Intro
À la suite de mon dernier billet, j’ai eu envie de revenir sur une question que je n’y avais qu’effleurée, à savoir «Y a-t-il une objectivité du beau»
Autrement dit, la beauté est-elle une qualité intrinsèque, objective, qui ne dépend pas de notre appréciation?
Ou encore: lorsque je dis» c’est beau», est-ce moi qui attribue à quelque chose une qualité, ou bien est-ce que cette beauté existe indépendamment de moi et que je peux y être sensible ou non?
Et donc: si cette beauté existe et que je ne la reconnais pas, quelles peuvent en être les raisons? Différences culturelles? Manque de compétences, de références? Niveau d’instruction? Faute de goût?
Si la beauté est une qualité intrinsèque, quels sont les critères qui la font exister?
- Le nombre? (une écrasante majorité aime, donc c’est beau)
- la durée: (on joue encore Bach, donc c’est beau)
- des critères précis (cette œuvre présente un certain nombre de caractéristiques, donc elle est belle).
Il reste que la question de la beauté se pose de façon très différente s’il s’agit d’une œuvre, d’un paysage, d’une personne…
Et sur ce dernier point, je veux bien être d’accord avec le fait que seule la beauté intérieure compte vraiment; mais lorsque c’est Adriana Karembeu qui le dit, ça m’énerve un peu… ;-)
Origines d’une interrogation
Cela fait un moment que je me bats avec ce billet, que je tourne en rond dans ces interrogations, que je les reformule pour la xième fois, que j’efface et recommence… Mais pourquoi donc ces questions me semblent-elles si importantes?
Pourquoi est-il si nécessaire pour moi de savoir si ce que j’aime est beau et pourquoi éprouvai-je à ce point le besoin de te faire part de ces affres?
En fait, je crois que cette obsession prend sa source dans mon histoire personnelle.
- Oh purée! Y va pas nous raconter sa vie!
- Non, t’inquiète! Juste un petit peu.
Je me rappelle une anecdote que j’aurais bien du mal à dater. Mais je devais être alors un jeune enfant. Ma mère avait un petit livre dont la couverture était la reproduction monochrome d’une icône byzantine, représentant le visage du christ.
Ce visage paru bien sinistre au bambin que j’étais. Je l’ai exprimé par une moue, accompagnée d’un «il a une sale gueule, celui-ci»! Maman m’a alors doucement expliqué que non, il n’avait pas une sale gueule, que c’était Jésus, que c’était beau, mais que cette forme de beauté n’était peut-être pas (encore) perceptible à mon âge.
C’est — je crois — le plus ancien souvenir que j’ai de l’apprentissage de cette croyance que ce qui est beau EST beau, que cela me plaise ou non. Et la difficulté que je pouvais éprouver à ressentir cette beauté relevait au mieux d’un manque de maturité ou de références culturelles, au pire d’une faute de goût. Quant à trouver beau ce qui ne l’était pas, ce pouvait être plus grave et relever d’une forme de perversité, bref, de péché.
Encore que, pour compliquer, il pouvait arriver que le laid (= le mal) s’habille de beauté pour mieux nous appâter nous tromper, nous séduire, nous abuser, nous attirer dans ses filets. Dans ce cas, le beau ne devait pas être considéré comme beau, mais comme mensonge, mal, péché, donc, forcément, quelque part, laid. Ainsi la notion de Beauté s’articulait-elle avec celle de Vérité.
Il s’agissait donc pour moi, lorsque je trouvais beau quelque chose, de savoir si j’avais le «droit» d’aimer ça, ou s’il fallait détourner le regard. Ainsi, dirais-je, naissait en moi une certaine méfiance vis-à-vis de mes sentiments, de mes émotions, de mes goûts. Bon. Ça m’a tout de même pas empêché d’aimer Claude François et Sheila, quelques années plus tard; et, plus grave encore pour mon père, le groupe iconoclaste Ekseption et leur relecture de Beethoven, Bach ou Khachaturian. Je réentends papa, passant devant le tourne-disque, s’exclamer sur un ton haineux: «Vivement qu’ils crèvent, ceux-là!»
Bien plus tard, je travaillais dans un magasin de disques classiques. Il s’agissait donc, là aussi, de savoir ce qui était beau, juste, de façon à pouvoir conseiller le client qui souhaitait acheter la «meilleure» interprétation de telle œuvre. Et là encore, mon propre sentiment n’était pas fiable; il me fallait recevoir de ceux qui possédaient les clefs du jugement, les justes critères d’évaluation. Mais la tâche était compliquée, car je voyais bien que les spécialistes n’étaient pas d’accord entre eux. Il ne suffisait donc pas de consulter ceux qui savaient; encore fallait-il être capable de choisir les bons! Pas simple…
Et puis la vie m’a aidé. Elle a fait apparaître les interprétations sur instruments d’époque. Et un collègue, passionné de musique baroque, m’a appris à aimer ces sonorités bizarres.
Parce que bien sûr, la première fois que j’ai entendu les Concertos Brandebourgeois par Gustav Leonhardt, les frères Kuijken et leur bande, j’ai trouvé ça très... acide. Le violon de Sigiswald Kuijken manquait de la rondeur que j’appréciais chez d’Arthur Grumiaux, Yehudi Menuhin… et mon papa.
Flashback: enfant, j’avais demandé à papa pourquoi il tremblait de la main gauche lorsqu’il jouait du violon. Il m’avait dit que c’était pour que ce soit plus beau, et il m’en avait apporté la preuve, indiscutable: il avait joué une note tenue, tout d’abord sans vibrato, puis avec. Et j’avais été convaincu. Sans vibrato c’était plat, laid (ce que soulignait d’ailleurs la comique grimace paternelle), alors qu’avec c’était vivant, beau. Et d’ailleurs j’entendais bien, sur les disques de mon papa, que Grumiaux, Menuhin et les autres faisaient aussi ce vibrato, donc tremblaient de la main comme mon papa. Donc mon papa faisait juste, mon papa m’apprenait la beauté, mon papa faisait le bien et me transmettait les vraies valeurs. Ce qui était bien normal puisque c’était mon papa!
Je reviens à Sigiswald Kuijken: non seulement son violon sonnait moins «rond» que ceux dont j’avais l’habitude, mais surtout… il ne vibrait pas! Ou alors juste un peu, sur la fin d’une note vraiment longue. Le vibrato n’était plus une manière de faire sonner les notes, mais un ornement qu’on utilisait avec parcimonie. Et ça, pour moi, c’était une trahison (!) pure et simple des fondements même de la beauté musicale, fondements reçus de mon père qui, malgré tous les défauts dont mon adolescence l’avait affublé depuis, restait pour moi une référence en matière de musique classique.
James (mon collègue) m’a alors expliqué que si Kuijken et ses copains jouaient sur des instruments anciens, historiques, ils appliquaient surtout les techniques de jeu et règles d’interprétations de l’époque. Donc, en jouant la musique ancienne avec des instruments anciens et avec les règles anciennes, ces musiciens faisaient juste et c’était les autres qui avaient tout faux. N’en déplaise à papa!
Bon. Je dois à la vérité de préciser que James n’était pas aussi catégorique et intégriste que cela. Mais c’est probablement de cette façon très manichéenne que j’ai personnellement intégré ces nouvelles références. C’était confortable, mais en même temps piégeant: ainsi, lorsque je découvrais un nouveau (pour moi) disque de musique baroque, il me fallait, avant de savoir (et, surtout, oser dire!) si je trouvais ça beau ou non, distinguer s’il s’agissaient d’instruments anciens ou non. Car il m’était devenu impensable de déclarer belle une interprétation réalisée avec des instruments modernes.
Toutefois, j’avais un problème. Car si j’appliquais strictement cette grille d’évaluation, cela revenait à invalider d’un coup de balayette les fondements de la beauté qui m’avaient été inculqués par — excusez du peu — Yehudi Menuhin, Arthur Grumiaux et Joseph Python. Et même s’il était de mon âge de remettre en question les valeurs de ceux qui m’avaient précédé, j’éprouvais tout de même une certaine gêne à considérer messieurs Python, Menuhin, Grumiaux et tous les autres comme des vieux schnocks égarés.
Heureusement, il y avait les quatuors de Beethoven, par le Quartetto Italiano, qui redonnaient à mon papa ses lettres de noblesse dans mon échelle de valeurs. Pasque là, James n’avait rien à y redire.
Bien quelques années plus tard, j’entendis ces deux phrases au milieu d’une discussion entre «connaisseurs».
- Finalement, que ce soit joué sur instrument ancien ou moderne n’a pas tellement d’importance; ce qui compte, c’est que ça me touche.
- Absolument!
Le premier personnage était un flûtiste, qui jouait sur un traverso (flûte traversière baroque, en bois) et celui qui lui répondait était mon collègue susnommé, James. Il s’agissait donc de deux personnages que j’identifiais comme étant des partisans de l’interprétation sur instruments anciens.
Cela paraîtra probablement ridicule à certains, mais je me souviens qu’entendre ce dialogue fût pour moi comme une... libération. Car si ces deux-là disaient pouvoir être touchés par une interprétation moderne, et bien je le pouvais aussi.
Bon. Le terme de libération utilisé ci-dessus n’est pas le plus adéquat. Peut-être devrais-je écrire autorisation. Par ailleurs, le simple fait de me rappeler cet épisode comme une petite libération me dit à quel point la liberté de penser — et de ressentir — n’a pas été une faculté innée chez moi! En tout cas pas dans tous les domaines.
Quoi qu’il en soit, je n’en avais pas terminé. Car il restait tout de même que ces gens - et plein d’autres -, lorsqu’ils n’aimaient pas une interprétation, la condamnaient avec des mots qui se voulaient la juste expression d’une évaluation objective. S’ils n’aimaient pas, c’était bien parce que c’était pas beau! Et ceux qui aimaient se trompaient.
(Encore une fois, je schématise, hein! Ils n’étaient pas aussi catégoriques et absolus. Du moins pas tous ;-)
Cette vision manichéenne est probablement le reflet de la manière dont j’ai intégré ces valeurs, ces références. C’est aussi l’époque à laquelle j’avais été séduit par cette phrase , lue sauf erreur chez Lanza Del Vasto: «Le mensonge est le crime le plus grave, car c’est un crime contre la Vérité».
(Je viens de loin, non?)
~ ~ ~
Je parle beaucoup de musique, car c’est mon biotope, mais cette question de l’objectivité de la beauté se pose également dans la peinture, la photo, la sculpture, et plein d’autres domaines, moins artistiques, mais tout aussi sujets à débat.
Je me souviens par exemple avoir été fort dépité d’apprendre qu’une partie des belles couleurs d’un coucher de soleil étaient dues à la pollution de l’air.
Plus délicat: alors que, lors de mes premières vacances bretonnes, je faisais part de mon admiration devant certaines pigmentations d’une falaise, on m’a fait comprendre qu’il ne faillait surtout pas dire à un Breton que c’était beau; il s’agissait des stigmates d’une marée noire… (note pour Alain Le Gallou, Modane et quelques autres: pas taper, siouplaît!)
J’ai pour ma part du mal avec certains, que je connais, qui trouvent beau le bruit que fait leur Harley-Davidson ou celui des moteurs lancés à plein régime sur un circuit de grand prix.
Conclusion
Tout ça pour te dire que, finalement, ma réponse à la question qui ouvre ce billet, sur l’objectivité de la beauté, est non.
Je crois que personnellement, je qualifie de beau quelque chose qui fait naître en moi un certain type d’émotion positive. Je considère donc que la beauté n’existe pas en tant que telle, mais que c’est une qualité que l’on donne (ou pas) aux choses, aux gens, aux idées…
Au final, je pourrais presque dire que, dans l’esprit de mon précédent billet, l’expression «c’est beau» est un abus de langage. Je peux dire «c’est rouge», car la couleur est une réalité objective qui ne dépend pas de moi. Et le fait qu’une personne daltonienne ou achromate ne perçoive pas cette couleur ne change rien à son existence. Alors que la beauté n’existe - à mon sens - que dans le regard du spectateur.
Ainsi donc ai-je de moins moins envie de dire «c’est beau».
Sauf peut-être devant un lever de soleil.
Ou un arbre
Et aussi un sourire de vieillard.
Bon, y a la musique de Bach, celle de Dhafer Youssef…
Et bien sûr le regard de ma femme.
Mais encore ce chemin dans la forêt, le silence, une photo faite par mon fils que j’ai en fond d’écran, un ciel étoilé, la montagne, un cœur qui écoute, l’océan, un cheval qui court entre les sapins jurassiens, un geste d’entraide, les nuages dans un ciel bleu…
Et toi?
En fait, je crois qu’une des formes de beauté qui me touche le plus,
c’est celle dont mon regard habille le banal quotidien...
, le 31.03.2015 à 02:01
Salut Dominique,
Fabuleuse question soulevée, à laquelle j’essaye de trouver une réponse également !!
J’écoute beaucoup de musique électronique et je dois avouer que les sentiments dont tu fais part dans ton article ont fait écho aux miens par certains moments.
Il y a autant de styles de musiques électronique que d’artistes (qui d’ailleurs sont plus ou moins bien vus en fonction de leur public, comme souvent lorsqu’on affûte nos connaissances dans un domaine). Je le précise car il est important de dissocier la musique électronique de la musique de boîte de nuit (que j’apprécie néanmoins par moment).
Un tas de questions se sont donc posées lorsque j’ai entendu pour la première fois un morceau dont la principale mélodie était « toute » dissonante, évoquant (pour moi) une sonorité « instable » la rendant légère et innocente. Ce morceau est pour moi génial, mais je ne l’ai apprécié qu’après plusieurs écoutes tant il était genant, pour moi, au début.
J’ai mis du temps à assumer que je l’aimais, tout bêtement !
J’en suis arrivé à la même conclusion que toi finalement qui est celle de pouvoir dire que la beauté est relative à l’interprétation du spectateur, et je dirais même que je suis très sensible à la démarche de l’artiste afin susciter l’émotion du spectateur.
Ainsi paradoxalement je peux trouver « beau » quelque chose qui me laisse « calme », au motif que l’artiste a mis de la passion pour qu’elle me/nous plaise (cette chose/cette œuvre)
Mais je me retrouve devant une autre question : doit on connaître le cheminement de l’artiste pour apprécier son travail ?
Ma réponse vaut ce qu’elle vaut, mais je me demande si l’on pourrait pas dissocier l’esthétique, de la beauté.
La « beauté » serait propre aux émotions ressenties par le spectateur, quand « l’esthétique » serait le reflet d’une certaine cohérence, d’un certain équilibre (par exemple la svastika, que je trouve objectivement esthétique mais que j’ai du mal à trouver belle).
L’esthétisme resterait propre à chacun selon nos propres critères avec (selon moi) 2 échelles qui évalueraient:
En abscisse : la simplicité ————-> la complexité (comme le vibrato dont tu parlais)
En ordonnée : le contraste/ la nuance au sein d’une même œuvre (comme le fait de pouvoir opposer dans un même morceau deux parties totalement distinctes)
Peut-être être l’esthétisme opterait plus de l’acquis et de l’expérience que la « beauté » …
Enfin, en écrivant ce commentaire très long (et complètement sujet à controverse, quand je le relis !) il m’est venu une question : peut-on considérer l’humour comme un art ?
Truc
, le 31.03.2015 à 03:55
Ben article, belle question.
Pour ma part, après bien des années de réflexion sur le sujet, j’en conclus que cette quête (ainsi que celle de la définition de l’art) se résume à deux concepts : celui de l’harmonie et celui de l’énergie.
L’harmonie est une notion mathématique. Elle consiste au respect de règles précises qui procurent une sensation particulière.
L’énergie est une notion de physique, définie comme étant la « capacité d’un système à produire un travail. »
Les règles de l’harmonie sont utilisées par exemple par l’industrie musicale pour produire des mélodies à succès, ou par l’industrie de la peinture pour produire des nuanciers de couleurs qui seront utilisés dans la décoration d’appartements. Dans ces deux exemples, un nombre plus ou moins important de clients trouvera le résultat « beau ».
L’énergie est plus subtile. Mon idée est que nous sommes tous des « condensateurs », capables d’emmagasiner et de transmettre de l’énergie. Mais tous les condensateurs ne sont pas forcément compatibles entre eux. Et l’énergie se transmet par l’intermédiaire de dispositifs produits par les uns et mis en contact avec les autres.
Par exemple, un des plus grands humains-condensateurs moderne que je connaisse était Picasso, et son tableau Guernica a totalement électrisé, tétanisé et chargé à bloc en énergie des millions de visiteurs des différents musées où il a été exposé. Plus puissant qu’une centrale nucléaire ! Mais d’autres personnes n’ont pas reçu la moindre dose d’énergie de Picasso et se sont moqués de sa peinture.
C’est vrai pour Picasso, Mozart, Basquiat ou Hendrix mais aussi pour n’importe quel autre artiste, même obscur, même amateur, même occasionnel. Les « oeuvres d’art » sont des vecteurs d’énergie qui font tourner l’univers humain depuis Lascaux. Et donc, là aussi, pour les observateurs sensibles, le résultat est « beau ».
Depuis que j’ai intégré ce concept, je suis beaucoup plus tolérant avec l’art contemporain :-)
Il est frappant de noter que lorsqu’on observe la nature, n’importe quel bout de nature, que ce soit une brindille ou un paysage complet, quel qu’en soit l’endroit ou le moment, on constate que tout, absolument tout est en harmonie totale. Et lorsque nous contemplons un paysage, bien souvent, nous nous rechargeons en énergie.
Finalement, ne serais-ce pas ce fameux « beau » qui fait tourner l’Univers ?
, le 31.03.2015 à 07:08
Et si, en application la mécanique quantique, le beau n’existait qu’en fonction l’observateur ?
Parce que s’il est facile de trouver beau Bach ou Mozart, qu’en est-il de Webern ? J’ai dû arriver à l’âge de 60 ans pour découvrir chez lui autre chose qu’un chaos musical. Et aujourd’hui, pour moi, ses courtes pièces représentent la référence absolue du beau. Il s’agit donc bien ici d’une question de temps, comme nous le dirait Hawkins, un temps nécessaire à l’établissement du beau.
Et puisque on évoque Bach, penons les Variations Godberg et l’interprétation considérée comme la référence absolue, celle de Glenn Gould.
Mais voilà, écoutez ce qu’en a fait à Moscou en 1967 la grande pianiste russe Maria Yudina, pulvérisant par avance la vision du pianiste canadien.
Le beau en lui-même n’existe pas.
Les Goldberg par Yudina se trouvent sur Youtube. Et, en passant, ses rapports avec Staline représentent un des épisodes les plus délirants de la vie artistique soviétique.
, le 31.03.2015 à 08:02
@ Dominique.. Encore un article passionnant. Merci pour le partage.
Personnellement, pour ce qui concerne le beau et le bon, je pense qu’il n’y a pas de règle absolue.
Pour ma part.. Avec les années, j’ai 60 ans, cela m’a fait prendre avec plus de conscience de l’importance de la tolérance.
Accepter les différences. J’aime beaucoup cette petite phrase.
« Le bonheur n’est pas la recherche de la perfection, juste l’acceptation de l’imperfection »
Tant de choses sont subjectives et personnelles.
, le 31.03.2015 à 08:34
Je trouve que la journée commence bien. Après un petit Magnificat voilà que Dominique … me parle d’harmonie, mais oui Dominique, comme le corrobore Tilékol, la beauté est harmonie, mais pas seulement.
En second lieu tu me titilles avec les instruments anciens et quelques amis baroqueux. À ce propos, Sigiswald Kuijken a écrit un merveilleux livre qui en dit énormément sur l’interprétation de la musique – sa conception. Ce livre, en principe réservé au « Amis de la Petite Bande » s’appelle « Bleib bei uns Bach » d’après le titre de la cantate BWV 6.
Ton opinion est mesurée afin d’illustrer ton propos sur la beauté.
Wiki sur F Couperin
Alors ? Oui Dans toute son oeuvre FC exprime cette maxime. Il est harmonie et la beauté s’exprime. Écoutez, « Les Barricades Mystérieuses », « Les Fauvettes Plaintives », et tout le reste (par Scott Ross évidemment )
Tilékol cite l’énergie. Vous le savez, un de mes centres d’intérêt est la viole de gambe
La musique pour cet instrument est « traditionnellement » jouée avec … componction. Sans doute, un jour, un violiste a « passé » ce type de jeu et tous les autres ont repris. Et puis, il y a eu un certain Paolo Pandolfo (très mauvais wiki, même pas écrit en français, essayez plutôt ce site.
Paolo, venu du jazz a donné aux interprétations de musique de viole une énergie enthousiasmante. L’harmonie étant déjà présente …
Une autre « harmonieuse énergique »: Kathleen Ferrier. Écoutez son insurpassable version des Kindertotenlieder de Malher
Le regard d’une certaine petite fille blonde que je connais bien, harmonieusement énergique me dévaste.
, le 31.03.2015 à 10:56
« Et toi ? » fut la question posée.
Si j’arrive généralement très bien à expliquer pourquoi quelque chose n’est pas beau à mon avis, je suis bien plus en peine de décrire pourquoi quelque chose l’est à mes yeux : c’est tellement difficile de décrire les émotions !
Mais elle était là, l’émotion, samedi soir aux Docks, pour le concert de Asaf Avidan : invitée par une amie qui m’a fait la surprise, je me suis pris cette musique en pleine tronche et suis ressortie séduite, vraiment.
Mais même si mon enthousiasme a été partagé par une salle pleine à craquer, je n’aurais pas l’audace d’affirmer que « c’est beau », juste celle de dire que j’ai beaucoup beaucoup aimé.
Merci Dominique pour ton billet !
, le 31.03.2015 à 11:27
Dans la fratrie des frères Kuijken, il y a aussi l’ainé Wieland qui a cette incroyable capacité de vous emporter en vous forcant littéralement à l’écouter. Ça ne fonctionne, pour moi qu’en concert. C’est stupéfiant de beauté.
, le 31.03.2015 à 13:00
Oui c’est vrai, la sensation de rouge provient d’une vibration objective, mesurable, mais rien ne nous prouve que, quand nous regardons une surface rouge, nous voyons tous la même couleur ou, si l’on préfère, que nous éprouvons tous la même sensation.
D’un point de vue objectif, nos sensations dépendent avant tout de la manière dont sont constitués nos organes. Si nous percevions notre environnement avec des yeux d’abeilles nous aurions certainement une autre vision du monde, faite de noir, de bleu et d’ultraviolet.
Cela dit, quelles que soient les capacités objectives de nos organes, nos sensations demeurent éminemment subjectives. Mais parce que nous sommes dotés des mêmes organes nous croyons, sans preuve, que nous éprouvons les mêmes sensations devant les mêmes spectacles et que les sentiments que ces sensations éveillent en nous, s’ils ne sont pas identiques, sont néanmoins semblables ou du moins comparables et communicables.
Dans le doute où nous nous trouvons, nous avons besoin de nous rassurer. On a beaucoup écrit sur les rapports entre la beauté (ou l’harmonie) et le nombre. On nous a démontré, à coups de constructions géométriques et de proportions parfaites, qu’il existait un critère objectif du beau. Nombreux sont les théoriciens et historiens de l’art qui, devant une peinture que tout le monde admire, nous expliquent que ce qui fait la beauté de cette œuvre ce sont les axes, les cercles, les tangentes ou les diagonales qui forment la géométrie secrète qui nous procure à notre insu un sentiment de perfection.
Ce n’est pas si simple. La géométrie, les mathématiques jouent un rôle indéniable dans note perception du beau, au même titre que les sons, les couleurs, l’ombre, la lumière, le contraste, l’harmonie, la résonance et quantité d’autres facteurs qui échappent à nos analyses les plus fines. Il reste que, si l’on place à côté de ce chef-d’œuvre une copie fidèle mais de moindre qualité, l’une des deux œuvres nous parlera, l’autre se taira.
La copie obéit pourtant aux même règles, aux mêmes critères objectifs que l’on nous disait décisifs. Mais non, le charme n’agit pas, quelque chose manque. Quelque chose que nous éprouvons mais demeurons incapables de dire — peut-être ce “je ne sais quoi”, ce “presque rien” cher à Jankélévitch.
, le 31.03.2015 à 15:39
@Argos :
Ce qui fait de Gould un transmetteur d’énergie extraordinaire, ce sont ses deux versions, totalement différentes, totalement géniales des variations Goldberg, associées à deux moments de sa vie totalement opposés (avant 1960 et après 1980).
Lorsqu’un transmetteur d’énergie (l’interprète) vient s’ajouter à la colossale énergie du compositeur, emprisonnée depuis des siècles dans quelques notes griffonnées sur du papier, cela donne un résultat détonant.
La version de Maria Yudina me touche moins : nos condensateurs ne sont pas réglés sur la même longueur d’onde :-)
Le « beau » existe : c’est un mot qui décrit une émotion. Mais l’émotion n’est pas la même selon les individus… Le parallèle avec la physique quantique est particulièrement bien trouvé.
, le 31.03.2015 à 19:35
Wouaw! Commentaires riches et passionnants!
Truc, c’est vrai qu’il faut parfois plusieurs contacts avec une œuvre ou un style pour en apprécier les richesses. J’ai vécu ça notamment avec la musique de Less Than Four, dont j’ai parlé ici et là, ainsi que ceux dont ils m’avaient parlé. Cette musique a mis du temps à réussir à me séduire, mais je suis à présent très atteint! Mais quant à moi, je ne pourrais pas dire que j’ai « mis du temps à assumer que j’aimais »; je pense que, à première écoute, je n’aimais effectivement pas. Je ne trouvais pas ça beau. Et puis, en insistant…
Par ailleurs, pour moi le fait de connaître le cheminement de l’artiste et d’apprécier son œuvre sont deux réalités distinctes et indépendantes. La connaissance du cheminement peut conduire à l’appréciation, mais à mon sens l’appréciation n’a pas – ou ne devrait pas – avoir besoin de cette connaissance. Encore que… Mon amour de la musique baroque sur instruments ancien est bien né de l’initiation que j’ai reçue de mon collègue.
Quant à ta question sur l’humour, j’aurais tendance à répondre oui, mais en fait je m’en fous: tant que ça me fait marrer… :-)
(Bon si je réponds aussi longuement à chacun, je vais y passer la nuit!)
Tilékol, le lien que tu mentionnes entre « règles d’harmonie » et « mélodies à succès » a fait sursauter en moi l’ancien vendeur du traité d’harmonie de Jacques Chailley! Mais tu as raison. Les chorals à 4 voix de Bach, que les profs d’harmonie classique donnent aujourd’hui à étudier à leurs élèves, ne sont-ils pas un recueil de « mélodies (harmonisées) à succès » dont certaines sont encore aujourd’hui chantées dans les Temples? (mode musicologue de comptoir OFF)
J’aime bien le lien que tu fais entre l’harmonie, l’énergie et la beauté.
Argos, le même collègue qui m’a initié à la musique baroque m’a également initié à la musique contemporaine. Là, il a eu plus de mal. Mais je me souviens pourtant de concerts de Yun, Berio et d’autres, durant lesquels j’ai vibré. Mais je n’ai personnellement jamais pu vraiment ressentir autre chose qu’une curiosité intellectuelle vis-à-vis de la musique de Webern; idem pour ses collègues Berg et Schönberg. Ça viendra peut-être. Ou pas. (Oui, je sais, ça fait longtemps qu’ils ne sont plus contemporains… chipote pas!)
Quant à Gould comme « référence absolue » des Goldberg, là je grince. Référence pour certains, certes. (Et moi-même j’aime beaucoup). Mais il y doit y avoir des clavecinistes qui en ont pendu pour moins que ça!
Ysengrain, en écrivant mon billet j’ai bien pensé que tu t’y manifesterais! Le bouquin de S.Kuijken est-il traduit en français?
Le sieur Couperin n’étant plus disponible, peut-être que tu pourras m’expliquer la différence qu’il fait entre « me touche » et « m’émeut »? J’aurais tendance à utiliser ces deux termes comme complémentaires, presque synonymes…
Madame Poppins, je ne connaissais pas Asaf Avidan. je viens d’en glaner quelques extraits; c’est pas ce que j’ai envie d’écouter en ce moment, mais je garde le nom de côté. Ça m’a l’air très intéressant.
Soheil; c’est marrant, en écrivant la phrase que tu cites, j’ai pensé très fort à un ami scientifique (aujourd’hui décédé) qui ne laissait jamais passer une telle affirmation sans y répondre par de savantes considérations tendant à prouver le contraire juste par provocation (et je ne dis pas ça pour critiquer, hein!). J’ai beaucoup appris avec lui, et j’apprécie ton intervention, même si dans un premier temps j’ai eu l’impression que tu étais à côté de la plaque. De MA plaque peut-être, mais pas de LA plaque. Il me semble toutefois qu’il y a une différence importante entre la réalité du rouge (toute relative qu’elle soit) et celle du beau.
Merci à tous! (À suivre…)
, le 31.03.2015 à 21:03
Oui, Dominique, j’avais exactement la même réaction que toi à l’écoute des compositeurs du deuxième Groupe de Vienne. A l’exception peut-être du concerto pour violon d’Alban Berg, d’un extraordinaire lyrisme. Mais à l’orée de la soixantaine, j’ai été saisi par l’incroyable beauté des pièces de Webern. Et j’évoquais Gould pour mieux défendre Maria Yudina, sublime dans Bach, Mozart et les Variations Diabelli de Beethoven. Ah, l’oubliais Schubert. Mais là, pour les dernières sonates une, autre référence, Richter, est écrasée par Arthur Schnabel, un autre génie.
, le 31.03.2015 à 21:55
Bonjour, sur le plan purement scientifique, des études ont été faites dans différents pays au sujet du language de l’apparence. Il existerait pour l’être humain, des critères de beauté universels dans l’attraction vers une autre personne afin d’identifier un partenaire sain (visage plutôt symétrique, teint éclatant et visage plutôt large) qui puisse avoir des enfants en bonne santé (diversité génétique avec des visages pas trop singuliers mais plutôt dans la moyenne d’une population). Intéressant je trouve! Maintenant, si c’est de la beauté, de l’esthétisme, de l’énergie,…?
, le 01.04.2015 à 00:06
Merci pour ta réponse et pour cette remarque méritée. Mon commentaire était confus, je le reconnais. Comme il était trop long, j’ai beaucoup coupé et les paragraphes qui restaient n’étaient pas bien reliés entre eux.
Il est vrai qu’il y a des bases objectives à la beauté et à l’harmonie, des règles pour réussir une fugue ou une mise en page. Mais ces règles n’expliquent que la moitié de l’effet produit. Et, de plus, elles ne sont pas universelles mais varient selon les époques et les cultures.
Ce que j’essayais de montrer par mon exemple de l’œuvre originale et de sa copie, c’est que deux objets peuvent obéir rigoureusement aux mêmes règles objectives et pourtant ne pas produire le même effet. Un même musicien jouant la même œuvre en concert peut nous transporter un soir et nous laisser sur notre faim le lendemain — il a pourtant joué les mêmes notes. Cela prouve, pour moi, que ce qui fait que nous sommes touchés ou non par une œuvre d’art est bien plus complexe que ce que le langage est capable d’expliquer.
, le 02.04.2015 à 11:09
En voilà une belle question. Depuis plus de 50 ans que je fréquente Monsieur FC comme il est appelé dans quelques documents, je n’ai pu faire la différence qu’en écoutant ses musiques. FC n’est qu’exceptionnellement dans l’emphase, le faire valoir et l’excessif. Il est très très majoritairement dans une expression sage, retnue, maitrisée.
Ne pas négliger que « émeut » est de la famille de émotion qui sous tend un mouvement.
, le 03.04.2015 à 11:40
Argos, un conseil pour m’initier à Webern? En sachant que je n’aime pas le chant et prèfère la musique de chambre?
sdepalle: cela me rappelle ce sujet de l’émission Specimen, plus particulièrement à partir de 4:35
ysengrain, si je comprends bien tu fais un parallèle entre l’émotion et l’emphase, le faire valoir et l’excessif?
Personnellement je dirais que c’est dans la mesure où une oeuvre me touche que je suis ému. Maintenant, le caractère retenu ou excessif de ce « touché » et de cette émotion est une autre question.
, le 03.04.2015 à 11:56
@Dominique: c’est effectivement mon interprétation de la citration de Couperin à la lumière de ce que j’ai compris de sa musique