Vous la connaissez, je suppose, cette plaisanterie.
Comment appelle-t-on une personne qui parle quatre langues ? Un quadrilingue.
Comment appelle-t-on une personne qui parle trois langues ? Un trilingue.
Comment appelle-t-on une personne qui parle deux langues ? Un bilingue.
Comment appelle-t-on une personne qui parle une seule langue ? Un Français.
Bon, ok, je ne suis pas (vraiment) drôle (même si j'avoue avoir bien ri la première fois que je l'ai entendue) et mon propos du jour est en réalité ailleurs.
J'ai grandi dans un environnement bi- ou trilingue (2 ou 3, selon comment on compte, entre français, la langue "des autres et du dehors", allemand, la langue de ma mère, et suisse allemand, la langue de mon père, les deux derniers idiomes étant à mon avis largement assez différents pour être comptabilisés séparément) et j'ai passé toutes mes vacances scolaires jusqu'à l'âge de 15 ans en Allemagne (merci aux copines qui rentraient, enchantées, de leurs séjours à la mer, dans les vagues des océans azurés alors que j'avais passé un mois à regarder Horst Tappert avec ma grand-mère dans la très large banlieue de Frankfurt : vous pouvez compatir à ma douleur d'alors !).
Ces fréquents séjours, les édifiantes séries qui les ont émaillés ainsi que deux ans d'études à l'université de Saarbrücken ont eu pour conséquence que je parle l'allemand sans l'ombre d'un début du moindre accent et j'ai toujours affirmé être absolument parfaitement bilingue.
Parfaitement bilingue parce que j'ai grandi avec les comptes des frères Grimm, parce que j'ai été capable de réciter des passages entiers du Strubel Peter ou de Max und Moritz à sept ans, parce que je sais jurer en allemand depuis mes douze ans, je comprends l'argot, même " bien gras" depuis mes dix-huit ans, parce qu'il m'arrive encore de rêver dans cette langue, depuis toujours en fait.
Mon dessert favori (avant que mon tour de hanche ne se rappelle à mon bon souvenir) était le Frankfurter Kranz, j'étais une fan inconditionnelle de Gross, j'avais mis sur ma liste de prénoms potentiels "Joschka" pour mon premier enfant. J'avais donc "tout juste" et je pouvais continuer à me prétendre bilingue.
Tante Erna ne mettait pas de cerises !
Je découvre toutefois depuis peu un nouvel indicateur de "to be bilingual or not" qui n'est répertorié nulle part, dans aucun bouquin de linguistique - pourtant, comme traductrice, j'en ai lus, des bouquins sur le métalangage et la représentation sociale des signes ou des images... -.
Rappelez-vous l'amant dont je vous parlais il y a un mois : il se trouve être allemand et nous parlons allemand ensemble, nonobstant ses excellentes connaissances de français. Et, sans pour autant révéler de secrets d'alcôve, je parviens à la conclusion qu'être parfaitement bilingue, c'est être capable de comprendre, de ressentir et de dire toutes ces petites phrases que prononcent les amoureux, les amants, les amis quand ils sont "seuls au monde" : tendres ou cochonnes, douces ou sexuelles, factuelles ou imagées, elles ne s'accommodent pas d'approximation, elles se distinguent selon l'instant par un seul petit mot, choisi dans des répertoires différents; elles se déclinent différemment selon l'instant, selon l'effet escompté. Et là, il faut savoir trouver le "bon" terme, pioché dans la bonne nomenclature : scientifique, médicale, courante, argot, argot-grivois, humour, parfois même dans un registre plus "enfantin" parce que les sentiments, c'est de temps en temps très... envahissant ;-)
Et là, je constate que si je comprends - et réagis - à ces phrases en allemand, il m'arrive de ne pas savoir trouver mes mots : heureusement et tous les muets de la planète le confirmeront, les mains "parlent", le regard "dit", le corps "s'exprime"... Il est des sourires qui sont plus précieux que des mots, il est des soupirs qui sont plus rassurants que des phrases, il est des gestes qui sont plus éloquents que des discours....
Etre (ou ne pas être) parfaitement bilingue, AAA (amoureux, amant, ami) l'a compris au plus tard le jour où, voulant réitérer à une veuve de 92 ans ses condoléances après le décès de son mari, il a imaginé (je le cite) "changer de formule" : "tous mes voeux" a-t-il alors dit, pour apprendre dans le couloir - il travaille dans le médical - que "ça, tu ne peux pas dire, c'est pas approprié du tout, t'es fou ou quoi !". Heureusement, ladite veuve était un peu sourde de la feuille et elle a retenu avant tout la présence. le geste, le regard : comme quoi, le bilinguisme, parfois, c'est "surfait" !
Alors, qui parmi vous, peut encore s'affirmer "parfaitement bilingue" (ou plus si entente) ?
, le 11.04.2016 à 00:32
Unilingue, mais pas Anglais, j’admire les frères Grimm, qui ont bercé mon enfance, avec leurs admirables comptes.
, le 11.04.2016 à 00:42
Parfaitement bilingue ? Certainement pas moi, hélas. Même si j’ai d’excellentes connaissances en anglais, néerlandais et espagnol et que je me mets à l’allemand.
Seulement voilà, il s’agit essentiellement de connaissance passive : j’ai très peu l’occasion de parler ces langues. Quasiment toute ma vie, depuis la naissance, s’est déroulée en français, et je n’ai jamais eu véritablement besoin, hors événements exceptionnels (tourisme, congrès…) de parler autre chose. Je ne recherche peut-être pas assez les occasions de le faire peut-être.
Je suis bien plus un auditeur (à la télé et au cinéma, par exemple) et surtout un lecteur. Un lecteur assidu même, dans chacune de ces langues. Romans en anglais et espagnol, journaux et BD en néerlandais… Ça m’a fourni un vocabulaire assez riche, mais pas l’art et la manière de l’utiliser dans une conversation donnée ! Dans chacune de ces langues mon accent est assez catastrophique et mon débit est haché, je cherche mes mots en permanence. Manque de pratique active à l’oral, tout simplement. Mais ai-je envie de pratiquer des langues comme ça ? Pas sûr. Je préfère lire… pour le moment en tout cas.
, le 11.04.2016 à 02:47
Je pense bien maîtriser quatre langues au point de pouvoir communiquer aussi bien sur un plan privé ou professionnel… Y a encore une cinquième langue mais faudrait vraiment que je repasse du temps sur place pour être aussi à l’aise… Et puis il y a l’oral et l’écrit… Pas tout à fait la même chose…
C’est l’avantage d’apprendre une langue enfant/maison, ça reste plus ou moins bien gravé… Pour ceux qui apprennent une langue plus tard et qui ne pratiquent pas, c’est un peu plus galère…
Vive les parents qui parlent régulièrement dans une autre langue à leur enfant dès le plus jeune âge!
T
, le 11.04.2016 à 06:58
Parfaitement bilingue : français (langue maternelle), anglais.
À une autre époque, j’écrivais couramment en C, j’en ai même rêvé et j’aurais même pu écrire autre chose que des programmes avec. Étais-je donc trilingue ?
, le 11.04.2016 à 08:12
Selon le critère donné en fin d’article, je suis français :)
Mais ça ne m’a pas empêcher de faire de bonnes rencontres dans des pays non francophones avec des gens ne parlant pas le français. Après, si je devais développer une relation plus longue et intime avec ces personnes, je pense qu’il aurait un gros pas à franchir en effet.
, le 11.04.2016 à 08:22
L’ayant lu enfant chez ma grand-maman de Pforzheim, je pense qu’il s’agit plutôt de Struwwelpeter.
, le 11.04.2016 à 09:02
Caplan, si seulement c’était la seule erreur de mon billet : « les comptes des frères Grimm » ne m’ont pas été accessibles… contes aurait aussi fait l’affaire ;-)
, le 11.04.2016 à 09:33
En amont de la traditionnelle question de fin de billet de Madame Poppins, j’invoque une idée qui n’est pas fondée: le précédent billet de Madame Poppins relatait un coming out après des années douloureuses.
Je mets en relation , sans trop savoir pourquoi le multilinguisme, surtout quand il a été dominant à la période d’enfance avec le fait de « ne pas se sentir comme les autres ».
Je me base à la fois sur
– la physiologie: la langue maternelle est dans le cerveau située dans le lobe temporal gauche chez les droitiers et inversement. Mme P, autant qu’il m’en souvienne, tu es gauchère. Les autres langues sont situées symétriquement. Encore que certains, comme Hugues Duffau battent cette idée en brèches.
Si la période d’acquisition des langages est peuplée de plusieurs langues, je ne sais pas comment la physiologie est organisée.
– mon expérience personnelle: on parlait 4 langues chez moi. J’ai longtemps perçu le monde de manière totalement inintelligible: je ne pouvais être semblable aux autres.
Tous les gens que je connais qui possèdent au moins 3 langues sont des êtres exceptionnels, surtout pari les musiciens: Jordi Savall parle 5 langues comme Wieland Kuijken, Paolo Pandolfo 4, Scott Ross parlait 4 langues etc…
Bien qu’ayant appris la médecine en anglo-américain, je ne dirais pas que je suis bilingue. Je me débrouille.
, le 11.04.2016 à 09:44
Je pense qu’il peut être utile de faire appel aux fractions.
À part le français, qui fait une langue, je me débrouille pas trop mal en anglais (mettons 2/3 de la langue) et assez mal en allemand (disons 1/4 de la langue).
Ce qui mène, avec un dénominateur commun, à 12/12 + 8/12 + 3/12 = 23/12ème de langue (j’espère que je n’ai pas fait de faute de calcul).
Est-ce qu’il y a un nom pour ce degré (faible) de connaissance linguistique ?
Autre question, comment comptabiliser par exemple les langues de vipère?
Par ailleurs, il faut tout de même noter qu’une seule langue vaut mieux que pas du tout…
, le 11.04.2016 à 09:59
Pas vraiment bilingue avec l’anglais, mais un jour en visitant une exposition, je me suis rendu compte que je ne pouvais plus dire si le texte que je venais de lire était en français ou en anglais. Ça ne s’arrange pas et je continue de trouver ça étrange.
Je suis d’accord pour dire que comprendre et s’exprimer sont deux compétences distinctes. De même, si la deuxième langue est peut-être moins riche de subtilités et associations culturelles, cela me semble presque un avantage : une langue allégée de contraintes.
Quant au niveau des langues en France… je n’arrive même pas à faire comprendre à mes enfants à quel point c’est important de sortir du confort de sa langue maternelle. Et que passé 40 ans, apprendre une langue devient vraiment difficile. J’essaye bien avec le portugais, mais ma mémoire capricieuse fait obstacle et le temps fait défaut.
Tout ça pour dire : quelle chance de baigner dans un environnement multilingue !
, le 11.04.2016 à 12:33
C’est pas un Anglais ? Ou un Anglophone ?
J’ai travaillé pour les institutions européennes et je peux vous dire que les anglais ne font aucun effort pour parler une autre langue, alors que les deux langues officielles sont l’Allemand et le Français.
Pour ma part je suis bilingue français et globish moyen oriental (Global English)
, le 11.04.2016 à 12:36
>okgenial : Tu me l’as ôté de la bouche. Les américains, pareils!
, le 11.04.2016 à 12:58
Complètement bilingue, à la maison le français avec mon père, l’allemand avec ma mère. J’ai toujours été en revanche incapable de m’adapter au dialecte alémanique, que je considère comme l’une des langues les plus moches du monde. En revanche, à sept ans, après un séjour en Autriche, je parlais le viennois à la perfection. Bon, à 13 ans, j’ai été collé pour avoir compté à haute voix les fautes de mon prof d’allemand. Juste après, j’apprenais l’italien avec l’une des jolies femmes de chambre de l’hôtel où nous résidions à Venise. Y aurais-je aussi appris autre chose ?
, le 11.04.2016 à 14:54
J’ai été bilingue jusqu’à 14/15 ans (le grec -maternel- à la maison et français à l’école), depuis plus de 40 ans ont passé et je n’ai plus trop pratiqué le grec (à part les vacances et les contacts famille à distance), le fait de ne pas vivre dans le pays et de « penser/réfléchir en » quotidiennement fait que j’ai de la peine… Bon une fois dans le bain sur place, les habitudes reviennent, reste que depuis lors mon vocabulaire s’est depuis largement amaigri.
Et comme le dit TTE : et puis il y a l’oral et l’écrit… Pas tout à fait la même chose…
, le 11.04.2016 à 15:04
Bon…
Je n’ai jamais entendu mes parents parler italien ou sarde : ils avaient fui le fascisme et banni tout lien avec là-bas.
Je le regrette car, à 5-6 ans, je suis allé en vacances avec ma marraine dans le Valsesia et j’ai appris -en deux coups de cuiller à pot- le patois de Grignasco au point de le parler encore quand j’y passe. C’est un bonheur de voir les yeux écarquillés de mes interlocuteurs !
Aujourd’hui je parle et redige en anglais correctement, sauf des lacunes pour l’accent « OxCam » : dix ans dans une société britannique améliore la pratique, surtout que, avoir été secrétaire du comité de direction, oblige…
Pour le reste j’ai acquis l’italien par immersion en jouant plusieurs années dans la filiale italienne de cette société anglaise. À ce propos, j’avais appelé une technicien français pour s’installer à Milan afin de faire de l’assistance clientèle. Il a vite acquis les rudiments de la langue et est resté 20 ans. Il en a été de même avec son épouse, tout au moins pour la durée : en effet les commerçants de San Siro ont eu le temps de pratiquer le français pour servir cette Dame !
, le 11.04.2016 à 15:09
Je suis Français, monolingue, mais je ne suis pas sûr que les Français soient les plus monolingues de cette Terre. Les Français ayant unifié leur nation entre autre avec cette langue unique, et sur la fierté qu’ils en retirent, il n’est pas surprenant qu’ils en soient devenus unilingues. La lingua franca étant aujourd’hui l’anglais, il ne fait pas de doute que les locuteurs maternels de cette langue ne font pas non plus beaucoup d’efforts pour en parler d’autres.
Je suis bien d’accord pour considérer que les méthodes d’apprentissage en France des langues étrangères sont mauvaises. Mais « puisqu’on ne veut pas » apprendre sérieusement, ce n’est pas si grave. Mais quand même, l’autre jour, puisque je dois faire un voyage en Italie dans 6 mois, je me suis dit que je pourrais apprendre un peu d’italien, à raison d’une heure par jour, histoire de prendre un taxi ou faire des courses, je pourrais y arriver, me suis-je dit. Recherches sur Internet. « Si vous êtes débutants parfaits, commencez donc pas apprendre l’alphabet ! » C’est le premier cours que j’ai trouvé. Et c’est débile. C’est exactement de cette façon que les petits enfants apprennent à communiquer n’est-ce pas ? Tant qu’on en sera là, on ne risque pas d’apprendre grand-chose… Mais de décourager les bonnes volontés, ça on sait faire…
J’ai étudié toutes les langues des programmes scolaires, sauf 2 ou 3. Anglais, latin et russe, mais pas allemand, ni espagnol, ni italien. C’est malin ! Le résultat c’est que j’ai eu une mauvaise note au bac en anglais, une très bonne note en latin grâce à une lettre à Lucky Luke de Sénèque que j’avais révisée deux heures avant. C’est malin aussi. Et ça ne me sert plus beaucoup, à part la tournure d’esprit peut-être, par le fait qu’elle est différente ?
Bref, je suis entré dans la vie active Français-monolingue en français, et pas si fier.
Madame Poppins, j’ai une question. Votre conception du bilinguisme n’est-elle pas un peu relevée ? En vous lisant, n’évoquez-vous pas plutôt cette chance d’avoir plusieurs langues maternelles ? Vous élevez la barre très haut !
J’ai des neveux et nièce, dont le père est Français (c’est mon frère) et la mère Indonésienne. A la maison ils parlent tous indonésien, balinais, français et quand c’est nécessaire anglais. Ils sont donc quadrilingues, avec pour ainsi dire trois langues maternelles. (Ils sont aussi de nationalité française, juste pour contredire le théorème du début de cet article.)
Après ma période monolingue, quelques séjours à l’étranger m’ont remis les idées en place : pour les plus importants, deux années merveilleuses en Corée pour y enseigner le français, et jusqu’à maintenant, vingt-deux ans au Japon.
Je me pose sérieusement cette question : Est-ce que je connais suffisamment de japonais pour être bilingue ? Et suffisamment d’anglais (désormais) pour être trilingue ?
Est-ce que je rêve en Japonais ? Oui. Est-ce un bon critère ? Je ne sais pas. Mes rêves en japonais sont souvent douloureux mais mon japonais y est parfait ! Pas un Japonais onirique ne le contredit !
Est-ce que je travaille en japonais ? Oui, tous les jours. Est-ce que je peux entretenir une conversation de plus de dix minutes en japonais ? Oui. Sur tous les sujets ? Avec plus ou moins de facilité. Est-ce que je fais des conférences en japonais ? Oui. Sur n’importe quel sujet ? Non, mais sur les sujets que je maîtrise oui (comme tout le monde). Est-ce que j’écris des articles en japonais ? Oui (pareil, sur des sujets que je maîtrise). Mais je me les fais corriger par une Japonaise, et il m’arrive de ne pas être d’accord avec la correction considérant que le sens que j’ai voulu donné en est changé.
Est-ce que je comprends l’humour japonais ? Oui. Parfois, il m’arrive de rire avec tout le monde. Mais quelquefois d’entendre tout le monde rire, alors que moi je n’ai aucun rictus tout en n’ayant pas eu l’impression d’avoir loupé quelque chose.
Est-ce que je peux faire des jeux de mots en japonais ? Ça m’est arrivé. Ils sont souvent fondés sur la graphie des caractères, ce qui nécessite de les connaître et de savoir faire la gymnastique interne : je n’en ai donc pas fait souvent.
Est-ce que je me rends-compte que je parle japonais ? Pas toujours. Est-ce que je traduis dans ma tête des portions de français pour les remettre en japonais instantanément ? Très rarement, mais ça m’arrive encore. Est-ce que je pense en japonais ? Oui. Est-ce que je réfléchis à la grammaire japonaise quand je parle ? Non. Est-ce que je fais des fautes ? Sûrement encore un peu.
Est-ce que je lis la presse ? Est-ce que je peux lire un roman ? Est-ce que je comprends la télévision ? Oui. Avec plus ou moins de facilité ou de difficultés. Mais je sais parfaitement qu’il y a des émissions de télévisions puériles (pour être gentil) est d’autres de très grande qualité que j’ai « plaisir » à suivre.
Est-ce que je sais acheter une voiture neuve et discuter fermement avec le vendeur ? Est-ce que je sais acheter un iPhone chez un opérateur et en négocier le contrat ? Est-ce que je sais aller à l’hôpital et converser avec le médecin ? Est-ce que je peux assumer les démarches et les nécessités administratives ? Oui. Expériences vécues évidemment.
Ai-je été sollicité pour assurer un service d’interprétation ou de traduction ? Oui, notamment pour assister quelques prisonniers Français en prison ou au tribunal, ou bien des moines dans une abbaye. Mais je n’aime pas cet exercice.
Est-ce que je sais reconnaître lorsqu’un Japonais vient malencontreusement de faire une faute dans sa langue, comme ça nous arrive de le faire dans la nôtre ? Oui, et ça m’étonne toujours.
Est-ce que je sais reconnaitre les accents régionaux, ou bien les particularités régionales dans la langue japonaise ? Oui d’autant plus que la région où je vis en possède : beaucoup de formes grammaticales locales ne sont pas dans la grammaire officielle.
Il faut dire que pour le coup, les francophones sont avantagés par rapport aux anglophones pour apprendre le japonais du point de vue de la prononciation et de l’accent. Pour une fois que l’avantage est du coté des francophones. Un Américain qui parle japonais c’est aussi incompréhensible qu’en Français qui s’essaie au texan !
Est-ce que mon accent est correct ? Oui. Et ce n’est pas la moindre de mes fiertés. Il parait que certains ne reconnaissent pas que je suis étranger en conversation téléphonique. Pour dire la vérité, j’ai du mal à le croire.
On me dit parfois : « Qu’est-ce que vous parlez bien japonais ! » Je ne sais pas encore bien comment prendre le compliment. Un confrère m’a dit il y a une vingtaine d’années que tant qu’on me ferait ce genre de compliment, c’est qu’il y a quelque chose qui cloche. En effet, si plus personne ne remarque que mon japonais est laborieux, plus personne ne remarquera non plus que je n’ai pas la gueule d’un Japonais et donc ne pensera pas non plus à me féliciter… Tout est simplement… normal. Un Français de passage qui me féliciterait de bien parler japonais (ça arrive parfois) serait seulement étonné par mon aisance et la fluidité du propos, mais n’aurait aucun moyen de vérifier qu’il n’y a pas de fautes à tous les mots : je n’acquiescerais que par un sourire de bienveillance. Mon japonais reste un combat en ce sens qu’il y va du respect que je dois aux Japonais de parler correctement leur langue puisque j’ai cette prétention.
Est-ce que je peux dire tout ce que je veux en japonais ? Non. Certaines zones sémantiques et culturelles me sont encore parfaitement étrangères. Je ne pense pas que je sache dire des choses en japonais que je ne sache pas déjà dire en français (sauf bien sûr des expressions propres de la vie quotidienne dont l’équivalent n’existe pas en français). Je ne pourrais pas devenir spécialiste en botanique en japonais si je ne l’étais pas déjà en français. Et c’est mal parti… De même que mes tics de langages, mes difficultés ou facilités à avoir une pensée claire, mon esprit chargé ou compliqué ou limpide en français est décalqué tel quel en japonais : on ne se refait pas de virginité dans une nouvelle langue.
Est-ce que j’ai un diplôme qui sanctionne mon niveau de langue japonaise ? Non. La vie quotidienne et professionnel me suffit. Quand on me demande combien de temps il m’a fallu pour apprendre le japonais, je réponds qu’il me faudra encore une trentaine d’années (si Dieu me prête vie, j’aurai près de 80 ans) : j’en apprends tous les jours. Et dans la même réponse je suis souvent invité à répéter que je suis au Japon depuis plus de vingt ans et que j’ai commencé l’apprentissage de cette langue en arrivant à Tokyo à l’âge de vingt-sept ans.
Est-ce que je couche avec mon dictionnaire pour connaître les mots doux de dessous la couette et pour que les autres s’enracinent ? Non. Tant pis.
Est-ce que je connais des gros-mots ? Oui. C’est d’ailleurs une des choses que j’avais demandées à un de mes confrères de m’enseigner peu de temps après mon arrivée au Japon. Il avait refusé. On n’était pas de la même génération, et je pense maintenant que lui ne les connaissait pas.
Est-ce que je profite d’être étranger pour feindre l’incompréhension quand ça m’arrange ? Oui, et c’est un plaisir exquis, surtout si je suis arrêté par la maréchaussée en cas d’excès de vitesse avec ma Mazda CX-5 toute neuve. Cela m’a déjà valu son indulgence !
Bref, je suis absolument certain que le japonais ne sera jamais ma langue maternelle. Pour autant, puis-je considérer que je suis désormais bilingue ? Voire trilingue si j’ajoute l’anglais qui a progressé en parallèle. Mais à bien y réfléchir mon anglais est quand-même plus pauvre, et je ne saurai pas faire en anglais tout ce que je fais en japonais. A quel moment les courbes se sont-elles croisées et inversées ? Je ne pourrais le dire, mais je pense quand-même que je suis au moins bilingue.
En conclusion, je pense que le bilinguisme commence avec la confiance dont on revêt la langue étrangère. J’ai suffisamment confiance en mon japonais désormais pour ne pas avoir peur d’être trahi par lui. C’est vrai évidemment pour ma langue maternelle que je considère comme évoluée et aboutie (indépendamment de moi bien sûr). Mais ce n’est pas encore vrai pour l’anglais…
Je suis bilingue français-japonais parce que je vis une histoire d’amour avec le japonais, et comme toutes les histoires d’amour…
Origenius
, le 11.04.2016 à 15:28
De mémoire de cukien, je crois c’est bien la première fois qu’un commentaire est plus long que l’article en lui-même, d’autant plus sur un article de M’ââââââââââââââââââââââââââme Poppins! :))))
Quel régal de te relire, cela dit en passant! Pour ma part, je me considère presque bilingue, français/anglais. Mes quelques notions d’allemand ne me servent pas à grande chose…
, le 11.04.2016 à 18:50
Comme d’hab, un article très intéressant, qui soulève des questions sans en avoir l’air. Mais où allez-vous donc les chercher Mme Poppins !
Origenius, j’ai personellement compris le « bilinguisme » Poppinien au sens de maîtriser la langue étrangère aussi bien que sa langue maternelle, et donc de se trouver à l’aise dans tous les contextes habituels (familial, professionnel,…), au point d’utiliser indifféremment l’une ou l’autre de ces langues. Dans votre cas, c’est un sacré défi, car non seulement la langue est totalement différente, mais la culture aussi. Pour une maîtrise « ultime », les deux se rejoignent. Est-ce possible en l’espace d’une vie (adulte) d’atteindre une telle maîtrise?
Entre 15 et 25 ans, je me considérais bilingue français-espagnol: je parlais l’espagnol couramment, et même mieux que certains natifs. Mais lorsque j’ai voulu parler en espagnol à mon premier alors qu’il était encore bébé, je me suis rendu compte qu’il me manquait, comment dire, ce petit vocabulaire et la façon que l’on a de parler aux tout petits. Tout simplement parce que ma mère ne m’avait jamais parlé en espagnol dans ma tendre enfance. Et dans ce contexte je ne me sentais plus du tout bilingue, mais alors plus du tout. Le français s’imposait avec force à mon esprit, au point que lorsque mon fiston a commencé à parler et donc à me répondre (en français evidemment), j’ai jeté l’éponge.
, le 11.04.2016 à 19:09
Il suffit de relire le précédent billet … et tous les autres billets de Madame Poppins
, le 11.04.2016 à 20:50
Pour aider les bébés, j’ai visionné une conf. TED, il y a un moment, qui expliquait qu’il faut mettre les bébés de 3 à 9 mois en présence de personne parlant la langue que l’on désire que ces bébés apprennent plus tard. Dans cette période, le cerveau des bébés établira certaines connexions qui leur facilitera l’apprentissage de cette langue plus tard.
En revanche, ils étaient formels, cela devait être des présences en direct, pas de la télé ou des vidéo, ça ne semble pas fonctionner.
, le 12.04.2016 à 00:33
Moi qui ai la réputation de pouvoir relancer une conversation sur n’importe quel sujet et de l’enrichir par toutes sortes d’anecdotes, je suis toujours « séché » par les articles de Madame Poppins !
Une fois de plus, ce fut un régal à lire, d’autant qu’au-delà des situations, des sentiments et des idées, les mots pour le dire sont toujours les mots justes.
Belle maîtrise de la langue française dont ne peuvent se prévaloir aujourd’hui que fort peu de Français de souche.
Bravo et merci !
, le 12.04.2016 à 10:48
Chuis penta, mais pas du niveau décrit céans, déjà, en français, j’ai des lacunes, l’anglais est fluent sauf pour le slang, le japonais, je ne le parle que comme une petite fille de 4 ou 5 ans (et n’ai jamais réussi à apprendre à l’écrire ou le lire correctement, j’ai déjà bien du mal à calligraphier lisiblement certaines de nos si simples 26 lettres !), quand à l’español ou l’italien, bin, malgré des années d’étude, faut une immersion pour que ça revienne sans trop de mal (et puis l’italien sonne presque exactement comme le japonais, skifait que des mots nippons viennent s’immiscer chez Dante).
Mais c’est quand même agréable parler à des personnes dans leur langue, quand on est dans leur pays… au Japon, c’est rigolo, mais il m’est arrivé que des personnes âgées me disent ne pas comprendre ce que je leur disait (demande de chemin dans la rue), juste parce qu’il leur était inconcevable qu’un étranger (je suis châtain aux yeux clairs, donc je n’ai vraiment pas l’air d’un local) puisse maîtriser leur langue ;o). Il m’arrive de rêver en japonais.
z (qui adore parler avec l’accent marseillais -assez proche de l’accent italien- en anglais, je répêêêêêêêêêêête : and ze parisian frênche accent ise so sexy ;o)
PS : mais j’essaye, autant que faire se peut, de parler le rosbif, et pas le burger ! pouah !
, le 13.04.2016 à 17:54
Comment voulez-vous que je réponde alors que le billet principal se trouve en être un que je n’ai pas rédigé ?
Origenius, une fois de plus, je suis admirative devant vos lignes : j’aime leurs nuances, leur finesse ! Cela dit, même en français, je ne sais pas négocier l’achat d’une voiture d’occasion : la dernière, je l’ai achetée en 12 minutes, renonçant presque à l’achat quand le vendeur, d’un air condescendant m’a dit « je vous laisse voir avec votre mari » !
Je reviens plus tard, on est mercredi-les-devoirs-de-malheur-et-tout-le-reste… Je suis convaincue que le mercredi a été inventé pour que les parents qui bossent à temps partiel se réjouissent de retourner au travail jeudi matin ;-)
, le 13.04.2016 à 19:12
Entendre les autres parler d’autres langues avec autant de facilité me laisse sans voix. Je n’ai jamais été doué pour ça, j’ai trop peu de mémoire. J’ai toujours retrouvé les formules de math ou de physique par calcul sur une feuille de brouillon plutôt que de les retenir.
J’ai trop peu confiance en moi pour ce qui est de la mémoire. Quand des personnes me disent “Bonjour Thomas”, je réponds ”Bonjour » tout court, sans le prénom car même si je m’en souviens j’ai trop peur de me tromper. C’est pareil dans les langues étrangères, je n’ose pas me lancer.
Ce que je retiens le mieux sont les nombres (sauf les n° de tél, qui n’ont rien de technique). Au boulot, lors des discussions sur un produit, les regards se tournent vers moi quand on veut savoir le prix, la puissance ou le rendement et qu’on a la flemme de chercher. Par contre, ils ne me demandent pas le nom de l’appareil car là la probabilité que je me trompe est bien plus grande.
, le 14.04.2016 à 06:59
Devant votre silence Madame Poppins, j’ai finalement craint d’avoir été par trop balourd en envoyant 10000 signes d’un coup sans crier gare. Et ma crainte s’est avérée.
Vous avez le courage de dévoiler votre pensée sur ce site de grande tenue et vous invitez vos lecteurs à partager leurs points de vue en allant jusqu’à les questionner. Un courage que je n’ai pas puisque les rares articles que j’ai publiés sur cuk.ch ne l’ont jamais été qu’en commentaires, cachés derrière l’article principal. Et vous prenez aussi le risque du partage.
Que voulez-vous, vos textes interpellent. Et cette fois-ci, involontairement sans doute, vous m’avez tendu une perche que j’ai saisie à la volée. Je n’avais jamais eu l’occasion de m’interroger sur mon propre bilinguisme. L’occasion était belle, c’était lundi et il neigeait à ne pas mettre un Esquimau dehors. J’ai donc partagé ma réflexion. Je ne suis pas zébré mais passionné. Donc voilà. Désolé d’avoir cassé la conversation ; j’essaierai de me faire plus discret à l’avenir.
, le 15.04.2016 à 11:28
Pour ma part, j’étais parfaitement bilingue.
Je suis arrivé en Italie à 7 ans, et j’y ai passé 7 années merveilleuses. Comme tous les enfants de cet âge, j’ai assimilé l’italien à toute vitesse. Il faut dire que bien qu’ayant été inscrit dans une école française, tous mes amis étaient italiens.
Au final, le français était, pour moi, la langue des adultes : je ne la parlais qu’avec mes parents et mes professeurs. Même lorsque je jouais avec ma soeur, c’était en italien. Je regardais la télé en italien, lisais en italien (sauf pour l’école), pensais en italien, rêvais en italien. Seul ma prononciation des ‘r’ n’était pas irréprochable, mais comme nous habitions dans le nord de l’italie, cela passait.
Et puis je suis rentré en france, il y a plus de 30 ans, et aujourd’hui, je ne suis plus bilingue. Certes, je comprends toujours parfaitement la langue, même les mots que j’avais oubliés et dont pourtant je retrouve instantanément le sens (le cerveau est incroyable). Certes, je parles encore très convenablement la langue, et je l’écris bien. Mais voilà, il y a maintenant un léger effort à fournir, une nécessité de concentration qui n’existaient pas auparavant.
J’ai pourtant l’impression que tout est là, quelque part dans mon cerveau, et que si je retournais vivre dans ce pays, tout reviendrait vite.
Bref, je suis entièrement d’accord avec Madame Poppins : être bilingue, c’est ne pas se rendre compte que l’on parle une autre langue.
, le 16.04.2016 à 18:40
Origenius,
Les termes pour vous qualifier pourraient être « intriguant », « cultivé », « modéré », « charmant » mais l’un n’apparaîtra jamais, c’est d’ores et déjà certain, c’est « balourd ».
Votre commentaire était vraiment le bienvenu, j’ai adoré le lire et j’aurais voulu qu’il soit le billet principal du jour : vos distinctions selon les situations, votre ressenti m’interpellent !
Bref, ne voyez pas dans mon silence la preuve d’un faux pas mais celle de mon manque de temps (avec deux compères, je termine un manuscrit pour un manuel de droit, l’imprimeur nous talonnant, tout ça pour une sortie à la rentrée prochaine….).
Sans réelle surprise, je constate que nombreux sont les lecteurs de cuk maîtrisant de bien à super bien au moins une langue étrangère; sans réelle surprise aussi, cette langue est souvent liée à l’histoire de la famille… La langue comme racine, ce n’est pas anodin, je trouve : la langue, on veut l’ignorer parce qu’elle rattache à un passé qu’on voudrait oublier, on la pratique parce qu’elle est un bout de soi.
Bref, merci à chacune et chacun pour ses commentaires : comme toujours, vous lire a été un plaisir !
A bientôt,
, le 17.04.2016 à 04:51
Madame Poppins, vous me voyez rassuré. Merci.