Introduction
Aujourd'hui, on va faire de l'introspection, du nombrilisme. Je vais vous parler un petit peu de la Suisse et de ses langues.
N'ayez crainte, on ne va pas tomber dans le nationalisme à 2 balles ou je ne sais quoi. Je souhaiterais surtout développer une humeur autour de ce qui est, à mon avis, un problème en Suisse: les langues nationales et les problèmes qu'elles posent pour la communication entre nous, les Suisses.
Petit historique
Pour mieux comprendre cette humeur, une petite vision d'ensemble s'impose:
Depuis la création de la Suisse en 1291 avec 3 petits cantons, le pays a grandi comme beaucoup d'autres au travers de guerres, d'acquisitions, d'échanges, etc. Aujourd'hui, la Suisse regroupe environ 7,4 millions d'habitants répartis sur un peu plus de 41'000 kilomètres carrés et 26 cantons. Pour faire une comparaison avec la France, la Suisse a une superficie à peu près équivalente à l'Aquitaine (ouais, nous ne sommes pas très grand!).
Comme tout le monde le sait, la Suisse n'a pas encore adhéré à la communauté européenne, mais ce n'est pas pour autant qu'elle est isolée puisque ses frontières bordent les pays suivants: Autriche, France, Italie, Liechtenstein et Allemagne.
À la vue de ce petit historique, tout le monde comprendra que la Suisse est un pays plurilingue et compte 4 langues officielles réparties comme suit: l'allemand (65% de la population), le français (18% de la population), l'italien (10% de la population) et le romanche (1% de la population). Les statistiques révèlent que nous avons également environ 6% d'expatriés.
La situation aujourd'hui
Les 4 régions linguistiques sont plus ou moins réparties comme suit:
Les Suisses sont connus pour leur sens aigu du consensus et bien souvent, ça se traduit par un manque de prise de décision. Dans cette lignée, la Confédération Helvétique encourage et soutient les cantons ainsi que les langues minoritaires comme l'italien et le romanche. Toutefois, l'instruction publique incombe aux cantons et c'est eux qui décident quand et quelles langues doivent être enseignées dans les écoles.
C'est là, à mon avis, que les problèmes commencent. En effet, jusqu'à récemment, il existait une espèce d'accord tacite entre les cantons suisses: la première langue enseignée était, bien entendu, la langue locale (allemand pour la Suisse-Allemande, le français en Suisse Romande, etc.), la seconde langue enseignée devait être une langue nationale, et la seconde l'anglais.
Il existe également des différences de pensées et des objectifs qui sont extrêmement différents entre les différentes cultures. Les élections en sont la preuve puisqu'elles sont souvent tranchées entre la Suisse Allemande et le reste du pays (par exemple les cantons romands votent "oui" dans leur ensemble à une votation alors que les cantons allemands votent "non" dans leur ensemble).
Petite révolution chez les Suisses
En mars 2004, la conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP) annonce que, dès 2006, les cantons peuvent introduire une langue étrangère dès la seconde année primaire (enfants d'environ 7 ans) et qu'au plus tard, une seconde langue nationale doit être enseignée avant la cinquième année primaire (enfants d'environ 10 ans). Le canton de Zürich a aussitôt déclaré qu'elle suivrait ce programme au détriment du français.
Bien évidemment, cette annonce a fait l'effet d'une bombe dans la partie romande de la Suisse. Je vous laisse imaginer les indignations et autres plaintes romandes qui ont suivi. Pour beaucoup, c'était l'explosion de la cohésion nationale, c'était remettre en cause la pluralité linguistique de ce pays.
Pour couronner le tout, en avril dernier, le Conseil Fédéral a déclaré qu'il n'allait pas présenter au Parlement un projet de loi fédérale sur "les langues nationales et la compréhension entre les communautés linguistiques". En gros, le Conseil Fédéral semble être "satisfait" de la situation actuelle et laisse toute la responsabilité de l'enseignement des langues aux cantons.
On va, par conséquent, se retrouver avec des cantons qui jusqu'à maintenant respectaient une espèce de "cantonal gentleman agreement", et qui pourront, dès lors, faire ce qu'ils veulent, sans aucune coopération au niveau national. D'ici quelques années, nous aurons donc des petits suisses de 10 ans qui parlent allemand, un peu anglais et pas du tout de français face à ceux qui parleront français, un peu allemand et nullement l'anglais.
Il faut savoir que l'allemand est une langue difficile à apprendre pour des Suisses italiens ou Suisses romands (vice-versa), car bien que toutes ces langues fassent partie de la famille indo-européenne, le français et l'italien découlent du latin alors que l'allemand descend des langues germaniques. Ci-dessous, une vision d'ensemble qui est fournie par le Petit Robert:
Enfin, il y a une dernière info importante à donner sur nos camarades d'outre-Sarine: ils ne parlent pas le "vrai" allemand. En effet, ces derniers parlent le suisse allemand. "Mais qu'est-ce que ça fait, c'est de l'allemand non?" me direz-vous! Malheureusement pas, il existe aujourd'hui plus de 10 dialectes qui sont parlés en Suisse Alémanique et le problème, c'est que ça ne ressemble en rien à de l'allemand. De plus, ces dialectes ne sont pas enseignés, ils sont tout simplement transmis de générations en générations oralement. Bien que les médias (télévision, presse, etc.) utilisent le vrai allemand dans le but de se faire comprendre dans toute la Suisse, les gens parlent 98% du temps le suisse allemand! Et si un Haut Valaisan parle son patois, il n’est pas sûr qu'un Bâlois comprendra ce qu'il dit, car ces dialectes sont également très différents entre eux.
Les problèmes
Comme vous l'avez lu, la situation n'est pas simple et elle a forcement un impact dans la vie active et la communication.
J'ai personnellement travaillé dans 2 sociétés nationales pendant plus de 7 ans et j'aimerais vous faire part des problèmes qu'on rencontre souvent quotidiennement en tant qu'employé ou client:
Les invitations à une conférence sont rédigées, parfois, en français. Mais la conférence elle-même donnée en allemand.
Une réunion de travail se déroule généralement en allemand. Parfois, c'est un collègue qui essaie, tant bien que mal, de traduire.
Les informations à l'attention du personnel sont tout d'abord diffusées en allemand avec une phrase qui dit "La tratuxion en fransai suivra". Généralement elle suit quelques heures ou jours plus tard (pratique quand c'est une alerte antivirus ou sur une promotion valable peu de temps n'est-ce pas?).
Quand un centre d'appel romand est surchargé, les appels sont généralement transférés sur la Suisse allemande vers des collaborateurs sensés êtres bilingues. Je suis sûr que vous aussi vous êtes déjà tombés sur quelqu'un qui vous dit: "Foui, foui, j'ai compris se ke vous dire, moi rien comprendre".
Enfin, le plus grave est à venir puisque dans un but de simplifier la communication (ou plutôt justifier le manque d'effort), certaines sociétés nationales ont officiellement déclaré l'allemand comme langue officielle en interne. Qu'est-ce que ça veut dire?
C'est très simple, ces sociétés ne veulent plus faire d'efforts et, dans une certaine mesure, prennent les devants en instaurant une seule langue pour toutes les communications. Les problèmes et l'hypocrisie qui ressortent de ce type de décision c'est que les gens envoient des e-mails ou tout simplement communiquent tout en allemand en sachant très bien qu'un pourcentage élevé de collègues ne comprendront pas le message.
Je vous laisse imaginer les conséquences de cette irresponsabilité qui est, je le répète, de plus en plus commune au sein des sociétés présentes sur le plan national. Ça devient juste délirant et c'est ça la réalité aujourd'hui!
Conclusions
Dans un monde parfait, c'est vrai qu'il faudrait que chaque Suisse apprenne ses 4 langues nationales afin de préserver les langues. C'est vrai aussi qu'il faudrait apprendre une à deux langues étrangères pour ne pas être totalement isolé du monde.
Toutefois, est-ce qu'apprendre toutes ces langues nous aiderait à mieux communiquer entre nous? Est-ce qu'il est raisonnable de penser que nos enfants pourraient acquérir un bon niveau dans 4 voire 5 langues avant 15 ans? Certainement pas et on peut se demander l'intérêt que pourrait avoir une telle démarche.
Certains parlent de l'unité nationale, d'autres parlent de l'invasion des langues étrangères et d'autres encore disent que si elles ne sont pas apprises, les langues disparaîtront.
Personnellement, je ne suis pas devin et je constate une chose: nous nous comprenons de plus en plus mal.
Je ne souhaite pas glisser le moindre sous-entendu du style: "Nous ne devrions avoir qu'une seule langue pour tout le pays et sacrifier les autres." Les langues locales sont l'essence même d'une culture et d'une région. Toutefois, contraindre les gens à apprendre une autre langue nationale ne contribue pas à la préserver et ne nous aide pas à mieux communiquer entre-nous!
En fait, si on veut être juste au niveau national, on ne peut pas demander aux gens d'apprendre 4 langues, c'est impossible. Par contre, si tous les élèves sur le plan national apprenaient l'anglais dès la seconde, et bien nous aurions une génération qui dans 10 ans se comprendrait bien non seulement sur le plan national, mais également sur le plan international.
Mais bon, pour arriver à ce résultat, il faudrait que ceux qui ont un ego un peu trop démesuré pour leurs langues officielles se posent cette question: est-ce qu'il vaut mieux garder les langues nationales obligatoires et avoir une mauvaise communication ou est-ce qu'une seconde langue étrangère apprise très tôt ne fédérerait pas toutes nos communications?
Selon moi, poser la question c'est y répondre.
, le 03.09.2009 à 11:44
Et voilà, 5 ans plus tard, la solution vient de Kadhafi himself !
Comme quoi, on n’est pas leader d’un pays 40 ans sans avoir de bonnes idées…
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