Préambule
Il y a une année, j’ai fait des découvertes musicales qui m’ont conduit au Cully Jazz, bien que je sois peu familier des festivals en raison d’une difficulté croissante à survivre dans des lieux surpeuplés. Je t’ai parlé de cette virée culliérane ici et là. L’expérience a été si vivifiante (je pèse mon mot) que j’ai décidé de remettre ça cette année, en mieux. J’ai donc guetté fébrilement la sortie du programme, commandé quatre billets pour des concerts du IN et repéré quelques-uns du OFF, trouvé un hôtel à proximité, et commencé à me réjouir.
J’y suis, mais…
Arrivé dans l’après-midi à Cully, et après une bonne sieste qui rendra le couche-tôt que je suis compatible avec la soirée qui m’attend, je parcours en vingt minutes les quelques centaines de mètres qui séparent mon hôtel du festival. Pour cela, je longe le bord du lac, à l’abri du bruit de la route.
Les oiseaux font «cui cui»;
le soleil, lui, luit;
je suis à Cully.
C’est beau.
Je regrette simplement de n’être pas de meilleure humeur.
Oui, parce que je ne t’ai pas dit, mais en ce moment je traverse une sorte de désert. D’humeur morne, je n’ai goût à pas grand-chose. À cet égard, ce festival tombe relativement bien. Cinq jours de solitude, sans avoir le sentiment de peser sur l’ambiance avec ma déprime, sans obligations professionnelles ni privées, sans autre souci que celui de me faire plaisir avec de beaux paysages et de la bonne musique. La thérapie n’est pas bon marché (hôtel + concerts), mais elle est plutôt agréable. Quant à son efficacité… je penche à croire qu’elle dépendra principalement de la façon dont je traverserai tout ça.
(mode mon cher journal: OFF)
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PREMIER CONCERT — au Temple
Il s’agit du clarinettiste klezmer français Yom, Guillaume Humery pour l’état civil; il est accompagné du violoncelliste Farid D., du contrebassiste Claude Tchamitchian et du percussionniste Bijan Chemirani. Quatre musiciens formidables, maîtrisant leur art avec sensibilité et virtuosité, tirant de leurs instruments des sonorités parfois inattendues (pour moi du moins). Le programme de la soirée, «Le silence de l’exode», est composé d’une succession ininterrompue de pièces s’enchaînant les unes aux autres, formant un périple qui se veut hommage aux quarante ans passés par le peuple hébreu dans le désert du Sinaï. Au début du concert, Yom nous rassure: la version de l’Exode qu’ils vont nous présenter ce soir est sensiblement réduite… à une bonne heure!
Ce voyage musical est disponible en CD:
liens: Qobuz — iTunes — Deezer
Et bien, malgré tout le bien que j’en écris, ces musiciens ne réussissent à me faire oublier mon humeur maussade et le très inconfortable banc sur lequel je suis assis. Ou plutôt JE n’arrive pas à changer d’ambiance intérieure, à me laisser toucher. J’ai d’ailleurs la nette impression d’être le seul dans ce cas. Car une fois le périple achevé, c’est debout et avec enthousiasme que le public ovationne les musiciens, les rappelle et rappelle encore… tandis que moi, coincé au milieu du cinquième rang, j’attends patiemment le moment où je pourrai sortir.
Mais jette un œil par toi-même sur cette vidéo et dis-moi ce que tu en penses.
Je repense très fort à ce que j’écrivais récemment sur l’objectivité et la beauté. J’ai pendant ce concert le sentiment curieux de trouver intellectuellement que cette soirée présente — à quelques détails près — toutes les qualités «objectives» d’un grand moment, et malgré cela je ne suis pas touché, et même un peu agacé.
Bref, passons.
DEUXIÈME CONCERT — sous le Chapiteau
La première moitié de la soirée est assurée (et je pèse mon mot!) par le Shai Maestro Trio. Faisant partie de cette déferlante de jazzmans moyen-orientaux que j’ai découverte l’an passé, Shai Maestro a été pendant quelques années le pianiste de son compatriote Avishai Cohen.
J’adore ce mec. Sa musique me chatouille là où ça fait du bien, m’approfondit, me vigorise (j’aime bien), m’électrifie, me pulsationne (j’aime bien aussi), me réinvente les oreilles en leur enseignant de nouvelles références harmoniques, et mème, des fois, me fait sourire. Par exemple, en découvrant le thème de «Angelo», le sixième titre de son premier CD, j’ai presque eu l’impression de me retrouver dans un bal musette, pendant une java, avec une petite pensée pour monsieur Nougaro, son jazz et sa java… À Cully, ils servent d’ailleurs une version particulièrement musclée de ce titre. Magistral. Si ça t’intéresse, tu peux entendre ce thème sur iTunes et Deezer. Sur Qobuz, l’extrait présenté (aux non-membres) a moins ce caractère «musette» qui m’amuse. Voici la pochette de ce CD:
Comme j’ai la chance d’être au centre du 3e rang (enfin la chance… 80 minutes de queue… merci Meindl et iBooks!), je peux profiter d’une dimension que seul le concert vivant peut apporter: l’énergie en direct et le réjouissant spectacle de la complicité entre ces trois musiciens de génie. Autant que leur musique — et ça n’est pas peu dire! — les regards complices me nourrissent. J’allais écrire leur amour me nourrit. Car ces trois-là s’aiment, ça saute aux yeux. C’est en tout cas ce que je perçois en les regardant, et cela est confirmé par Shai Maestro lui même lorsqu’il présente ses musiciens. Mon niveau d’anglais ne me permet pas de tout comprendre, mais il parle autant d’amitié que de talent. Et cela, sans comprendre l’anglais, je l’aurais perçu de toute façon.
Et entre les morceaux, Shai Maestro prend un micro et s’adresse à nous, pour nous présenter chaque titre. Sa voix est proche, chaleureuse, simple, notamment lorsqu’il présente un titre au piano solo, qui figurera dans son prochain CD et qu’il a composé comme une célébration de (ou un plaidoyer pour) la fraternité entre les peuples en général, et les Israéliens et Palestiniens en particulier.
Te dire encore le nom des comparses de Shai Maestro: le contrebassiste péruvien Jorge Roeder et le batteur israélien Ziv Ravitz.
Si tu veux te faire une idée, la radio Espace 2 rediffusera bon nombre des concerts de ce Cully Jazz 2015 en juin et juillet (programme ici).
Sinon, en attendant voici également la pochette du deuxième album:
liens: Qobuz — Deezer — iTunes
…et du troisième, sorti entre temps:
La deuxième moitié de la soirée est animée, allumée, explosée, feu-d’artificée, par Lisa Simone, fille de Nina. Elle donne là son premier concert en Suisse, revenant pour la première fois depuis son adolescence dans la région. Tu sais quoi? Elle a bien fait. De revenir. Pasque, comme on dit dans le coin: «tieu c’tambiance!».
Accompagnée par trois musiciens fabuleux, elle a tôt fait de mettre le public du chapiteau dans sa poche. De gauche à droite sur la scène:
- Le guitariste (et compositeur-arrangeur), Hervé Samb, sa rythmique implacable, ses envolées solstiques vertigineuses;
- le bassiste et contrebassiste Reggie Washington, presque une section rythmique à lui tout seul;
- le batteur Sonny Troupé, dont le sourire et la subtile énergie me fichent la patate!
Et elle, Lisa: délicat mélange de grande dame du groove, mais en même temps proche, sympathique, à la fois féline et sans chichi, capable de créer l’intimité comme de mettre le feu… Magnifique concert qui voit le public finir debout et dansant. Même moi. C’est dire.
Elle chante les chansons de son dernier disque:
liens: Qobuz — Deezer — iTunes
Et voici une vidéo qui donne une petite idée de ce que la dame et ses acolytes envoient sur scène.
Et tiens, une autre, qui permet de goûter particulièrement le jeu de Hervé Samb, qui (excuse du peu) a joué entre autres avec un certain Pat Metheny.
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Mi-temps
Et bien, tu sais quoi? Je crois que je vais te laisser là.
Plutôt que de continuer mon récit, je préfère te laisser le temps d’écouter, découvrir, explorer les déjà nombreux liens ci-dessus.
Et on se retrouve très bientôt pour la suite.
(edit: la suite ici)
, le 06.05.2015 à 05:18
Moi je trouve que c’est une thérapie formidable et finalement moins chère qu’un psy. Et tu évoques des musiques que j’aime. Le klezmer et ses dérivés a donné une nouvelle force au jazz et Lisa Simone marche sur les traces de sa mère. J’ai encore un souvenir ému d’un magnifique concert donné par Nina Simone à Montreux.
, le 06.05.2015 à 10:53
Beaucoup de monde traversent un désert ces temps… La grande question: est-ce que cette thérapie a eu quelques effets positifs? Ou est-il encore trop tôt pour en tirer des conclusions.
Appréciant le jazz mais était totalement novice en la matière, je vais donc me laisser guider par ces quelques suggestions.
Merci pour l’article et… Courage!
, le 06.05.2015 à 13:25
Merci Dom’, cela me fait une très jolie petite liste à écouter sur Qobuz.
Et vive la joie
Ha, j’ajoute que je vais écouter plus attentivement Lisa Simone que j’avais peut-être un peu vite reléguée.
, le 06.05.2015 à 13:40
Argos: ça dépend de la durée de la psychothérapie! Perso ça a été long, mais je n’en regrette pas un centime!
djtrance: Voui, merci, il y a eu des effets positifs. Ceci dit, dans ce domaine, je tire de moins en moins de « conclusions ». Car c’est bien un domaine dans lequel on peut dire que « le but, c’est le chemin »!
Bien du plaisir borelek!
, le 06.05.2015 à 13:48
@ Dom’ Python
Un souhait :
Santé, bonheur, prospérité, charrette à bras, etc … ! (j’aime bien)
En tout cas, cette invitation titillant curiosité et oreilles fait du bien et ôte l’envie de faire la tronche ;-) sa lecture étant un premier plaisir.
Bon, je cours acheter des coton-tiges, j’ai réservé mon après-midi. Merci !
, le 06.05.2015 à 14:06
Rhaaa, Merci pour la découverte de Lisa. j’écoute en ce moment. super
, le 06.05.2015 à 18:30
Ma culture musicale étant en éternelle mise à jour, je vais rester prudent …
Lisa Simone :
“Finally free” en live. Émouvant, je trouve.
“All is well” avec Hervé Samb, et “Revolution” (studio session).
Que du plaisir !
Juste pour se souvenir des sources :
Nina Simone : “I put a spell on you”.
Hervé Samb :
“Time to feel”, proposé en écoute intégrale sur la page d’accueil de son site, embraye ensuite sur “Sama Yaye”, “Fathelekou” (avec un jeu beaucoup plus classique), “Drum’s Call”, etc … Merci à lui !
Sonny Troupé :
Sans être encore entré sur le site, le clip d’intro est une invitation.
J’y retournerai.
Une suggestion d’écoute, genre qui se rappelle régulièrement à mon bon souvenir :
Daniel Humair, avec Bruno Chevillon et Marc Ducret : Kel Essouf.
, le 07.05.2015 à 00:02
Comme d’habitude, ça donne envie d’aller écouter, mais le temps m’a manquer! J’irai à l’occasion!
, le 07.05.2015 à 16:54
Je crois que comprends ton ressenti avec Yom, j’ai acheté son premier album quand il est sorti, c’est vraiment très bon, mais je ne l’ai pas beaucoup réécouté depuis, je crois qu’il fait trop de notes, c’est un virtuose qui ne sais pas s’arrêter de démontrer qu’il est le plus rapide, et c’est lassant, la musique, c’est aussi le silence ;o).
Shai Maestro est très agréable, mais un peu trop doux à mon goût.
Et Lisa Simone est magnifique ! ça doit vraiment être formidable en concert.
z (merci en tout cas pour les découvertes, je répêêêêêêêêêêêêête : vivement la seconde mi-temps !)
, le 09.05.2015 à 08:15
(pas pu revenir avant)
Jean-Yves: content que tu y aies trouvé du plaisir et de l’émotion.
Quant à moi, avec Daniel Humair (un grand monsieur) je ne croche pas. J’avais déjà écouté, mais non, c’est pas mon truc. Peut-être viendra-ce un jour…
zit: je n’avais pas voulu entrer dans le détail de ce qui me dérange chez Yom, mais si je l’avais fait, j’aurais utilisé les mêmes mot. Trop de notes. Comme toi, j’aime aussi le silence entre les notes ;-) Et j’ai par foi l’impression que cette abondance cache une pauvreté dans la construction mélodique. Mais bon. Chacun son truc!