubowski (qui est à la fois l’instigateur de cette merveilleuse librairie londonienne appelée Murder One - rien que des polars, par milliers -, et éditeur) publiait une collection appelée Black Box. Chaque volume contenait trois ou quatre romans d’un même auteur de thrillers. Quelques-uns des auteurs m’intéressaient, je trouvais les couvertures jolies, j’ai acheté tous les volumes à mesure qu’ils paraissaient, même ceux d’auteurs qui m’étaient inconnus. Parmi eux, il y avait Marc Behm, un homme dont j’ignorais tout.
L’écriture de La vierge de glace m’a tout de suite impressionnée plus encore que celle des deux autres romans: elle est parfaitement cinématographique. On voit un film se dérouler devant soi - et on s’amuse. C’est que, on le constate à chaque page, Marc Behm aussi s’est amusé, il a créé en souriant la logique du monde des vampires, et il a expédié ses créatures parmi les malfrats de la mafia (et on se demande qui sont les vrais suceurs de sang, les vampires “vrais” ou les mafiosi). Le monde des vampires est décrit jusque dans les détails, images et sons, si je puis dire, ce qui n’a rien d’étonnant de la part d’un auteur qui depuis cinquante ans gagne sa vie en tant que scénariste. Il n’a que peu de chose en commun avec les sombres histoires genre Dracula et beaucoup en commun avec notre vie quotidienne.
Bref, La vierge de glace m’a donné envie dès la première lecture de la voir au cinéma.
Une BD fantastique… et fantaisiste
Il s’avère que je n’étais pas la seule dans ce cas: Jean-Jacques Beinex, qui n’avait à l’époque pas encore tourné Diva, le film qui l’a lancé, l’a lu comme moi, et s’est aussitôt promis d’en faire un film; il était tellement sûr de son envie qu’il a acheté les droits cinématographiques du roman. Et pendant vingt ans, il a vainement tenté de financer une Vierge de glace cinématographique qui, surtout entre ses mains, aurait sans aucun doute donné un film superbe. Les organismes de financement du cinéma n’ont pas été de cet avis.
Jean-Jacques Beinex
Jean-Jacques Beinex a fini par faire avec sa vierge de glace ce qu’il pouvait faire de mieux du moment qu’il ne se résignait pas à l’inaction: une bande dessinée.
Ou plutôt, il en aura fait quatre à la fin de l’histoire, qu’il raconte par épisodes. Le premier vient de sortir, illustré par Bruno de Dieuleveult.
Bruno de Dieuleveult
L’action s’est transportée à Paris en 2004, rollers, ghetto-blaster, monstre électronique et tout. Mais pour le reste, tout y est, et on sent que Jean-Jacques Beinex et Bruno de Dieuleveult ont travaillé avec le même élan, le même sérieux, et le même sourire en coin que Marc Behm.
L’histoire ne dit pas ce que Marc Behm a pensé de l’entreprise BD, mais s’il est la personne que j’imagine à travers les quelques renseignements épars que j’ai réussi à recueillir à son propos, je suis sûre qu’il doit être content. Jean-Jacques Beinex a été un bon scénariste, un excellent réalisateur, Bruno de Dieuleveult un superbe “cameraman”, on a l’impression d’être au ciné, et un vieux limier du septième art comme Behm ne peut qu’avoir apprécié.
Il ne vous reste qu’à jeter un coup d’œil au site de L’affaire du siècle, et à feuilleter le premier épisode, Château devampire à vendre, qu’on trouve, comme on dit, dans toutes les bonnes librairies. De même, probablement, que La vierge de glace et d’autres romans de Behm.
Ce qui vous attend? Une pinte de bon sang, c’est sûr!
PS. Marc Behm
J’ai voulu rédiger une bio de Marc Behm, mais c’est un homme modeste: au moment de la première parution de La vierge de glace, son éditeur lui avait demandé une petite biographie de 2’800 signes. “2’800 signes à mon propre sujet?”, s’est exclamé Behm, “Seigneur, je ne saurais pas comment m’y prendre. Ça aurait l’allure d’une pub pour de la pâtée de chien. On a déjà bien assez parlé de ça.” Mais en fait, on n’a pas tellement “parlé de ça”, car au bout d’une assez longue recherche, voici ma maigre récolte.
Marc Behm est né quelque part aux États-Unis, peut-être dans le New Jersey, en 1925. Il a commencé par être comédien. Il a débarqué en Europe alors qu’il était militaire - et il est resté. Il est devenu scénariste pour des réalisateurs américains et européens, et non des moindres. Charade, de Stanley Donen, c’est lui. Help!, un des deux films des Beatles, réalisé par Richard Lester, c’est encore lui, de même que Les Trois mousquetaires, L’amant de LadyChatterley, Edith Piaf, et d’innombrables autres productions majeures et mineures. Il est venu au roman sur le tard: il avait déjà la cinquantaine. Je n’ai pas réussi à établir une liste complète de ses œuvres littéraires. On trouve quelques-uns de ses bouquins en français en collection de poche, et quelques-uns en anglais, mais peu - moins qu’en français, en tout cas. Je recommande particulièrement Tout un roman, un bouquin fou fou fou.
, le 29.09.2004 à 08:24
J’ai lu cette BD. Je confirme: dingo, frais et vraiment super agréable à lire. J’ai encore apprécié une deuxième lecture, m’attardant plus sur les images: sublimes couleurs, découpage moderne et dynamique, mise en page géniale.
Vivement les épisodes 2 à 4, mais pas de panique, on peut très bien s’arrêter après le no 1. C’est pas le genre « je deviens fou de ne pas savoir la suite », et lorsqu’enfin on l’a, il faut relire les volumes 1 à 3 pour savoir où l’on en est.
Comme un certain XIII, si vous voyez ce que je veux dire…
À ce propos, j’avais entendu, lors de la sortie du dernier tome de XIII, un commentaire qui m’avait fait bien rire à la radio romande: « si l’on me disait dans le prochain volume que XIII est le fils du grand Schtroumpf et et la Schtroumpfette, ça ne m’étonnerait même plus. »
Il y a du vrai non?
, le 29.09.2004 à 08:32
On sent dans XIII comme dans Thorgal un essoufflement du scénariste, Van Hamme, qui semble avoir hâte de passer à autre chose et/ou de se consacrer à d’autres séries, à commencer par Largo Winch.
Merci Anne, pour cette présentation. Je me demande maintenant si je dois acheter le livre ou la BD. Probablement la BD d’abord, et le livre ensuite. L’ordre inverse me paraît plus périlleux : si on lit le livre original d’abord, on est souvent déçu par ce qui s’en inspire, BD ou film !
, le 29.09.2004 à 08:44
Il y a, semble-t-il, une petite erreur au niveau du lien vers le site de l’Affaire du Siècle : message d’erreur dans Safari. Or, le site est bien là :
http://www.laffairedusiecle.com/index2.html
A part cette toute petite chose, bravo pour cette humeur qui redonne envie de lire une BD. Merci chère Anne.
J’ai envie de vous parler de Kaarib, une BD assez déjantée dont le troisième épisode est annoncé et va sortir bientôt. Voilà qui est fait !
On peut aller faire un tour là :
http://vbg.free.fr/kaarib.htm
Bonne journée.
, le 29.09.2004 à 09:50
Lien corrigé, merci!
, le 29.09.2004 à 10:40
“Je me demande maintenant si je dois acheter le livre ou la BD. Probablement la BD d’abord, et le livre ensuite.”
On peut tranquillement lire le livre d’abord, il est dingue!, mais en ayant lu la BD on a évidemment des images mentales.
Anne
, le 29.09.2004 à 14:24
Ah, oui: Marc Behm! Je me souviens d’avoir lu « Mortelle randonnée »
Là, je vois les images de cette BD et elles me semblent intéressantes. Je vais aller de ce pas feuilleter ce bouquin à la librairie!
Mais à part ça, les histoires fantastiques ne me branchent que moyennement. Je préfère les scénarios qui se réfèrent à des faits réels ou plausibles. Dans le genre des « Phalanges de l’Ordre Noir » de Bilal et Christin ou « Partie de Chasse », des mêmes auteurs. Ou « 120, Rue de la Gare », de Léo Malet et Tardi.
Je suis peut-être complètement décalé, mais Harry Potter, par exemple, ne m’intéresse pas beaucoup… :-/
, le 29.09.2004 à 18:37
Chouette idée. Merci madame Cuneo.
Encore, encore…
YAPA que le Mac dans la vie ;-)
, le 01.10.2004 à 16:58
Bonjour M’dame.
Merci pour cet article qui va me pousser à lire une BD.
Ceci étant dit, les vampires sont toujours à court d’argent. Et pour cause, il leur est fatal !
Bon weekend,
Philippe
, le 22.10.2004 à 18:04
Bon ben j’ai acheté cette BD et je l’ai lue…
et bien je suis désolé, ce n’est pas dans mes habitudes de dire du mal, mais à mon avis cette BD est nulle !
Le dessin est horrible (très souvent bâclé) et le scénario pas beaucoup mieux.
Attendez, comprenez-moi bien, l’histoire est bonne, nul doute que le roman est excellent, mais M. Beineix est un très mauvais scénariste de BD.
J’aime beaucoup son travail cinématographique, mais être scénariste de BD c’est un métier, et ce n’est manifestement pas le sien.
Bref, lisez le roman, qui à l’air très bien (que je vais lire) mais laissez la BD sur son présentoire.
Mais c’est juste mon avis, hein !
, le 23.10.2004 à 16:12
Fabien,
A la première lecture, j’ai eu un peu de peine. Mais l’on s’attache vite au dessin à mon avis, et personnellement, je le trouve très agréable et différent de tout ce que l’on voit.
Et puis, j’aime vraiment bien le découpage de cette BD. L’adaptation est à mon avis toujours, très bien faite. Mais encore une fois, c’est à la deuxième lecture que j’ai vraiment apprécié tout ça. Et maintenant, je me réjouis comme un petit fou de la suite.