Locarno et la Piazza Grande…
On en parle dans le monde entier. Pour nos amis non helvétiques, le canton du Tessin, au sud de la Suisse, constitue, presque à lui seul, la partie de la Suisse où l’on parle italien, et s’il ne fait pas partie de l’Italie, c’est un peu un accident de l’histoire - à raconter séparément, c’est une histoire passionnante - mais elle est longue.
Locarno, c’est une petite ville tessinoise où, une fois par année, dix jours durant, on peut aller au cinéma à jet continu grâce au festival du film.
Et une grande partie de la célébrité du festival vient des projections à ciel ouvert sur la grande place de la ville, devant un bâtiment qui fut longtemps le siège du gouvernement, sur un écran géant, le plus géant du monde. Par les soirées chaudes d’août, on a déjà vu 10’000 personnes sur la Piazza, où il n’y a que 8’000 chaises. Mais pour la magie d’une projection sur la Piazza Grande, les gens restent debout, ou s’assoient par terre, sans rechigner. De toute façon, avec une taille d’écran comme celle-là, et l’installation sonore impeccable, il n’y a pas de mauvaise place : on voit parfaitement de partout.
La poisse, c’est bien entendu lorsqu’il pleut. Alors, on se déplace dans les cinémas, et l’événement devient plus proche de l’ordinaire. Cette année, le festival a innové à la demande d’un nombreux public : même lorsqu’il pleut, les films sont tout de même projetés, en plus des salles, aussi sur la Piazza - et oh surprise, l’autre soir, sous un déluge tel que je n’ai même pas pu prendre une photo, nous étions un millier, sous nos pépins et dans nos pèlerines ou nos mackintosh (avant d’être un ordinateur, le mackintosh- avec k - était un imper…), à voir le film. Ce n’est pas pour dire, mais dans une pluie pareille, on devait constituer un record, nous aussi…
Et les films, direz-vous ?
Question nouveautés, Locarno est dans une position difficile, que la direction du festival (se) rend plus difficile encore. Locarno est un festival en sandwich entre ceux de Cannes et de Venise. Il refuse de projeter des films qui ont déjà été vus à Cannes. Certains d’entre eux ont passé à deux heures du matin, dans une obscure section cannoise, presque personne ne les a vus et pour Locarno, ce seraient tout de même des nouveautés, mais la directrice est intransigeante : ils ne passent pas. Locarno ne peut pas non plus projeter des films qui ont été sélectionnés pour Venise (1er au 10 septembre), noblesse oblige, et exclut en plus tout film qui a déjà passé dans une salle, quelle qu’elle soit. Autrement dit, le choix qui reste est limité - et franchement, certains choix s’en ressentent.
Qu’on ne pense pas qu’on manque de matière pour autant : au contraire, il y a trop à voir. Et il y a de très beaux films. Simplement, ils ne sont pas toujours là où on les attendrait.
Pour ce qui est de la Piazza, le film le plus beau, le plus poignant aussi, a été, jusqu'ici “Der neunte Tag” (Le neuvième jour), dans lequel un prêtre résistant luxembourgeois de la 2e Guerre mondiale se voit offrir la liberté contre la trahison: il faut simplement (!) qu'il convainque son évêque de collaborer avec les Nazis. Sinon, il retournera dans l'enfer du camp de concentration de Dachau d'où les Nazis l'avaient sorti.
Toute réflexion faite, “Le neuvième jour” est même sans doute, jusqu'ici, le plus beau film que j'aie vu à Locarno.
Pour ce qui est du concours officiel, tout à fait subjectivement, je dirai qu’au bout de trois jours, après avoir vu cinq ou six des films sélectionnés, je n’en ai pas encore trouvé un auquel je donnerais un prix - mais je ne désespère pas… Le plus problématique pour moi, c’est une pellicule intitulée “Pourquoi (pas) le Brésil”, un film très parisien sur le monde de l’édition et du cinéma vus par le petit bout de la lorgnette qui prétend, en plus, nous parler d'Amour (A majuscule), avec des moments amusants, mais un ensemble si répétitif qu’on a envie de partir à la moitié du film (et nombreux sont ceux, dans le public, qui l’ont fait). Je suis restée par principe, mais ce n’est pas une bonne raison.
Newsfront
Pour moi, jusqu’ici, la section la plus réussie, c’est la rétrospective, Newsfront, qui pourrait s’intituler “Les journalistes au cinéma”. On peut y voir un grand nombre de films de cinémathèque sur les journalistes, le plus ancien de tous étant l’œuvre de Georges Méliès, qui date de 1899. “L'affaire Dreyfus” dure 10 minutes.
C'est sans doute une des plus anciennes actualités filmées du monde. Mais on peut aussi voir des classiques, comme par exemple la première version du célèbre “The Front Page” de Lewis Milestone, tournée en 1931. Le film a été refait (pratiquement à l’identique) avec Jack Lemmon, il y a une trentaine d’années.
Et le tour d’horizon va jusqu’à nos jours. Dans les œuvres les plus récentes, les journalistes ne sont plus uniquement les acteurs des films, ils en sont aussi les réalisateurs, et l’on a notamment pu voir un documentaire étonnant, une sorte de parallèle au film de Michael Moore “Farenheit 9/11” : “Uncovered : the War on Irak”, (Dévoilée : la guerre contre l’Irak) de Robert Greenwald.
Le film n'est d'ailleurs pas dans la rétrospective, mais il fait partie de la thématique tout de même. Peu d’images autres que des interviews. Mais les interviews sont données par les plus grands experts de la CIA, du gouvernement, du monde scientifique, par des inspecteurs en désarmement qui ont passé des années à fouiller l’Irak à la recherche d’armes. Elles sont, sans commentaires, confrontées aux déclarations de l’équipe Bush. On constate que jusqu’ici, les faits ont toujours donné raison aux experts, et tort à l’équipe Bush. Le moment le plus étonnant du film, c’est le petit montage qui est fait des déclarations de gens qui nous feraient rire, n’était-ce qu’ils sont aux commandes du pays le plus puissant du monde : on voit Bush et compagnie passer, avec toute une série de nuances, du “Les armes sont là, nous savons où elles sont”, à “On ne les trouvera jamais, mais nous savons qu’elles DOIVENT y être.” Et si ce ne sont pas des armes, ce sont des plans pour les construire.
Nous avons moins entendu parler de ce film-ci (fait avec des moyens beaucoup plus modestes) que de celui de Michael Moore, mais ils se complètent et s’éclairent mutuellement, et aux États-Unis il a eu (un peu comme Farenheit 9/11) une grande résonance grâce à tous ceux qui ont voulu en empêcher la diffusion.
Control Room
Et la brochette est complétée par l’extraordinaire Control Room, un documentaire tourné par une journaliste égypto-américaine qui a passé les premières semaines de la guerre en Irak à analyser ce qui était vu de cette guerre sur les chaînes américaines (l’avance triomphale des "boys"), et ce que montrait la célèbre chaîne arabe Al djehzira : les destructions et les victimes que les boys laissaient dans leur sillage.
Une confrontation très instructive, qui nous rend humbles sur le métier de journaliste et qui nous fait constater un grand principe qui parcourt en fait toute la rétrospective : ce n’est pas parce que nous avons VU un événement qu’il est LA vérité. Il y a peut-être une autre face des choses, et il est du devoir du journaliste de partir à sa recherche aussi. Le fameux “J’y étais, j’ai vu, c’était ainsi” de Voltaire ne suffit plus : il est certes indispensable d’y être et de voir. Mais si on prétend vouloir dire “la vérité” des choses, il faut ensuite analyser, comparer, réfléchir. Pas précisément facile lorsqu’on exerce le métier de journaliste, qui se passe dans l’instant et où, au rythme où vont les choses, un événement chasse l’autre d’heure en heure. Mais indispensable néanmoins.
Dans la mesure où Locarno nous offre d’autres sujets qui valent la peine qu’on en parle dans la semaine qui lui reste, vous aurez de mes nouvelles. Et qu’il soit entendu qu’elles sont parfaitement subjectives, et que je n’ai pas la prétention de détenir LA vérité, ni par rapport à mon jugement sur le festival, ni sur les films eux-mêmes.
, le 09.08.2004 à 01:05
« Le neuvième jour » : voilà un film que j’irai voir…
Merci Anne, pour ce bel article.
, le 09.08.2004 à 01:43
quel plaisir de lire un bel article dans une belle mise en page sur un beau nouveau site… très interessant.. merci ;)
, le 09.08.2004 à 10:24
Joli reportage. Madame Cuk a bon gout :-)
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Ze GG of Ze Gete.net
, le 09.08.2004 à 11:04
Ah mais GG, Anne Cuneo n’est pas Madame Cuk!:-)
, le 09.08.2004 à 11:09
Mince, on m’aurait mentiiiiiiii ? :-)
Mademoiselle Cuk, alors ? J’ai raté une étape :)
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Ze GG of Ze Gete.net
, le 09.08.2004 à 11:58
Ça y est, un mythe s’effondre !!!
*ZE* GG of *ZE* Gete.net s’est planté !
Je suis au bord dela désolation !
Mais que va-t-il encore pouvoir nous arriver maintenant ?!
Ah ! pot calipse naô !
Orage, ô désespoir…
Didier, qui va être obligé de passer sur peuceu maintenant !
PS1 : ;-)
PS2 : merci Anne ( qui n’est effectivement pas Mme Cuk et qu’on aperçoit parfois sur TV5, tard le soir dans son journal télévisuel, même dans nos contrées françaises ) pour cet excellent témoignage.
PS3 : finalement, je reste sur Mac hein…
, le 09.08.2004 à 12:03
Oui d’ailleurs y a pas un OURS kekpart ? (Pas dans la famille, sur le site).
, le 09.08.2004 à 12:05
Bah, si c’est qu’une fois par an… :-)
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Ze GG of Ze Gete.net
, le 09.08.2004 à 12:34
Tu vois François, quand on fait des paragraphes de plus d’une phrase, c’est tout de suite plus joli ;-D
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http://www.mac4ever.com
« Le Seul Site Mac autorisé aux animaux ! »
, le 09.08.2004 à 15:56
N’est-ce pas plutôt la tante de François ?
Par contre, ce qui est sûr, c’est qu’Anne CUNEO est surtout connue comme écrivain et journaliste ; ses sujets diffusés au TJ de Suisse romande sont un délice… Et cette voix !
Pour en savoir un peu plus sur elle, on peut aller sur le site de la Bibliothèque cantonale et universitaire à Lausanne
Anne Cuneo
, le 09.08.2004 à 18:53
Très bel article qui donne envie de faire un saut dans cette Little Italy
Juste une remarque d’un fils de linguiste, on ne se refait pas :-) :
L’auxi[color=red]l[/color]iaire être n’aurait-il pas été plus approprié et surtout plus juste grammaticalement ?
Double espace entre tout et film, ainsi qu’entre septembre), et noblesse. [color=red]M[/color]ais là je fais plus que chi[color=red]p[/color]oter, je vous l’accorde :-D
PS : Est-il possible de prévisualiser le commentaire avant sa diffusion, même s’il est possible de le rééditer par la suite ? Merci
PS bis : Suite à un message perso de Yves, mes fautes d’orthographe ont été corrigées ([color=red]en rouge[/color])… Suis pas rancunier Yves :-)
, le 09.08.2004 à 19:43
j’y suis aussi, comme chaque année!
je vous conseille aussi d’aller jeter un coup d’oeil à la section « pardi di domani » concours et retrospective dediés au courts metrage, on y decouvre des tres belles choses! (mais aussi des grands deceptions…)
allora arrivederci nelle sale di locarno
ciao, n
, le 10.08.2004 à 10:34
Comme d’hab, excellente vue d’ensemble…
J’ai juste une remarque pour la fin (sans vouloir faire le rabat-joie), soit le paragraphe sur la presse.
Plus le temps passe, plus c’est terrible. Qu’elle soit télévisée, écrite, radio, c’est de plus en plus difficile de « croire » ce qu’on nous dit. Et la réponse qu’il faut se renseigner ou aller chercher l’information ailleurs me parait une quête bien veine.
Pour moi, cette « entité » (la presse en général) se complait dans un environnement où elle ne maîtrise plus grand chose… Et tout le monde l’accepte, c’est dingue.
Pour moi, un peu à l’image des médecins, la presse devrait avoir un organe de surveillance ET de sanction… On verrait/lirait peut être moins de connerie si il y avait des fortes amendes à la clé ou tout simplement la radiation du corps de la presse…
T
PS: qui n’est pas pessimiste mais qui se trouve à ZH aujourd’hui… et qui est déjà énervé à 10h32!
, le 10.08.2004 à 12:55
Contenu effacé…
, le 10.08.2004 à 13:16
Merci à Anne Cuneo pour son message aux Cukiens.
Un hasard malicieux m’invite à réagir à son humeur et aux commentaires. Pendant qu’Anne s’offre Locarno en cinéma et nous fait partager ses découvertes cinématographiques à ciel ouvert et sous pluie diluvienne, je relis son « Portrait de l’auteur en femme ordinaire » en 2 volumes parus chez B. Galland en 1980 et 1982. Dommage que ces livres soient épuisés depuis longtemps, car certains Cukiens, en y plongeant leur nez plutôt que sur leur Macécran, feraient connaissance avec la talentueuse écrivaine suisse et mesureraient le privilège qu’ils ont de la lire sur leur site préféré. Depuis les années 80, l’auteur a régulièrement offert à ses fidèles lecteurs des romans passionnants. La lecture de son dernier, « Le maître de Garamond » (éd. B. Campiche et Stock) est une belle manière de plonger dans son oeuvre, d’autant qu’il y est question de style et de caractère, ce qui n’est pas étranger au monde des Cukiens. Alors, cédez à la tentation d’une découverte littéraire enthousiasmante!
ali
, le 10.08.2004 à 13:34
Merci Nicolas pour ces liens qui, merci encore, ne nous reporte pas pour la 1’452ème fois sur le MD;-) Ca change!
Globalement, ces sites critiquent sans concession tous les médias dans leur façon de traiter l’info (la vérité?) et c’est excellent… Je regrette que ces sites n’aient aucune influence sur ces dits médias et que la tendance à « l’empirage » (du verbe empirer évidemment) est générale et semble irrécupérable.
C’est un peu comme un type qui apprend à skier sur une piste noir… Il prend toujours plus de vitesse et maîtrise toujours moins son sujet… mais pas de panique, la pente, à un moment ou à un autre, finit…
Reste à savoir ce qui va rester à la fin.
T