Il y a peu, François concluait ainsi un billet dans lequel il nous tutoyait:
«P.S. Je déteste qu’on me tutoie comme ça, en particulier chez Ikea. J’espère que tu ne m’en veux pas, ce ne sera jamais une généralité. C’est juste pour aujourd’hui.»
Ça a fait «dong» dans ma tête (mais sans faire mal, hein, je te rassure François!). Il se trouve que justement, j’avais envie depuis quelque temps de me fendre d’un billet sur le thème du tutoiement.
Parce que vois-tu, chère et cher Toikimeli, si j’ai pris l’habitude de m’adresser à toi sous cette forme familière, c’est non sans hésitations.
Première distinction: la question est de savoir si j’ai envie de m’adresser à un groupe ou à une personne. Et je me suis dit ceci: lorsque je parle à une assemblée, un groupe, tout le monde m’entend en même temps. Le vous est donc celui du nombre. Par contre, en écrivant sur cuk, j’ai l’impression de m’adresser à une personne à la fois. L’acte de lecture est un acte solitaire. Du coup, celui d'écriture aussi. En tout cas pour moi.
J’ai été longtemps tutoyeur compulsif: non que je tutoyais tout le monde; mais c’était comme si, au bout de quelques temps de contacts réguliers avec une personne de mon âge ou plus jeune, le vouvoiement me posait problème. J’avais envie de tutoyer, je n’osais pas l’imposer, je me disais que peut-être l’autre aussi, et je m’en serais voulu qu’il n’osa pas par crainte que je ne veuille pas. (Oui, des fois c’est compliqué dans ma tête.) Et puis je me suis calmé un peu, j’ai accepté que, des fois, on en reste au vous et que ça n’était pas un problème, que ça n’empêchait pas une relation cordiale et tout. Mais bon, quand même: les anglophones, avec leur you, ils en ont de la chance!
Quand j’ai débarqué sur internet, j’ai constaté que le tutoiement y était couramment pratiqué. Ça m’a bien plus. Le côté «on ne se connait pas, je pourrais être ton père ou toi le mien, tu peux être bardé de diplômes ou cantonnier, on se dit ce qu’on a à se dire et zut pour le protocole!»
Non que je prétende que le tutoiement nivelle tout, hein, ne me fais par dire ce que je n’ai pas dit! À travers le langage, les différences sont perceptibles et c’est bien comme ça. Nous sommes différents et il est normal que cela se sente dans un échange. Mais la personnalité a plus d’importance que le costume et des surprises restent possibles. Et s’il est vrai que le style d’écriture peut aussi être une forme d’apparence, il me semble qu’elle est un peu moins trompeuse que le vêtement.
Le fait de dire tu à quelqu’un n’empêche aucunement le respect. Je comprends volontiers le sens que peut avoir le fait de «ritualiser» un rapprochement, une complicité et/ou intimité grandissantes par le passage du vous au tu. Cela crée tout de même une limite, une bascule un peu sèche, une division entre ceux que je tutoie et ceux que je vouvoie, une forme de manichéisme artificiel dans lequel je ne me sens pas à l’aise. Mais c’est moi, hein; comme d’hab’, je ne fais que partager ma position sans aucunement porter de jugement sur celles et ceux qui en ont une autre.
Et justement. En te tutoyant, je cherche à établir une relation personnelle, une sorte de complicité. Mais je reconnais qu’en le faisant, j’impose plutôt que je propose. Peut-être est-ce artificiel aux yeux de certaines personnes.
Je l’avoue volontiers. Il y dans cette manière de faire une résurgence de mes années San Antonio. Et c’est une des choses qui m’ont fait hésiter. Je ne voulais pas «faire mon Sana», me prendre pour, et probablement surtout je n’avais pas envie d’avoir l’air de tout ça. Cuk est un lieu fréquenté par des gens cultivés, des qui lisent, et même des qui écrivent, alors bon. Un peu l’impression de jouer dans la cour des grands et craindre de me faire moquer, déconsidérer. On a son amour propre.
Plus encore: peut-être y a-t-il, dans le lectorat de cuk, des allergiques au tutoiement. De quel droit l’imposerais-je? Et puis à force d’hésiter, le temps passant, me sentant prendre peu à peu ma place et accepté, j’ai décidé de faire le pas. Pasque hein, si la crainte de froisser domine, on ne fait plus rien. Et puis, que l’un ou l’autre puisse se froisser, finalement, n’est pas un problème majeur. Tout qui s’exprime ne peut pas prétendre plaire à tout le monde.
Et puis voilà que François, le Boss, celui qui, durant tant d’années, fut Cuk à lui tout seul, lui à qui l’on doit tant, le Maîîître que je vénèèère (et c’est pas du verlan!) humblement et avec une reconnaissance infinie, voilà que François écrit qu’il déteste qu’on le tutoie comme ça. Alors je ne sais pas ce que signifie «comme ça», mais je me suis dit que si ce P.S. avait été écrit une année plus tôt, je n’aurais jamais osé commencer à écrire au tu.
Pourtant j’aime bien. Je me sens plus à l’aise dans cette forme d’écriture. Il me semble que cela me donne une certaine latitude, que je peux plus facilement libérer mon envie de créativité vocabulairienne, de dé-laisser parfois ma syntaxe (comme on ôte la laisse à un chien pour le laisser courir), tout en conservant une orthographe maîtrisée, hein, pasque quand même, Antidote n’est pas fait pour les chiens.
~ ~ ~
Alors j’ai eu envie de te poser la question. Et surtout si on ne se connait pas. Y en a avec qui j’ai eu des contacts perso et avec qui il est vraisemblable que le tutoiement serait venu. Mais il en est d’autres, qui peut-être…
(Bon. En même temps, demander à celles et ceux qui ne me lisent pas si c’est à cause de ce tutoiement, c’est limite, puisque justement, ne me lisant pas, la question ne les atteindra pas. Mais j’espère, s’il y en a, que mon titre aura réussi à en attirer quelques-unes et zuns.)
Donc, pour célébrer dignement le retour prochain de Madame Poppins comme rédactrice, je termine ce billet en proposant deux questions:
- Comment c’est pour toi que je te tutoie?
- Quel rapport as-tu, toi, avec cette problématique vous/tu?
À bientôt!
, le 02.03.2016 à 00:32
Les gens du chnord de la france disent
: » tu dis ti à mi, mi qui n’a jamais dit ti à ti…. »
la 1° fois que je l’ai entendu, je fus surpris, leur tête, alors que je les vouvoyais et le fou-rire qui s’ensuivit fut mémorable.
, le 02.03.2016 à 04:05
Le tutoiement ? Signe d’appartenance à une même communauté, qu’elle soit familiale, professionnelle ou autre.
Lorsque je lis cuk.ch, je me sens en phase avec les auteurs et les autres lecteurs. C’est un petit univers plaisant que nous partageons. Donc je tutoie.
Idem pour les lecteurs de mon propre blog : comment pourrais-je vouvoyer un membre de ma « tribu » ?
Il faut dire que j’habite une île (la Réunion) où le tutoiement est très facile, en grande partie parce qu’en créole, le mot « ou » remplace « tu » et « vous », comme le « you » anglais.
…Et d’ailleurs, il paraît que le « vous » anglais existe bel est bien : c’est « thou », mais personne ne l’emploie.
, le 02.03.2016 à 05:50
Thou art in cuk !
Ça sonne comme dans une église, mais cuk n’est pas une chapelle …
J’ai eu beaucoup de mal à contourner le tutoiement qui est devenu la règle dans des entreprises, tout au moins dans le secteur où j’ai opéré ces dernières années. Il apporte une fausse proximité qui veut aplanir les hiérarchies et devint de fait un outil sournois de pilotage. De Client à Conseil, de manager de transition qui, comme son nom l’indique, ne restera pas indéfiniment envers l’ensemble des collaborateurs, c’est une proximité un peu hypocrite qui grince.
Comment c’est, pour toi, que je ne te tutoie pas ? :º))
, le 02.03.2016 à 06:01
Bonjour,
J’ai le tutoiement facile, de 7 à 77 ans, mais je ne tutoie que si c’est réciproque, je ne me vois pas tutoyer quelqu’un qui me vouvoie …
Si dans une relation une personne tutoie et l’autre vouvoie, j’y vois de l’irrespect de la part de celui qui tutoie envers celui qui vouvoie …
Bonne journée
, le 02.03.2016 à 06:12
Dans un article sur cuk ou ailleurs, aucun problème avec le tutoiement. Par contre, cela à don de l’agacer sur une publicité…
Formant des apprenti-es, j’impose le vouvoiement au départ…
Total d’accord avec Saluki et Macramé!
Sinon Dom, chouette article, comme d’hab ;))
, le 02.03.2016 à 06:53
Pour moi, le tutoiement dans tes humeurs me donne un peu l’impression de lire une lettre qui me serait adressée. Et, passé la première surprise, j’aime bien ça. Rien à voir avec le tutoiement forcé des pubs (même si je ne pense pas avoir jamais été tutoyé chez Ikea).
, le 02.03.2016 à 07:22
Salut à tous, pas de problème pour moi c’est avec plaisir.
Au Brésil (pays d’origine de ma femme) le « você » est en général utilisé sauf dans les cas de formules de politesse (a senhora par ex, qui veut dire Madame).C’est un pronom qui se situe entre le tu et le vous.
Les gens sont en général distingué par leur prénom à la place du nom de famille comme chez nous….
Pour moi le tu publicitaire est difficile à supporter mais le contexte est différent…
Bonne journée
Daniel
, le 02.03.2016 à 07:36
Bon…
Ça y est Dominique, je vous ai créé un problème qui n’avait pas lieu d’être…
Pourquoi? Parce que quand tu tutoies les lecteurs d’ici, tu ne fais pas faussement proche de moi, pour me vendre des meubles.
C’est le problème que j’ai avec Ikea ou d’autres.
Pas avec vous… heu… toi.
, le 02.03.2016 à 09:07
Bonjour Dom, je viens de lire ta chronique dont le fond et la forme me plaisent bien (même sans un tout petit coup d’Antidote …).
Je comprends très bien ta manière de défendre le tutoiement dans le cas particulier d’un blog ou d’un forum.
Le constat de chacun de nous, sur Cuk, est que le tutoiement est la règle dans les commentaires, parce qu’ils s’adressent souvent à un autre commentateur, et qu’il y a là comme une appartenance de groupe, bien que peu de nous se soient rencontrés personnellement.
Ça m’a tout de même fait réfléchir, au début, que le tutoiement apparaisse dans tes chroniques, mais la raison que tu en donnes (la lecture est un échange entre deux personnes) est absolument convaincante et éclairante, je trouve.
D’ailleurs, dans la littérature, on trouve aussi le tutoiement de l’auteur envers le lecteur, mais il y a une manière de l’introduire un rien littéraire, justement. Par exemple, au détour d’une page, « Ami lecteur, t’es-tu demandé si etc ». Et là, miracle, le tutoiement de cette sorte passe la rampe en tout simplicité et le plus naturellement du monde, étonnamment.
Au travail, j’avais l’habitude de parler à mes laborants et laborantines en m’adressant à eux par leur prénom, tout en les vouvoyant (ou voussoyant) et cela convenait à tout le monde, comme une forme acceptable de proximité, de familiarité, avec juste ce qui convient de distanciation.
Je ne me suis jamais fait tutoyer chez Ikea. C’est la manière de faire pour le personnel, entre collaborateurs, à la suédoise, mais je crois bien qu’ils ne se permettent pas cette attitude envers leurs clients. En Hollande, c’est pareil, on se tutoie naturellement.
Par contre, les pubs en font un usage qui me hérisse totalement. Récemment je me suis fendu d’un long mail de tutoiement au directeur d’une entreprise bancaire dont les oreilles doivent encore sonner de ma réaction énervée.
Enfin, il y a encore un tutoiement impersonnel, en quelque sorte, comme quand on dit « on » ou qu’on formule une idée générale. Par exemple « De nos jours, tu trouves pas de café pour moins de trois balles ».
, le 02.03.2016 à 09:29
En wallon, le tutoiement est une impolitesse; c’est ainsi que mes grands-parents se disaient vous et, pour moi, ça avait un petit côté exotique.
Par contre, dans le cinéma et la TV le tutoiement est de rigueur: on travaille ensemble dans la même direction. Avec certaines personnes qui m’impressionnaient, j’avais du mal à tutoyer même après leur demande. Ce fut le cas avec le prof qui m’a appris le principal de mon métier même lorsque nous sommes devenus des collègues; il a fallu quelques années pour que le « tu » sorte naturellement.
Cela dit, je ne suis jamais vexé lorsque quelqu’un que je connais me tutoie… pour les autres, ils attendront que nous gardions quelques vaches ensemble.
, le 02.03.2016 à 09:52
J’enseigne et je me trouve avec le c.. entre deux chaises. J’enseigne en école professionnelle et là, j’utilise le vous avec les apprentis et je les interpelle avec leur nom de famille.
Mais j’enseigne aussi à l’école obligatoire. Et là, j’utilise le tu et leur prénom. Je dois dire que parfois il m’arrive de me tromper. Personnellement je conserve en général le vous et n’utilise le tu qu’en famille, avec les amis ou les collègues avec qui je discute souvent. Mais je dois dire qu’avec les classes d’apprentis, dont certains ne sont pas si jeunes, au bout de quelques mois, j’ai tendance à vouloir utiliser le tu.
@Tilékol : pour l’anglais c’est l’inverse. Le thou est l’ancien tu et you est notre vous. On le voit en formule de politesse parce qu’on ne le voit aujourd’hui en général que dans les prière pour interpeller dieu et il prend un T majuscule. Mais c’est la même chose en français, dans les prières, l’individu interpelle dieu avec un « Tu » majuscule.
, le 02.03.2016 à 09:57
Le tutoiement ne me gêne aucunement dans le cadre d’un groupe où l’on côtoie fréquemment ses semblables, comme dans une équipe de travail ou un cercle restreint de lecteurs et d’interlocuteurs familiers comme sur Cuk.
Mais, grâce à mon éducation surannée d’homme âgé, j’avoue que j’apprécie beaucoup le vouvoiement pour la latitude qu’il offre de se tenir à une distance variable de personnes que l’on admire ou que l’on apprécie.
Et, puis, flirter en vouvoyant reste une pratique espiègle fort plaisante…
, le 02.03.2016 à 10:23
Ayant émigré au pays natal de Ikea, je vais apporter un peu mon avis sur ce débat passionnant
En Suède, le vouvoiement a été aboli dans les années 60 (année de l’apogée de la période Palme). Cette réforme du tutoiement était considérée comme un progrès démocratique et égalitaire. Elle s’est accompagnée de l’utilisation systématique du prénom à la fois dans les relations professionnelles, commerciales ou éducatives.
Personnellement, je trouve que cela conduit à des situations très ambiguës surtout lorsque l’on a eu une éducation française à une époque ou le simple tutoiement d’un enseignant de la part d’un élève pouvait conduire à des représailles sévères pouvant aller aux punitions corporelles (si si les jeunes, dans les années 70, les enseignants avaient tous les droits).
Quand un représentant de commerce viens me démarcher en me tutoyant et en m’appelant par mon prénom, je ne peux pas m’empêcher de penser que l’on pas garder les vaches ensemble pour reprendre cette vieille expression et cela me déplait fortement. Ce nivellement par le bas pour éviter toute notion de hiérarchie qui hérisse le Suédois de base et qui veux mettre tout le monde sur le même pied d’égalité est, à mon avis, génératrice d’ambiguïtés et fausse les relations.
En ce qui me concerne, un commerçant, à prime abord si on ne se connaît pas, n’est pas un copain surtout quand une transaction financière est en jeu.
De la même façon, le fait que tous les enfants doivent tutoyer leurs enseignants et les appeler par leur prénom conduit une perte d’autorité car il n’y a plus de distinction maison / école et on se comporte avec les enseignants avec la même familiarité qu’avec ses parents.
Il est quand même intéressant de noter que depuis quelques années, le vouvoiement est de retour chez les jeunes au grand dam de la vieille génération
, le 02.03.2016 à 10:43
Perso pas trop tu-Ikea non plus… Mais comme je ne connais pas le suédois et ses modes, je me prononcerais pas puisque ce tu es « traduit » en FR comme eux le sentent.
En français tant que je ne connais pas un peu mieux la personne en face de moi (je parle ici d’adulte) je préfère en rester de base au vousoiement. Cela permet des rapports entre inconnus plus respectueux (donc : on a pas gardé les cochons ensembles me correspond dans la langue française). Suivant les situations j’emploie le prénom mais conserve le mode « vous ».
Je suis aussi bien conscient que cela est dépendant des langues, pays et traditions, et je m’adapte très bien avec les 2 que je connais : en anglais c’est cool, c’est de base que le tu/vous est mal défini, c’est donc plutôt tu… en Grèce on en arrive assez rapidement au « tu », à part si grandes différences d’âge ou si respect oblige.
, le 02.03.2016 à 10:47
Paris, mai 1981, en liesse. Un militant s’adresse à François (l’autre) : camarade président est-ce que je peux te tutoyer.
Réponse de Tonton: si vous voulez.
Tutoyer ou vouvoyer systématiquement est un appauvrissement, une uniformisation. C’est le cas de l’anglaise langue ou du Club. Med. d’antan.
Il y a des aspects culturels en jeu.
Logiquement, tutoyer sevrait être un signe de rapprochement, de confiance, d’intimité recherchée. Mais ce n’est pas aussi simple.
À l’inverse, tutoyer peut-être une forme de mépris. « T’as gagné ton permis à la loterie ?».
Les néerlandophones (les Flamands en bref) lorsqu’ils donnent des exemples disent (en français) : lorsque tu fais ceci, tu obtiens ceci.
Il a des personnes (mes anciens professeurs p. ex.) que je ne voudrais tutoyer sous aucun prétexte, car je le ressentirais comme un manque de respect. D’autre part certains jeunes (ou plutôt moins âgés), collaborateurs de longue date, me vouvoient alors que je leur ai dit que le tutoiement me plairait davantage. Je respecte leur choix.`
À l’école, j’ai été dans la classe de mon père que je vouvoyais sans aucun problème en classe, comme les autres élèves et je le tutoyais en revenant avec lui à la maison.
Une de mes grand-mères, de culture et de langue wallonne, m’a vouvoyé quand je suis devenu adolescent, car le tutoiement n’existe guère en wallon ou est une marque de mépris.
, le 02.03.2016 à 10:55
Tout cela me remémore la bonne vieille blague de niveau zéro :
« Comment vas-tu…yau de pipe ? »
Et la forme polie & respectueuse du même orateur qui s’adresse à un groupe en disant :
« Comment allez-vous…tuyau de pipe ? »
, le 02.03.2016 à 11:04
Pour avoir fait pas mal de pays, c’est vraiment un problème dans la tête des gens qui ont eu une éducation et qu’ils pensent que c’est la bonne.
Ca me fait penser au délire récent sur la révision du français… pas de révision pour bien garder intact toute la difficulté de l’apprentissage au lieu de la faciliter et ainsi, se concentrer sur autre chose.
Bref, d’après moi, faire la distinction entre le vous et tu, c’est déjà mettre une hiérarchie ou une distance… un peu comme une cravate, des baskets ou une casquette permet de se faire des « a priori » sur quelqu’un.
Or, l’apparence ou le tu/vous ne dit rien sur la nature de votre interlocuteur d’un point de vue du respect, de la confiance ou encore de l’intégrité de ce dernier. D’ailleurs, y qu’à voir un Donald Trump, Jean-Marie Lepen ou d’un David Pujadas. Toujours en costard/cravate et probablement qu’ils disent « vous » à tout le monde mais ce n’est pas pour autant qu’ils ne débitent pas des conneries dès qu’ils ouvrent la bouche.
T
, le 02.03.2016 à 13:06
Le tutoiement en famille ou à l’école communale était naturel. Je tutoyais bien mes frères et sœur ainsi que mes parents. Et si mon institutrice me tutoyait habituellement, il était évident que je la vouvoyais.
Et je me souviens de la première fois que l’on m’a vouvoyé… Je n’en suis pas revenu ! Aux yeux de cette personne qui n’était autre que mon professeur principal à mon entrée en sixième, j’étais suffisamment « grand » (11 ans) pour être vouvoyé. Quel honneur ! Le souvenir diffus de cet épisode me réjouit toujours. Le morveux que j’étais devait prendre son rang. C’en était fini des amusements de gamins ; il convenait de devenir sérieux parce qu’elle m’a considéré comme tel. Je pense que j’ai compris ce jour-là que j’étais un adulte en devenir, quoique toujours un sale morveux par ailleurs. Collège Anatole Bailly, Orléans, 1978.
Alors donc le vouvoiement est devenu pour moi non seulement une marque de respect que je devais aux gens respectueux, c’est-à-dire tout le monde, mais aussi une marque de respect à la personne « respectable » que j’étais devenue.
Au Japon, où les relations interpersonnelles sont déterminées verticalement selon les préceptes confucéens, il y a une telle quantité de nuances de « tu » et de « vous » qu’il est difficile de tomber « juste » pour l’immigré que je suis. Suivant les interlocuteurs, on appartient à telle ou telle strate à laquelle est lié un niveau de langage qui convient à la strate de son interlocuteur… C’est compliqué car non seulement les formes verbales sont différentes, mais le vocabulaire lui-même change selon la situation. On me pardonne assez volontiers mes impairs car « je n’y comprends rien, vu que je ne suis pas Japonais » Ça m’arrange et j’en joue parfois…
Ce qui est amusant, c’est que je ne connais pas le prénom des gens, même de ceux qui me sont proches, car on est toujours interpelé par son nom de famille si on n’appartient pas justement à la famille. On affuble un suffixe au nom, celui-ci détermine le niveau de respect qui est dû… Il y a une vingtaine d’années, lorsque je suis arrivé au Japon, je me suis présenté à un groupe de gens avec mon surnom (que j’étais triste d’avoir laissé en France). « Je m’appelle Fix » ai-je déclaré. Tout le monde a cru que c’était mon nom de famille. Je me suis fait appeler « Monsieur Fix » pendant l’année de ma présence dans cette ville… Ça m’amusait.
Enfin bref, tout ça pour dire qu’on fait ce qu’on veut du moment qu’on tient sa place et qu’on privilégie le respect…
, le 02.03.2016 à 14:39
Pfouiii, je vais arrêter de tutoyer Dieu.
, le 02.03.2016 à 15:57
Coluche a déjà traité de ce problème ailleurs
Il y a des langues où on tutoie exclusivement, d’autres pas du tout.
Dans le monde médical, que je connais, la tradition est le tutoiement systématique, suaf à l’égard des patrons. Cette tradition se perd.
, le 02.03.2016 à 17:12
C’est tellement vrai ;-) Mais rares sont les hommes qui maîtrisent cet art-là !
Ton billet, Dominique, m’a fait penser à celui que j’avais écrit sur le sujet mais je ne mettrai pas le lien, il s’adressait à Anne….
Bonne soirée à toutes et tous,
, le 02.03.2016 à 20:38
Merci pour vos nombreux et riches commentaires!
Une chose me frappe: le mot de respect revient souvent, d’une manière ou d’une autre. J’ai assisté à des empoignades verbales entre des personnes en relation de hiérarchies. Je n’ai pas eu l’impression que ceux qui se vouvoyaient se respectaient plus que ceux qui se tutoyaient. Plus ça va, plus j’ai l’impression que le vouvoiement est plus une question de convention que de respect. Il est vrai qu’on a l’habitude de marquer un certain respect en vouvoyant un supérieur ou un inconnu, mais en ce qui me concerne je ne peux honnêtement pas prétendre respecter plus mon patron que ma femme. Le degré de familiarité exprime une plus ou moins grande intimité, mais il n’y a à mon sens aucun manque de respect dans une familiarité prononcée.
Saluki, tu parles d’une “fausse proximité”, “un peu hypocrite”, mais il me semble que le respect manifesté par le vouvoiement peut être aussi hypocrite, non?
Macramé, comme toi j’ai du mal à tutoyer quelqu’un qui me vouvoie. Le tutoiement ne doit pas être à sens, sauf avec les enfants. J’aurais du mal à dire vous à un gosse de 6 ans, même si ses parents lui imposent de le faire lorsqu’il s’adresse à moi.
Mais lorsqu’une copine de mon fils (ils devaient avoir 17 ans à l’époque), que j’invitais à me tutoyer comme je le faisais, m’a dit “oui oui, il vous faut me tutoyer, sinon je suis mal à l’aise, mais moi, je ne sais pas si j’y arriverai”, et ben j’ai continué à la tutoyer pour ne pas la mettre mal à l’aise, et il lui a fallu plusieurs mois pour arriver à en faire autant.
Patrick69 et Zallag Jamais tutoyé par Ikea? En magasin peut-être, mais ils le font sur leurs pubs. Exemple: “Deviens ton propre architecte et imagine la cuisine de tes rêves” (ici)
Très cher François Je vous rassure, vous ne m’avez créé aucun problème! C’est juste que j’avais ce thème d’article en tête et que votre P.S. m’a permis de rebondir. D’ailleurs je vous suis d’une reconnaissance éternelle de me permettre de vous tutoyer, ô mon pote!
Zallag (Je ne comprends pas ta remarque concernant Antidote)
La littérature, je ne connais pas très bien (à part San Antonio!). Mais le tutoiement que tu mentionnes me rappelle à moi, celui de certains texte religieux “Sais-tu que Dieu t’aime?”
Le tutoiement impersonnel m’agace, j’en ai parlé ici
PSPS Je comprends très bien ce que tu dis en parlant de la “distance variable de personnes que l’on admire ou que l’on apprécie”. Mais qu’en est-il des amis, conjoint… Moins de respect, d’appréciation?
ThierryS Surprenant! C’est bien le tutoiement qui a été aboli? C’est pour ça qu’ils se rattrapent dans leurs pubs chez nous? Ou bien ils le font aussi en Suède? Bizarre…
Concernant les rapports entre enfants et enseignants, là aussi… Si le vouvoiement est un moyen de maintenir l’autorité, qu’en est-il de celle des parents?
jpg Je ne connaissais pas l’histoire de Tonton.
Très juste. Le tutoiement peut exprimer le mépris. Mais le vouvoiement aussi. cf la tirade des nez de Cyrano.
Uniformisation, peut-être; appauvrissement, je ne trouve pas.
ZITO Tu sais que j’ai mis des années à comprendre la réponse que j’ai vue pour la première fois dans une BD: “Pas mal, et toi… le à matelas?” Je le lisais dans le sens de “… et toi, le type qui a un matelas?” Et comme je ne voyais pas de matelas sur le dessin, je ne comprenais pas!
TTE Complètement d’accord avec toi. Le tu est le vous sont comme une cravate et un t-shirt. Conventions. Ceci dit je n’ai pas de problème particulier avec les conventions, du moment qu’elles se pratiquent entre adultes consentants et détendus. Par contre, la tension générée par certaines situations protocolaires me donne envie de fuir. Enfin, me donnerait, parce que je n’y suis jamais confronté.
Origneius Je ne me souviens pas de la première fois ou un adulte m’a dit vous. Mais j’ai fortement accusé le coup intérieurement la première fois qu’un enfant l’a fait!
Et si le Japon m’attire par certains côtés, les nuances que tu évoques me glacent. Je ne tiendrais pas une semaine!
Madame Poppins Vous dites? ;-)
, le 02.03.2016 à 23:35
Pour ma part, je suis adepte du vous pour marquer une certaine distance, qui peut être dur à l’âge, la position hiérarchique, ou simplement par une non-envie.
Dans mon travail, je tutoie tout le monde, sauf la direction. Et encore, la direction est constituée d’un directeur et de deux adjoints. Parmi ces deux, l’un est un ancien collègue. Sa « promotion » n’a entraîné aucun changement de formule. Le tu est toujours de vigueur. L’ancien adjoint, je le tutoyais également. Sa successeur, non.
Le plus drôle est avec le directeur. Il tutoye certain collègue de même génération, et tente de me tutoyer depuis plusieurs année mais plutôt maladroitement. Lors de séances que nous organisons ensemble, il tente des approches du type, « et qu’en penses-tu? » devant l’assistance. Ce à quoi je réponds par un « monsieur le directeur, vous savez que… »
En décembre dernier, a l’occasion d’un événement festif durant lequel il est venu comme bénévole, nous discutions et il m’a enfin demandé frontalement: « est-ce que cela vous dérange si nous nous tutoyions? » Suite à mon « oui », il s’est décomposé et m’a demandé si c’était à cause de sa personne ou de sa fonction. J’ai dit que c’était dû à la fonction. Il a semblé rassuré, mais je n’oublierai jamais ce regard surpris qu’il a eu en entendant ma réponse.
Je te suis donc Dom, sur la piste de la convenance plutôt que du respect, en y ajoutant un certain besoin de distance.
, le 03.03.2016 à 02:07
J’ai longtemps cru, moi aussi, que le thou des Anglais était une forme de vouvoiement, jusqu’au jour où quelqu’un m’a fait remarquer que le mot you s’utilise aussi au pluriel, ce qui signifie c’est bel et bien un vous et que, contrairement à ce qu’on croit, les anglophones vouvoient tout le monde. Confirmation sur Wikipédia.
, le 03.03.2016 à 17:52
En parlant de matelas… et d’anglais.
Un mec rencontre un Anglais, il veut être sympa, amical, il se dit qu’une pointe d’humour ce sera cool. Il laisse l’Anglais commencer :
– How do you do ?
– And you’le à matelas ?
Sinon les gars, j’aime bien ce que vous dites, surtout toi.