Enfant, j’avais toujours le Blues du Businessman dans la tête. Nous étions vers la fin des années 80 et je chantais (vociférais ?) cette chanson toute la journée. Je savais que c’était issu du spectacle Starmania, mais, à l’époque, cet air me suffisait. Cela entrait sans doute en résonnance avec une partie de mes rêves d’alors. Et puis un jour, feue la chaine de Télévision La Cinq, celle de Berlusconi, décida de programmer en seconde partie de soirée le spectacle (Qui est la deuxième version du spectacle après celle avec Balavoine). Notre magnétoscope d’alors, avec qui nous entretenions une relation tourmentée tant il était capricieux, me fit le cadeau ce soir-là de réussir à enregistrer entièrement et proprement l’émission. La découverte fut pour moi une révélation dont les soubresauts m’accompagnent encore aujourd’hui.
Pour ceux qui ne connaitraient pas, le spectacle écrit par Luc Plamodon et Michel Berger raconte à la fois l’ascension politique d’un magnat de l’industrie et la rébellion d’un groupe de rebelles, les étoiles noires emmenées par un certain Johnny Rockfort. Nous suivons le destin de ces personnages et de ceux qui gravitent autour dans un futur envisageable. Monopolis est une cité mondiale, souterraine à cause de la pollution, où la société de consommation et nos modes de vie ont conduit chacun à une grande solitude (Il n’y aura plus d’étrangers, nous serons tous des étrangers). Ce monde froid est présenté comme une société idéale, dérangée seulement par les actions terroristes menées par les Étoiles Noires. Dans ce contexte, Cristal, la présentatrice vedette de la télé propose à la télévision l’émission Starmania qui a vocation à révéler des inconnus pour en faire des stars.
Cette comédie musicale m’a toujours interpelé : je ne parle pas des chansons qui sont toutes formidables bien sûr, mais des échos de cette histoire sur notre réalité ainsi que certains choix des personnages.
Starmania est une émission comme peut l’être La Nouvelle Star, mais c’est aussi l’histoire de cet homme Zéro Janvier, Homme d’affaires qui se pique de politique. À l’époque, il se confondait pour moi avec un Bernard Tapie. En réalité, Zéro propose une société fascisante et sa boite, Le Naziland, annonce la couleur. Ses propos sur la sécurité, sur la fermeture des frontières, sur l’Afrique qui nous remerciera de nos largesses avec des bombes me rappellent de plus en plus l’état d’esprit général qui gangrène de plus en plus nos sociétés. Zéro épouse une vedette qui ne veut pas vieillir, pour que sa renommée artistique (et plastique) serve ses ambitions présidentielles. Je ne sais pas si on peut à proprement parler d’une œuvre visionnaire puisque ces éléments ne sont pas propres à notre histoire récente, il n’empêche que chaque fois que j’écoute ou regarde ma vieille VHS (que j’ai numérisée depuis), j’y trouve un point commun avec notre époque. Sans doute aussi que tout cela était déjà en germe.
Au-delà de ces considérations, la façon de traiter l’idée de l’engagement m’a toujours marqué. Si Zéro Janvier confesse le regret de n’être pas un artiste, psychologiquement, il ne connait pas de barrière. Ce n’est pas le cas des autres personnages.
Deux héros emblématiques de cette idée se trouvent être Johnny Rockfort et Cristal, le couple de révoltés. Johnny est un gamin pauvre, son père buvait… à quinze ans, il quitte l’école pour devenir un voyou. Il réussit si bien qu’il fédère autour de lui une bande de voyous sans foi ni loi. Sa révolte un peu nihiliste est prise en main par Sadia, une jeune femme en rupture avec sa condition bourgeoise et intellectuelle qui va faire de Johnny le symbole d’une révolte politique. On comprend dans ses interventions que sa violence est davantage davantage une réaction instinctive contre une société policière et policée qui prive l’individu de sa liberté en échange d’un confort rassurant. Lorsqu’il rencontre Cristal, dont il tombe amoureux évidemment, il n’a plus qu’une envie, c’est de tout quitter pour partir avec elle au loin. Lui qui n’a connu que la misère et la marginalité aspire finalement à une vision assez bourgeoise du couple.
Cristal, elle, est née du bon côté des choses, elle tombe amoureuse du rebelle dont elle épouse la cause. Ce qui m’a toujours frappé chez elle, c’est son jusque-boutisme. Elle veut à la fois frapper fort le milieu d’où elle vient et exige de Johnny qu’il soit à la hauteur du héros qu’elle imagine. Son engagement est d’autant plus fort que rien ne la prédisposait à devenir révolutionnaire. Le personnage de Sadia, quoique plus trouble, avait déjà cette relation avec Johnny : une façon de récupérer l’énergie de la révolte pour la transformer révolution. Comme toutes deux sont issues d’un monde privilégié, on peut tenter l’interprétation suivante : les plus révolutionnaires ne sont pas forcément ceux qui ont le plus souffert de la misère, peut-être même est-ce une forme de récupération ? Dans le cas de Sadia, cela semble être le cas.
Si Cristal est moins cynique et plus idéaliste, elle ne veut pas être ridicule après avoir claironné son engagement dans les médias : c’est aussi pour ça qu’elle veut faire un coup d’éclat. D’ailleurs on finit par faire des T-shirts à son effigie. Elle qui révélait les stars en devient une elle-même.
L’idée de star dans l’œuvre renvoie en fait à une société et des êtres très narcissiques. C’est que dit la star absolue Stella Spotlight lorsqu’elle annonce les résultats de la présidentielle : regardez-vous dans votre miroir, vous ne valez pas mieux que les personnages. Ziggy est à la recherche du confort matériel et de la reconnaissance. Cristal se réalise en Che Guevara adulée, Stella est prête à tout pour rester au sommet et ne pas vieillir, même Zéro Janvier souffre d’une blessure narcissique puisqu’il rêve de la reconnaissance de l’artiste. Sadia trahit Johnny dès lors que celui-ci ne voit plus en elle son mentor. Et même Johnny n’a qu’une envie, c’est de faire parler de lui
Le dernier personnage est Marie-Jeanne, serveuse de bar qui essaie juste d’être heureuse sans se mêler de rien, sans jamais se mettre en avant, elle finit à l’écart de tous les personnages, complètement seule et malheureuse. Elle ne peut que dresser le constat qu’au bout du compte, on est toujours tout seul au monde, que le monde est Stone, qu’elle n’a plus qu’à « s’étendre sur l’asphalte et se laisser mourir.
Un dernier mot sur le titre, polysémique à souhait, qui joue avec le mot manie, magnat, maniaque et peut-être avec d’autres qui restent à découvrir.
Voilà, c’était ma vision de Starmania, j’espère vous avoir donné envie de redécouvrir cette comédie musicale formidable, par ses chansons et les nombreux thèmes qu’elle propose sans jamais les asséner.
Le spectacle est disponible sur youtube si vous voulez, moi je replonge dans ma vhs numérisée
, le 21.09.2015 à 02:31
Merci de nous avoir rappelé Starmania, un vrai plaisir, et la nostalgie en plus.
Je viens de le regarder à nouveau, via Youtube et mon AppleTV.
Une pensée particulière pour la regrettée Réjane Perry, qui interpréta Marie-Jeanne la serveuse automate, en remplaçant Maurane au pied-levé, et en apprenant la totalité du rôle en… 48h.
Exceptionnelle performance.
, le 21.09.2015 à 08:17
Incroyable performance effectivement. J’ignorais qu’elle était morte.
, le 21.09.2015 à 08:19
Bonjour,
Je suis fan de cette comédie musicale depuis sa première édition en 1979. Je l’écoute encore de temps à autre. Elle me rappelle de merveilleux souvenirs personnels.
, le 21.09.2015 à 08:32
Merci ! Et bravo : c’est étonnant comme certaines personnes ont cette capacité à formaliser “nos” impressions… Je n’ai pas vu la deuxième version de Starmania, mais juste écouté en boucle la première. Plus sombre encore que celle de 1988. Dans cette dernière, Cristal chante avec Johnny Rockfort “nous serons seuls au monde”, plutôt romantique, tandis que dans la version originale, elle est seule pour chanter “je serai seule au monde”, au propos diamétralement opposé. Et les messages clairement racistes de Zéro Janvier ont été édulcorés.
Le double CD est une merveille, mais il semblerait que, hélas, il n’y ait pas de version vidéo du spectacle de 1979. Lors des hommages à Michel Berger, Starmania est évoqué, mais toujours illustré avec des images fixes. Quelqu’un a-t-il des infos sur cette étrangeté ?
, le 21.09.2015 à 09:23
J’ai grandi avec Daniel Balavoine, donc également la 1ère version.
Au niveau du propos de cet œuvre, je rejoins totalement l’avis qu’il est toujours d’actualité, et en effet, la 1ère version est plus « sombre » et plus crue que la seconde.
J’ai toujours trouvé également que les personnages sont en totale adéquation avec les interprètes (et vice et versa). Je crois que d’ailleurs Luc Plamodon et Mochel Berger avait plus ou moins les artistes visés déjà en tête, vu qu’ils ont fait jouer leurs compagnes et ami(e)s.
Ce que je sais également est que la chanson « Sos d’un terrien en détresse » a été écrite spécialement pour Balavoine du moment qu’il avait donné son accord.
Depuis, aucune interprétation ne lui vient à la cheville à mon sens.
Aussi, j’ai découvert la voix chaude et douce de Fabienne Thibaut (Marie-jeanne) et la folie de Diane Dufresne (Stella Spotlight) que j’ai d’ailleurs vu bien des années plus tard plusieurs fois lors de ses tournées!
Cet œuvre est fondamentale par son propos, ses interprètes et sa places dans l’histoire des « comédies musicales », nom que d’ailleurs Luc Plamodon et Michel Berger n’ont pas utilisé au profit d’opéra rock, bien plus adapté à mon sens également!
, le 21.09.2015 à 10:50
Bonjour à tous,
Pour ceux qui seraient intéressés et qui habitent le région parisienne,Fabienne Thibeault donne un récital le 9 octobre 2015 dans une petite salle de Palaiseau : « la mare au diable » au programme : les chansons de Starmania en duo Stephan Orcière
, le 21.09.2015 à 21:43
Merci Radagast! J’ai beaucoup apprécié cet opéra Rock et ton texte me donne des clés de lecture que je n’avais pas à l’époque. ET là je le réécoute; agréable. Balavoine c’est quelque chose de fort quand même.
J’apprécie aussi la légende de Jimmy de Diane Tell.
, le 21.09.2015 à 22:16
Bon ben avec tout ça, je vais me procurer le cd de la première version… :-)
, le 27.09.2015 à 21:42
Je ne me suis jamais posé autant de questions sur cet opéra, mais je l’ai toujours adoré, depuis le début.
Je trouve d’ailleurs qu’il a vachement bien vieilli.
Merci de cette analyse.
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