Il y a des jours où l'on est nostalgique, souvent à cause d'une nouvelle un peu triste ou à cause d'une pensée s'échappant dans des contrées pas forcément heureuses. Aujourd'hui, je suis nostalgique, car l'un des plus grands chefs suisses va bientôt prendre sa retraite. Mais je suis aussi heureux car André Jaeger est un ami depuis plus de 15 ans et que je ne peux qu'être content pour lui de savoir qu'il pourra enfin se reposer un peu. Car s'il y a bien un métier exigeant, éreintant : c'est bien celui de tenir depuis plus de 40 ans un restaurant au sommet de la gastronomie helvétique. Alors, aujourd'hui, j'avais envie de lui rendre un petit hommage.
L'inventeur de la « fusion food »
Petit retour en arrière : après des études à l'école hôtelière de Lausanne, André Jaeger va commencer à voyager autour du monde, passant de Londres à Lugano jusqu'à Hong Kong où il découvrit les délices de l'Asie. C'est notamment au Peninsula Hotel d'Hong Kong qu'il apprit des techniques qui firent par la suite sa renommée en Suisse. Car dès 1975, il reprit le restaurant familial situé dans une extraordinaire bâtisse du XVIIe siècle sur les bords du Rhin à Schaffhouse. C'est au Fischerzunft (l'ancienne maison mère de la corporation des pêcheurs) qu'il va atteindre les sommets gastronomiques avec deux fois le titre de meilleur cuisinier suisse décerné par le Gault & Millau. Depuis cette date, il peut se targuer de n'avoir jamais quitté l'excellence toujours couronné au minimum par la note de 19/20 par le même guide.
Die Fischerzunft
Voilà pour un rapide tour d'horizon, mais ce qui fait d'André un cuisinier véritablement particulier, c'est que c'est l'inventeur de la « fusion food ». Alors que de nos jours, il est devenu presque banal de marier des saveurs asiatiques à la cuisine française, qu'il n'est plus surprenant de côtoyer wasabi, yuzu ou autre baie rose avec des produits comme le rouget, le thon rouge de Méditerranée ou une pièce de boeuf du Simmental; dans les années 1980, c'était une toute autre histoire ! Et c'est au talent d'André Jaeger qu'on le doit. L'inventeur de la « cuisine du bonheur » a été le premier à mélanger les saveurs et techniques asiatiques avec la très traditionnelle cuisine française : le Ying et le Yang se réunirent dans un jeu de saveurs, de couleurs et d'émotions tout à fait novateur pour l'époque.
C'est en 1999 que j'ai eu la première fois la chance de rencontrer André, lors d'un repas dans son restaurant. En cette occasion, j'ai découvert un homme extrêmement généreux, humble et attentif aux commentaires de sa clientèle. Alors que mon épouse et moi avions à peine 20 ans, nous avons pu avoir des échanges passionnés et passionnant jusqu'à tard dans la nuit avec ce grand professionnel de la gastronomie. Et c'est une chose extrêmement rare ! Non pas que les autres cuisiniers ne soient pas des gens agréables, mais ayant eu la chance de pouvoir en visiter un grand nombre, rares sont ceux qui ont prêtés une oreille attentive à une remarque d'un client, surtout quand celle-ci n'est pas totalement positive.
La Cuisine du Bonheur
C'est sous l'appellation de « Cuisine du Bonheur » que le chef du Fischerzunft a fait sa renommée. Son intention ? Que chaque repas, qu'ils soient de fêtes ou juste pour midi, soient marqués sous le sceau du Bonheur. Son but ? Faire plaisir à ses clients comme il ferait plaisir à sa famille, que lorsqu'on rentre dans la magnifique salle à manger, on se sente comme chez soi. C'est sous la direction de sa compagne, Jana Zwesper, que la brigade prendra soin de vous, et ce, dans les moindres petits détails. Un service certes exigeant, mais jamais distant, ni hautain. Bien au contraire, on ressent très rapidement l'accueil germanique, dans ce qu'il a de plus chaleureux et sympathique.
Si je devais choisir quelques plats, le choix serait très difficile : comment ne pas parler de ce magnifique gruyère caramel de chez Duttweiler accompagné d'une petite soupe miso ? Ou son fameux « snickers » de foi gras, caramel et noisette ? Ou le rouget au Tandori et piments aigre-doux accompagné d'un sorbet au riz cantonais ? Pour simplifier la chose, j'ai proposé à mon épouse que chacun d'entre nous choisissons un plat à vous présenter. Son choix c'est très rapidement porté sur l'Ile flottante noire à la crème aux Belles de Fontenay :
Ile flottante noire à la crème aux Belles de Fontenay
Derrière ce nom se cache en faite une « simple » crème de pomme de terre (des Belles de Fontenay) accompagnée d'une jolie cuillère de caviar Zywer (esturgeons d'élevage). Derrière cette extrême simplicité se retrouve en fait un gros travail sur la crème, dont, malgré la recette donnée, il ne nous a jamais été possible de reproduire la finesse et l'onctuosité dégustée au restaurant. Sans être spécialement un fan de caviar, je n'ai jamais vu de meilleure méthode pour mettre en valeur tout les goûts que recèlent cet « or noir ».
Pour ma part, mon choix c'est porté sur une brochette de homard au feu de bois sur Hibachi accompagné d'une crème au Wasabi et jus de gingembre :
Brochette de homard au feu de bois sur Hibachi, crème au Wasabi et jus de gingembre
Voici comment, dans un restaurant gastronomique, on peut avoir une brochette de homard cuit au feu de bois par le convive lui-même ! Grâce à cette technique de cuisson typiquement japonaise, il est possible d'avoir toutes les saveurs de la cuisine au barbecue, surtout le petit coté fumé de la cuisson au feu de bois, tout en étant confortablement assis à notre table. Ajouté à cela une crème douce et onctueuse, avec un piquant très maitrisé, de Wasabi et un jus de gingembre pour parfumer au mieux le délicieux morceau de homard. Un pur régal !
En écrivant ces lignes, je suis toujours nostalgique, car l'aventure Fischerzunft va s'arrêter dans un petit mois et qu'une belle page se tourne pour mon épouse et moi, mais surtout pour un ami qui a beaucoup donné pour la gastronomie. Bonne retraite cher André !
A ta santé, cher André !
Et vous chères lectrices et chers lecteurs, avez vous un coup de coeur culinaire à nous faire partager ? Que ce soit une pizzeria ou un lieu plus gastronomique, quel est votre endroit où « vous vous sentez comme chez vous » ?
, le 29.05.2015 à 07:18
Heuuuuu, chez moi ?
Bé oui, je ne fréquente que très rarement les établissements de restauration, encore moins les étoilés.
Je ne doute pas du plaisir qu’il doit y avoir à déguster ces merveilles, mais, d’une part, j’aime bien cuisiner, et surtout, je ne supporte pas de me faire servir.
Peut-être est-ce dû au fait que j’aie été loufiat, de l’autre côté du comptoir, dans ma jeunesse, surement d’autres raisons aussi.
En tout cas, quand je fréquente, c’est pour y déguster des choses que je ne saurais pas faire ou cuisiner à la maison : un tablier de sapeur, une tête de veau sauce gribiche, le couscous méchoui de chez Youssef le jeudi ou un ramen au bouillon bien gras, omori, bien sûr ;o).
z (et puis ya aussi le budget, je répêêêêêêêêêêêêêête : mais, ça, c’est une autre histoire)
, le 29.05.2015 à 09:19
Comme chez soi c’est comme chez lui
, le 29.05.2015 à 10:00
Ah ! Je ne suis donc pas le seul ;-)
C’est vrai que lorsqu’on aime cuisiner, le plaisir de « se faire un resto » ne peut aller qu’avec la volonté de déguster un plat impossible à réaliser à la maison.
Aux plats cités par zit, j’ajouterai le « Riz au poisson » sénégalais, tant banalisé et « massacré » dans les restaurants d’hôtels pour touristes. Une seule solution : la « gargotte » ou « le maquis » dont on se passe l’adresse entre initiés…
J’ajouterai le « Chawarma » libanais servi dans un de ces mini-restos connus sous le nom générique de chawarma, justement. Là aussi, le bouche-à-oreille distribue des « étoiles » aux meilleurs de Dakar.
, le 29.05.2015 à 10:44
Je suis d’accord avec vous, si je vais dans un restaurant, c’est pour déguster des choses que je ne sais pas faire. Même si j’adore cuisiner, je me rends compte qu’il y a un monde entre la cuisine fait par des chefs ou des spécialistes et ma cuisine d’amateur.
C’est d’ailleurs aussi le sens de mon article, c’est de demander aux lecteurs leurs coups de coeur pour élargir mon horizon culinaire, tout en fuyant au maximum les restaurants proposant des plats industriels (qui selon une étude dont je n’ai plus le lien, représente une très grosse part de la restauration en Europe).
, le 29.05.2015 à 11:39
C’est vrai que la Fischerzunft m’a laissé un souvenir impérissable. C’était à l’occasion de la présentation de la version réalisée pat Milos Forman des Liaisons dangereuses d’après Laclos et je me suis retrouvé assis en face de lui (Forman, pas Laclos). Comme nous nous étions rencontrés pour la première fois en août 68 à Prague, nous avons échangé quelques souvenirs…
Et bien sûr chez Girardet… J’avais un ami qui avait là ses entrées, et il lui arrivait de m’y entrainer sans prévenir. La salle étant pleine, réservée des mois à l’avance, on s’installait avec Freddy à la cuisine.
Autre souvenir mémorable à Pékin. Un bon connaisseur du pays nous avait entrainé dans ce qui était le premier restaurant privé, en fait un véritable boui-boui, pour y manger une « Marmite mongole » splendide, en fait une fondue chinoise à base de mouton, arrosée d’une bière faite maison. Cela a concurrencé dans mes souvenir le canard laqué des banquets officiels.
Dans mon coin du Caucase, mon préféré est un bistrot tout simple avec un violoniste qui était l’ancien directeur du conservatoire de Soukoumi en Abkhazie, chassé lors de la guerre,et un pianiste qui entonne des airs d’opéras italiens. Ils font les meilleurs khinkali de la ville. Le khinkali, c’est un gros ravioli parfumé à la coriandre, trace de la Route de la soie qui passait par là, et qui conserve du jus à l’intérieur. Délice simple mais inappréciable.
Ce qui ne m’empêche pas bien sûr de cuisiner, ma ratatouille fait le buzz, et rien qu’à évoquer mes truites tout juste sorties du vivier en papillotes, il y en a chez moi qui frétillent déjà.
, le 29.05.2015 à 13:14
Merci pour l’article, Renan :)
Cet article me parle beaucoup, parce que j’adore aller au resto… Pas forcément des restos d’un niveau aussi élevé que celui dont tu parles, mais juste des endroits où on passe des bons moments…
Quelques adresses, donc:
– La Molisana, à Lausanne. Ma 2è maison!
– Pasta e sfizi, à Lausanne
– Le Miyako à Genève
– plein d’autres, mais là je retourne au boulot :)
Bonne journée à tous!
, le 29.05.2015 à 13:24
Pour ta question de recette impossible à reproduire. Le seul client que j’avais à Lyon m’emmenait pour déjeuner chez Alain Chapel. J’ai beau avoir son livre de recettes dédicacé rien à faire, je n’ai jamais pu reproduire sa tarte aux pralines. Recette des plus simples, pâte brisée, pralines grossièrement concassées, crème fraîche. Où peut ce cacher le secret qui fait la différence entre la mienne et la sienne ?
, le 29.05.2015 à 13:51
C’est là où l’on retrouve le génie de certains cuisiniers : non pas de faire des plats tellement compliqués qu’ils sont juste indescriptibles mais rendre exceptionnelles des choses aussi simple qu’une purée de pommes de terre ou une tarte aux pralines :)
, le 29.05.2015 à 14:15
Pour ta tartelette, c’est rageant, en effet ! Souvenir d’un chef renommé de Dakar que j’avais invité à ma table. En Entrée, ma « Quiche au fromage » dont je n’ai pas voulu lui donner la recette puisqu’il avait lui-même refusé de me dévoiler celle de ses fameux « Filets de thiof aux épinards ». Quelques temps plus tard, à l’heure du Pastis au bar de son restaurant, il m’a demandé de passer en cuisine et d’en préparer une pour le service du soir, ce que j’ai fait de bonne grâce.
Il l’a ensuite présentée à ses premiers clients comme une nouveauté « hallucinante » (c’était son expression favorite) en me faisant un clin d’œil. J’ai eu la surprise de voir un couple en déguster trois portions. La jeune femme avait fait arrêter son plat suivant pour en déguster une deuxième portion ;-)
Il a essayé de la refaire après que son chef de cuisine m’ait honteusement (!) espionné. Ça n’a pas marché ;-)
Pour en revenir aux recettes des livres de chefs, elles sont souvent incomplètes. Et il manquera toujours « le tour de main » propre à l’auteur et souvent, la préparation des « fonds » maison.
Souvenir de « Ma gastronomie » de Fernand Point. Chaque recette tient en quelques lignes et n’est réalisable que si l’on possède une solide formation culinaire. J’ai cet ouvrage depuis 1969 et j’ai eu la surprise de le voir figurer dans la bibliothèque du jeune Chef Californien qui a conseillé les réalisateurs de « Ratatouille » (visible dans les making-off livrés avec le DVD).
De ce dont nous parlons aujourd’hui, on est loin de la Cuisine d’Assemblage qui est la règle dans 90 % des restaurants français, réglementation sanitaire et business obligent…
, le 29.05.2015 à 15:02
Où trouver un Hibachi de table en europe. Je n’ai trouvé qu’aux USA Fire Sense Small Yakatori Charcoal Grill.
, le 29.05.2015 à 20:25
Le truc, ne serait-ce pas cette fameuse dédicace (ingrédient rare s’il en est, introuvable en potager, même bio), à râper finement, et délicatement saupoudrer en toute fin de cuisson, juste avant de servir des convives dont les tables étaient réservées de longue date ?
Blague à part, “Cuisine du Bonheur”, ça rime avec “Restaurants du cœur”.
Et, sans en vouloir à qui que ce soit, j’avoue que parfois la poésie me désole !
, le 29.05.2015 à 23:22
Question bassement intéressée :
Etes-vous toqué ? Au sens noble s’entend !
Si oui, où, et comment réserver ?
, le 31.05.2015 à 19:25
Ces étoiles sont-elles à chercher au plus profond d’yeux plissés par le plaisir ou faut-il un guide ?